Intervention de Jean-Baptiste Djebbari

Réunion du 6 mai 2021 à 14h30
Contrôle régulation et évolution des concessions autoroutières — Débat sur les conclusions du rapport d'une commission d'enquête

Jean-Baptiste Djebbari :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les autoroutes font partie de la vie des Français.

Beaucoup, les empruntent chaque jour pour aller au travail ou pour faire leurs courses. D’autres, les empruntent seulement quelques fois dans l’année, pour partir en vacances. Mais tous les Français ont une expérience de l’autoroute. C’est parce qu’elles sont si ancrées dans leur vie, si indispensables à leurs déplacements, si structurantes pour nos territoires, qu’elles méritent toute notre attention. Elles méritent plus que des raccourcis et des débats simplistes.

Il faut d’abord le rappeler, nos autoroutes sont un modèle de modernité, de confort et de sécurité. Oui, la France peut se targuer d’avoir l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur réseau autoroutier du monde.

Nous pouvons être fiers de ce modèle façonné il y a près de soixante-dix ans. La loi de 1955 portant statut des autoroutes, conçue en plein « boom automobile » de l’après-guerre, répondait alors au besoin d’équiper rapidement le territoire. Mais, depuis, le monde a changé et nos besoins aussi. Le paysage des acteurs autoroutiers, leur relation avec l’État et les contrats de concession sont bien différents de ceux qui prévalaient alors.

Les contrats actuels, justement, doivent prendre fin de 2031 à 2036. C’est l’occasion de faire un bilan critique de notre modèle de financement et de gestion des infrastructures, sans complaisance ni démagogie. C’est l’occasion de le changer en mieux, de se demander quel est le modèle que nous voulons.

Le Sénat s’est de nouveau saisi de cette question l’an passé en lançant une commission d’enquête sur les concessions autoroutières, dont M. Jeansannetas était président et M. Delahaye rapporteur. Je tiens à souligner la qualité de ses travaux et la pertinence d’une grande partie des analyses de son rapport.

Celui-ci fournit des éléments d’éclairage précieux, tant sur les modalités d’amélioration des clauses contractuelles que sur les perspectives d’évolution du pilotage des contrats pour les années à venir. Nous avons examiné ses propositions avec attention et nous partageons un grand nombre de ses trente-huit recommandations.

Pour preuve, près de 60 % d’entre elles sont déjà appliquées ou en cours de mise en œuvre. Mais – car il y a un « mais » – nous avons un point de divergence, voire de désaccord, qui concerne vos estimations de rentabilité des concessions.

Nous avons d’abord relevé des biais méthodologiques, puisque l’analyse s’écarte de la doctrine retenue par le régulateur, dont les équipes d’experts travaillent depuis six ans sur la question.

Il y a aussi des écarts dans les projections. Certes, le sujet est complexe en cette période d’incertitudes liées à la crise sanitaire, mais entre la réalité des comptes des sociétés et les chiffres proposés par votre analyste, on passe du simple au double, voire du simple au triple !

Les résultats sont, là aussi, très éloignés de ceux du rapport quinquennal de l’Autorité de régulation des transports.

Enfin, je regrette que le rapport installe une fausse polémique sur la question du plan de relance autoroutier entériné par le protocole de 2015, dont l’équilibre économique a pourtant été expressément validé en 2014 par la Commission européenne, laquelle n’est pas spécialement laxiste sur ces sujets !

En d’autres termes, comme chaque fois qu’un rapport a été produit sur les concessions autoroutières, il n’existe aucun calcul ni aucune analyse qui prouverait de manière robuste une « sur-rentabilité » des sociétés concessionnaires.

Plutôt que d’entrer dans cette polémique qui ne fait pas progresser le débat, il me paraît plus utile de concentrer l’action de l’État sur deux priorités : un meilleur encadrement des contrats et la projection de l’avenir du modèle des concessions.

La première de ces priorités est de mieux encadrer les concessions existantes jusqu’à leur terme. L’année 2015 a marqué une étape décisive en la matière. Le plan autoroutier et la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, ont permis de rééquilibrer les relations entre l’État et les SCA.

Un dispositif limitant les éventualités de surprofits a été introduit dans les contrats historiques : en cas de surprofit, les tarifs de péages sont revus à la baisse ou la durée de la concession est réduite.

L’État récupère toutes les économies faites par les SCA sur les investissements résultant des décalages de calendrier ou des abandons de projets.

