Merci pour ces questions très riches auxquelles je ne pourrai pas complètement répondre. Concernant la réussite, je suis tout à fait d'accord avec Monsieur Rojouan. Depuis une vingtaine d'années, les politiques ont fortement appuyé le passage des jeunes par l'enseignement supérieur. Ce dernier, au même titre que l'allongement des études, notamment dans les milieux modestes, apparaissait comme un instrument de mesure de la réussite individuelle mais aussi de la réussite des politiques publiques. J'espère ne pas m'être mal exprimé précédemment, car je précise qu'au sein de France Stratégie, nous ne privilégions pas cette définition de la réussite.
Ceci étant, lorsque nous cherchons à mesurer l'égalité des chances, nous devons définir un critère de réussite. France Stratégie a ainsi choisi celui du niveau de vie défini par le revenu après redistribution par unité de consommation. D'autres critères de réussite existent pour mesurer l'égalité des chances comme le bien-être ou l'accès à l'immobilier. Nous avons toutefois considéré que le critère du revenu apparaissait comme étant le plus cohérent entre les différents territoires malgré l'existence de variations de pouvoir d'achat d'une région à l'autre. Je suis d'accord avec vous pour reconnaître que les études supérieures ne sont pas indispensables pour accéder à l'emploi et à des revenus importants. Je reconnais aussi qu'il y a eu ces dernières années une amélioration de l'image d'un certain nombre de métiers manuels.
Pour revenir sur ma présentation, je rappelle que celle-ci portait uniquement sur les enfants d'origine modeste. Ainsi sur le plan des revenus, France Stratégie n'a pas constaté dans son étude de différence majeure entre les résidents des zones urbaines et ceux de la ruralité. J'ai en outre insisté sur la situation préoccupante des « immobiles » non-diplômés du supérieur, qui constituent une catégorie délaissée par les politiques publiques. Il convient à ce titre de rappeler que la majorité des enfants d'origine modeste, notamment les enfants d'ouvriers, ne poursuivent pas leurs études au-delà du baccalauréat. Je tenais à répondre ici à Monsieur Rojouan par rapport à la question portant sur la mesure de la réussite.
Quant aux questions relatives au numérique et au système éducatif, je ne dispose pas d'éléments de réponse précis. En revanche, concernant les conséquences de la pandémie de Covid-19, je tiens à signaler que France Stratégie publie une étude le 16 avril afin de présenter les effets de la crise sanitaire sur les territoires par secteur d'emploi. Comme en 2020, nous avons de nouveau constaté que la crise économique induite par la pandémie de Covid-19 n'avait pas un impact particulièrement puissant sur les territoires les plus pauvres. Elle affecterait au contraire les grandes métropoles et des régions qui ne sont habituellement pas au centre des politiques d'aménagement du territoire. Je reconnais que cette crise aura des conséquences économiques majeures qu'il faudra entre autres prendre en compte dans l'accompagnement des étudiants vers l'emploi.
Enfin, pour répondre à madame Filleul, nous ne sommes pas en mesure d'affirmer que les politiques publiques n'ont pas été efficaces, car nous ne disposons pas de données contrefactuelles en ce sens. Toutefois, je vous rejoins sur le fait que ces politiques publiques n'ont pas permis de créer une réelle convergence économique entre les territoires touchés par la crise depuis les années 1970. Des exceptions sont à noter en ce qui concerne la Corse et les départements d'outre-mer pour lesquels des convergences avec la moyenne nationale ont été observées en termes de rattrapage de produit intérieur brut (PIB). En revanche, les politiques publiques n'ont toujours pas eu les effets escomptés dans le Nord-Pas-de-Calais et le Languedoc-Roussillon. C'est pourquoi France Stratégie avait mis en avant dans son dernier rapport la nécessité pour l'État d'avoir recours à de nouveaux leviers, déjà expérimentés aux États-Unis et en Allemagne. Parmi ces derniers figure notamment l'incitation fiscale qui consiste à octroyer des avantages fiscaux aux entreprises qui créent des emplois de qualité dans les régions délaissées. Le levier de l'emploi public pourrait également être utilisé de manière beaucoup plus active et ciblée afin de favoriser la convergence économique de certains territoires.