Intervention de Julien Denormandie

Réunion du 4 mai 2021 à 21h30
Enjeux nationaux et internationaux de la future pac — Débat organisé à la demande du groupe socialiste écologiste et républicain.

Julien Denormandie :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat d’aujourd’hui porte sur une politique absolument structurante en matière de souveraineté, de territoires, de développement économique et d’environnement : la politique agricole commune.

Je voudrais d’abord rappeler le contexte européen dans lequel se situe cette PAC. La première proposition de budget faite par la Commission européenne n’était absolument pas acceptable pour la France. Sur l’initiative de la France, nous avons réussi à revenir sur cette proposition d’octobre 2018 pour faire en sorte que le budget de la politique agricole commune soit, en euros courants, peu ou prou le même que celui de la PAC actuelle.

Je vous laisse imaginer la teneur des débats que nous aurions eus ce soir si nous n’avions pas réussi à faire revenir la Commission sur son premier jet ! Nous aurions débattu d’une PAC dont le budget aurait été, en fonction des dispositifs dont elle est constituée, en diminution de 5 % à 15 %.

La seconde étape a été, à l’automne dernier, le Conseil européen des ministres de l’agriculture, qui nous a permis d’élaborer le cadre politique de cette PAC avec, notamment, un élément très important : les fameux écorégimes. Ceux-ci doivent s’appliquer à tous les États membres, sans exception, sans dérogation, pour faire, enfin, de cette convergence dans les normes et les standards agroenvironnementaux une réalité, y compris au sein du marché commun.

Nous avons obtenu gain de cause, reste maintenant à établir le plan stratégique national. Vous l’avez dit, monsieur le sénateur, il faut absolument veiller à ce que ces PSN ne créent pas à cette aune des distorsions de concurrence, mais soient bien tous conformes au cap de la PAC.

Les négociations au niveau européen sont toujours en cours, ce qui complexifie le débat. Le trilogue n’est pas encore finalisé. On ne sait pas, par exemple, si l’écorégime s’appliquera à 20 %, à 25 % ou à 30 % du premier pilier. Il nous faut faire avec ! Le trilogue se terminera probablement d’ici à la fin du mois de mai ou au début du mois de juin, en tout cas sous la présidence portugaise.

Quelques avancées ont cependant déjà été actées, dont l’une me tenait particulièrement à cœur et sur laquelle nous nous sommes beaucoup battus : l’inclusion du droit à l’erreur au sein des fondamentaux de la PAC. À mon sens, c’est essentiel. Combien d’entre vous ont déjà alerté le ministre que je suis ou mes prédécesseurs en évoquant un rappel non justifié des paiements de la PAC ? Ce point est résolu puisque nous avons obtenu gain de cause sur l’inclusion du droit à l’erreur.

Un autre exemple est la prolongation des autorisations de plantations viticoles de 2030 à 2045. Les grands défenseurs des territoires viticoles que vous êtes savent à quel point il s’agissait d’une demande importante du secteur.

D’autres questions sont encore sur la table : l’écorégime, la conditionnalité d’un certain nombre de règles, la rotation des cultures – un sujet sur lequel nous nous battons aussi –, l’organisation commune des marchés, c’est-à-dire des mécanismes permettant de soutenir le secteur en cas de crise, comme l’épisode dramatique de gel de ces dernières semaines.

Notre agenda consiste à finaliser ce PSN d’ici à cet été, puis à mener les évaluations environnementales requises afin d’être en mesure de solliciter l’approbation définitive de la Commission avant la fin de l’année. Nous avons déjà franchi beaucoup d’étapes pour parvenir à ce résultat.

Nous nous sommes tout d’abord livrés à un exercice de diagnostic avec l’ensemble des filières.

Nous avons ensuite mené une consultation sous la forme d’un débat public, ainsi que la loi l’exige. La très forte participation des citoyens à cet exercice nous a permis de recueillir plus de 1 083 recommandations. Nous avons rendu les conclusions de cette consultation au mois d’avril dernier.

