… c’est un débat piège : on se sent pris en tenailles entre, d’un côté, les partisans d’une forme d’hypermodernité à la mode, consistant à défendre l’écriture inclusive partout, tout le temps, et, de l’autre, les tenants d’une croisade réactionnaire visant à l’interdire par la loi. C’est un débat de talk-show, de chaîne d’information en continu, dont on imagine bien les invités s’étriper durant une heure sur l’écriture inclusive
Je crois qu’il y a d’autres façons de faire avancer l’égalité entre les femmes et les hommes, grande cause du quinquennat. Celle-ci est déjà passée par la langue, avec la féminisation des fonctions. Pour ma part, je suis choqué que l’on y résiste encore, notamment dans cet hémicycle, mais pas seulement. Quand j’ai commencé la politique à Paris, voilà longtemps, le maire commençait ses allocutions par « Parisiennes, Parisiens ». Que l’on dise aujourd’hui « Mme la présidente » et « Mme la maire » me semble bien évidemment indispensable et aller dans le bon sens.
Ces débats sont anciens et ne viennent pas seulement de l’étranger. Les théories qui conduisent à promouvoir l’écriture inclusive ont aussi été construites par des philosophes français. Sans vouloir faire de provocation, je citerai le début de l’allocution de Roland Barthes au Collège de France, en 1977, lors de sa leçon inaugurale : « La langue, comme performance de tout langage, n’est ni réactionnaire ni progressiste ; elle est tout simplement fasciste ; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire. » Plus tard, Roland Barthes aura cette formule fameuse : « Tout d’un coup, il m’est devenu indifférent de ne pas être moderne. » Lui-même était traversé de ces contradictions…
Des raisons pratiques viennent compliquer, dans certaines circonstances, l’utilisation de cette écriture inclusive. Ces raisons ont été rappelées par différents orateurs, y compris parmi les promoteurs de l’écriture inclusive. À cet égard, je remercie M. Dossus d’avoir souligné que les associations défendant les personnes en situation de handicap mettaient en avant les difficultés liées à l’utilisation de l’écriture inclusive – notamment le point médian pour les personnes ayant recours aux synthèses vocales.
Certains linguistes, à l’instar de Bernard Cerquiglini, montrent que, sous prétexte de progressisme, on se dirige vers quelque chose qui complique. Paradoxalement, l’écriture inclusive vient ralentir le mouvement observé depuis le XVIe et le XVIIe siècle vers une plus grande lisibilité démocratique de la langue et la rend moins compréhensible. On voit combien le débat est complexe.
Comme cela a été rappelé, 10 % des élèves arrivant en sixième ont une maîtrise insuffisante du français. L’utilisation de l’écriture inclusive dans les apprentissages viendrait donc compliquer une situation déjà loin d’être parfaite en termes de maîtrise de la langue.
Par ailleurs, depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts, on essaie d’établir une norme la plus partagée, la plus simple et la plus compréhensible possible. La circulaire de 2017 va également dans ce sens.
Enfin, le français est aussi un facteur de rayonnement, un outil de promotion de notre pays, dont l’écriture inclusive pourrait réduire la portée.
Je ne veux pas tomber dans le piège qui tendrait à dire qu’il faut voter des lois pour interdire à tous d’utiliser cette écriture. Même si c’est particulièrement difficile dans le cadre d’un tel débat, il me semble possible d’adopter une position un peu modérée – « Je veux vivre selon la nuance », disait Roland Barthes. À titre personnel, je ne suis ni favorable à l’utilisation maximaliste de l’écriture inclusive ni particulièrement favorable à l’adoption d’une loi visant, par exemple, à interdire de l’utiliser.