Mes chers collègues, nous poursuivons notre cycle d'auditions sur les perspectives de la politique d'aménagement du territoire avec une table ronde consacrée au thème de la mobilité sociale. Nous sommes très heureux d'entendre aujourd'hui les représentants de l'association Chemins d'avenirs, de France Stratégie et de l'Insee.
Quelques observations préliminaires pour lancer le débat : il est tout de même paradoxal de constater que les inégalités sociales et scolaires territoriales perdurent alors qu'en tout point du territoire - à l'exception des « zones blanches » - jamais dans l'histoire de l'humanité, l'accès à l'information n'a été aussi facile pour tous. Reconnaissons qu'en quelques clics, un jeune peut entendre in vivo Einstein résumer en une phrase la théorie de la relativité. Cependant, nos enfants préfèrent trop souvent utiliser les technologies de l'information pour s'amuser ou polémiquer entre eux, et la France ne brille pas particulièrement dans les enquêtes dites PISA qui mesurent le niveau scientifique des jeunes. Or c'est une des clefs de l'avenir de notre pays.
Nous sommes ici parce que le noeud des difficultés se situe bien souvent dans la réalité spatiale et géographique : cette constatation a valu le prix Nobel à certains théoriciens de la nouvelle économie, comme Paul Krugman, qui ont su coller au réel. Nous sommes parmi les mieux placés pour constater que sur certains territoires, tout est à portée de main : ils concentrent l'activité économique, sociale ou culturelle et stimulent la curiosité et l'émulation, tout en facilitant l'intégration de leurs habitants. L'une des missions les plus nobles du Sénat est de tout faire pour réduire et annuler l'écart qui en résulte avec les territoires de notre pays où tout est éloigné : ils restent en marge de cette dynamique et se sentent oubliés. Nous traitons donc ici d'une composante essentielle de l'équilibre social et démocratique de la France. Voici quelques éléments pour lancer le débat. Je vous cède la parole et les membres de la commission vous poseront des questions.
Merci beaucoup de votre accueil, Monsieur le président. Je vais tenter de vous présenter succinctement un travail réalisé l'année dernière par le département société et politiques sociales de France Stratégie qui porte sur l'inégalité de destin entre les habitants des territoires. Ce travail me semble être au centre des sujets qui vous intéressent aujourd'hui.
En introduction, je précise que si le sujet concerne l'inégalité des chances entre territoires d'origine, il faut rappeler que cette dernière est avant tout d'ordre social : les individus ont avant tout des destins différents parce qu'ils proviennent de milieux sociaux différents. Par exemple, un enfant d'ouvrier n'a généralement pas les mêmes chances qu'un enfant de cadre, de même qu'un enfant de famille modeste ne dispose pas des mêmes opportunités qu'un enfant de famille aisée. Dans un travail publié il y a trois ans, France Stratégie avait cherché à mesurer cette inégalité des chances imputable aux origines sociales. Il faut retenir qu'environ 1 000 euros par mois d'écart de revenu séparent un enfant d'ouvrier non qualifié d'un enfant de cadre : tel est le chiffrage représentatif du « facteur origine sociale ». Lorsque nous mesurons l'inégalité des chances entre les territoires, il faut mesurer les écarts par référence à ces 1 000 euros.
Pour mesurer l'inégalité des chances entre les territoires, France Stratégie a étudié le destin des enfants d'ouvriers et d'employés selon leur territoire d'origine à partir de données de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). L'échantillon démographique permanent utilisé dans cette étude permet de suivre 1 % de la population de leur naissance à l'âge adulte en récupérant notamment des données liées à la scolarité puis à l'évolution des revenus fiscaux déclarés à l'âge adulte. Les analyses ont porté sur la comparaison des trajectoires d'individus issus de milieux sociaux modestes mais originaires de territoires différents. France Stratégie a par la suite soulevé trois questions relatives aux politiques publiques. Premièrement, pour favoriser l'égalité des chances, faut-il cibler les individus ou les territoires ? Deuxièmement, quelle est l'échelle pertinente d'action ? S'agit-il de l'échelle régionale, départementale ou locale ? Troisièmement, quels sont les leviers de politique publique pour favoriser l'égalité des chances entre les territoires ?
En observant les disparités entre les revenus médians selon le département d'origine, on constate qu'il existe en France de grandes différences régionales et non départementales. Ces différences ne se perçoivent pas non plus à l'échelle des villes ou des métropoles. À titre d'exemple, l'Île de France, les régions frontalières de la Suisse et certaines régions du sud-ouest, y compris Toulouse, qui est le second pôle universitaire de France, apparaissent favorables aux individus qui en sont originaires, c'est-à-dire que ces derniers auront plus de chances de bénéficier de revenus élevés à l'âge adulte que le reste des Français. En revanche, les individus ayant grandi dans les régions du nord et du sud de la France, plus particulièrement dans les Hauts-de-France et le département du Pas-de-Calais ainsi que dans le sud du Languedoc-Roussillon semblent moins favorisés et risquent de percevoir des revenus plus faibles.
