Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « ce qui n’est pas nommé n’existe pas », écrivait le poète turc Ilhan Berk.
C’est incontestable : la langue que nous écrivons, que nous parlons, joue un rôle essentiel dans notre représentation du monde. Au cours des derniers siècles, elle a éludé, invisibilisé les femmes. Leur redonner leur juste place et ainsi ouvrir le champ des possibles, c’est tout le projet de l’écriture inclusive, que je préfère pour ma part qualifier d’écriture « égalitaire », et qui englobe en réalité un éventail de techniques.
Je nous invite, pour avoir un débat constructif, à la regarder telle qu’elle est, loin de toute caricature : accord de proximité, féminisation des noms de métiers, titres et fonctions, mots dits « épicènes », formes féminines et masculines pour parler d’un public mixte – abrégées ou non par le recours au point médian… Autant d’outils dont peuvent se saisir celles et ceux qui souhaitent encourager dans la langue une égalité de représentation entre les femmes et les hommes.
Parmi ces techniques, c’est le point médian, dernier symbole d’une logique typographique visant à faire ressortir les formes féminines, qui polarise le plus les critiques. Ce point médian suscite des troubles, des inquiétudes, quant à son maniement et à sa lisibilité, y compris au sein de mon groupe. Ces doutes, je les entends d’autant plus qu’ils peuvent être alimentés par de mauvais usages. Toutefois, lorsqu’on pratique bien l’écriture inclusive, on choisit ses formulations avec un souci permanent de lisibilité. Elle doit être pensée comme un outil pédagogique qui s’adresse à tout le monde.
Il est intéressant de constater que certains arguments qui lui sont opposés étaient déjà invoqués contre la féminisation des noms de métiers et fonctions. Je pense à l’argument subjectif de l’esthétisme, qui semble méconnaître la part que joue l’habitude dans notre appréhension des mots. Des termes comme « autrice » ou « poétesse » étaient encore d’usage jusqu’au XVIIe siècle : pourquoi ne pas se les réapproprier ? Je pense également à l’argument de la neutralité du masculin, qui repose sur l’idée qu’il y aurait une dualité : d’un côté, un masculin neutre générique ; de l’autre, un masculin spécifique désignant l’homme. Or les psycholinguistes qui se sont penchés sur cette question soulignent que le masculin dit « générique » s’efface toujours devant le masculin « spécifique » – lorsqu’on prononce le mot « sénateur », on se représente en premier lieu un homme.
La féminisation des noms de métiers et fonctions a longtemps été vivement décriée ; elle rencontre d’ailleurs toujours des résistances sur certaines travées de notre hémicycle. Appelée des vœux d’Édouard Philippe dans sa circulaire aux administrations de novembre 2017, elle apparaît désormais comme largement consensuelle, ce dont témoigne l’évolution récente de la position de l’Académie française sur le sujet. Cela sera peut-être l’avenir d’autres techniques d’écriture égalitaire – l’histoire en jugera.
Je souhaiterais préciser qu’il n’a jamais été question, ni pour moi ni pour la plupart de celles et ceux qui la défendent, d’obliger de recourir à l’écriture inclusive. Il ne s’agit pas de l’imposer, mais simplement de garantir la liberté de s’en emparer. A contrario, celles et ceux qui souhaitent l’interdire s’inscrivent dans une démarche coercitive rigide, se heurtant parfois à la réalité des usages.