Intervention de Isabelle Plassais

Mission d'information Enseignement agricole — Réunion du 7 avril 2021 à 13h30
Audition de Mme Isabelle Plassais présidente de l'association des directeurs d'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole eplefpa et M. Jérôme Stalin secrétaire adjoint

Isabelle Plassais, présidente de l'association des directeurs d'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole (Eplefpa) :

Que d'enjeux, que de questions ! Je vois que votre champ est très pointu en ce qui nous concerne. Je voudrais insister sur le fait que l'Eplefpa est une structure multiple réalisée pour répondre aux besoins des territoires, ce qui nous différencie des MFR ou de l'enseignement privé temps plein. Depuis toujours, nous avons associé formation initiale scolaire, formation par apprentissage et formation continue avec des supports techniques, exploitations et ateliers technologiques, voire des centres équestres. C'était la seule solution pour être au plus près des préoccupations, par des entrées multiples sur les enjeux des territoires au profit des formations agricoles et alimentaires, et de manière plus large des territoires ruraux. Certains établissements ruraux sont devenus périurbains, d'autres sont restés très ruraux. La structuration des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE) est d'une grande richesse et nous motive pour mobiliser pleinement cet outil, qui est plus un facteur de développement qu'un frein.

S'agissant des enjeux, en tant que directeurs et directeurs adjoints d'Eplefpa, nous sommes organisés en association depuis plus de 30 ans pour garder notre liberté de pensée. Nous échangeons entre nous avant de porter nos idées auprès de notre administration. Nous avons l'esprit ouvert. Lors du séminaire annuel, nous faisons venir des personnes extérieures à notre ministère pour avoir une vision élargie de ce que nous pourrions apporter à notre système. Nous discutons ainsi de nos projets avec la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) car nous sommes représentés, comme association, au sein d'un certain nombre d'instances de réflexion, notamment sur la gouvernance institutionnelle qui se décline au niveau national, régional et dans les établissements, mais aussi plus informelle. Il en est de même pour les représentants des associations d'exploitations et d'ateliers technologiques, et des associations de directeurs de centres de formation d'apprentis (CFA) et de centres de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA). Nous essayons de rapprocher ces différentes associations de manière à avoir un portage plus complet et collectif de nos positions par rapport aux enjeux.

Ces enjeux sont de différentes natures. Les évolutions des politiques publiques et des lois télescopent notre modèle d'organisation. La loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel change beaucoup de choses. Si nous avions une régulation de la carte des formations jusque-là pleinement entre les mains de l'autorité académique et des conseils régionaux, nous basculons vers un système où la libéralisation de l'offre de formation échappe à toute régulation ordonnée, telle qu'elle se faisait auparavant. D'où la nécessité de réfléchir à d'autres modes de régulation. Il est temps que les acteurs sur le terrain grandissent, deviennent autonomes et en capacité d'interagir ensemble pour que tout le monde ait sa place, de manière à assurer le meilleur service auprès des publics auxquels nous nous adressons et auprès des territoires. Cette question de la diversité des voies de formation a toujours été identitaire pour les EPLEFPA. Le privé se pose aussi la question, à juste titre. Sommes-nous concurrents ou partenaires ? En fonction des formations et des bassins, nous sommes parfois concurrents et d'autres fois partenaires. Nous ne sommes pas concurrents si nous réfléchissons ensemble en mettant en avant les spécificités de chaque établissement.

Cette grande diversité des EPLE se traduit en fonction des territoires par des différences majeures. L'Eplefpa de Gironde, que vous avez visité, issu d'une fusion de plusieurs établissements et exploitations, est le plus important de France. D'autres sont constitués d'un seul lycée de 120 élèves et 50 personnels, en territoire rural ou périurbain. Les objectifs à atteindre ne sont alors pas du tout les mêmes. Il faut juste être clair concernant les objectifs et les modalités pour les atteindre.

Il est important pour notre association d'accompagner l'intégralité des EPLE, dans leur grande diversité. Cette souplesse et cette agilité permettent de répondre aux besoins des territoires et de mieux s'adapter pour défendre l'enseignement agricole, qui est différent de l'Éducation nationale. C'est en ce sens que nous ne sommes pas concurrents mais différents, sur des formations qui peuvent être similaires mais qui permettent à des jeunes de faire un choix entre l'enseignement agricole et l'Éducation nationale. C'est important à cultiver, même si ce n'est pas simple.

Un autre enjeu important est la connaissance de l'enseignement agricole. Les jeunes doivent pouvoir faire un choix. Comment porter l'information auprès des jeunes et des prescripteurs - les encadrants, les familles ? Comment les jeunes peuvent-ils obtenir l'information pour conduire leur projet, là où ils sont ? Dans la réforme globale des lycées et des collèges, on a insisté sur l'orientation et l'accompagnement du choix du jeune. Nous avons notre place à tous les niveaux car nous sommes, non pas une alternative, mais un choix possible pour mener à bien des projets.

Comment faire connaître les métiers ? Un emploi d'agriculteur génère six à huit emplois autour de l'agriculture sur des champs connexes. Des possibilités importantes existent pour des jeunes qui ne souhaitent pas travailler ni étudier en milieu urbain. Ils ont envie d'autre chose, d'un territoire plus aéré. Tous ne trouvent pas dans l'Éducation nationale un écho à leur ressenti. L'objectif est de travailler sur ce sujet. Nous ne sommes pas les seuls à communiquer sur les métiers et il y a un rapprochement à faire avec les branches professionnelles. Nous devons mener des opérations de communication pour faire découvrir ces métiers et les parcours d'études correspondants. Nous y travaillons dans nos établissements car les jeunes sont assez pauvres en termes de représentation professionnelle.