De fait, l'inégalité des chances en fonction des territoires se situe avant tout à l'échelle des régions : ceux qui grandissent dans des régions riches et en développement ont plus de chances que les autres d'avoir des revenus importants. En observant toutefois les disparités territoriales avec une plus grande précision, il n'apparaît pas de différence significative entre les zones rurales et les zones denses au sein d'un même département, y compris pour les grandes agglomérations et les métropoles. Ainsi, Perpignan, Montpellier, Lille et Dunkerque n'offrent pas plus d'opportunités à leurs habitants que les zones rurales qui leur sont adjacentes. Selon les études de France Stratégie, la ruralité n'est donc pas un facteur particulièrement défavorable mais il faut ici tenir compte du fait que les données que nous avons agrégées ne prennent pas en compte les déplacements de population. Or, dans les zones rurales, les individus souhaitant poursuivre leurs études quittent quasi systématiquement leur territoire d'origine.
Il a en outre été constaté que le développement économique régional influe sur le destin des individus : plus les résidents du département sont riches, plus les enfants d'origine modeste de ce même département ont la possibilité de percevoir des revenus élevés à l'âge adulte. Il existe cependant des exceptions : bien qu'étant un département assez pauvre, la Seine-Saint-Denis offre par exemple des perspectives d'avenir plutôt satisfaisantes pour les enfants modestes qui y grandissent. À l'inverse, d'autres départements plus riches d'Île-de-France ne semblent pas forcément favoriser le destin des enfants modestes qui en sont originaires. En résumé, le développement économique et le contexte régional influencent le devenir des individus. Le résident d'un département pauvre situé dans une région riche, à l'instar de la Seine-Saint-Denis ou des départements ruraux comme l'Ariège, bénéficie des effets favorables du dynamisme de la région.
Afin d'expliquer les écarts constatés entre les régions, il semblerait premièrement que l'accès à l'éducation et à l'enseignement supérieur soit un facteur à prendre en compte. Toutefois, il ne s'agit pas d'un facteur déterminant car il ne se vérifie pas nécessairement dans les régions pauvres du nord et du sud de la France. La mobilité géographique et le rendement des diplômes n'apparaissent pas non plus comme des facteurs révélateurs d'inégalités. La situation la plus préoccupante est celle des « immobiles » non diplômés du supérieur : elle est particulièrement dégradée au nord et au sud du pays et ce facteur explique la majorité des différences entre les territoires. Depuis une quarantaine d'années, deux régions dans le nord et le sud de la France enregistrent ainsi des taux de chômage parmi les plus élevés, une pauvreté importante et des salaires assez faibles. Les individus qui grandissent dans ces territoires, ne poursuivent pas d'études supérieures et ne quittent pas ces territoires à l'âge adulte, risquent fortement d'avoir une situation financière et professionnelle dégradée. En outre, contrairement aux autres régions pauvres, certaines spécificités sont propres au Nord-Pas-de-Calais et au Languedoc-Roussillon : sociologiquement, on constate que les personnes qui naissent dans ces deux régions ont une mobilité moins forte et préfèrent généralement rester dans leur région d'origine.
D'autres dynamiques sont à l'oeuvre à l'échelle locale puisqu'au sein d'une grande agglomération, des disparités importantes se manifestent au niveau des quartiers : un jeune issu d'un quartier défavorisé d'une grande ville a généralement peu accès aux études supérieures, ce qui crée des écarts importants au sein de l'agglomération. Malgré cet effet dû au quartier, le contexte régional reste un facteur déterminant puisqu'un individu grandissant par exemple dans un quartier défavorisé de Toulouse bénéficie de meilleures perspectives d'avenir qu'une personne qui grandit à Lille ou dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais.
En conclusion, il semble plus pertinent pour les pouvoirs publics d'agir dans un premier temps à l'échelle nationale pour résorber les écarts entre les régions. Dans un second temps, il est judicieux d'agir à l'échelle locale, à l'intérieur des agglomérations, pour endiguer les disparités entre les quartiers. Il ne semble toutefois pas véritablement pertinent d'agir à l'intérieur des régions. Il est également primordial d'articuler - plutôt que de les opposer- les politiques à destination des territoires et celles à destination des individus. Comme le démontre notre étude, pour favoriser l'égalité des chances entre les territoires, la première priorité est de lutter contre le chômage de masse au sud et au nord du pays qui crée des disparités. Pour lutter contre ces dernières, France Stratégie préconise la création d'emplois privés et publics dans les régions concernées, d'autant que l'on compte relativement peu d'emplois publics dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais et dans le Languedoc-Roussillon. Créer des emplois publics dans ces zones pourrait donc contribuer à une amélioration de la situation à court terme. Il est de surcroît primordial d'améliorer la situation des non-diplômés sur le marché du travail dans ces régions pauvres. Enfin, en utilisant des leviers tels que la mobilité et l'éducation, France Stratégie recommande dans son rapport de cibler les politiques publiques sur les enfants d'origines modestes.
Je souhaite évoquer des thématiques servant à illustrer le débat, à l'instar des diplômes et de la mobilité résidentielle qui ont été présentés comme étant des facteurs d'inégalités. J'aborderai également la géographie de la pauvreté. Concernant les niveaux de diplômes, comme cela vient d'être évoqué, les individus sont globalement peu ou pas diplômés sur le pourtour méditerranéen, en Corse et dans le Nord-Pas-de-Calais. À l'inverse, les diplômés du supérieur se situent majoritairement dans l'ouest de l'Île-de-France, dans les grandes capitales régionales et les centres universitaires comme Toulouse, Rennes, Strasbourg et Nantes. L'Insee signale en outre des disparités de taux de réussite au baccalauréat ; bien que celui-ci avoisine les 90 % à l'échelle nationale, les taux de réussite sont plus faibles dans le nord de la France ou l'est de l'Île-de-France. et en revanche, nettement plus élevés au sud du Massif central et en Bretagne.
