Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux en accueillant aujourd'hui deux représentants de l'association des directeurs et directeurs-adjoints d'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole (Eplefpa).
Je salue la présidente de l'association, Madame Isabelle Plassais, qui dirige l'Eplefpa de Marmilhat - Clermont-Ferrand, après avoir notamment dirigé les établissements de Chambéry-La Motte-Servolex et Saintes-Chadignac. Elle préside également le conseil d'administration de l'École nationale supérieure de formation de l'enseignement agricole (Ensfea). Cette école assure la formation initiale et continue des enseignants et des conseillers principaux d'éducation de l'enseignement technique agricole. Elle conduit également des actions de recherche, d'innovation et d'ingénierie pour l'enseignement agricole.
Je salue également le secrétaire-adjoint de l'association, Monsieur Jérôme Stalin, aujourd'hui directeur-adjoint du centre d'enseignement zootechnique de la Bergerie nationale de Rambouillet. Il a notamment été auparavant directeur-adjoint de l'établissement de l'Eure à Chambray et directeur de l'établissement de la Baie de Somme à Abbeville. Il a également siégé en tant que président ou président-adjoint au sein de plusieurs jurys de Bac pro ou de brevet d'études professionnelles agricoles (BEPA).
Madame, Monsieur, nous vous remercions pour votre présence et vous rappelons qu'en raison du contexte sanitaire, vous devrez conserver votre masque, y compris durant vos interventions. Je vous rappelle également que cette réunion est captée et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat, sur lequel elle pourra ensuite être consultée en vidéo à la demande.
Avec mes 22 collègues membres de la mission d'information, nous sommes convaincus que l'enseignement agricole est une chance pour de nombreux jeunes et un outil indispensable pour l'avenir de nos filières agricoles et alimentaires.
Nous l'avons encore mesuré vendredi dernier, avec notre rapporteure Nathalie Delattre, en allant sur le terrain, en Gironde, à la rencontre des directeurs des structures, des professeurs et des élèves, apprentis et étudiants de l'enseignement agricole.
Nous avons notamment échangé avec les équipes de l'Eplefpa de Blanquefort, plus grand Eplefpa de France, mais aussi avec celles d'une Maison familiale rurale (MFR) et de Bordeaux Sciences Agro, ce qui nous a permis d'aborder les liens entre l'enseignement technique et l'enseignement supérieur long. Nous avons enfin porté une attention particulière au cours de ce déplacement à la coopération européenne et internationale, l'une des cinq missions de l'enseignement agricole, en nous rendant au siège de l'Agence Erasmus+ France.
Les premières auditions de la mission ont mis en évidence plusieurs thèmes. J'en citerai brièvement cinq.
Le premier, c'est l'enjeu de l'orientation et la connaissance ou la reconnaissance de l'enseignement agricole : cet enjeu a encore été largement évoqué vendredi dernier en Gironde, sur fond d'agri-bashing.
Le deuxième thème, c'est celui de la concurrence ou de la « complémentarité à parfaire », d'une part, au sein de l'enseignement agricole et, d'autre part, entre les structures de l'enseignement agricole et l'Éducation nationale. Cela nous conduit nécessairement à évoquer la question du maillage territorial de l'enseignement agricole, mais aussi de sa stratégie de croissance. D'un côté, le ministère mène des campagnes de communication en faveur de l'enseignement agricole, mais de l'autre, il nous revient que, pour pouvoir ouvrir une formation, vous devez en fermer une autre. Quelle est alors la logique, si ce n'est la logique budgétaire ? Peut-être pourrez-vous nous en dire plus sur ce point.
Le troisième thème, justement, ce sont les enjeux budgétaires, encore accrus par l'impact de la pandémie de covid-19.
Le quatrième thème, qui est central dans la démarche de la mission d'information, c'est la capacité de l'enseignement agricole à répondre aux besoins des filières agricoles et alimentaires, mais aussi, au-delà, aux enjeux des territoires ruraux. Nos auditions nous ont notamment conduits à évoquer les compétences en matière numérique, de comptabilité ou encore de ressources humaines.
Le dernier thème que je souhaite évoquer en préambule, sous le contrôle d'Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, c'est la place des filles ou des jeunes femmes au sein de l'enseignement agricole. Nous sommes en effet attentifs aux éventuels stéréotypes dans les choix des filières, à la difficulté qu'elles peuvent rencontrer pour trouver des stages, ainsi qu'à l'égalité des chances dans les débouchés. C'est, là aussi, un point dont nous avons parlé vendredi.
