Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour autant qu’il m’en souvienne, lorsque j’étais au collège et que j’apprenais les différentes règles de l’orthographe de notre belle langue, je me demandais souvent : « Mais pourquoi ? » Alors, je prenais mon courage à deux mains et je demandais à mon professeur : « Pourquoi dit-on le soleil et la lune alors qu’en allemand le soleil est un terme féminin et la lune un mot masculin ? » Mieux encore, je lui demandais pourquoi les mots « orgue », « délice » et – plus tard – « amour » étaient masculins au singulier, mais féminins au pluriel. Mon professeur me répondait : « Parce que c’est comme ça ! »
La vérité, c’est qu’il ne le savait pas plus que moi. Personne ne le sait en définitive. Les grammairiens font un travail de fourmi et avancent des théories plus ou moins proches de la réalité, mais notre langue est ainsi faite. Oui, c’est ainsi. En revanche, je ne dis pas qu’il devait en être ainsi. En effet, une langue est la résultante d’un travail lent et laborieux, de son usage par ceux-là mêmes qui la pratiquent, l’idéalisent et la malmènent. Elle n’est pas créée théoriquement ; elle est l’osmose plus ou moins parfaite des usages. Une langue n’est pas un bloc de marbre froid. Elle est un corps, une glaise qui se modèle, se sculpte, se transforme, se patine au gré du temps et de ses évolutions.
Je ne suis ni linguiste ni philosophe. Je suis un humble sénateur inspiré par le bon sens. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je veux dire ici qu’une langue n’est pas le fruit de revendications identitaires et partisanes animées par une forme de militantisme bien désuet. Alors, quand j’ai découvert, indépendamment de toute idéologie, le sujet de l’écriture inclusive, j’ai cru à une fantaisie, à une sorte de caprice de l’esprit. Je vous le confie, tout cela me semblerait dérisoire s’il ne révélait pas l’expression d’une fracture de la société, raison pour laquelle notre groupe vous invite aujourd’hui à réfléchir sur l’écriture inclusive.
Avant tout, revenons aux réponses, loin d’être satisfaisantes, de mon professeur. Nombre d’entre vous ont dû entendre les mêmes de la bouche de leurs enseignants. Pourtant, cela ne vous a pas empêchés d’acquérir les rudiments de l’orthographe française.
Malheureusement, nous ne sommes pas tous égaux face à la langue. Je ne pense pas me tromper en observant une lente et pernicieuse dégradation de l’apprentissage de notre langue parmi les jeunes générations. Avant de s’intéresser à l’écriture inclusive, comme notre groupe vous y invite, commençons par apprendre la langue française à nos enfants !
Interrogez nos universitaires et nos enseignants : ils sont désespérés. Je veux vous lire le témoignage que j’ai recueilli auprès d’une professeure de faculté : « Mes étudiants comprennent un raisonnement, une démonstration, mais ils sont, pour la plupart, dans l’incapacité de retranscrire ce raisonnement, faute de savoir construire une phrase simple, avec un sujet, un verbe et un complément, voire, parfois, ne disposant que d’un vocabulaire d’une pauvreté abyssale. » Le linguiste Alain Bentolila corrobore ces propos avec un chiffre effrayant : « 20 % des jeunes possèdent moins de 500 mots pour dire le monde. »
Je crains que nous ne puissions parler de générations sacrifiées. Je présume que les nouvelles technologies, avec les « réseaux antisociaux », pour citer le président de notre groupe, Claude Malhuret, ne vont pas contribuer à améliorer les choses…
Même si notre ministre a décidé de réformer la pédagogie, il faudra des décennies pour rattraper le temps perdu et les dégâts occasionnés. Si les tentatives de pratique de l’écriture inclusive prêtent à sourire, cette vérité n’a rien d’amusant.
Revenons à nos moutons et tentons de comprendre l’origine du phénomène de l’écriture inclusive. Le mouvement est d’origine anglo-saxonne et serait l’initiative d’associations féministes dénonçant une masculinisation à marche forcée de la langue française ainsi que l’invisibilité de l’appartenance sexuelle et, bien entendu, celle du sexe féminin.
Le cœur de cette graphie se résume dans la mise en cause de la règle, datant du XVIIe siècle, selon laquelle « le masculin l’emporte sur le féminin ». Le grammairien et académicien Nicolas Beauzée précisait : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. »