Je remercie les sénateurs, membres du comité, pour leur contribution active. Ce rapport ne les engage pas, mais j'espère qu'il reflète leur travail. Je vous en présenterai rapidement les conclusions, de manière forcément sélective, puisque le document est long de 330 pages.
J'attends beaucoup de la discussion que nous aurons, ensuite, pour guider la prochaine phase de travail du comité, à savoir la rédaction du rapport final qui comportera un avis du comité et une évaluation de l'efficience du dispositif, et qui doit être publié au mois de juillet prochain. Vous pourrez aussi nous éclairer sur le rôle futur du comité.
Par ailleurs, je vous donnerai tous les éléments d'orientation sur le rôle futur de ce comité d'évaluation et de suivi des mesures de soutien d'urgence aux entreprises, qui s'est transformé, depuis le 1er avril, en un comité d'évaluation du plan de relance.
La méthode choisie par le Parlement pour évaluer les mesures d'urgence est tout à fait originale. Je crois pouvoir le dire, la richesse et la qualité de ce rapport sont sans égales en Europe, grâce à une méthodologie pluraliste et au choix de faire appel à une approche rigoureuse des données. L'équipe assurant le secrétariat du comité à France Stratégie et à l'Inspection générale des finances a constitué une base de données qui rassemble les 3,7 millions d'entreprises ayant bénéficié des mesures et les données individuelles collectées par l'Insee et la Banque de France sur la population des entreprises. Ce travail pourra faire école et être utilisé pour évaluer d'autres dispositifs.
Les éléments de comparaison sont très importants parce qu'ils nous livrent un premier diagnostic sur l'efficacité des mesures, y compris d'ailleurs en termes de coût. Vous m'avez interrogé sur l'efficience des mesures au regard de leur coût pour le solde public. C'est un domaine pour lequel la comparaison internationale peut nous éclairer.
Quand on compare l'impact macroéconomique, en 2020, de la crise du covid en France, dans les grands pays européens et aux États-Unis, on s'aperçoit que la France occupe une position médiane, aussi bien pour ce qui concerne l'emploi que le PIB et le solde public. La crise a été beaucoup moins destructrice pour le tissu économique que la crise financière de 2009, notamment grâce aux mesures de soutien dont ce rapport fait l'objet, mais aussi aux mesures de soutien aux ménages et à la politique monétaire qui a été menée. En effet, l'investissement des entreprises s'est replié, mais dans des proportions comparables à celles du repli de l'activité, alors que l'investissement a tendance à surréagir au repli de l'activité. Par ailleurs, l'ajustement de l'emploi a été relativement contenu, ce qui est évidemment à mettre sur le compte de l'activité partielle, qui n'existait pas en 2009.
Pour compléter ce diagnostic macroéconomique, j'évoquerai des éléments un peu plus inquiétants. Certes, en 2020, le repli du PIB a été comparable, en France, à celui des autres pays européens. Toutefois, on observe des éléments d'alerte concernant la situation de la profitabilité des entreprises, notamment l'évolution de leur taux de marge, qui s'est replié de près de 4 points entre 2019 et 2020, contre 1 point en Allemagne. Même si les entreprises ont bénéficié deux fois, en 2019, du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), bénéficiant ainsi d'un taux de marge particulièrement élevé, l'impact de la crise du covid est à cet égard beaucoup plus fort en France qu'en Allemagne. En la matière, les comparaisons avec le Royaume-Uni, l'Allemagne et même l'Italie sont préoccupantes.
L'endettement des entreprises françaises est également préoccupant. Alors qu'elles possédaient un taux d'endettement beaucoup plus élevé que dans les autres pays européens, elles ont continué à s'endetter pendant la crise. Certes, une très grande partie des emprunts souscrits n'ont pas été dépensés et ont été placés par les entreprises sous forme de placements de trésorerie. L'augmentation de la dette des sociétés non financières en 2020 a été d'environ 217 milliards d'euros. L'augmentation de la dette nette, une fois déduits les placements de trésorerie, n'est plus que de 17 milliards d'euros. Ainsi, 200 milliards d'euros, notamment de prêts garantis par l'État (PGE), ont été placés sur les comptes des entreprises. Bien évidemment, cela ne signifie pas que le PGE n'a servi à rien. Il a offert une garantie de liquidités permettant d'assurer la continuité de l'ensemble des financements des entreprises. C'est un filet de sécurité, un instrument de précaution qui a été utile en tant que tel. Pour autant, ne nous réjouissons pas trop vite de l'augmentation de la trésorerie des entreprises. Si la plupart d'entre elles sont aujourd'hui dans une situation de surliquidités qui fait qu'elles n'auront pas de difficultés à investir en sortie de crise, certaines poches d'activité, dans certains secteurs, devront certainement faire face à des tensions de trésorerie, parfois combinées à des tensions concernant la solvabilité des entreprises ayant accumulé des dettes fiscales et sociales qu'il faudra bien rembourser un jour.