Je propose que vous puissiez nous présenter votre vision des enjeux, à partir du questionnaire qui vous a été adressé par notre rapporteure, pendant une dizaine de minutes.
Je passerai ensuite la parole à notre rapporteure Nathalie Delattre afin qu'elle puisse vous poser un certain nombre de questions, puis à mes collègues qui le souhaitent.
Madame la Présidente, je vous cède la parole.
Que d'enjeux, que de questions ! Je vois que votre champ est très pointu en ce qui nous concerne. Je voudrais insister sur le fait que l'Eplefpa est une structure multiple réalisée pour répondre aux besoins des territoires, ce qui nous différencie des MFR ou de l'enseignement privé temps plein. Depuis toujours, nous avons associé formation initiale scolaire, formation par apprentissage et formation continue avec des supports techniques, exploitations et ateliers technologiques, voire des centres équestres. C'était la seule solution pour être au plus près des préoccupations, par des entrées multiples sur les enjeux des territoires au profit des formations agricoles et alimentaires, et de manière plus large des territoires ruraux. Certains établissements ruraux sont devenus périurbains, d'autres sont restés très ruraux. La structuration des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE) est d'une grande richesse et nous motive pour mobiliser pleinement cet outil, qui est plus un facteur de développement qu'un frein.
S'agissant des enjeux, en tant que directeurs et directeurs adjoints d'Eplefpa, nous sommes organisés en association depuis plus de 30 ans pour garder notre liberté de pensée. Nous échangeons entre nous avant de porter nos idées auprès de notre administration. Nous avons l'esprit ouvert. Lors du séminaire annuel, nous faisons venir des personnes extérieures à notre ministère pour avoir une vision élargie de ce que nous pourrions apporter à notre système. Nous discutons ainsi de nos projets avec la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) car nous sommes représentés, comme association, au sein d'un certain nombre d'instances de réflexion, notamment sur la gouvernance institutionnelle qui se décline au niveau national, régional et dans les établissements, mais aussi plus informelle. Il en est de même pour les représentants des associations d'exploitations et d'ateliers technologiques, et des associations de directeurs de centres de formation d'apprentis (CFA) et de centres de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA). Nous essayons de rapprocher ces différentes associations de manière à avoir un portage plus complet et collectif de nos positions par rapport aux enjeux.
Ces enjeux sont de différentes natures. Les évolutions des politiques publiques et des lois télescopent notre modèle d'organisation. La loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel change beaucoup de choses. Si nous avions une régulation de la carte des formations jusque-là pleinement entre les mains de l'autorité académique et des conseils régionaux, nous basculons vers un système où la libéralisation de l'offre de formation échappe à toute régulation ordonnée, telle qu'elle se faisait auparavant. D'où la nécessité de réfléchir à d'autres modes de régulation. Il est temps que les acteurs sur le terrain grandissent, deviennent autonomes et en capacité d'interagir ensemble pour que tout le monde ait sa place, de manière à assurer le meilleur service auprès des publics auxquels nous nous adressons et auprès des territoires. Cette question de la diversité des voies de formation a toujours été identitaire pour les EPLEFPA. Le privé se pose aussi la question, à juste titre. Sommes-nous concurrents ou partenaires ? En fonction des formations et des bassins, nous sommes parfois concurrents et d'autres fois partenaires. Nous ne sommes pas concurrents si nous réfléchissons ensemble en mettant en avant les spécificités de chaque établissement.
Cette grande diversité des EPLE se traduit en fonction des territoires par des différences majeures. L'Eplefpa de Gironde, que vous avez visité, issu d'une fusion de plusieurs établissements et exploitations, est le plus important de France. D'autres sont constitués d'un seul lycée de 120 élèves et 50 personnels, en territoire rural ou périurbain. Les objectifs à atteindre ne sont alors pas du tout les mêmes. Il faut juste être clair concernant les objectifs et les modalités pour les atteindre.
