Intervention de Ronan Dantec

Réunion du 5 mai 2021 à 15h00
Contrat de relance et de transition écologique crte ne pas confondre vitesse et précipitation — Débat organisé à la demande du groupe écologiste – solidarité et territoires

Photo de Ronan DantecRonan Dantec :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il m’est arrivé d’être critique sur les dispositifs proposés par l’État pour mobiliser les territoires sur la voie d’une réelle transition écologique.

J’ai ainsi pu avoir la dent dure sur cette manie qu’ont les ministres et les gouvernements d’inventer en permanence de nouveaux dispositifs.

Au cours des cinq dernières années, nous avons ainsi d’abord connu les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), mis en place par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, lesquels ont aussitôt été occultés par les appels à projets des TEPCV, les territoires à énergie positive pour la croissance verte promus par Ségolène Royal. Quelques mois plus tard arrivaient les CTE, les contrats de transition écologique, chers à Sébastien Lecornu, qui devaient se transformer, avant même d’être généralisés, en CRTE, les nouveaux contrats de relance et de transition écologique, défendus par le trio que forment Jean Castex, Jacqueline Gourault et Barbara Pompili. Reconnaissons que cet empilement ne facilite guère l’action territoriale, qui a besoin de cadres clairs, lisibles et stables pour se déployer !

Ce préambule étant fait, cette insécurité entretenue de l’action territoriale ayant été dénoncée, je me permettrai de brouiller quelque peu mon image de grognon en déclarant – devant témoins, madame la ministre ! – que parmi les dispositifs que j’ai énumérés, le CRTE, réellement complémentaire du PCAET, est sans nul doute le plus prometteur et le plus cohérent.

Madame la ministre, l’objet de notre débat cet après-midi est donc non pas de clouer au pilori le CRTE, mais au contraire de lui permettre de répondre au défi central de la déclinaison territoriale de la transition écologique, sans laquelle nous ne pouvons tenir aucun de nos grands objectifs environnementaux.

Il faut en effet rappeler une nouvelle fois que ces enjeux, notamment climatiques, sont tous liés à notre vie quotidienne, à notre manière de nous déplacer, de nous loger et de manger. Or ce sont d’abord les décisions des élus locaux qui permettent de modifier la vie quotidienne de nos concitoyens.

En cherchant à construire un contrat unique avec les territoires, à l’échelle des EPCI, l’État s’engage à plus de clarté sur les financements qu’il leur apporte et propose de les adosser à un réel projet de territoire intégrant explicitement la transition écologique. C’est l’occasion pour les élus de construire, avec les acteurs de leurs territoires, de véritables projets partagés à l’échelle de l’intercommunalité, échelle qui souffre encore bien souvent d’un réel déficit de fonctionnement démocratique. Il n’y a rien à ajouter au courrier que j’ai récemment reçu de Barbara Pompili, qui évoque « un contrat unique ayant vocation à mobiliser les acteurs d’un territoire autour d’un projet de relance écologique à court, moyen et long termes, dans une approche intégrée de l’ensemble des politiques publiques ».

Mais – évidemment, il y a un « mais » ! – une telle ambition nécessite un projet de territoire robuste et partagé. Or l’État, dans sa volonté de relancer rapidement l’économie, a fixé un délai bien trop court pour la conclusion des CRTE. C’est en effet au 30 juin prochain que doivent être signés ces contrats par toutes les intercommunalités de France, c’est-à-dire moins d’un an après l’entrée en fonctions des nouvelles équipes communautaires, qui ont bien souvent appris à se connaître par visioconférence.

Il est donc impossible dans un délai aussi court de totalement assimiler les plans précédents et a fortiori d’actualiser ou de redéfinir avec les acteurs du territoire, eux aussi derrière leurs écrans, un nouveau projet correspondant au programme des nouvelles majorités municipales.

Les élus des territoires sont donc très nombreux à nous alerter sur l’impossibilité dans laquelle ils se trouvent de proposer à l’État des projets finançables entrant dans cette belle logique intégratrice que vantent les circulaires du Gouvernement. Au mieux, ils définiront en urgence de nouveaux projets correspondant peu ou prou aux attentes de l’État, mais nous savons bien qu’ils recycleront en général des projets plus anciens, des dossiers sans lien avec une quelconque transition, mais déjà ficelés dans les tiroirs.

Nous sommes très nombreux à être aujourd’hui interpellés par des élus qui ne comprennent pas cette précipitation : ils sont intéressés par la démarche, mais incapables de répondre à son ambition.

Pour préparer ce débat, j’ai envoyé un questionnaire aux communes et aux présidents d’EPCI de Loire-Atlantique, mon département. Ils ont été plusieurs dizaines à y répondre. Plus des deux tiers d’entre eux nous ont indiqué que, en avril, à deux mois de la conclusion des CRTE, ils n’avaient pas encore engagé de réflexion sur le sujet. Un nombre très important de ces maires nous a même écrit n’avoir découvert que grâce à ce questionnaire l’existence d’un comité de pilotage chargé de l’élaboration du CRTE, voire celle du CRTE et des opportunités qu’il offre.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a donc voulu à travers ce débat, madame la ministre, vous alerter sur ce calendrier intenable et vous proposer de décaler clairement les signatures des CRTE d’au moins six mois, ce qui permettrait de les rendre plus robustes et pertinents.

Selon nous, le risque est en effet de perdre par précipitation l’intérêt même du CRTE. Certes, nous savons qu’il sera évolutif, mais si le cadre de départ est mauvais et qu’il apparaît plus comme un passage administratif obligé que comme une ambition nouvelle, le pli sera pris et il sera bien difficile de revenir dessus. C’est déjà le cas dans certains EPCI, qui s’affranchissent de tout débat avec l’ensemble des maires de leur territoire et discutent directement avec les préfectures.

Si j’étais taquin, ce que je ne suis pas toujours, je rappellerais aussi que, dans sa circulaire du 20 novembre dernier, le Premier ministre indiquait que le CRTE devrait prendre en compte la loi Climat et résilience. Or il n’aura échappé à personne qu’elle n’aura pas encore été adoptée le 30 juin prochain.

Il faut que l’État, par les signaux qu’il envoie, montre son attachement à la mobilisation des territoires sur l’enjeu climatique. Cela passe par la valorisation des démarches de PCAET aujourd’hui engagées – c’est un succès ! – dans la quasi-totalité des EPCI.

Le Sénat garde en mémoire, de façon un peu douloureuse, le refus du Gouvernement de le suivre, malgré un vote quasi unanime dans cet hémicycle lors de l’examen des derniers projets de loi de finances, sur l’affectation d’une part de la contribution climat-énergie à la mise en œuvre des PCAET ; nous en avons souvent discuté ici. Le CRTE et ses financements peuvent contribuer à remédier à cette difficulté, à la condition de se placer dans ce cadre cohérent.

Parmi les inquiétudes qui me sont remontées par le biais du questionnaire très succinct que j’ai adressé aux maires de Loire-Atlantique, la question de l’appui technique au montage de projets revient très régulièrement, un tiers des communes nous rappelant qu’elles n’ont pas répondu aux multiples appels à projets lancés dernièrement par l’État, faute de moyens d’ingénierie.

Nous disposons bien sûr aujourd’hui de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), mais il nous faut encore expliquer aux élus de quelle manière l’Agence va les aider à préparer un CRTE, lequel a vocation à intégrer les anciens appels à projets et les contrats déjà conclus.

J’en viens enfin au dernier point d’inquiétude des élus, l’après-plan de relance. Dans le cadre de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), des enveloppes fortes ont été annoncées, de l’ordre de 2, 5 milliards d’euros, au lieu des 570 millions d’euros « habituels », si je puis dire. C’est beaucoup d’argent, 1 milliard d’euros étant dévolus à la rénovation thermique. Mais quid de 2022 ? Reviendra-t-on d’un coup à 570 millions ? Dans ce cas, seuls les plus agiles et, souvent, les plus dotés en ingénierie auront été servis en 2021, ce qui pourrait se révéler assez désastreux en matière de mobilisation pour la suite. Là aussi, ne serait-il plus raisonnable de lisser les crédits du plan de relance sur un temps plus long ?

Vous le voyez, madame la ministre, les interrogations sont nombreuses ; mes collègues auront l’occasion d’en formuler d’autres encore dans leurs questions.

Je le redis, le CRTE peut être un bon dispositif ; alors, n’en gâchons pas les potentialités par une précipitation liée à un plan de relance qui ne lui est pas intrinsèquement lié !

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