Ainsi, au niveau macroéconomique, les entreprises françaises sont dans une situation de trésorerie très confortable. Il s'agit de comprendre dans quel secteur des situations de tensions de trésorerie ou de solvabilité pourraient apparaître et nécessiter des mesures de soutien public.
S'agissant des mesures de soutien aux entreprises, la France occupe également une position médiane. Ce rapport abuse un peu du mot « médian », qui apparaît 70 fois ! Mais cela montre que le diagnostic est finalement assez mesuré. La France n'a pas à être honteuse de ce qu'elle a fait : elle a pris des mesures efficaces, sans être le pays ayant le plus soutenu les entreprises pendant la crise, ce que l'on peut considérer positivement en termes d'impact sur les finances publiques.
Dans les tableaux que je vous ai transmis, vous pouvez observer les mesures de liquidités, pour ce qui concerne les montants annoncés, mais aussi les montants mobilisés. En Allemagne, notamment, les montants annoncés n'ont pas toujours été déboursés. Il n'existe malheureusement pas d'appareil statistique européen permettant d'établir une comparaison rigoureuse. Nous l'avons réalisée ici grâce aux données des organisations internationales et du réseau de la direction générale du Trésor à l'étranger. Nous en avons conclu à une position médiane de la France.
Par conséquent, le dispositif mis en place en France est relativement équilibré : il ne repose pas de manière disproportionnée sur une mesure plutôt que sur une autre. Certains pays ont adopté une mesure phare. Je pense notamment au Royaume-Uni, qui a mis en place l'activité partielle. En France, nous n'avons pas mis tous nos oeufs dans le même panier. À mes yeux, il s'agit d'un élément positif, puisque cela a permis de répondre aux besoins très divers des entreprises.
S'agissant de la dynamique de ces mesures au cours de la crise, on note un satisfecit général. Aussi bien le fonds de solidarité que l'activité partielle, les prêts garantis ou les reports de charges ont été mis en place de manière rapide et efficace par les administrations et les opérateurs, tels que Bpifrance et les administrations de la sécurité sociale.
Autre satisfecit, les mesures, relativement simples, étaient de portée universelle, ce qui a permis d'assurer leur large accès, en évitant les problèmes d'information et de compréhension.
Toutefois, au cours du temps, les dispositifs se sont complexifiés. Je pense plus particulièrement au fonds de solidarité, qui avait été calibré initialement de manière très restrictive en termes de montant. Ce fonds a donc été élargi à de nouveaux secteurs et les plafonds ont été relevés, ce qui a créé de la complexité, avec des coûts d'entrée pour les entreprises et la nécessité d'un contrôle. Ainsi, la direction générale des finances publiques (DGFiP) a mis en place un dispositif de contrôle très complet, aussi bien en amont qu'en aval, pour éviter des demandes indues et identifier d'éventuels cas de fraude.
Pour ce qui concerne l'activité partielle, la direction générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a mis en place un dispositif de contrôle, ce qui a engendré des délais pour les déboursements.
On est donc passé d'un système très simple et très rapide à un système plus complexe, sans doute mieux ciblé économiquement.
L'essentiel du rapport d'étape ne concernant que l'année 2020, celui-ci n'évoque pas la dernière version du fonds de solidarité, notamment la mesure des coûts fixes. Cet aspect figurera bien évidemment dans le rapport final. Je ne fais pas un gros pari en anticipant le même type de diagnostic, à savoir complexité, délais de décaissement et peut-être découragement de certaines entreprises. C'est le prix à payer d'une approche économiquement plus complexe.
On observe également un resserrement progressif s'agissant de l'accès au fonds de solidarité, ce qui est assez logique si l'on considère l'évolution des confinements. Le PGE est monté en puissance très rapidement puis a plafonné, les besoins étant satisfaits. Le dispositif de l'activité partielle est cyclique, puisqu'il s'adapte aux différentes situations de confinement, ce qui constitue un point positif de flexibilité. À l'opposé, le fonds de solidarité monte en puissance beaucoup plus lentement, notamment parce qu'il a été calibré au début de manière beaucoup plus restrictive. Avec l'évolution des types de confinement, on observe un resserrement de l'utilisation des dispositifs sur le fonds de solidarité et sur un secteur particulier, celui de l'hébergement et de la restauration.
J'ai ajouté, à la fin de ma présentation écrite, un certain nombre de cartes issues d'une note de France Stratégie, qui a utilisé les données collectées pour le comité. Il s'agit d'évaluer, de manière très détaillée, l'impact de la crise sur les territoires. Le taux de recours aux aides varie fortement selon les zones d'emplois. On observe ainsi une concentration des recours dans l'est de la France et même à la frontière est de la France : zones montagneuses, Savoie, Grand Est, région PACA et Corse. Toutefois, l'Île-de-France est également concernée par un recours aigu à l'activité partielle.
Ces éléments pourront être approfondis dans le rapport final, dans la mesure où ils ne reflètent pas forcément l'attention politique ou médiatique dont ont fait l'objet ces dispositifs au moment de leur mise en place. On se souvient en effet d'une mobilisation particulière en faveur des régions montagneuses et de l'écosystème lié aux stations de ski, qui a conduit à la création de dispositifs spécifiques au sein du fonds de solidarité. On observe également que l'Île-de-France, qui a été une région particulièrement atteinte du fait de l'importance de l'hôtellerie et de la restauration, ainsi que du tourisme international, n'a pas fait l'objet d'une mobilisation identique. La carte que nous présentons n'est donc pas forcément celle que nous aurions dessinée à l'époque.
Le taux de recours n'est expliqué qu'en partie par la structure sectorielle. Les degrés de recours aux dispositifs ne sont liés qu'en faible partie à la spécialisation sectorielle de chaque zone d'emploi. Après correction des effets sectoriels, on observe des zones de sur-recours ou de sous-recours. Nous avons transmis ces données au député Jean-Noël Barrot, qui s'est vu confier une mission spécifique sur ces aspects territoriaux.
Nous avons essayé d'appréhender l'efficacité des mesures prises. C'est très difficile, dans la mesure où il s'agit d'une crise tout à fait exceptionnelle, que les dispositifs sont universels, qu'ils ont évolué et que nous n'avons que peu de recul. On cherche donc à atteindre une cible mouvante !
Nous nous sommes efforcés, d'une part, de comprendre pourquoi les entreprises avaient recouru ou non aux dispositifs et, d'autre part, d'identifier d'éventuels effets d'aubaine.
Le non-recours se concentre sur les petites entreprises. Toutefois, celles-ci représentent une part importante des déboursements, les versements en leur faveur représentant une part supérieure à leur part dans l'emploi.
L'analyse du montant reçu par salarié selon la taille de l'entreprise montre que les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) ont été bien servies : pour elles, le montant reçu par salarié est plus important que pour les grandes entreprises. Ce résultat est évidemment très partiel, mais il tord le cou d'emblée à l'idée reçue selon laquelle, notamment pour le PGE, ces dispositifs auraient surtout bénéficié aux grandes entreprises.
Nous avons aussi regardé quelles entreprises avaient recouru à un, deux, trois ou quatre dispositifs, en fonction de la taille des entreprises. On voit que le recours à plusieurs dispositifs est finalement assez rare, et que le recours à trois ou quatre dispositifs est très minoritaire. Les entreprises ont donc bien été sélectives dans leur accès aux dispositifs : elles ne sont pas allées à tous les guichets par précaution, et elles ont utilisé le dispositif qui répondait le plus à leurs besoins.
Nous avons enfin essayé de relier l'usage des dispositifs avec l'intensité du choc économique, en exploitant les données de TVA, qui nous permettent de suivre l'évolution du chiffre d'affaires des entreprises en 2020. Nous avons constaté que les mesures ont principalement bénéficié aux entreprises ayant déclaré une baisse de leur chiffre d'affaires, et ont été peu utilisées par les entreprises qui déclarent une hausse de leur chiffre d'affaires.