Le Parlement a également vu ses moyens de contrôle, d’évaluation et d’information considérablement renforcés. C’est ainsi au législateur qu’il revient d’autoriser l’allongement de la durée des contrats de concession.

Les pénalités en cas de défaillance d’une société sur la sécurité, la performance ou l’état du réseau sont continûment renforcées.

Enfin, la loi du 6 août 2015 a créé une autorité de régulation indépendante en matière autoroutière. L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), devenue depuis l’Autorité de régulation des transports (ART), rend des avis publics sur les projets de nouveaux contrats de concession, mais aussi sur tous les projets d’avenants ayant une incidence sur les tarifs de péage. Elle produit annuellement une synthèse des comptes des sociétés concessionnaires et tous les cinq ans un rapport sur la rentabilité des contrats. Le premier rapport quinquennal de l’autorité a ainsi été publié à la fin de juillet 2020.

Certes, les contrats historiques représentent la majorité du réseau, mais l’État a aussi passé de nouveaux contrats de concessions bien plus stricts. Tous ceux qui ont été passés depuis les années 2000 respectent globalement les recommandations de votre rapport.

Notre deuxième priorité est de nous projeter, d’anticiper et de réfléchir à l’avenir des contrats de concessions.

Je l’avais déjà rappelé en tant que député, je reste constant sur la question : l’enjeu principal est de penser à ce que nous en ferons demain de nos concessions. Nous devons nous y atteler avec méthode, sans préjugé ni précipitation. Pour cela, il nous faut commencer par cadrer les grands termes du débat.

Faut-il interrompre les contrats avant qu’ils n’arrivent à leur terme, c’est-à-dire renationaliser ? Très clairement, non. Ce serait une gabegie financière de plus de 47 milliards d’euros, une entrave au droit des contrats et, ce faisant, un affaiblissement de l’État de droit.

Faut-il, à l’inverse, les prolonger ? Je sais que certains d’entre vous y sont favorables. Je sais qu’intégrer de nouveaux projets locaux par adossement pourrait être intéressant pour certains territoires, le cadre européen étant, là aussi, particulièrement strict.

Mais je le disais, le monde a changé et nos besoins aussi. À trop vouloir prolonger les contrats du passé, nous risquerions d’accroître leur déconnexion avec les attentes des Français.

Assurément, les contrats anciens doivent être modernisés. Les moderniser, oui, mais comment ? Comment favoriser les nouvelles énergies peu émissives et mieux prendre en compte les questions environnementales ? Comment trouver des mécanismes pour une plus grande modération tarifaire ?

Je n’ai pas de vision arrêtée ou dogmatique sur le sujet. Ma conviction est que nous ne devons pas brider nos réflexions : nous avons eu l’occasion au cours des débats en commission d’évoquer les concessions multimodales, les concessions régionalisées, les tarifs segmentés. Bref, un nouveau modèle pourrait se construire de façon consensuelle.

Le « concession bashing » ne fera pas progresser le débat. N’oublions pas que les sociétés concessionnaires ont produit 50 milliards d’euros de recettes fiscales entre 2006 et 2018. En plus de cela, sur la même période, elles ont investi 20 milliards d’euros dans le patrimoine autoroutier. Sans le modèle concessif, des dizaines de projets d’infrastructures, au service des Français, n’auraient pu voir le jour.

Pour aborder toutes ces questions et définir les aménagements à réaliser d’ici là, vous plaidez, monsieur le rapporteur, pour l’organisation d’un sommet des autoroutes. Sur le principe, j’y suis favorable.

Il doit nous permettre de trouver comment gérer la « fin de vie » des contrats, sans les plonger dès maintenant dans un coma artificiel. Il me semblerait en effet insoutenable de ne procéder à aucun aménagement complémentaire dans les dix à quinze prochaines années. Nous avons déjà commencé à y travailler, en intégrant le déploiement de bornes électriques, les nouvelles mobilités ou l’expérimentation de péages en flux libre.

Par ailleurs, nous avons besoin d’un cénacle où débattre des perspectives de gestion du réseau concédé. Nous aurons ces débats aujourd’hui et je m’engage à ce que nous puissions les poursuivre dans un horizon qui reste à définir. Le Parlement sera évidemment associé à ces réflexions.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette question de l’avenir des concessions autoroutières engage le pays pour les prochaines décennies…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion