Intervention de Patrick Kanner

Réunion du 4 mai 2021 à 14h30
Avenir institutionnel politique et économique de la nouvelle-calédonie — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Photo de Patrick KannerPatrick Kanner :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons déjà eu l’occasion de débattre du devenir de la Nouvelle-Calédonie dans des circonstances autrement plus dramatiques. Nous pouvons nous féliciter de ce que ce débat se déroule aujourd’hui dans un contexte de paix civile.

Il constitue l’occasion – j’en remercie le groupe LR – d’évoquer le passé, mais surtout l’avenir, à l’aube du troisième référendum sur l’indépendance.

Le passé, c’est la colonisation, qui a entraîné un traumatisme durable pour la population d’origine. C’est une histoire qui a vu les Kanaks devenir minoritaires dans leur propre pays. La Nouvelle-Calédonie charrie encore la mémoire de révoltes écrasées dans le sang et de luttes, parfois instrumentalisées, entre les tribus.

Malgré ces souffrances indicibles, les Kanaks ont accepté de reconnaître que les femmes et les hommes qui se sont installés en Nouvelle-Calédonie, qui ont contribué à son développement et à l’effort collectif, ont sans nul doute vocation à participer à la détermination d’un destin commun.

C’est ce constat qui figure dans le préambule de l’accord de Nouméa de 1998, accord dans lequel nous nous inscrivons : « Ni nous sans vous, ni vous sans nous »… Dans le prolongement et la fidélité aux accords de Matignon de 1988, nous sommes tous là dans le même bateau.

Ces accords ont durablement instauré un esprit de dialogue entre les signataires. On a beaucoup parlé à l’époque de « miracle » à leur propos, mais ils sont surtout le résultat de la générosité, de l’intelligence, de la détermination d’hommes et de femmes dans un contexte où la violence avait atteint son paroxysme lors de la prise d’otages d’Ouvéa et de son issue sanglante.

Ce fut l’honneur des gouvernements Rocard et Jospin, mais aussi de Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, ainsi que de celles et ceux qui s’inscrivirent dans leur sillage, d’avoir su entendre les revendications du peuple kanak et les doutes des autres composantes de la société calédonienne. Ils ont prouvé que l’État n’est pas seulement autoritaire et répressif, mais qu’il joue d’abord un rôle de pacification.

Tout ce qui a été entrepris depuis en Nouvelle-Calédonie repose sur un idéal de tolérance et de respect de l’autre, qui permet d’envisager le passage d’un destin communautaire et parcellaire à la construction d’un destin commun et partagé. Il s’agit maintenant de rester fidèle à ces principes, de garantir le maintien des conditions de la concorde et de la paix.

Mais l’accord de Nouméa est temporaire. C’est ainsi qu’il a été voulu.

L’avenir, c’est le choix des liens nouveaux entre la Nouvelle-Calédonie et la République française.

La perspective de l’ultime référendum durcit les relations entre les forces politiques. Quel qu’en soit le résultat – nous savons d’ores et déjà qu’il sera serré –, l’État ne pourra pas se dérober.

Il nous revient d’appréhender les conséquences concrètes de tous les scénarios. L’État, sans se départir de son impartialité, laquelle est d’ailleurs garantie par les accords de Matignon, doit s’engager sur la Nouvelle-Calédonie d’après.

Ce qui doit primer, c’est d’avoir un processus, un cheminement, qui puisse rassembler. L’État devra proposer une solution, il devra dire comment il accompagnera la Nouvelle-Calédonie dans les voies qu’elle pourra choisir.

Aujourd’hui, monsieur le ministre, la voix du Gouvernement doit être plus ferme.

Dans ce cadre, nous ne partageons pas ce que suggère notre collègue Pierre Frogier, lui qui fut pourtant l’homme des deux drapeaux côte à côte. Comment peut-il raisonnablement penser que la solution soit le « chacun chez soi », un drapeau au Nord, un autre au Sud. La différenciation politique qu’il propose rime avec confédération.

Monsieur Frogier, puisque les résultats électoraux confirment scrutin après scrutin que la Nouvelle-Calédonie est une addition de particularismes géographiques et ethniques, vous pourriez nous dire : « Respectons ces différences et organisons la partition politique ! »

Ce que vous suggérez n’est rien d’autre qu’une partition territoriale à laquelle nous ne pouvons pas adhérer.

Cette idée de provincialisation consiste en réalité à accroître les prérogatives des provinces. Ce qui est présenté comme une décentralisation est en fait une division stricte du territoire avec des fortunes économiques particulièrement déséquilibrées.

Un tel projet est insoutenable, impraticable. Il aiguisera inexorablement l’acrimonie entre les deux camps.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain n’a aucune certitude, mais il a des convictions. Il se pose en garant de l’esprit de Nouméa, en refusant fermement la partition et en rappelant que l’héritage Rocard-Jospin est celui d’hommes et de femmes qui ont compris que tout était à redouter si chacun persistait à s’isoler.

Faisons place, mes chers collègues, à une nouvelle imagination. Pourquoi ne pas imaginer une solution de dialogue et de compromis, qui pourrait être acceptable en préconisant la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie dans le cadre d’un partenariat institutionnel avec la France ?

Elle impliquerait l’inscription d’un partenariat dans les constitutions respectives de chaque pays. Il s’agit en quelque sorte d’une formule d’États associés, qui a déjà fait ses preuves ailleurs dans le monde.

L’État est un arbitre, mais aussi un partenaire : un arbitre, parce qu’il doit veiller à l’application des engagements pris ; un partenaire, parce qu’il ne peut pas rester spectateur indifférent, et qu’il doit accompagner.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je laisserai le dernier mot à Jean-Marie Tjibaou, homme de paix, qui déclarait tranquillement : « L’indépendance, c’est la faculté de choisir ses interdépendances. » Cette phrase pourrait devenir prophétique.

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