Intervention de Valérie Létard

Réunion du 5 mai 2021 à 21h30
Impact de la réduction de loyer de solidarité rls sur l'activité et l'avenir du logement social — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Valérie LétardValérie Létard :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, s’il y a bien une réforme qui fait toujours autant débat depuis sa mise en œuvre il y a trois ans, c’est bien celle de la réduction de loyer de solidarité.

Nous pouvons nous satisfaire de la finalité de cette réforme, qui visait à réduire les loyers des foyers occupant un logement social et percevant de trop faibles revenus. Mais derrière cette intention plus que louable se cachent des mécanismes financiers et opérationnels que nous ne pouvons nier ou passer sous silence – les interventions de mes collègues l’ont bien montré.

Tout d’abord, l’impact sur le budget de l’État a été, somme toute, assez relatif. La RLS représente pour l’État une économie budgétaire de 800 millions d’euros en 2018 comme en 2019. Elle a rapidement été corrigée à la hausse par la clause de revoyure de 2019 : un montant annuel de 1, 3 milliard d’euros, et ce jusqu’à 2022, est désormais économisé par l’État au titre des APL, ce montant étant supporté par les bailleurs sociaux.

Ensuite, les organismes HLM doivent supporter de leur côté les effets réels de la RLS. L’impact financier est considérable sur leurs recettes. En effet, peu lisible et finalement assez complexe, la RLS a instauré une réelle pression sur les bailleurs sociaux qui la supportent, en se faisant ponctionner en net : cela représente aujourd’hui près d’un milliard d’euros, soit en moyenne 5 % des loyers. Force est de constater que ce dispositif revient à faire financer par les bailleurs sociaux une diminution de l’engagement de l’État dans les APL.

En outre, les capacités d’investissement des bailleurs sociaux sont affectées. En effet, ce sont bien les recettes, et plus particulièrement les loyers futurs, qui conditionnent leur capacité d’endettement, leur besoin en subventions ou encore le niveau des fonds propres – or ces derniers sont nécessaires pour financer les projets d’investissement. Ainsi, en prenant l’initiative de diminuer le niveau des loyers perçus, ce qui constitue une perte nette de recettes, l’État est venu contraindre les plans de financement des bailleurs.

La logique est pourtant simple : le plan de financement d’un logement neuf dépend du niveau des loyers futurs et de la capacité d’apport en fonds propres, elle-même conditionnée par les revenus perçus sur le parc de logements du bailleur déjà amorti. Par conséquent, si on veut soutenir la production de logement social, il ne faut pas amoindrir les sources de financement sur lesquelles elle repose. C’est pourtant ce qui est fait !

N’oublions pas en outre que le niveau des loyers est nécessairement incertain sur la durée d’amortissement d’un logement social, que ce soit en raison de l’évolution, imprévisible, du taux de vacance, qui est lié à la demande locale, ou encore du risque d’impayé.

N’oublions pas non plus que les ressources des bailleurs ont subi nombre d’autres mesures délétères. Je ne citerai que deux exemples : la hausse de la contribution des bailleurs à la Caisse de garantie du logement locatif social et le relèvement de 5, 5 % à 10 % du taux de TVA applicable aux opérations immobilières dans le secteur du logement social, encore en vigueur sur certaines opérations.

Toutes ces mesures sont venues comprimer la capacité d’investissement des organismes et de facto la production de logements. La RLS, qui pèse indéniablement à long terme sur l’activité du logement social, est donc apparue comme un nouveau coup de massue.

J’en veux pour preuve ce que vivent deux organismes dans le département du Nord.

Pour l’office départemental, Partenord Habitat, la réforme se traduit par une perte annuelle de 10 millions d’euros de fonds propres en loyers ponctionnés au titre de la RLS, pour un parc de 47 000 logements. Cela représente sur deux ans la rénovation thermique de 4 000 logements, au moment même où la France doit engager massivement de tels travaux, en particulier pour les logements classés F et G. Une telle perte peut évidemment être lissée, mais elle ne sera jamais rattrapée.

Pour la société immobilière Grand Hainaut (SIGH), qui est une entreprise sociale pour l’habitat (ESH) de près de 30 000 logements, la réforme s’est traduite par une perte nette de 18, 4 millions d’euros depuis 2018, l’équivalent de 440 logements neufs qui auraient pu être construits et qui ne l’ont pas été…

Je ne suis pas la seule à faire ce constat.

Dès la mise en œuvre de la RLS, la Caisse des dépôts et consignations a mis en garde contre les conséquences d’un tel dispositif. Cette crainte était partagée par la Fédération des offices publics de l’habitat, qui anticipait une diminution progressive du ratio autofinancement-loyers : elle prévoyait que celui-ci passerait de 9, 8 % en 2017 à 1, 4 % sur la période 2023-2027. L’Insee a d’ailleurs constaté une chute de l’investissement des organismes de plus de 2 milliards d’euros entre 2017 et 2019.