Au sujet des mobilités résidentielles, on pourrait croire que si le territoire affecte le destin des individus, il suffit de déménager pour bénéficier d'un environnement plus favorable. Cependant, les mobilités résidentielles sont en réalité peu fréquentes entre les différents départements : chaque année, les Français déménagent en moyenne plus à l'intérieur d'une même commune ou d'un même département qu'entre deux départements distincts. L'unique tranche d'âge pour laquelle la mobilité entre les départements est élevée est celle des 15 à 25 ans. Cette mobilité, qui concerne 7 % des individus constituant cette tranche d'âge, correspond généralement au départ pour des études supérieures ou trouver un premier emploi.
Généralement, les jeunes de 15 à 25 ans quittent leur région d'origine pour rejoindre les centres universitaires. Pour les autres tranches d'âge, la mobilité est significativement différente puisqu'elle s'articule essentiellement entre le Nord-Est et la façade atlantique. Pour la tranche d'âge des 55 à 70 ans, plus particulièrement concernée par les départs en retraite, la mobilité s'effectue également vers la façade atlantique mais aussi vers le sud du Massif central avec un départ significatif d'Île-de-France. Du temps de la plateforme Admission Post Bac (APB), l'Insee avait recueilli des données permettant de mesurer la mobilité des jeunes à l'entrée des études supérieures ainsi que la corrélation entre le lieu d'obtention du baccalauréat et le lieu de réalisation des études supérieures. Il en résulte que l'orientation des bacheliers diffère clairement en fonction de leurs origines sociales. Les jeunes issus de milieux favorisés vont majoritairement vers les écoles d'ingénieurs et les classes préparatoires aux grandes écoles, tandis que les bacheliers issus de milieux modestes s'orientent plutôt vers les formations de techniciens supérieurs.
Par conséquent, l'origine sociale détermine fortement l'orientation académique puis professionnelle. L'Insee a en outre constaté que l'offre de formation locale avait également un léger impact sur l'orientation des bacheliers même si ce facteur n'est pas déterminant. Par ailleurs, il a également été relevé, en étudiant la mobilité résidentielle des bacheliers, que les plus favorisés sont ceux de la tranche d'âge 15 à 25 ans qui déménagent le plus entre les différentes académies. Les bacheliers issus d'un milieu modeste apparaissent moins mobiles et donc plus dépendants de l'offre de formation à proximité de leur lieu de résidence.
Si la pauvreté est majoritairement présente dans le nord de la France et sur le pourtour méditerranéen, des disparités existent également à l'intérieur des départements. Selon les données disponibles à l'échelle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), la pauvreté est avant tout un phénomène urbain. Parallèlement, nous constatons que les ménages les plus pauvres sont majoritairement constitués de mères célibataires ou de veuves percevant une pension modeste.
Afin de compléter ce qui a déjà été évoqué, je m'appuierai sur mon expérience de terrain dans l'accompagnement de 2 000 jeunes au sein de l'association Chemins d'avenirs ainsi que sur les conclusions d'un rapport transmis un an auparavant au ministre de l'éducation nationale Jean-Michel Blanquer. J'étayerai aussi mon propos à partir de l'étude « Jeunes des villes, jeunes des champs » que j'avais menée en collaboration dix-huit mois plus tôt. Concernant les jeunes des zones rurales et des petites communes, un triple constat peut d'ores et déjà être dressé afin de réfléchir en termes de politiques publiques.
Premièrement, les jeunes des zones rurales et des petites villes sont extrêmement nombreux. Ils représentent au total 60 % à 65 % des moins de 20 ans, dont 23 % pour les jeunes ruraux. Deuxièmement, ces jeunes rencontrent un certain nombre de défis au cours de leur parcours qui relèvent du déterminisme social, géographique et parfois du déterminisme de genre. La probabilité qu'une jeune fille issue d'un milieu modeste d'une zone rurale réalise des études d'ingénieur, ou dans le domaine de la diplomatie par exemple, est extrêmement limitée. Les obstacles sont ainsi imbriqués les uns dans les autres. Je confirme que les jeunes ruraux ayant les capacités financières de déménager sont très peu nombreux : leur orientation est ainsi fortement déterminée par leur ancrage géographique, alors que les jeunes ruraux réussissent généralement bien leur scolarité jusqu'au collège, par la suite, leur réussite scolaire devient plus faible que la moyenne nationale, ce qui les incite à s'orienter parfois par défaut vers des voies professionnelles et agricoles. À cet égard, les jeunes ruraux peuvent être victimes, comme les jeunes des quartiers sensibles, d'un phénomène d'autocensure. Le manque de ressources financières constitue évidemment un obstacle majeur à la poursuite des études pour les jeunes ruraux qui ne peuvent pas facilement déménager ; de plus, ils rencontrent des difficultés dans la chaîne administrative pour remplir un dossier de demande de bourse.
Troisièmement, l'inégalité caractérisant les jeunes ruraux est longtemps restée dans l'angle mort des politiques publiques et des dispositifs d'égalité des chances. C'est pourquoi j'avais adressé vingt-cinq préconisations concrètes à mettre en place rapidement dans un cadre budgétaire très contraint de façon à ce que les expérimentations s'effectuent sans pénaliser les collectivités territoriales ou d'autres représentants des pouvoirs publics. Ces vingt-cinq recommandations s'organisent autour de quatre grands axes. Le premier vise à déterminer comment les jeunes ruraux sont perçus et comment ils se perçoivent au sein de la société. Le deuxième axe évoque les enjeux liés à l'information, à l'orientation et à l'ambition. Le troisième porte sur l'écosystème dans lequel évoluent les jeunes ruraux. Enfin, le quatrième axe s'articule autour des enjeux de mobilité. Il convient toutefois d'échapper à deux injonctions couramment adressées aux jeunes ruraux, à savoir l'obligation de rester dans son territoire d'origine aussi bien que l'obligation de s'adapter rapidement pour devenir un citoyen du monde. À cet égard, je préciserai par la suite les différences importantes en termes de projection géographique vers l'avenir qui existent entre les jeunes ruraux et les jeunes urbains. Il me semble important, quand on aborde ce sujet, d'éviter toute réflexion trop binaire.
Merci, je donne la parole à nos référents sur l'aménagement du territoire : Monsieur Bruno Rojouan, Mesdames Patricia Demas et Martine Filleul.
Je note la convergence des trois intervenants sur le constat. Je tiens à saluer plus particulièrement l'intervention de Madame Salomé Berlioux et à mettre en avant quelques idées optimistes. On a encore souvent tendance à présenter le succès comme étant conditionné par l'obtention d'un diplôme de l'enseignement supérieur. Il me semble toutefois que la réalité concrète a beaucoup évolué au sein de la société depuis quelques années. Un jeune plombier ou un jeune technicien apparaît aujourd'hui comme étant plus valorisé qu'auparavant, d'autant que son entrée dans la vie active se caractérise parfois par un pouvoir d'achat plus élevé que celui des personnes ayant accompli de longues études. Ainsi, la situation actuelle comporte des notes d'espoir et cela doit nous permettre de porter un regard positif sur l'avenir ? Je concède qu'en milieu rural, l'éloignement des services publics peut être un frein à la réussite et à l'obtention de diplômes de l'enseignement supérieur. Ceci étant, ne pensez-vous pas que le numérique peut permettre de compenser cette géographie défavorable ? Je fais partie des élus locaux qui militent pour le déploiement d'un numérique plus efficace dans les zones rurales.
Merci à tous pour vos interventions qui confirment nos inquiétudes. Vous avez opportunément souligné l'attractivité économique et les revenus des ménages comme des facteurs de réussite pour les étudiants : disposez-vous de données pour évaluer les effets de la crise sanitaire actuelle ? Je m'interroge également sur les modèles éducatif et scolaire français. Sont-ils adaptés aux enjeux de notre pays et de nos régions ? Permettent-ils de réduire les fractures territoriales et sociales ? Il me semble que le système éducatif est aussi le garant de la réussite des étudiants et de perspectives d'avenir positives Je rejoins également notre collègue Bruno Rojouan sur la nécessité de soutenir le développement du numérique dans les zones rurales. La France ne pourrait-elle pas créer, à l'instar d'autres pays, des campus connectés afin de s'adapter aux défis et aux évolutions d'aujourd'hui, comme la crise pandémique sanitaire et sociale ? Je rappelle ici que les jeunes vivent douloureusement la situation actuelle. Enfin, toujours au sujet de la précarité des étudiants, quelles perspectives d'accompagnement préconisez-vous pour réduire les fractures actuellement à l'oeuvre ?
Je remercie également les différents intervenants. Je retiens de ces présentations les inégalités persistantes entre les territoires et les trajectoires individuelles malgré les politiques de redistribution et le travail de péréquation mené par les gouvernements successifs. Je constate que ces derniers, toutes sensibilités confondues, ont quelque peu échoué ou obtenu des résultats mitigés. Dès lors, quelle stratégie préconisez-vous, et sur quel levier traditionnel de la politique de l'aménagement du territoire faut-il agir ? Quels seraient éventuellement les nouveaux outils à mettre en oeuvre pour rétablir cette égalité républicaine qui nous réunit tous ? Je crois qu'il faut traiter ce sujet avec humilité et modestie, car nous constatons qu'il faut prendre en compte de multiples paramètres. La France a besoin de construire un territoire national qui soit pourvu de manière volontaire et solidaire en équipements et en infrastructures. Il faut aussi encourager la mixité sociale et l'égalité des chances pour que le lieu de naissance n'entrave pas l'épanouissement personnel et l'insertion sociale. Le progrès numérique doit en outre être équitablement partagé sur le territoire. Face à de tels enjeux et une telle complexité, estimez-vous souhaitable de mettre un frein à la concurrence entre les territoires ? Ne devrions-nous pas plutôt favoriser une conception des territoires plus inclusive et plus solidaire ? Pensez-vous que la compétition et les classements entre les lycées et les universités favorisent vraiment l'égalité des chances républicaine ? Pouvons-nous nous fixer un objectif d'égalité des chances entre les individus et les territoires ? En matière d'éducation par exemple, nous pourrions réfléchir à la définition de critères d'évaluation de la performance scolaire locale. Cet objectif demanderait d'importantes réallocations de ressources des territoires favorisés vers les territoires défavorisés.
Je propose de répondre aux deux premières questions. Je suis totalement d'accord avec vos remarques concernant la notion de réussite. Je rappelle que nous avons choisi, au sein de Chemins d'avenirs, de définir notre mission comme suit : permettre aux jeunes des zones rurales et des petites villes de réaliser pleinement leur potentiel. Nous ne parlons donc pas de « réussite ». L'idée de potentiel comporte bien entendu un volet académique mais il ne s'agit pas de l'unique axe que nous cherchons à développer. Nous soutenons par exemple les jeunes qui souhaitent reprendre dans de bonnes conditions l'exploitation agricole de leurs parents. Nous soutenons également des artisans ou des étudiants voulant devenir journalistes. La réussite est donc à mon sens la possibilité pour ces jeunes d'aller là où ils veulent aller et de se réaliser là où ils le souhaitent. Je constate toutefois qu'une ambiguïté subsiste à ce sujet en zone rurale. En prenant l'exemple d'un collège de l'Allier, j'ai pu remarquer dans un sondage que sept filles sur dix en classe de quatrième déclaraient vouloir travailler avec les animaux ou avec les enfants. Elles n'ambitionnent cependant pas d'être vétérinaire ou universitaire. Par conséquent, l'un des principaux enjeux réside dans le fait d'informer les jeunes sur toutes les opportunités qui s'offrent à eux, au-delà de leur environnement familial et géographique direct. Les perspectives d'avenir de ces jeunes ne doivent pas être bornées par ce qui existe à côté de chez eux. Cette problématique doit être traitée indépendamment de la question des études supérieures. Je précise à cet égard qu'un tiers des jeunes pris en charge par Chemins d'avenirs sont en situation de décrochage scolaire, un autre tiers a des résultats moyens et le dernier tiers a de plutôt bons résultats.
Concernant le numérique, je rejoins également vos propos. Les campus connectés qui permettent aux étudiants de première année de suivre des cours à distance ne constituent encore qu'une bribe de réponse. Je fais cependant observer que nous ne pouvons pas tout attendre du numérique, contrairement à ce que pensent certaines élites parisiennes déconnectées de la réalité des territoires. Outre la question technique de la fracture numérique, il faut prendre en compte les problématiques relatives à l'usage du numérique par les jeunes et à leur accompagnement dans son utilisation, ou d'Internet, en même temps que leurs choix d'orientation. Le jeune évoluant en milieu rural n'est pas toujours en mesure de se projeter vers telle université ou telle formation en découvrant celles-ci uniquement via Internet. Au total, la question des écosystèmes est à mon sens déterminante pour apprendre aux jeunes ruraux à profiter des cercles d'opportunité qui s'ouvrent à eux. Comme vous le suggérez, la bonne solution ne consiste certainement pas à accentuer les systèmes de compétition entre les urbains et les ruraux. Je suis par ailleurs d'accord avec vous pour reconnaître que les solutions sont difficiles à trouver et nécessitent de faire preuve d'humilité.
Merci pour ces questions très riches auxquelles je ne pourrai pas complètement répondre. Concernant la réussite, je suis tout à fait d'accord avec Monsieur Rojouan. Depuis une vingtaine d'années, les politiques ont fortement appuyé le passage des jeunes par l'enseignement supérieur. Ce dernier, au même titre que l'allongement des études, notamment dans les milieux modestes, apparaissait comme un instrument de mesure de la réussite individuelle mais aussi de la réussite des politiques publiques. J'espère ne pas m'être mal exprimé précédemment, car je précise qu'au sein de France Stratégie, nous ne privilégions pas cette définition de la réussite.
Ceci étant, lorsque nous cherchons à mesurer l'égalité des chances, nous devons définir un critère de réussite. France Stratégie a ainsi choisi celui du niveau de vie défini par le revenu après redistribution par unité de consommation. D'autres critères de réussite existent pour mesurer l'égalité des chances comme le bien-être ou l'accès à l'immobilier. Nous avons toutefois considéré que le critère du revenu apparaissait comme étant le plus cohérent entre les différents territoires malgré l'existence de variations de pouvoir d'achat d'une région à l'autre. Je suis d'accord avec vous pour reconnaître que les études supérieures ne sont pas indispensables pour accéder à l'emploi et à des revenus importants. Je reconnais aussi qu'il y a eu ces dernières années une amélioration de l'image d'un certain nombre de métiers manuels.
Pour revenir sur ma présentation, je rappelle que celle-ci portait uniquement sur les enfants d'origine modeste. Ainsi sur le plan des revenus, France Stratégie n'a pas constaté dans son étude de différence majeure entre les résidents des zones urbaines et ceux de la ruralité. J'ai en outre insisté sur la situation préoccupante des « immobiles » non-diplômés du supérieur, qui constituent une catégorie délaissée par les politiques publiques. Il convient à ce titre de rappeler que la majorité des enfants d'origine modeste, notamment les enfants d'ouvriers, ne poursuivent pas leurs études au-delà du baccalauréat. Je tenais à répondre ici à Monsieur Rojouan par rapport à la question portant sur la mesure de la réussite.
