Intervention de Clément Dherbecourt

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 14 avril 2021 à 10h00
Table ronde sur le thème : « mobilité sociale et aménagement du territoire : comment restaurer la promesse républicaine de l'égalité des chances ? »

Clément Dherbecourt, chef de projets au département société et politiques sociales, France Stratégie :

Merci beaucoup de votre accueil, Monsieur le président. Je vais tenter de vous présenter succinctement un travail réalisé l'année dernière par le département société et politiques sociales de France Stratégie qui porte sur l'inégalité de destin entre les habitants des territoires. Ce travail me semble être au centre des sujets qui vous intéressent aujourd'hui.

En introduction, je précise que si le sujet concerne l'inégalité des chances entre territoires d'origine, il faut rappeler que cette dernière est avant tout d'ordre social : les individus ont avant tout des destins différents parce qu'ils proviennent de milieux sociaux différents. Par exemple, un enfant d'ouvrier n'a généralement pas les mêmes chances qu'un enfant de cadre, de même qu'un enfant de famille modeste ne dispose pas des mêmes opportunités qu'un enfant de famille aisée. Dans un travail publié il y a trois ans, France Stratégie avait cherché à mesurer cette inégalité des chances imputable aux origines sociales. Il faut retenir qu'environ 1 000 euros par mois d'écart de revenu séparent un enfant d'ouvrier non qualifié d'un enfant de cadre : tel est le chiffrage représentatif du « facteur origine sociale ». Lorsque nous mesurons l'inégalité des chances entre les territoires, il faut mesurer les écarts par référence à ces 1 000 euros.

Pour mesurer l'inégalité des chances entre les territoires, France Stratégie a étudié le destin des enfants d'ouvriers et d'employés selon leur territoire d'origine à partir de données de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). L'échantillon démographique permanent utilisé dans cette étude permet de suivre 1 % de la population de leur naissance à l'âge adulte en récupérant notamment des données liées à la scolarité puis à l'évolution des revenus fiscaux déclarés à l'âge adulte. Les analyses ont porté sur la comparaison des trajectoires d'individus issus de milieux sociaux modestes mais originaires de territoires différents. France Stratégie a par la suite soulevé trois questions relatives aux politiques publiques. Premièrement, pour favoriser l'égalité des chances, faut-il cibler les individus ou les territoires ? Deuxièmement, quelle est l'échelle pertinente d'action ? S'agit-il de l'échelle régionale, départementale ou locale ? Troisièmement, quels sont les leviers de politique publique pour favoriser l'égalité des chances entre les territoires ?

En observant les disparités entre les revenus médians selon le département d'origine, on constate qu'il existe en France de grandes différences régionales et non départementales. Ces différences ne se perçoivent pas non plus à l'échelle des villes ou des métropoles. À titre d'exemple, l'Île de France, les régions frontalières de la Suisse et certaines régions du sud-ouest, y compris Toulouse, qui est le second pôle universitaire de France, apparaissent favorables aux individus qui en sont originaires, c'est-à-dire que ces derniers auront plus de chances de bénéficier de revenus élevés à l'âge adulte que le reste des Français. En revanche, les individus ayant grandi dans les régions du nord et du sud de la France, plus particulièrement dans les Hauts-de-France et le département du Pas-de-Calais ainsi que dans le sud du Languedoc-Roussillon semblent moins favorisés et risquent de percevoir des revenus plus faibles.

De fait, l'inégalité des chances en fonction des territoires se situe avant tout à l'échelle des régions : ceux qui grandissent dans des régions riches et en développement ont plus de chances que les autres d'avoir des revenus importants. En observant toutefois les disparités territoriales avec une plus grande précision, il n'apparaît pas de différence significative entre les zones rurales et les zones denses au sein d'un même département, y compris pour les grandes agglomérations et les métropoles. Ainsi, Perpignan, Montpellier, Lille et Dunkerque n'offrent pas plus d'opportunités à leurs habitants que les zones rurales qui leur sont adjacentes. Selon les études de France Stratégie, la ruralité n'est donc pas un facteur particulièrement défavorable mais il faut ici tenir compte du fait que les données que nous avons agrégées ne prennent pas en compte les déplacements de population. Or, dans les zones rurales, les individus souhaitant poursuivre leurs études quittent quasi systématiquement leur territoire d'origine.

