Je vous remercie d'avoir souligné, dans vos propos liminaires, que les outils existent, mais que nous manquons de moyens ; qu'il ne faut pas opposer l'aide active à mourir et les soins palliatifs ; et qu'il faut de la pluridisciplinarité et aussi - pour reprendre des propos que nous avons entendus hier - de l'humilité. Je souhaiterais vous entendre plus précisément sur les directives anticipées : voilà un outil qui existe, mais qui, semble-t-il, est mal utilisé.
Pr Fabrice Michel. - Notre comité s'est réuni pour préparer nos réponses aux nombreuses questions que vous nous avez transmises. Il faut clairement dire que nous ne sommes pas compétents pour répondre à certaines d'entre elles, en tout cas en tant qu'anesthésistes-réanimateurs - nous pourrions avoir un avis, mais en tant que citoyens. Nous avons donc préféré nous focaliser sur les problématiques que nous connaissons.
On le sait, toutes les unités de soins palliatifs, mobiles ou pas, sont en difficulté du fait du manque de moyens, en particulier dès que l'on sort de l'hôpital. Nous le ressentons bien en tant qu'anesthésistes-réanimateurs. Nous prenons en charge des personnes en provenance des soins de ville, pour lesquelles les situations de fin de vie n'ont pas été clairement identifiées ou aucune réflexion n'a été menée quant au risque d'obstination déraisonnable - va-t-on trop loin ? Fait-on certaines choses qu'il ne faudrait pas faire ? Ce sont effectivement des questions qui se posent. Il y a donc le manque de moyens, mais aussi, peut-être, des façons différentes de travailler selon les acteurs de la fin de vie.
On parle beaucoup des directives anticipées dans notre milieu. Elles constituent une réelle avancée, en laissant une place à l'autonomie du patient. Mais on sent bien que tout n'est pas parfait. Les personnes valides ont beaucoup de mal à formuler des directives anticipées. En revanche, celles-ci deviennent un outil lorsque l'on entre dans un parcours de soins, avec des problèmes sérieux.
Encore faut-il que les personnes qui font part de leurs directives anticipées soient bien informées des parcours de soins, des enjeux de chacun des traitements. Ne pas être accompagné fait courir un risque d'erreur par la suite aux médecins. Il peut arriver que des patients soient pris en charge en dépit de leurs directives anticipées. Il est donc essentiel de trouver une solution préservant l'autonomie de choix du patient.
Le caractère contraignant des directives est bien assimilé, sachant qu'il est possible de ne pas les appliquer si elles ne sont pas adaptées, sous réserve du respect d'une procédure collégiale. Les réanimateurs, dans leur ensemble, sont conscients de leur importance, même si peu de gens les ont rédigées.
Faudrait-il les porter dans un registre ? Ce qui est certain, c'est qu'elles ne sont pas facilement accessibles.
Pr Gérard Audibert. - La médecine, en particulier la réanimation, crée des situations de fin de vie irréversibles. Ma spécialité, la neuroréanimation, m'amène à m'occuper de patients de type « Vincent Lambert ». Confrontée à un tel cas, l'équipe soignante aurait tenté de le réanimer dès sa prise en charge ; et comment faire autrement ? Il faudra ensuite un certain temps pour arriver à une situation de fin de vie irréversible. La loi Claeys-Leonetti nous permet déjà de régler ce genre de situation, pour peu qu'il y ait convergence d'analyse entre l'équipe médicale et la famille, ce qui est le plus courant. Et c'est pour lever les situations conflictuelles qu'il va falloir compléter la loi.
Au travers de votre questionnaire, j'ai pu mesurer que les directives anticipées avaient une grande importance, chacun entendant, et c'est louable, maîtriser les conditions de sa fin de vie. Or imaginer tous les possibles d'une fin de vie est très difficile, même pour un médecin. C'est pourquoi la rédaction de directives anticipées est plus facile pour une personne malade : c'est en ce sens que la Haute Autorité de santé (HAS) a établi deux modèles de documents, correspondant à deux types de situations.
Ce qui est essentiel, alors, c'est la désignation de la personne de confiance, surtout si le patient admis en réanimation n'est pas capable de s'exprimer. Partant, il faut affiner les modalités de communication aux médecins de ces directives, par exemple au moyen du dossier médical partagé. Autant on peut avoir du mal à rédiger des directives anticipées, autant désigner une voire plusieurs personnes de confiance est facile.
J'ajoute que la personne de confiance doit pouvoir être jointe 24 heures sur 24.
Pr René Robert. - Le codage des actes de prise en charge palliative est insuffisamment étoffé. Quand le patient concerné séjourne dans une unité de soins palliatifs, le codage est bien répertorié par les directions administratives ; en revanche, certaines prises en charge à visée palliative ne sont pas codées, situation qu'il conviendrait d'améliorer.
Sur les directives anticipées, je rejoins ce qui a été dit : c'est un sujet complexe. Penser que les rédiger est une solution à tout relève du fantasme, tellement cet exercice est difficile, non seulement quand on est en bonne santé, mais également quand on est très malade, étant entendu qu'on peut toujours changer d'avis et qu'on ignore tout des thérapies possibles. Claires et bien rédigées, les directives anticipées sont un outil très intéressant pour les médecins, étant entendu qu'elles sont aussi un moyen pour inciter nos concitoyens à aborder la question de leur fin de vie avec leurs proches. Pour autant, ne cherchons pas à fixer un pourcentage de gens qui les auraient rédigées. Il faudrait presque mettre sur pied des consultations pour aider à leur rédaction.