Il est important pour notre association d'accompagner l'intégralité des EPLE, dans leur grande diversité. Cette souplesse et cette agilité permettent de répondre aux besoins des territoires et de mieux s'adapter pour défendre l'enseignement agricole, qui est différent de l'Éducation nationale. C'est en ce sens que nous ne sommes pas concurrents mais différents, sur des formations qui peuvent être similaires mais qui permettent à des jeunes de faire un choix entre l'enseignement agricole et l'Éducation nationale. C'est important à cultiver, même si ce n'est pas simple.
Un autre enjeu important est la connaissance de l'enseignement agricole. Les jeunes doivent pouvoir faire un choix. Comment porter l'information auprès des jeunes et des prescripteurs - les encadrants, les familles ? Comment les jeunes peuvent-ils obtenir l'information pour conduire leur projet, là où ils sont ? Dans la réforme globale des lycées et des collèges, on a insisté sur l'orientation et l'accompagnement du choix du jeune. Nous avons notre place à tous les niveaux car nous sommes, non pas une alternative, mais un choix possible pour mener à bien des projets.
Comment faire connaître les métiers ? Un emploi d'agriculteur génère six à huit emplois autour de l'agriculture sur des champs connexes. Des possibilités importantes existent pour des jeunes qui ne souhaitent pas travailler ni étudier en milieu urbain. Ils ont envie d'autre chose, d'un territoire plus aéré. Tous ne trouvent pas dans l'Éducation nationale un écho à leur ressenti. L'objectif est de travailler sur ce sujet. Nous ne sommes pas les seuls à communiquer sur les métiers et il y a un rapprochement à faire avec les branches professionnelles. Nous devons mener des opérations de communication pour faire découvrir ces métiers et les parcours d'études correspondants. Nous y travaillons dans nos établissements car les jeunes sont assez pauvres en termes de représentation professionnelle.
Comment trouver notre place pour expliquer et communiquer sur les métiers ? C'est l'idée générale de « L'aventure du vivant », qui vise à toucher un plus grand public, à montrer toute la palette de l'enseignement proposé par le ministère de l'agriculture à tous les niveaux d'études : CAP (Certificat d'aptitude professionnelle), Bac, BTS (Brevet de technicien supérieur), licence pro, enseignement supérieur long...
Depuis plusieurs années, les EPLE ont connu et connaissent encore des aléas économiques et financiers. Lors de la réorganisation territoriale qui a vu les missions des régions évoluer, les moyens dont ils disposaient ont également été révisés. Certains EPLE ont pu enregistrer une réduction des moyens qui leur étaient alloués par les régions, ce qui a pu mettre certains lycées en difficulté, notamment en touchant à l'équilibre du service restauration/hébergement, même s'il y a toujours eu des aides en faveur des établissements rencontrant des soucis financiers.
On a connu la même chose avec l'apprentissage, qui n'a pas été financé par toutes les régions à la même hauteur. La collecte de taxe d'apprentissage devait équilibrer les finances de cette activité, les conseils régionaux apportant le complément pour atteindre l'équilibre. Des régions n'ont pas pu le faire, ce qui a entraîné des déficits importants pour certains CFA. Certains conseils régionaux ont dit que l'apprentissage agricole était probablement ce qu'il y avait de moins bien rémunéré, de moins bien subventionné dans toute la France, toutes filières confondues. L'enseignement agricole n'est pas toujours financé à hauteur de ses besoins, la taxe d'apprentissage étant faible dans ce secteur.
Les exploitations agricoles ont une mission pédagogique et de soutien technique, mais elles doivent aussi être en équilibre financier. Elles ont un outil de production et doivent veiller à maîtriser les charges et à optimiser les produits. Les salariés sont financés sur budget et de droit privé. On sait hélas que, dans une exploitation ordinaire, un agriculteur prend le salaire qu'il peut à la fin du mois. Ce surcoût fait que certaines exploitations sont en grande difficulté. Les ateliers technologiques sont également très onéreux. Les conditions sanitaires, pour ces deux types d'établissements, nécessitent des investissements à un rythme soutenu pour faire face aux obligations réglementaires, d'autant qu'en tant qu'établissement public, nous nous devons d'être exemplaires. Pour toutes ces raisons, certains établissements peuvent rencontrer des difficultés financières.
La crise de la covid-19 n'a pas arrangé les choses, pas tant pour les lycées, où un certain équilibre a parfois pu être trouvé - les élèves étant absents, des économies ont pu être réalisées sur le chauffage -, que pour la formation professionnelle continue. Certaines formations n'ont en effet matériellement pas pu avoir lieu mais les formateurs, qui sont des agents de droit public, n'ont pas pu être mis en chômage partiel. Cela a eu des répercussions financières importantes. Certains ateliers ou exploitations n'ont pas pu non plus fonctionner normalement, comme les exploitations horticoles qui n'ont pas pu commercialiser leur production au printemps. Cet outil complexe est fragile car il est réglementairement à cheval sur plusieurs dispositifs : établissements publics, contraintes économiques, accès aux aides et accompagnement restreints... En période de crise, ces fragilités sont accrues et d'autant plus apparentes.
La part des femmes dans l'enseignement agricole et dans les formations agricoles et alimentaires a tendance à baisser dans les établissements agricoles, après avoir été proche de la parité. La situation est toutefois différente selon les filières. Nous touchons là à la représentation et à l'acceptation des genres dans les différents métiers. La formation « Aménagement paysager » regroupe 10 % de filles et, à l'opposé, le nombre de filles est beaucoup plus élevé dans la polyculture et l'élevage, la dimension animale les attirant. Les formations « Services » sont extrêmement féminines et manquent de genre masculin. En outre, l'enseignement agricole fait face à la concurrence de l'Éducation nationale sur ces filières.
Le genre n'est pas rédhibitoire pour les professionnels. Une fois l'a priori passé, la diversité des genres est en général approuvée. L'idée est plutôt que les jeunes n'aient pas à s'inquiéter du regard des autres. Nous devons travailler avec les professionnels pour changer certaines représentations. Certains métiers auxquels nous formons sont difficiles physiquement, en termes d'horaires ou de conditions de travail, mais rien n'est impossible quand on regarde l'hôpital. Les métiers que nous proposons sont parfois moins attirants pour ces raisons. C'est une problématique qui dépasse largement l'enseignement agricole mais nous nous y associons puisque nous devons mettre en oeuvre l'intégralité des politiques publiques de nos ministères de l'agriculture, de l'éducation nationale et du travail. Dans l'établissement que je dirige, des enseignants d'éducation socio-culturelle ont travaillé sur les représentations et les a priori dans une classe de 2nde. Les élèves ont reconnu ne pas avoir la même vision des choses. Il faut admettre la discussion, pourvu que l'on se respecte. J'ai aussi été frappée par la grossophobie, qui est aussi un phénomène marqué chez les jeunes. C'est un sujet très sensible qui revient souvent, presque plus que le genre.
Je voudrais illustrer les propos de ma présidente. Ancien élève de l'enseignement agricole, puis professeur pendant 25 ans, j'ai bien vu l'évolution de l'orientation. À l'époque, au lycée agricole d'Yvetot, il y avait 90 places pour 150 dossiers ; aujourd'hui, pour 90 places, il y a 85 dossiers ! J'ai vécu cette évolution. Nous avons déçu des élèves dans un premier temps et, maintenant, nous n'en avons pas assez pour remplir nos classes. Il faut connaître les réformes de l'Éducation nationale pour s'adapter au système.
C'est l'Éducation nationale qui mène le jeu en termes d'orientation et d'affectation. La question est de savoir comment on arrive à articuler notre fonctionnement avec le sien.
Nous devons effectivement trouver une bonne articulation. Lors des réformes de l'orientation, nous avions souhaité que celle-ci soit traitée dès la classe de 4ème. Lorsque j'étais en fonction à Abbeville, j'avais constaté que les principaux de collèges ne faisaient rien pour ces classes, par manque de temps... Je leur ai proposé d'organiser un forum pour découvrir les métiers de l'agriculture. Environ 400 élèves de 4ème d'Abbeville sont venus et, deux ans après, les classes du lycée agricole étaient pleines, tandis que le nombre d'apprentis du CFA était passé de 240 à 340. Nous avons pu créer des classes supplémentaires dans le CFA mais pas au lycée : si l'on crée une nouvelle formation, il faut en fermer une autre.