Il a en outre été constaté que le développement économique régional influe sur le destin des individus : plus les résidents du département sont riches, plus les enfants d'origine modeste de ce même département ont la possibilité de percevoir des revenus élevés à l'âge adulte. Il existe cependant des exceptions : bien qu'étant un département assez pauvre, la Seine-Saint-Denis offre par exemple des perspectives d'avenir plutôt satisfaisantes pour les enfants modestes qui y grandissent. À l'inverse, d'autres départements plus riches d'Île-de-France ne semblent pas forcément favoriser le destin des enfants modestes qui en sont originaires. En résumé, le développement économique et le contexte régional influencent le devenir des individus. Le résident d'un département pauvre situé dans une région riche, à l'instar de la Seine-Saint-Denis ou des départements ruraux comme l'Ariège, bénéficie des effets favorables du dynamisme de la région.

Afin d'expliquer les écarts constatés entre les régions, il semblerait premièrement que l'accès à l'éducation et à l'enseignement supérieur soit un facteur à prendre en compte. Toutefois, il ne s'agit pas d'un facteur déterminant car il ne se vérifie pas nécessairement dans les régions pauvres du nord et du sud de la France. La mobilité géographique et le rendement des diplômes n'apparaissent pas non plus comme des facteurs révélateurs d'inégalités. La situation la plus préoccupante est celle des « immobiles » non diplômés du supérieur : elle est particulièrement dégradée au nord et au sud du pays et ce facteur explique la majorité des différences entre les territoires. Depuis une quarantaine d'années, deux régions dans le nord et le sud de la France enregistrent ainsi des taux de chômage parmi les plus élevés, une pauvreté importante et des salaires assez faibles. Les individus qui grandissent dans ces territoires, ne poursuivent pas d'études supérieures et ne quittent pas ces territoires à l'âge adulte, risquent fortement d'avoir une situation financière et professionnelle dégradée. En outre, contrairement aux autres régions pauvres, certaines spécificités sont propres au Nord-Pas-de-Calais et au Languedoc-Roussillon : sociologiquement, on constate que les personnes qui naissent dans ces deux régions ont une mobilité moins forte et préfèrent généralement rester dans leur région d'origine.

D'autres dynamiques sont à l'oeuvre à l'échelle locale puisqu'au sein d'une grande agglomération, des disparités importantes se manifestent au niveau des quartiers : un jeune issu d'un quartier défavorisé d'une grande ville a généralement peu accès aux études supérieures, ce qui crée des écarts importants au sein de l'agglomération. Malgré cet effet dû au quartier, le contexte régional reste un facteur déterminant puisqu'un individu grandissant par exemple dans un quartier défavorisé de Toulouse bénéficie de meilleures perspectives d'avenir qu'une personne qui grandit à Lille ou dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais.

En conclusion, il semble plus pertinent pour les pouvoirs publics d'agir dans un premier temps à l'échelle nationale pour résorber les écarts entre les régions. Dans un second temps, il est judicieux d'agir à l'échelle locale, à l'intérieur des agglomérations, pour endiguer les disparités entre les quartiers. Il ne semble toutefois pas véritablement pertinent d'agir à l'intérieur des régions. Il est également primordial d'articuler - plutôt que de les opposer- les politiques à destination des territoires et celles à destination des individus. Comme le démontre notre étude, pour favoriser l'égalité des chances entre les territoires, la première priorité est de lutter contre le chômage de masse au sud et au nord du pays qui crée des disparités. Pour lutter contre ces dernières, France Stratégie préconise la création d'emplois privés et publics dans les régions concernées, d'autant que l'on compte relativement peu d'emplois publics dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais et dans le Languedoc-Roussillon. Créer des emplois publics dans ces zones pourrait donc contribuer à une amélioration de la situation à court terme. Il est de surcroît primordial d'améliorer la situation des non-diplômés sur le marché du travail dans ces régions pauvres. Enfin, en utilisant des leviers tels que la mobilité et l'éducation, France Stratégie recommande dans son rapport de cibler les politiques publiques sur les enfants d'origines modestes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion