Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’avez rappelé, la pandémie de covid-19 a déclenché une crise inédite pour l’Europe et pour le monde. Cette crise, nous devons encore l’affronter.
Il est probablement temps de tirer les premières leçons de sa gestion européenne. À cet égard, je remercie votre commission d’avoir pris l’initiative de ce débat. Si nous ne savons sans doute pas tout ce que nous aurions pu mieux faire et tout ce que nous devrions mieux faire dans les prochaines années, essayons de tirer quelques leçons et de tracer quelques perspectives.
Cette crise a été d’autant plus difficile que son caractère imprévu nous a tous frappés. En outre, nous le savons, l’Europe, comme objet politique, n’était pas préparée, par ses compétences et ses financements, à affronter une crise sanitaire, surtout de cette ampleur.
Depuis le début de la crise, du chemin a été parcouru. Je veux revenir sur quelques aspects de cette crise multiforme, pour examiner le type de réponses que l’Union européenne a pu apporter.
Alors que nous allons fêter, le 9 mai prochain, la journée de l’Europe, j’ai en tête la célèbre réflexion de Jean Monnet : « L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises. » Je crois que cette leçon doit encore nous éclairer, au moment où nous essayons de tirer les premiers enseignements de la gestion par l’Europe de la pandémie.
Concernant la coordination européenne, il est clair que, lorsque celle-ci a surgi, puis frappé l’Europe à partir du mois de février 2020, aucun mécanisme n’existait pour affronter les différents aspects d’une crise de cette ampleur.
Je veux rappeler que c’est la France et le Président de la République en particulier qui ont pris l’initiative, le 10 mars 2020, d’une première réunion en visioconférence des chefs d’État et de gouvernement pour coordonner au maximum les différents aspects sanitaires et économiques des réponses à la crise dès les premiers jours.
Les sommets européens virtuels se sont ensuite multipliés, à une fréquence hebdomadaire, ainsi qu’un certain nombre de réunions des ministres de la santé, tout particulièrement pour essayer de partager l’information et un certain nombre de pratiques, mais aussi d’améliorer autant que nous pouvions le faire la coordination des réponses à la crise.
Je veux revenir sur les deux principaux volets qui ont appelé des réponses locales, nationales et européennes à cette pandémie.
Je commencerai par les aspects économiques, budgétaires et financiers, parce qu’ils sont éclairants. C’est dans ces domaines que l’Europe avait sans doute, au début de la crise, le plus de compétences et d’outils juridiques et financiers pour agir, et je crois pouvoir dire que, sur ce plan, elle a été au rendez-vous. Elle ne l’avait pas été – en tout cas pas suffisamment ou trop tardivement – lors de la précédente crise financière, qui avait frappé notre continent, voilà une décennie.
Elle a été cette fois plus réactive, plus ambitieuse et plus solidaire. Je ne rappellerai pas l’ensemble des étapes de cette réponse. Permettez-moi simplement de citer quelques-uns de ces jalons.
Dès le 13 mars 2020, la Banque centrale européenne, pour ce qui concerne les États de la zone euro, dont notre pays, et la Commission européenne, s’agissant des règles applicables à notre marché, ont réagi fortement.
En particulier, la présidente de la Commission – je le souligne, car on l’oublie parfois – a suspendu l’application des règles budgétaires et des règles en matière d’aide d’État, considérant, à juste titre, qu’elles n’étaient pas adaptées à la période de crise exceptionnelle que nous vivions. Cette réponse et ce pragmatisme européen ont permis le « quoi qu’il en coûte » qui s’est développé en France comme chez la plupart de nos partenaires.
Par ailleurs, si, au début, les discussions ont été difficiles sur le plan budgétaire, nous avons été au rendez-vous, ce qui démarque encore plus cette crise de la précédente.