Ce que chacun fait au niveau de son EPLE, on a du mal à le faire au niveau du département. L'Éducation nationale a un DASEN, l'enseignement agricole n'a rien de comparable. Il manque cette coordination au niveau départemental. Mettre en place des actions est une chose, avoir la pérennité de celles-ci en est une autre. Nous avons eu des discussions avec la DGER, j'ai proposé de créer le « dasea » (détaché académique section enseignement agricole). Ce sont des moyens en plus ! Les directeurs d'EPLE sont déjà saturés, ce n'est pas leur rôle. Le recrutement commence par l'orientation dans les collèges. Il faut bien connaître les réformes de l'Éducation nationale pour utiliser le même vocabulaire et rentrer dans la même démarche. Un principal de collège a des difficultés à rencontrer un « développeur » de CFA, terme à connotation économique, et préfère recevoir un « directeur » d'EPLE.
C'est un problème de connexion culturelle. À tout niveau, il faut être au fait et à l'écoute de l'évolution mise en place par l'Éducation nationale, et alerter en amont sur d'éventuelles difficultés afin de les éviter. C'est un sujet très sensible. Un autre problème majeur se situe dans l'interopérabilité des outils. Les outils de traitement informatisé ne sont pas forcément compatibles aujourd'hui. La DGER et la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco) du ministère de l'éducation nationale travaillent sur le sujet.
Je vous remercie de cette présentation très pratique. Nous avons eu la chance de pouvoir faire un déplacement vendredi dernier. Vous avez su exprimer ce que nous avons vu sur le terrain.
L'articulation entre l'Éducation nationale et le ministère de l'agriculture nous semble un frein et je note votre proposition de créer un « dasea ». En tant que rapporteure pour avis du budget de l'enseignement agricole, j'ai ressenti la même chose. Le ministre de l'éducation nationale ne parlait pas de l'enseignement agricole dans sa présentation, alors que nos amendements ont pour l'essentiel porté sur l'enseignement agricole. Il n'a levé aucun gage lors de leur examen en raison de cette dichotomie.
L'enseignement agricole représente une très faible part du budget de l'Éducation nationale et un petit nombre d'élèves. En revanche, 40 % du budget du ministère de l'agriculture et de l'alimentation sont affectés à l'enseignement agricole. Jusqu'à présent, nos intervenants essayaient plutôt de nous convaincre que l'enseignement agricole et l'Éducation nationale étaient complémentaires. Or, sur le terrain, c'est plutôt la concurrence qui ressort. En fait, cela dépend complètement des éco-systèmes, des bassins, de la mise en place de l'intelligence collective... Nous devons creuser des propositions sur ce sujet.
Concernant l'orientation, nous en arrivons à la conclusion qu'il faudrait rendre obligatoire des présentations sur l'enseignement agricole. Tous les jeunes que nous avons rencontrés ont regretté qu'on ne leur en ait pas parlé. En fait, on n'a pas su leur en parler. Comment leur en parler ainsi qu'à leur famille ?
Le camion « L'aventure du vivant » représente un gros investissement -10 millions d'euros- mais il est à l'arrêt à cause de la crise sanitaire. On voit bien ici les enjeux du numérique. Les professeurs ont du mal à se mettre au numérique, à communiquer via le numérique et réaliser des capsules vidéo. Or c'est comme ça que cela marche auprès des jeunes aujourd'hui. L'enseignement agricole n'est pas présent sur les réseaux sociaux. Il faut en parler dans vos établissements. Comment travaillez-vous avec ces nouveaux outils ?
Par ailleurs, comment la profession agricole intervient-elle sur les orientations pédagogiques pour répondre aux enjeux de demain : la transition écologique, le réchauffement climatique ?... Pouvez-vous nous en donner des exemples ? Enfin, nous avons rencontré des jeunes déçus ou « déchus » des études vétérinaires et qui sont très heureux d'avoir découvert la filière d'ingénieur agronome, mais qui regrettaient de ne pas avoir eu d'informations sur ces formations auparavant.
Votre propos a été très précis mais j'ai quelques questions complémentaires. Concernant l'attractivité de l'enseignement agricole, nous avons des classes surchargées dans l'enseignement général. Ne faut-il pas travailler avec l'Éducation nationale pour orienter des élèves vers l'enseignement agricole où l'on enregistre un déficit d'élèves ? Suite à la réforme du Bac, vous bénéficiez de peu de nouvelles spécialités : trois sur treize. Quelles options vous paraît-il urgent et pertinent d'ajouter dans vos établissements pour améliorer leur attractivité ?
Le « camion du vivant » est à l'arrêt. La communication est pilotée de manière nationale. Or, le recrutement ne se fait pas à cette échelle mais au niveau régional ou départemental. Est-ce alors le bon outil pour recruter les futurs élèves ? Par ailleurs, certains établissements ont mis en avant un nom qui n'a rien à voir avec le lycée agricole, comme « campus agro » ou « lycée nature ». Le terme « agricole » est-il pertinent pour communiquer et rendre cette formation attractive, car il peut apparaître réducteur au regard des formations que vous proposez ?
Pouvez-vous nous éclairer sur les enjeux concernant les personnels pendant la crise de la covid ? Le personnel des établissements possède différents statuts et le directeur d'établissement ne gère pas tous les temps de travail. Avez-vous rencontré des difficultés, certains ont-ils reçu des primes et d'autres pas, en fonction de leur statut ?
La région des Pays de la Loire a beaucoup agi pour développer l'apprentissage et la formation professionnelle. Vos dotations en informatique sont souvent dépendantes des conseils régionaux. Les établissements sont satisfaits de leur dotation dans notre région. Est-ce le cas partout, et si tel n'est pas le cas, que faudrait-il faire pour améliorer la situation ?
Je vous transmets une question de notre collègue Olivier Jacquin, qui souhaite connaître vos propositions pour mieux réguler l'offre de formation.
Le Sénat est très attentif à l'enseignement agricole, et lors des dernières discussions budgétaires, il a fait de gros efforts pour augmenter son budget. J'ai bien perçu vos difficultés, et plus généralement celles de l'enseignement technique.
J'ai en mémoire les discussions anciennes avec l'Éducation nationale où, quand on parlait de l'enseignement agricole et en particulier des MFR, les jeunes semblaient condamnés au chômage à brève échéance ! Nous sommes dans cet état d'esprit et, sans dramatiser la situation, vous avez des handicaps, en particulier en matière d'orientation. Celui qui oriente est celui qui passe avant vous. L'orientation est désormais une compétence du conseil régional : c'est un avantage pour vous et un travail doit être mené de ce côté-là. Si les régions sont à l'écoute, vous aurez toujours une culture de l'Éducation nationale qui ne vous sera pas favorable.
Concernant les handicaps au niveau de la formation, considérez-vous que l'enseignement technique public met en place des diplômes qui viennent concurrencer des formations assurées par des établissements d'enseignement agricole supérieur, la réforme de la formation ayant amené les lycées techniques à innover en matière de diplômes ? Enfin, disposez-vous du soutien de la profession agricole pour l'acquisition de terres dont vous pourriez avoir besoin ?
La profession agricole soutient bien entendu l'enseignement agricole et nous sommes là pour accompagner la nouvelle génération d'agriculteurs. Malgré tout, les agriculteurs ont également besoin de surface. Pour qu'un établissement acquière des terres, il faudrait que ce soit un projet commun et partagé car la priorité reste l'installation de jeunes agriculteurs. Les établissements agricoles ont pour mission d'installer des jeunes et pas seulement de leur permettre de reprendre des exploitations existantes. Les agriculteurs locaux lorgnent sur les 260 hectares dont dispose mon établissement. Il y a parfois des bagarres mais il faut être cohérent. Nous formons pour la profession agricole. Il serait illégitime pour un établissement de récupérer de nouvelles surfaces, sauf si un projet précis permet de le faire, en accord avec la profession. On a tendance aujourd'hui à artificialiser des sols, à perdre des surfaces utiles pour l'agriculture. Il serait dès lors contreproductif et pas souhaitable de jouer à ce jeu-là ! Ces projets en commun doivent se travailler.
Comment un président de conseil d'administration intervient-il sur les décisions relatives à la carte des formations ou d'autres sujets concernant l'EPLE ? La présidence du conseil d'administration de l'établissement est différente de sa direction : le président ne dirige pas l'établissement. On est vraiment dans un binôme. À certains endroits, on préfère avoir un élu régional à la présidence du conseil d'administration, plutôt qu'un professionnel. La présence d'un vice-président permet de multiplier les représentations des filières. Il est aussi important d'avoir une bonne représentation dans les conseils de centre. Au-delà de l'apprentissage, il y a aussi toutes les formations courtes. Le conseil d'administration, comme le conseil de centre, ne doit pas être seulement une chambre d'enregistrement, mais bien un lieu de discussion stratégique.