Quant aux questions relatives au numérique et au système éducatif, je ne dispose pas d'éléments de réponse précis. En revanche, concernant les conséquences de la pandémie de Covid-19, je tiens à signaler que France Stratégie publie une étude le 16 avril afin de présenter les effets de la crise sanitaire sur les territoires par secteur d'emploi. Comme en 2020, nous avons de nouveau constaté que la crise économique induite par la pandémie de Covid-19 n'avait pas un impact particulièrement puissant sur les territoires les plus pauvres. Elle affecterait au contraire les grandes métropoles et des régions qui ne sont habituellement pas au centre des politiques d'aménagement du territoire. Je reconnais que cette crise aura des conséquences économiques majeures qu'il faudra entre autres prendre en compte dans l'accompagnement des étudiants vers l'emploi.
Enfin, pour répondre à madame Filleul, nous ne sommes pas en mesure d'affirmer que les politiques publiques n'ont pas été efficaces, car nous ne disposons pas de données contrefactuelles en ce sens. Toutefois, je vous rejoins sur le fait que ces politiques publiques n'ont pas permis de créer une réelle convergence économique entre les territoires touchés par la crise depuis les années 1970. Des exceptions sont à noter en ce qui concerne la Corse et les départements d'outre-mer pour lesquels des convergences avec la moyenne nationale ont été observées en termes de rattrapage de produit intérieur brut (PIB). En revanche, les politiques publiques n'ont toujours pas eu les effets escomptés dans le Nord-Pas-de-Calais et le Languedoc-Roussillon. C'est pourquoi France Stratégie avait mis en avant dans son dernier rapport la nécessité pour l'État d'avoir recours à de nouveaux leviers, déjà expérimentés aux États-Unis et en Allemagne. Parmi ces derniers figure notamment l'incitation fiscale qui consiste à octroyer des avantages fiscaux aux entreprises qui créent des emplois de qualité dans les régions délaissées. Le levier de l'emploi public pourrait également être utilisé de manière beaucoup plus active et ciblée afin de favoriser la convergence économique de certains territoires.
Merci également pour ces questions. Comme vous l'avez rappelé, un tel sujet appelle à l'humilité et à la modestie : je ne me hasarderai donc pas à répondre aux questions portant sur des domaines que je ne maîtrise pas. Je tenais à confirmer l'effet de la crise actuelle qui a, par rapport aux crises précédentes, un impact particulier sur les régions qui se portaient bien d'un point de vue économique. Les régions concernées sont, de manière générale, spécialisées dans un secteur d'activité, à l'instar de Toulouse avec l'aéronautique. Certaines villes, comme Paris et Marne-la-Vallée, sont quant à elles touchées par la chute du tourisme, en particulier du tourisme généré par les voyageurs étrangers. Des spécialistes de la profession estiment à cet égard que le tourisme étranger ne redémarrera pas avant au moins deux ans, ce qui risque d'aggraver les conséquences économiques dans ces localités.
En ce qui concerne l'impact des disparités territoriales sur l'égalité des chances, je reconnais que celui-ci est tout à fait réel, comme l'ont montré les travaux de France Stratégie. Toutefois, l'impact du milieu social reste encore plus déterminant.
Certains départements ruraux disposent d'un nombre important de collèges, à l'instar du Puy-de-Dôme qui en compte soixante. Si ce maillage présente un intérêt en termes d'aménagement du territoire, force est de constater que certains collèges comptent peu d'élèves, peu d'options et peu de stabilité au sein des équipes enseignantes. Si leurs résultats au brevet se situent dans la moyenne nationale, les parcours qui suivent sont peu diversifiés. Le ministère de l'éducation nationale a lancé à titre expérimental, dans certaines académies, les « territoires éducatifs ruraux ». Toutefois, au sein de collèges regroupant une cinquantaine d'élèves, ces initiatives produisent très peu d'émulation. Je souhaiterais recueillir votre analyse sur les capacités de ces petits collèges à sortir les jeunes d'un certain isolement géographique et social, dans lequel ils débutent très souvent leur parcours.
Je souhaite pour ma part vous interroger sur la mobilité des jeunes filles des territoires ruraux. Si la mobilité est difficile pour les jeunes ruraux, comme le montrent de nombreux rapports, celle-ci semble particulièrement compliquée pour les jeunes femmes. En effet, les jeunes hommes peuvent parvenir à décrocher des métiers manuels alors que les femmes ont beaucoup plus de mal à trouver leur place, d'où leur choix fréquent de quitter les territoires ruraux. Observez-vous des différences entre jeunes femmes et jeunes hommes des territoires ruraux en matière de mobilité sociale ? Quels sont les freins spécifiques aux jeunes femmes ? Quels sont selon vous les leviers les plus efficaces pour orienter les politiques publiques vers une véritable égalité des chances à l'attention des jeunes filles de ces territoires ?
Je tiens également à remercier les différents intervenants. Ce sujet est à la fois passionnant et perturbant pour l'élu de la région des Hauts-de-France que je suis. Le constat m'apparaît même, à certains égards, culpabilisant pour les élus de la République tant cette thématique de l'égalité des chances apparaît trop souvent, dans les débats, plus théorique que pratique. En tant que maire d'une commune ouvrière pendant trente ans, j'ai pu constater que ce phénomène est loin d'être nouveau. Je rejoins Martine Filleul pour souligner qu'un grand chantier s'ouvre pour les politiques publiques, peu importe la sensibilité politique des élus. Je souhaite enfin adresser ma question à Monsieur Dherbécourt. Quelle observation faites-vous des évolutions dans le temps ? La situation dramatique, que vous avez dépeinte à propos de l'inégalité des chances entre un enfant d'ouvrier et un enfant de cadre, s'inscrit-elle dans la longue durée ?
La France des villes contre la France des campagnes, Paris contre les petites villes : ces oppositions territoriales sont souvent invoquées pour expliquer les maux et les fractures de notre société. Je rappelle tout de même qu'en vingt ans, la structure sociale et spatiale de notre pays a profondément changé, les emplois se concentrant dans le coeur des métropoles tandis que l'habitat s'est canalisé dans le périurbain. Certains Français ont pu bénéficier de ces évolutions tandis que d'autres ont été mis à l'écart Et la souffrance sociale qui en résulte a un fort impact sur notre société. Pourtant, les Français semblent véhiculer une image positive de leur territoire d'origine et de résidence. Les crises, à l'instar de celle des Gilets jaunes et de celle liée à la Covid-19, viennent toutefois ternir ce constat. La ruralité a-t-elle les moyens de se faire entendre au sujet de ce sentiment d'abandon ? Alors que le processus de décentralisation promettait aux collectivités davantage de pouvoirs pour mettre en place de réelles stratégies de renforcement des services publics, d'investissement et d'attractivité, le retour de l'État vertical a-t-il sapé les capacités de développement des campagnes ? La crise de la Covid-19 favorisera-t-elle un retour vers la ruralité ? Miser sur la ruralité, est-ce une question de courage politique ? Le coût est-il trop élevé pour notre pays ?
Je souhaite évoquer la situation du département du Lot dans lequel la réussite au baccalauréat est particulièrement importante, de même que la pauvreté. Ayant été professeure en collège dans ce département qui compte vingt collèges au total, j'ai pu constater que les problématiques de mobilité étaient liées aux problèmes de formation et d'ambition. Cela dit, il me semble que l'une des solutions serait de pouvoir décliner dans nos territoires les formations supérieures pour les premières années. Si la région Occitanie, dont le Lot fait partie, a mis en place la gratuité pour les jeunes des transports en commun, il convient de rappeler que certaines localités n'en bénéficient pas. Un mécanisme de solidarité nationale devrait donc être mis en place pour soutenir les zones enclavées. Nous devons aider les jeunes de ces territoires à devenir ce qu'ils doivent être, car cela est bénéfique pour la société entière.
Merci à nos intervenants pour cette photographie de la société française qui illustre à la fois ses réussites et ses blocages, notamment en termes d'immigration. Je note toutefois un angle mort dans vos présentations qui concerne l'immigration et l'intégration de celle-ci dans la société française. Nous dénombrons en France cinq millions de personnes issues de l'immigration et nous n'avons pas connaissance dans vos études de la manière dont elles ont été intégrées. Des réseaux d'éducation prioritaire ont été mis en place à la ville comme à la campagne pour favoriser l'intégration dans la société française. Quelles politiques publiques mettrons-nous en oeuvre pour faire évoluer cette situation de la manière la plus harmonieuse possible ? La crise de la Covid-19 affectera assurément nos mobilités et nécessitera en outre un développement de la couverture numérique dans la mesure où le télétravail continuera vraisemblablement d'être appliqué, y compris dans les zone rurales. Comme cela a été opportunément souligné, je note par ailleurs l'importance de la question de l'autocensure qui à mon sens est très prégnante pour les jeunes filles. Je souhaite entendre vos propositions sur ce point.
Je rejoins les différents intervenants pour souligner le rôle prépondérant de l'Éducation nationale dans la formation des jeunes. En tant qu'ancien enseignant, je salue l'efficacité de certains établissements qui proposent des formations permettant aux élèves de maîtriser les technologies du moment. Force est de constater que dans ce type d'établissement, 90 % des jeunes intègrent rapidement le marché du travail. Je déplore ainsi au sein de l'Éducation nationale, un manque d'adaptation aux spécificités locales qui ne permet pas toujours aux jeunes d'un territoire donné de composer la future main d'oeuvre nécessaire aux besoins de ce dernier.
En tant que sénatrice du département de la Dordogne, je suis particulièrement concernée par ce débat. En Dordogne, 18 % de la population est en situation de précarité et vit en dessous du seuil de pauvreté. En termes d'éducation, je constate qu'il est financièrement très difficile pour les jeunes du département de poursuivre leurs études supérieures à Bordeaux par exemple. Malgré la création d'un campus connecté à Périgueux et les efforts fournis par le département pour préserver ses collèges, la crise sanitaire a révélé les difficultés matérielles structurelles éprouvées par une part importante des étudiants. À l'échelle nationale, 21 % des étudiants vivent en dessous du seuil de pauvreté et 31 % ne reçoivent pas d'aide de leur famille. Dans ces conditions, ne croyez-vous pas qu'il faille relancer le débat concernant le revenu universel pour tous les étudiants ?
Je souhaite poser quatre questions. Les jeunes des zones urbaines sont-ils plus mobiles que ceux des zones rurales ? Ne faudrait-il pas réintroduire plus de services publics en ruralité afin de stimuler le dynamisme économique ? Ne serait-il pas souhaitable de favoriser les cultures spécifiques au milieu rural sans que celles-ci soient déterminées selon les critères de la culture citadine ? Enfin, malgré une concentration de la consommation et de l'emploi dans les grands centres urbains, peut-on affirmer que les conditions de vie sont plus défavorables à la campagne ? Je souhaite par ailleurs souligner que l'instabilité des équipes enseignantes dans les petits collèges ruraux représente en effet un inconvénient de taille pour l'éducation des jeunes.