Enfin, nous nous livrons à un exercice de concertation et de consultation de l’ensemble des filières, des organisations civiles, notamment les ONG, mais aussi – c’est très important – des régions car, comme vous le savez, la loi portant diverses dispositions d’adaptation du droit national au droit de l’Union européenne, dite Ddadue, que le Sénat a adoptée, prévoit le transfert aux régions d’une partie du deuxième pilier, notamment les aides non surfaciques telles que l’aide à l’installation des jeunes agriculteurs. Toutes ces concertations sont en cours et leur calendrier se resserre.

Au-delà de ces différents éléments de contexte, permettez-moi de préciser la vision que je souhaite porter au travers de ce PSN. Celle-ci s’articule autour de quatre axes primordiaux sur lesquels nous reviendrons en détail dans le cadre du débat interactif.

Le premier axe est celui de la compétitivité.

La PAC doit permettre de garantir le revenu des agriculteurs au travers de mesures de soutien direct. Cela nécessite une certaine stabilité dans la politique menée et suppose, par exemple, de ne plus opérer de gros transferts tels que ceux décidés dans le cadre des deux précédentes PAC. Ces transferts avaient notamment conduit, monsieur le sénateur Redon-Sarrazy, à une diminution très significative des paiements de base dans les zones intermédiaires. Si certains s’en sont réjouis, d’autres, notamment dans les zones intermédiaires, en ont subi les conséquences. J’estime pour ma part qu’une forme de stabilité est nécessaire pour préserver les territoires, les cultures et les filières végétales et animales.

Le deuxième axe est la souveraineté alimentaire. Cela passe par la production de protéines, mais aussi par la structuration au sein des filières et par un certain nombre de revues visant notamment – nous y reviendrons – à calculer les aides couplées en fonction des unités de gros bétail (UGB) ; nous en discutons avec la filière.

Assurer la souveraineté alimentaire suppose également – il ne faut jamais l’oublier – d’agir sur d’autres leviers que la PAC. Je pense notamment à la loi Égalim, dont nous avons longuement débattu dans cette haute assemblée, mais aussi au nouveau projet de loi qui sera examiné dès le mois de juin à l’Assemblée nationale puis au Sénat.

Le troisième axe est la transition agroécologique. Il faut que les écorégimes soient corrigés de manière à devenir inclusifs. Pour ma part, j’estime qu’il est très important que les écorégimes soient appliqués par tous les États membres et qu’ils soient inclusifs, de sorte que nos cultures n’en soient pas exclues mais qu’elles soient au contraire accompagnées dans cette transition.

Le quatrième axe est la prise en compte des spécificités des territoires, notamment de montagne, et des zones intermédiaires.

Au-delà de ces quatre axes stratégiques, je tiens à rappeler qu’il ne s’agit pas d’un débat budgétaire. Celui-ci a déjà eu lieu, et la France – je vous remercie de l’avoir rappelé, monsieur le sénateur Tissot – a obtenu gain de cause.

Il s’agit aujourd’hui de répartir cette enveloppe financière au sein des différentes productions et des différents territoires. Nous ne pouvons donc renforcer tel secteur qu’en opérant de facto un transfert au détriment d’un autre. Nous devons être conscients que chaque « plus » que nous allouons à un budget suppose d’en grever un autre d’un « moins ». L’exercice n’en est évidemment que plus complexe.

Pour conclure, je souhaite insister sur deux derniers points.

En dehors du PSN, nous devons continuer à avancer sur le sujet de la rémunération des agriculteurs dans le cadre de la revue de la loi Égalim. Celle-ci a permis des avancées, mais il faut aller plus loin.

Par ailleurs, je suis intimement convaincu – cette conviction est largement partagée sur les travées de cet hémicycle – qu’il faut absolument aller plus loin dans ce qu’on appelle les « clauses miroirs ». Alors que la transition agroécologique s’accélère au sein du marché commun où l’écorégime devient un standard – et c’est très bien ainsi –, nous devons absolument sortir d’une forme d’hypocrisie et arrêter d’importer des produits qui ne respectent pas les standards imposés par l’Union européenne elle-même.

Cela nécessite un travail à l’échelon européen – je le mènerai dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne – mais aussi à l’échelon international, notamment avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui édicte les règles du commerce international. C’est un point absolument essentiel dont je souhaite faire un marqueur fort de mon action.

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