Comment trouver notre place pour expliquer et communiquer sur les métiers ? C'est l'idée générale de « L'aventure du vivant », qui vise à toucher un plus grand public, à montrer toute la palette de l'enseignement proposé par le ministère de l'agriculture à tous les niveaux d'études : CAP (Certificat d'aptitude professionnelle), Bac, BTS (Brevet de technicien supérieur), licence pro, enseignement supérieur long...

Depuis plusieurs années, les EPLE ont connu et connaissent encore des aléas économiques et financiers. Lors de la réorganisation territoriale qui a vu les missions des régions évoluer, les moyens dont ils disposaient ont également été révisés. Certains EPLE ont pu enregistrer une réduction des moyens qui leur étaient alloués par les régions, ce qui a pu mettre certains lycées en difficulté, notamment en touchant à l'équilibre du service restauration/hébergement, même s'il y a toujours eu des aides en faveur des établissements rencontrant des soucis financiers.

On a connu la même chose avec l'apprentissage, qui n'a pas été financé par toutes les régions à la même hauteur. La collecte de taxe d'apprentissage devait équilibrer les finances de cette activité, les conseils régionaux apportant le complément pour atteindre l'équilibre. Des régions n'ont pas pu le faire, ce qui a entraîné des déficits importants pour certains CFA. Certains conseils régionaux ont dit que l'apprentissage agricole était probablement ce qu'il y avait de moins bien rémunéré, de moins bien subventionné dans toute la France, toutes filières confondues. L'enseignement agricole n'est pas toujours financé à hauteur de ses besoins, la taxe d'apprentissage étant faible dans ce secteur.

Les exploitations agricoles ont une mission pédagogique et de soutien technique, mais elles doivent aussi être en équilibre financier. Elles ont un outil de production et doivent veiller à maîtriser les charges et à optimiser les produits. Les salariés sont financés sur budget et de droit privé. On sait hélas que, dans une exploitation ordinaire, un agriculteur prend le salaire qu'il peut à la fin du mois. Ce surcoût fait que certaines exploitations sont en grande difficulté. Les ateliers technologiques sont également très onéreux. Les conditions sanitaires, pour ces deux types d'établissements, nécessitent des investissements à un rythme soutenu pour faire face aux obligations réglementaires, d'autant qu'en tant qu'établissement public, nous nous devons d'être exemplaires. Pour toutes ces raisons, certains établissements peuvent rencontrer des difficultés financières.

La crise de la covid-19 n'a pas arrangé les choses, pas tant pour les lycées, où un certain équilibre a parfois pu être trouvé - les élèves étant absents, des économies ont pu être réalisées sur le chauffage -, que pour la formation professionnelle continue. Certaines formations n'ont en effet matériellement pas pu avoir lieu mais les formateurs, qui sont des agents de droit public, n'ont pas pu être mis en chômage partiel. Cela a eu des répercussions financières importantes. Certains ateliers ou exploitations n'ont pas pu non plus fonctionner normalement, comme les exploitations horticoles qui n'ont pas pu commercialiser leur production au printemps. Cet outil complexe est fragile car il est réglementairement à cheval sur plusieurs dispositifs : établissements publics, contraintes économiques, accès aux aides et accompagnement restreints... En période de crise, ces fragilités sont accrues et d'autant plus apparentes.

La part des femmes dans l'enseignement agricole et dans les formations agricoles et alimentaires a tendance à baisser dans les établissements agricoles, après avoir été proche de la parité. La situation est toutefois différente selon les filières. Nous touchons là à la représentation et à l'acceptation des genres dans les différents métiers. La formation « Aménagement paysager » regroupe 10 % de filles et, à l'opposé, le nombre de filles est beaucoup plus élevé dans la polyculture et l'élevage, la dimension animale les attirant. Les formations « Services » sont extrêmement féminines et manquent de genre masculin. En outre, l'enseignement agricole fait face à la concurrence de l'Éducation nationale sur ces filières.

Le genre n'est pas rédhibitoire pour les professionnels. Une fois l'a priori passé, la diversité des genres est en général approuvée. L'idée est plutôt que les jeunes n'aient pas à s'inquiéter du regard des autres. Nous devons travailler avec les professionnels pour changer certaines représentations. Certains métiers auxquels nous formons sont difficiles physiquement, en termes d'horaires ou de conditions de travail, mais rien n'est impossible quand on regarde l'hôpital. Les métiers que nous proposons sont parfois moins attirants pour ces raisons. C'est une problématique qui dépasse largement l'enseignement agricole mais nous nous y associons puisque nous devons mettre en oeuvre l'intégralité des politiques publiques de nos ministères de l'agriculture, de l'éducation nationale et du travail. Dans l'établissement que je dirige, des enseignants d'éducation socio-culturelle ont travaillé sur les représentations et les a priori dans une classe de 2nde. Les élèves ont reconnu ne pas avoir la même vision des choses. Il faut admettre la discussion, pourvu que l'on se respecte. J'ai aussi été frappée par la grossophobie, qui est aussi un phénomène marqué chez les jeunes. C'est un sujet très sensible qui revient souvent, presque plus que le genre.

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