Bref, il semble bien que les dispositifs aient été utilisés par les entreprises qui en avaient besoin, c'est-à-dire par celles qui avaient le plus été impactées par la crise. Pour l'instant, il s'agit de résultats bruts, qui seront bientôt complétés par des études beaucoup plus sophistiquées, réalisées par la direction générale du Trésor, la Banque de France et l'Insee, sur la base des mêmes données qui permettent de mesurer l'intensité du choc économique entreprise par entreprise et de relier l'usage des mesures à l'intensité du choc. L'étude du Trésor est déjà sortie ; celles de la Banque de France et de l'Insee sont en cours de réalisation.
On trouve aussi que le taux de recours au dispositif est plus élevé pour les entreprises dont la santé financière est intermédiaire. En d'autres termes, les entreprises qui étaient en très bonne santé financière avant la crise ont peu utilisé les dispositifs : il n'y a pas eu d'effet d'aubaine à cet égard. De manière un peu plus mystérieuse, on constate que les dispositifs ont été peu utilisés par les entreprises qui allaient très mal avant la crise. Il est vrai que nous nous fondons sur les bilans fin 2018. Sans doute y a-t-il dans cette catégorie des entreprises qui en réalité ne sont plus en activité, alors même que leur numéro SIREN serait encore actif. Certaines, aussi, sont peut-être en procédure de sauvegarde ou judiciaire.
Dernier élément, dans ce faisceau d'indices quelque peu impressionniste : quand on lie le recours, ou le non-recours, à la situation financière des entreprises, on voit que deux tiers des cas de non-recours concernent des entreprises qui étaient en très bonne situation financière avant la crise, ou des entreprises dont le chiffre d'affaires n'a pas baissé en 2020, c'est-à-dire dire qui ont été relativement épargnées par la crise. En d'autres termes, la majorité des non-recours sont volontaires, au lieu d'être liés à un problème d'information. Nous avons regardé de près le cas des entreprises dites zombies : leur recours aux dispositifs n'a pas été plus important. Autrement dit, les dispositifs n'ont pas servi à maintenir en vie des entreprises qui n'arrivaient plus à couvrir leurs charges financières et qui auraient dû, dans des circonstances normales, entrer dans des procédures de sauvegarde ou de faillite, changer d'activité ou redresser leur activité.
Il nous reste à affiner tous ces diagnostics pour le rapport final. Nous nous intéresserons de beaucoup plus près à la situation financière des entreprises à la sortie de la crise. Nous ne disposons pas de l'information nécessaire pour identifier les entreprises qui, au sortir des mesures de restrictions sanitaires, seraient insolvables ou auraient des problèmes de liquidités. En effet, les données de trésorerie qui sont aujourd'hui disponibles le sont à un niveau relativement macro-économique, et nous n'avons pas de données fines sur la situation de trésorerie des entreprises par secteur, par entreprise et par territoire. La Banque de France travaille sur ce point et devrait pouvoir nous fournir ces données, indispensables si l'on veut raisonner sur la situation de la solvabilité des entreprises en sortie de crise. Pour l'heure, nous connaissons très bien leur passif, puisqu'on sait quelle était leur situation financière avant la crise, combien elles ont pris de PGE, combien elles ont accumulé de reports de charges fiscales et sociales, mais on connaît moins leur actif financier. Au niveau macro-économique, la trésorerie des entreprises s'est accrue d'environ 200 milliards d'euros. C'est beaucoup, mais notre but n'est pas de nous concentrer sur les bonnes nouvelles ! Bien sûr, nous ne sommes pas seuls à travailler sur ce sujet : chaque banque se penche dessus, avec ses clients, les services de l'État y travaillent aussi au niveau territorial, tout comme les fédérations bancaires.
L'équipe qui travaille pour ce comité essaiera, d'ici au mois de juillet, d'affiner la compréhension des trajectoires des entreprises en fonction du recours aux mesures. J'ai présenté de premiers éléments sur l'évolution du chiffre d'affaires des entreprises en 2020 en fonction de leur recours aux mesures. Nous pourrons le faire de manière plus fine, notamment en regardant les trajectoires d'emploi et les trajectoires de masses salariales des entreprises qui ont recouru, ou non, aux mesures. Cela nous permettra un meilleur diagnostic sur l'efficacité du dispositif.