Les difficultés à prendre une décision, avec les proches, au sujet de la fin de vie font partie du quotidien du réanimateur. La plupart du temps, ces derniers comprennent bien ce qu'il en est, à condition qu'on leur explique de quoi il retourne. Pour autant, dire à l'un de ses proches qu'on va mettre fin à la réanimation d'un malade est très violent, très stressant, surtout que sa compréhension de la situation est altérée. Prendre du temps pour expliquer est donc essentiel.
Dans les unités moins confrontées, au quotidien, avec la mort, on comprend bien que les sessions de formation soient moins intenses et que les situations soient donc plus complexes à gérer.
Apprendre à ne pas faire, c'est le quotidien du réanimateur. Nous disposons de techniques parfois très spectaculaires, comme la ventilation artificielle, qui a acquis une certaine notoriété avec la crise de la covid. La question qui se pose est toujours celle-ci : faut-il réanimer ce patient compte tenu de son état clinique, recourir à des techniques invasives, ou bien, au contraire, ne rien faire ? Et nous avons appris à ne pas faire ! La difficulté, c'est que nous disposons de peu d'éléments objectifs nous permettant de nous déterminer. De fait, la collégialité s'impose.
Concernant les unités mobiles de soins palliatifs (UMSP), les équipes travaillant en soins palliatifs qui y interviennent ont des échanges avec leurs collègues sur le modèle de ce qui existe en cancérologie, à savoir la réunion de concertation pluridisciplinaire. Au même titre que leurs collègues des soins palliatifs, les réanimateurs sont également amenés à intervenir pour dire si un malade relève ou non de la réanimation. Il faudrait que cette concertation pluridisciplinaire entre les activités hospitalières, au moins, soit reconnue par la loi.
Le champ d'action des UMSP est immense. Ces unités interviennent de plus en plus hors de l'hôpital, notamment dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Sans doute faudrait-il créer des « référents » en matière de soins palliatifs impliquant des gériatres et des médecins généralistes, sachant que, s'agissant de ces derniers, les patients en fin de vie représentent un faible part de leur patientèle. C'est pourquoi s'investir dans une formation en soins palliatifs ne va pas de soi pour eux.
Enfin, la formation des étudiants en soins palliatifs a enregistré des progrès, même si elle reste insuffisante. Elle doit être complétée par les formations propres qui existent au sein de chaque discipline. Cette formation doit également s'adresser aux personnels des hôpitaux, des Ehpad, très demandeurs. Ainsi, la SFAP dispense des formations à distance très intéressantes. Nous devons tous nous y mettre !
Dr Claire Fourcade. - Contrairement aux patients admis en réanimation, nos patients communiquent et le plus souvent, ils participent donc aux décisions. Nous exerçons une médecine lente, complexe. Parler de ce dont on a peur, notamment de la maladie grave et de la mort, ne peut se faire que sur un temps long, et aucun dispositif législatif ne pourra apporter de solution simple.
Si nous sommes moins concernés par les directives anticipées, nous pratiquons les discussions anticipées. Nous abordons les questions, notamment du choix entre deux voies thérapeutiques, au fur et à mesure de l'évolution de la maladie. Par ailleurs, la fiche « Urgence Pallia » permet de faire le lien avec les services d'urgence et de leur indiquer les souhaits, en particulier des patients qui sont pris en charge à domicile.
Les nouvelles prises en charge proposées en oncologie nous poussent à nous reposer la question de l'obstination déraisonnable. Si la formation des soignants est primordiale, il faut préciser que l'obstination déraisonnable est davantage le fait des patients et des familles que des équipes soignantes. C'est pourquoi il est important d'en débattre au sein de la société.
Le codage emporte un enjeu de valorisation financière, car la facturation des séjours en dépend. Lorsqu'un patient qui est en soins palliatifs fait une aplasie médullaire, il est plus intéressant financièrement pour l'établissement de le coder en aplasie médullaire qu'en soins palliatifs. Tant que le codage en soins palliatifs ne sera pas valorisant, nous n'apparaîtrons pas dans les radars et nous ne disposerons pas d'une juste évaluation du nombre de patients en soins palliatifs, et donc, des besoins réels.
La formation est essentielle. Faire changer les mentalités nécessite du temps. Les questions liées à la mort font peur à tout le monde, y compris aux soignants. Si les textes prévoient un stage de cinq jours en soins palliatifs pour chaque étudiant, à ma connaissance seule la faculté de Montpellier en propose effectivement. Ainsi, chaque semaine, la même unité de soins palliatifs accueille à Montpellier cinq étudiants en médecine. C'est une démarche très intéressante, mais très chronophage pour cette toute petite équipe.
Cela suppose des moyens, or nos moyens ont été réduits de 30 % sur les deux dernières années. C'est ce qui explique notamment que le plan ne soit pas effectif. Il est frustrant de constater que les outils sont disponibles, que les soignants sont motivés et que les patients ont besoin d'être pris en charge, mais qu'il manque du carburant pour faire fonctionner la machine. Je me permets donc d'insister.