Intervention de Jean-François Rapin

Réunion du 5 mai 2021 à 15h00
Réponse européenne à la pandémie de covid-19 — Débat organisé à la demande de la commission des affaires européennes

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, plus d’un après son déclenchement, le monde se débat toujours avec l’épidémie de covid-19.

Depuis décembre 2019, le coronavirus a frappé 150 millions de personnes et fait 30 millions de morts, dont un tiers d’Européens. Même si c’est l’Asie qu’il submerge aujourd’hui, il circule encore très activement en Europe, et nous déplorons encore chaque jour trop de victimes.

Le premier outil de prophylaxie étant de limiter les contacts sociaux, la réponse publique à la pandémie a principalement pris la forme de restrictions de liberté, qui ont eu des conséquences de tous ordres, sur l’État de droit et sur notre mode de vie, mais aussi sur l’économie et la croissance et sur la situation sanitaire et sociale.

Inédite dans la brève histoire de l’Union européenne, cette pandémie la bouleverse. En remettant en cause la liberté de circulation, elle porte atteinte au cœur même du projet européen.

Au vu de la progression de l’épidémie, la présidence croate du Conseil a, dès la fin du mois de janvier 2020, activé le dispositif intégré de l’Union européenne pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise. Le 6 mars 2020, les États membres de l’Union s’engageaient à apporter une réponse coordonnée à cette crise d’envergure mondiale.

La commission des affaires européennes du Sénat en a assuré un suivi attentif. Elle a souhaité que le Sénat puisse en débattre aujourd’hui, au-delà des polémiques vaccinales.

Cette crise, comme toutes les autres, mais peut-être plus que les autres, par son impact tous azimuts, agit comme un révélateur ou comme un accélérateur des transformations de l’Union européenne. Par la réponse qu’elle y apporte, l’Union démontre son potentiel, mais aussi ses limites.

Tout d’abord, elle a révélé sa dépendance, qui souligne, en creux, l’enjeu de l’autonomie. La pénurie de masques et de matériel médical en a apporté une preuve flagrante. L’incapacité européenne à produire seule des vaccins l’a ensuite confirmé.

En mettant au jour la vulnérabilité de l’Union, la pandémie a ouvert les yeux sur les impératifs de résilience et d’autonomie stratégique. Leur portée reste débattue, certains s’inquiétant d’un protectionnisme déguisé ou d’un découplement d’avec l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord), mais ces impératifs figurent désormais dans les conclusions du Conseil européen et dans les propositions de la Commission européenne.

Ce ne sont pas que des mots : des actions sont aussi menées à la faveur de cette prise de conscience. En décembre dernier, la Commission a ainsi proposé plusieurs textes pour renforcer la régulation des marchés et services numériques et retrouver une souveraineté dans ce domaine.

Une ambition industrielle plus large se dessine, afin de doter l’Union de ses propres normes et capacités de production, non seulement en santé, mais aussi dans quatorze écosystèmes industriels ciblés.

Même si sa publication a été deux fois reportée, trahissant des tiraillements internes, une mise à jour de la stratégie industrielle européenne est imminente : il s’agit de remédier aux dépendances stratégiques à l’égard de pays tiers, soit en relocalisant certaines productions, soit, à défaut, en sécurisant et diversifiant nos approvisionnements.

Un mécanisme permettant à l’Europe de faire face aux pénuries de produits jugés critiques est annoncé, et le rôle des projets importants d’intérêt européen commun sera réaffirmé, y compris au bénéfice du spatial.

De même, en matière de politique commerciale, la récente communication de la Commission européenne, publiée au début du mois de mars dernier, atteste d’un changement d’approche : elle insiste sur l’objectif d’une « autonomie stratégique ouverte », qui doit permettre à l’Union de gagner en puissance dans la défense de ses intérêts commerciaux, tout en maintenant ses partenariats internationaux. Nous serons attentifs à ce que cet objectif soit décliné dans ce domaine particulièrement sensible.

Une solidarité européenne accrue est le deuxième progrès que nous devons à la pandémie. Certes, les réflexes, voire les égoïsmes nationaux, ne sont jamais loin. Ils ont commandé, surtout au début, des réactions désordonnées dans chaque État membre, par exemple des fermetures de frontières unilatérales.

L’année écoulée a toutefois apporté plusieurs preuves fortes de la solidarité qui fonde l’Union. Je pense à l’entraide des soignants ou aux transferts de malades entre pays frontaliers. Je pense à la commande groupée de vaccins par la Commission européenne, qui a permis de garantir à tous les États membres un approvisionnement égal en vaccins, à proportion de leur population.

La solidarité, c’est aussi le dispositif européen de financement du chômage partiel, l’instrument SURE, ou instrument de soutien temporaire à l’atténuation des risques de chômage en situation d’urgence qui a permis aux Européens de ne pas subir de plein fouet les conséquences du choc économique lié à la pandémie – je rappelle que la croissance a enregistré une baisse de 6, 5 % pour la seule année 2020.

Je pense surtout à l’éclatante manifestation de solidarité qu’a constitué l’accord politique obtenu en juillet dernier sur un plan de relance européen d’envergure, assis sur un emprunt commun.

C’est un pas gigantesque, qui paraissait inimaginable trois mois plus tôt. Apporter un soutien européen à la relance dans tous les États membres est notre intérêt bien compris, mais cela témoigne aussi de la solidarité européenne dans l’épreuve.

Le troisième enseignement que nous pouvons tirer ensemble de la réponse européenne à la crise sanitaire est la force de frappe de l’Union, malheureusement atténuée par des pesanteurs internes.

De fait, l’Union s’est montrée capable de réagir à la crise : sans compétences en matière de santé, elle a négocié et conclu, presque aussi vite que les États-Unis, plusieurs contrats pour obtenir près de 2 milliards de vaccins. Elle a accéléré ses processus d’évaluation des vaccins et prévoit de se doter d’une agence de recherche biomédicale. Elle propose maintenant un certificat vert pour restaurer la libre circulation dans l’Union.

Certes, elle a visiblement sous-estimé le défi que la production de masse d’un vaccin représentait, notamment pour AstraZeneca.

Nous pouvons aussi regretter que, après la communication sonore sur les premiers vaccins administrés à la fin du mois de décembre, la vaccination ait tellement tardé à se déployer sur le terrain, ainsi que nous l’avons souligné en commission, monsieur le secrétaire d’État. Mais ces difficultés logistiques sont le fait des États membres, pas de l’Union.

L’Union a aussi fait la démonstration de sa force de frappe en matière économique. Depuis mars 2020, elle a progressivement assoupli le régime des aides d’État pour permettre à chaque État membre de soutenir son économie jusqu’à la fin de l’année 2021. Elle a assuré la circulation des marchandises. Elle a facilité l’accès aux fonds structurels européens. Elle a suspendu – c’est important – le pacte de stabilité et de croissance pour desserrer l’étau budgétaire. Elle a adapté son futur cadre financier pluriannuel pour y intégrer un plan de relance de 750 millions d’euros.

L’Union n’a donc pas démérité dans la réponse qu’elle a apportée à la pandémie. Pourtant, elle nous a aussi déçus. J’y reviendrai en conclusion de nos débats, car ces déceptions nourrissent des interrogations de fond sur le projet européen.

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