Je note que de nombreuses questions ont porté sur la concurrence entre les territoires. Je vous rejoins pour affirmer que chaque territoire a ses atouts et ses inconvénients. Dans les grandes métropoles, il existe par exemple des problématiques liées à l'immigration et à la cherté du foncier ainsi que des biens et des services. Ces zones ont d'ailleurs été plus fortement affectées par la crise liée à la pandémie de Covid-19. Il est par conséquent inenvisageable d'aligner les métropoles et les zones rurales sur les mêmes critères de performance économique. La ruralité devrait mettre en avant ses atouts dans le débat public.
Concernant la situation actuelle de la France, je tiens à signaler que celle-ci n'est pas plus problématique que celle des autres pays européens. Les inégalités régionales sont moins fortes en France qu'en Italie, en Espagne, en Allemagne et au Royaume-Uni. Par conséquent, on ne peut pas affirmer que la situation empire en France. Les inégalités de revenus ont même tendance à diminuer en France, contrairement à de nombreux pays occidentaux, en particulier les États-Unis où les inégalités ont considérablement augmenté.
En tant qu'économiste, je ne répondrai pas aux nombreuses questions relatives à l'éducation. Je souhaite simplement préciser qu'au sujet des petits collèges, le maillage territorial est à prendre en compte en parallèle de la densité de population. S'agissant de l'opposition entre les milieux urbains et ruraux, il me paraît avant tout difficile de considérer la ruralité comme une composante homogène. Selon la définition de l'Insee, les territoires ruraux rassemblent un tiers de la population française. Des différences importantes existent entre les territoires ruraux, notamment en fonction de leur proximité ou de leur éloignement des grands centres urbains. Pour terminer à mon tour sur une note optimiste, je rejoins Clément Dherbécourt pour affirmer que les zones rurales doivent apprendre à développer leurs atouts, qui sont nombreux par rapport aux centres urbains. Je précise à cet égard qu'une étude de l'Insee sur le bien-être révèle qu'il existe très peu de disparités entre les territoires. Les facteurs déterminant le bien-être des Français sont avant tout le revenu et l'état de santé.
Madame Berlioux, souhaitez-vous répondre aux questions, en particulier sur le volet éducation ?
Oui, Monsieur le Président. Des études ont montré que les jeunes les plus mobiles parviennent en moyenne à décrocher plus facilement leur premier emploi. Une différence très forte persiste par ailleurs entre les jeunes urbains et les jeunes ruraux en termes de capacité à se projeter à l'international. En effet, les jeunes parisiens ou lyonnais sont 17 % plus nombreux que les jeunes ruraux à envisager une carrière à l'étranger. S'agissant des collèges, j'ai constaté dans les différentes interventions des parlementaires que le constat était globalement le même quel que soit le département rural. Ces collèges pâtissent d'un important manque de ressources, notamment humaines, dans la mesure où leur faible fréquentation ne permet pas l'accueil permanent d'accompagnants dédiés à l'orientation professionnelle.
Toutefois, il me semble que le ministère de l'éducation nationale est souvent trop sollicité dans le débat public alors qu'il ne peut pas traiter à la fois des programmes scolaires, de l'égalité des chances et des disparités entre les villes et les campagnes. Il faudrait à mon sens permettre à d'autres acteurs, à l'instar des entreprises privées et des associations, de prendre le relais de l'Éducation nationale dans certains cas bien particuliers. Le développement d'un écosystème autour de ces petits collèges me paraît être une solution adaptée aux problématiques d'isolement géographique. Il serait par ailleurs nécessaire de travailler à une vision plus réaliste de l'internat, ce dernier pouvant également être une alternative prometteuse pour permettre l'inscription des élèves dans des structures plus importantes. Comme le préconise Chemins d'avenirs, il me semble en outre important de favoriser la mobilité entre les espaces urbains et ruraux en soutenant des initiatives qui permettraient aux jeunes des deux milieux de se rencontrer et d'échanger sur leurs expériences respectives. Ces initiatives seraient également bénéfiques pour la cohésion nationale, qui semble aujourd'hui mise à mal.
En ce qui concerne les jeunes filles, je vous renvoie, pour le détail, au compte rendu de ma dernière audition au Sénat, diffusé sur votre site internet. Je rejoins en tout cas vos observations puisque de manière générale, les jeunes filles doivent surmonter des défis en termes d'ambition, de réalisation de soi et de réussite qui sont indépendants des études supérieures. La ruralité et l'isolement géographique ne font qu'accentuer ces défis qui concernent l'ensemble des jeunes femmes en France.
Pour répondre très rapidement à Madame Muller-Bronn, je confirme que les jeunes ruraux sont plus mobiles que les jeunes urbains à hauteur de 10 %.
Un grand merci à tous et, en particulier, à nos intervenants pour la qualité de cet échange de vues.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mes chers collègues, j'informe la commission que tous les amendements déposés sur la proposition de loi n° 375 (2020-2021) visant à garantir effectivement le droit à l'eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d'eau potable et l'accès pour tous à l'eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité, présentée par Mme Marie-Claude Varaillas, M. Gérard Lahellec et plusieurs de leurs collègues (M. Gérard Lahellec, rapporteur), ont été retirés.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi initial.
La réunion est close à 12 h 10.