Dans les conseils d'administration des établissements, le président est souvent un élu régional, compte tenu des compétences des régions, mais pas toujours. En revanche, tous les organismes agricoles sont présents dans les conseils d'administration et ont donc voix au chapitre.
Tout à fait. Cette représentation est importante et même indispensable car c'est là que nous travaillons en amont sur les projets stratégiques de l'établissement. Cette relation doit être forte et construite.
Les représentants de la profession au sein des conseils d'administration sont-ils uniquement issus du syndicat majoritaire du département ?
Absolument pas. C'est contraire à l'éthique que nous portons dans nos établissements. Après, tout dépend comment les organisations professionnelles sont implantées sur le territoire. Notre établissement est ouvert à toutes les approches.
Je reviens sur la communication et l'outil numérique. Aujourd'hui, un EPLE ne peut pas se passer de compétence dédiée : un chargé de communication est incontournable mais cela représente un coût et nous ne sommes pas tous en mesure d'en avoir un. Si on veut se faire connaître, il faut créer et valoriser des évènements qui génèrent de l'activité et alimentent l'actualité, favoriser des interactions avec le territoire, par exemple en accueillant la collecte de sang ou en participant au Sidaction, à la semaine du développement durable, aux journées du patrimoine... Nous n'avons pas tous les moyens ni les compétences pour faire cela. C'est un métier à part entière mais le personnel et les jeunes doivent être engagés dans l'action de communication : il faut un élan général et être dans le concret pour rendre les choses attractives et avoir un contenu pertinent et réaliste. Nous devons être lisibles et pour cela, nous avons besoin de compétences dans le domaine de la communication mais aussi dans celui du numérique.
Nous avons un public de jeunes et d'adultes en reconversion professionnelle. Avec la crise du covid, les choses évoluent. Quelles sont vos relations avec Pôle Emploi ? Les personnels des centres d'information et d'orientation (CIO) ne connaissent pas les métiers et rencontrent des difficultés pour en parler, même avec des supports très bien faits par l'Onisep. Qu'en est-il de Pôle Emploi ? Quels sont vos contacts avec eux ?
Parmi les personnes à activer pour se faire connaître, il n'y a pas que les organismes d'orientation du lycée : les missions locales et Pôle Emploi sont également incontournables, de même que les services de formation de la Chambre d'agriculture. Tous doivent être mobilisés car il y a de l'agriculture partout, même à Paris avec le développement de l'agriculture urbaine. Ce sont tous des acteurs majeurs et on a besoin de chacun. Je trouve que ça bouge. Nous pouvons aider le public de jeunes décrocheurs en quête de sens, de projets.
Les migrants peuvent aussi permettre de répondre aux besoins de la profession. On sait que certaines formations peinent à recruter, comme l'agroalimentaire ou l'horticulture. Nous avons des personnes qui arrivent sur notre territoire, qui parlent souvent mal le français, qui ont parfois un certain niveau dans leur pays d'origine. Comment les valoriser et les intégrer dans le système, en leur donnant des compétences nouvelles ? Nous sommes prêts à investir dans ce domaine, dans des champs nouveaux pour intégrer de nouveaux acteurs et ouvrir plus largement notre champ d'enseignement. Cela me paraît indispensable.
La crise de la covid-19 nous a fait faire un bond en avant en termes de maîtrise du numérique. La solidarité au sein des équipes s'est développée afin de conserver le lien avec les jeunes. Tous les personnels ont accompli un gros effort. Nous repartons vers un enseignement à distance mais nous ne sommes pas du tout dans la même situation que l'année dernière. Nous avons eu un rapprochement et un apprentissage réciproque entre les élèves et les enseignants, au travers de l'usage de nouveaux outils et d'une complète refonte de l'approche pédagogique de la part des enseignants. Cette situation nous a obligés à prendre un virage très important. Il faut maintenant accompagner les équipes pour consolider tout cela.
J'aimerais vous entendre sur le budget. Nous nous sommes battus pour donner des moyens supplémentaires à l'enseignement agricole. Nous avons découvert à cette occasion des classements des établissements en fonction de l'urgence de l'aide à leur accorder pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire. On s'aperçoit que le privé a perçu très peu d'aides, les fonds ayant été majoritairement aiguillés vers le public. Est-ce pour compenser le chômage partiel que vous n'aviez pas pu mettre en oeuvre ? Disposez-vous d'une cartographie des établissements qui ont reçu une aide ?
Nous avons perçu des aides mais je pense que tous les établissements n'en ont pas reçues. Les lycées agricoles ont eu moins de produits et moins de dépenses. On a fait des économies sur les dépenses pédagogiques qui n'ont pas eu lieu.
L'établissement de Blanquefort, qui est le plus gros établissement de France, n'a pas reçu d'aides. J'aimerais savoir quels établissements en ont perçues.
Certains établissements ont perçu des aides, notamment du fait de l'absence de chômage partiel. Ce ne sont pas tant les lycées qui ont généré des déficits que les activités économiques qui ont été perturbées en formation continue et dans les exploitations et les ateliers. Comment faire pour compenser ces pertes sèches ? C'est ce qui a prédominé dans l'affectation des fonds. La manière dont cela a été traité, au regard de l'évolution de la situation, a conduit à une distribution au regard de critères que nous ne sommes pas en mesure de détailler.
Je travaille à la Bergerie nationale. Notre ferme pédagogique accueille habituellement 100 000 visiteurs : nous avons eu 60 000 visiteurs en moins et enregistré une perte de recettes de 400 000 euros. Nous avons perçu une aide dont je ne connais pas le montant. On ne peut pas vous répondre sur les aides accordées à l'échelon national. Certains ateliers ont jeté leur production. C'est catastrophique ! Le personnel est resté présent. Les établissements qui étaient déjà dans une situation délicate ont plongé, ceux qui disposaient d'une trésorerie, les moins nombreux, ont également souffert.
Vous évoquiez les classes surchargées dans les lycées. Le lycée agricole de Douai accueille actuellement une filière bac techno de l'Éducation nationale car le lycée d'enseignement général est plein. C'est une décision du conseil régional des Hauts-de-France qui a sollicité le lycée agricole voisin au lieu de construire de nouvelles classes. Cela reste un exemple rare.
C'est une question que nous nous posons entre nous. Quand on voit que la population à scolariser explose, pourquoi les autorités académiques ne se rapprochent-elles pas plus souvent pour résoudre ce problème ? Cela dépend aussi de la politique menée par les recteurs.
Le lycée agricole de Blanquefort est en capacité d'ouvrir une nouvelle classe de 2de, compte tenu de la demande et de la pression démographique de la Gironde, dont la population croît de 20 000 habitants tous les ans. Or la direction a peur qu'on la lui refuse pour une question de moyens. J'observe aussi la diminution de postes d'enseignants au moment même où l'on essaye de redonner de l'intérêt à cette filière. Il y a aujourd'hui une ambiguïté : d'un côté, on essaye de relancer la machine avec le camion du vivant et, de l'autre, la réalité budgétaire vous rattrape.
Dans mon département, j'ai l'exemple d'un projet de pôle éducatif dans un collège d'enseignement général et un lycée d'enseignement professionnel agricole. Il est très difficile d'éviter la verticalité de l'Éducation nationale et celle de l'enseignement agricole, très difficile de créer des passerelles.
Ce ne sont pas les chefs d'établissement qui gèrent les moyens. Nous avons une enveloppe fermée et chacun fait ce qu'il faut pour ne pas dépasser cette enveloppe au niveau national. L'enjeu est de ne pas porter préjudice aux autres.
Nous avons parlé de reconversion professionnelle pour les nouveaux publics ou des personnes inscrites à Pôle Emploi mais qu'en est-il des personnes en emploi qui ont un projet de reconversion pour aller vers une profession agricole ? Comment peuvent-elles faire financer leur formation ? Peuvent-elles recevoir une aide financière ? Il ne faut pas oublier ce public.
Ce public existe déjà. Nous l'accueillons et les personnes financent leurs études sur leurs fonds propres. C'est un vrai sujet. Le CFPPA travaille aussi pour aider chaque personne à trouver une solution financière. Le système est complexe et nous ne trouvons pas toujours de solutions. Nous mixons parfois plusieurs solutions pour accompagner les candidats qui souhaitent s'engager dans une reconversion. Nous essayons de traiter toutes les demandes ! Ce sont les méandres du financement de la formation professionnelle continue.
Je vous remercie pour votre présence et ces échanges.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 14 h 50.