Enfin, la Cour des comptes s’est saisie du sujet et a rendu, dans un référé en date du 22 décembre 2020, ses premiers constats – ils ont été rappelés et ils parlent d’eux-mêmes.

Au-delà de l’impact de la RLS sur l’activité du logement social elle-même, je souhaite pointer du doigt l’effet de sa mise en œuvre pour les collectivités et l’économie locales.

Les collectivités, en particulier les agglomérations et les départements, supportent souvent une partie du risque financier pris par les offices pour construire, en leur accordant des garanties d’emprunt. Cela signifie que, en cas de défaillance des organismes, la dette pourrait être reportée sur ces collectivités. Nombre d’entre elles ont anticipé ce risque, en octroyant dans le cadre de conventions pluriannuelles un soutien financier substantiel. J’en veux pour preuve le soutien de la Métropole européenne de Lille à son office, LMH : il s’élève à 114, 4 millions d’euros sur une période de dix ans, notamment pour faire face à la mise en place de la RLS.

Il est aussi une évidence que nous ne pouvons pas nier : l’impact de la RLS sur les capacités d’investissement des bailleurs sociaux et l’effort consenti par les collectivités de rattachement des offices publics ont, et auront davantage demain, des répercussions non négligeables sur l’activité économique nationale, plus spécifiquement sur celle de la filière du bâtiment, et ainsi sur l’emploi.

À l’heure où les collectivités et les bailleurs sociaux s’engagent, avec les fédérations du bâtiment, dans des pactes de relance économique et de maintien de l’emploi et où le Gouvernement contractualise des déclinaisons territoriales du plan de relance national avec les collectivités locales, le dispositif de la RLS ne devrait-il pas être sujet à ajustement ?

Par ailleurs, comme Dominique Estrosi Sassone l’a indiqué, l’ensemble des mesures qui ont été prises, quand elles sont mises bout à bout, nous placent dans une situation extrêmement délicate si nous voulons atteindre les objectifs ambitieux qui ont été fixés en matière de production de logements, de mobilisation du foncier et de rénovation.

La question qui se pose à nous aujourd’hui est donc double. Sur le principe, faut-il ajuster ou repenser plus globalement la RLS ? Sur le fond, à quels ajustements faudrait-il procéder ?

Sur la question de principe, madame la ministre, vous avez répondu à la Cour des comptes que « le dispositif de la réduction de loyer de solidarité est désormais stabilisé » et que « toute évolution qui pourrait être envisagée en 2022 nécessiterait une étude approfondie ». Devons-nous en déduire que toute proposition d’évolution est dès à présent vouée à être rejetée par le Gouvernement ou pouvons-nous encore espérer une amélioration de la situation au bénéfice des bailleurs et de la production de logements sociaux dans notre pays ?

En ce qui me concerne, je partage pleinement la position de nos magistrats financiers. Permettez-moi dans ces conditions de formuler à mon tour quelques observations. Dans son référé, la Cour des comptes a évoqué l’idée de restreindre l’application de la RLS aux seuls allocataires des APL. Cet ajustement semble être empreint de bon sens ; il aurait le mérite de redonner un peu de cohérence au dispositif et de réduire son effet sur les bailleurs sociaux.

Au-delà de cet ajustement, j’insisterai sur deux défis de taille auxquels le monde du logement social doit répondre et qui sont de plus en plus difficiles à relever.

Le premier défi est la mise en œuvre opérationnelle du nouveau programme national de rénovation urbaine (NPNRU).

Bien que le ministère du logement défende, études à l’appui, la bonne absorption de la réforme par les bailleurs sociaux, en se fondant sur le fait que leur potentiel financier reste quasiment stable, l’autofinancement du secteur HLM a diminué. Cela a entraîné une réduction des investissements, qui se traduit par un retard de l’engagement des bailleurs dans le NPNRU. De leur côté, les partenaires sociaux et Action Logement sont au rendez-vous. Ne pourrions-nous pas concevoir un État aux côtés des bailleurs sociaux pour relever ce défi, en repensant et en ajustant la RLS dans certains territoires ?

Le second défi est la construction de 250 000 logements sociaux en deux ans. Le protocole d’engagement signé le 19 mars dernier acte une volonté commune de relever ce défi de taille, mais les chiffres laissent penser que les objectifs seront difficiles à atteindre.

Permettez-moi pour conclure, madame la ministre, de vous interroger sur vos ambitions pour le projet de loi de finances pour 2022. Nous espérons évidemment que la ponction sur Action Logement ne sera pas renouvelée et que l’on nous fichera un peu la paix avec la RLS.

Comme vous le rappelez souvent, il nous faut à la fois engager des investissements massifs en faveur de la rénovation et produire davantage de logements. Pour cela, arrêtons les injonctions contradictoires, laissons les acteurs de ce secteur reprendre leur respiration !

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