Ainsi, il y a un an presque jour pour jour, la France, rejointe par l’Allemagne, a pris l’initiative de proposer un plan de relance solidaire, qui reposait sur une dette commune et qui était doté de 750 milliards d’euros. Nous avons acté ce plan au mois de juillet 2020, et le Parlement l’a approuvé en ratifiant la décision sur les ressources européennes au début du mois de février dernier. Nous espérons bien le mettre enfin en œuvre à partir de cet été. Il est temps !
Nous reviendrons peut-être sur d’autres sujets économiques, en particulier sur le volet industriel, mais je veux maintenant évoquer la réponse sanitaire, puisque cette crise est évidemment d’abord une crise de la santé.
Il est vrai que, dans ce domaine, le bilan est, disons-le franchement, moins favorable. Cependant, je veux rappeler un certain nombre d’éléments très concrets que nous avons parfois tendance à oublier ou à sous-estimer.
Tout d’abord, une véritable solidarité européenne s’est manifestée dès le début de la crise. De fait, l’Europe, ce n’est pas seulement l’Union européenne et ses institutions.
Je vous rappelle ainsi que, lorsque la France a connu, en particulier dans le Grand Est, une situation sanitaire extrêmement tendue et une situation hospitalière extrêmement difficile, nous avons procédé à des transferts de patients d’une région à l’autre. Près d’un tiers de ces transferts a été mis en œuvre depuis la France vers d’autres pays européens, qui ont offert des capacités d’accueil et, parfois, quelques lits. Je le dis, cette solidarité européenne a sauvé des vies.
Il y a aussi eu, dès la fin de la première vague, une vraie réaction européenne pour combler un certain nombre de lacunes. En effet, peu de choses existaient en matière sanitaire.
Je pense, parmi d’autres initiatives concrètes, à la mise en œuvre – enfin ! – d’une réserve sanitaire, laquelle a permis, lorsque la deuxième et la troisième vague de la pandémie ont touché notre continent, une solidarité beaucoup plus concrète et rapide en matière d’équipements médicaux – blouses, gants, kits, tests, respirateurs… Ces derniers, on le dit trop peu, ont bénéficié à de nombreux pays européens, y compris au nôtre : la France a ainsi pu se procurer les gants dont elle avait besoin à l’automne dernier, grâce à cette réserve commune européenne.
Je veux évidemment insister, puisque nous parlons de santé, sur la question des vaccins. Sur ce sujet d’actualité, le rôle de l’Europe est souvent mis en cause.
L’impatience de nos concitoyens et, parfois, leur ras-le-bol, si vous me passez l’expression, sont parfaitement compréhensibles. Ce sentiment n’est pas spécifique à la France : il traverse, après ces longs mois difficiles, l’ensemble de notre continent.
Il faut remonter non pas au début de la campagne de vaccination, mais à des périodes antérieures, souvent d’ailleurs ancrées dans un long passé, où l’Europe n’a pas assez financé notre industrie et notre innovation, y compris probablement au tout début de la phase de développement des vaccins, alors que nos partenaires américains, ou même britanniques, ont parfois eu plus d’ambition à cet égard.
Quoi qu’il en soit, n’oublions pas que, s’il n’y avait pas eu ce cadre européen d’achat des vaccins, aucune de ces difficultés n’aurait été résolue de manière plus efficace et plus rapide.
N’oublions pas non plus que, si nous n’avions pas fait le choix de l’achat commun, pour le dire de manière technocratique, ou le choix de la solidarité, pour le dire de manière plus ambitieuse, de nombreux pays européens n’auraient sans doute pas accès aux doses de vaccin aujourd’hui. Nous le verrons de plus en plus lors des prochaines semaines.
Je ne saurais dire quelle serait la situation de la France à cet égard, mais il est certain que nous aurions à nos portes des pays dans une situation sanitaire plus difficile encore, des « usines à variants » à quelques kilomètres de nos frontières. Cela ne serait acceptable ni en termes d’image, de valeurs et de solidarité, ni même en termes d’intérêt sanitaire direct.