Intervention de Micheline Jacques

Réunion du 6 mai 2021 à 14h30
Écriture inclusive : langue d'exclusion ou exclusion par la langue — Débat organisé à la demande du groupe les indépendants – république et territoires

Photo de Micheline JacquesMicheline Jacques :

Madame le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, les difficultés supplémentaires introduites par l’écriture inclusive dans l’apprentissage et l’appropriation de la langue française, à l’écrit comme à l’oral, auraient dû, à elles seules, clore le débat. En effet, pour les personnes « dys » – dyslexiques, dyspraxiques, dysorthographiques – et pour les non-voyants et les malvoyants, elle est sans aucune ambiguïté facteur d’exclusion.

La place des femmes dans la société constitue certes un défi éducatif, mais qui ne saurait occulter l’autre défi majeur que représente l’apprentissage de la lecture chez les jeunes enfants. Ce n’est pas faire injure aux immenses, mais inégales, capacités d’apprentissage des enfants que de reconnaître que la déconnexion entre la logique de la langue écrite et celle de l’oral rendra son appropriation moins fluide.

De ce point de vue, et forte de mon expérience d’enseignante, je dois dire d’emblée que j’approuve la ferme position du ministre de l’éducation en faveur de l’interdiction de l’écriture inclusive dans l’enseignement.

De fait, si une langue a vocation à évoluer avec la société, sa structure ne devrait ni se déconstruire ni se dénaturer pour s’enrichir. Par surcroît, jusqu’ici, la langue française a plutôt suivi un mouvement naturel, et inclusif, de simplification. Sa complexification conduira, au contraire, à renforcer le caractère élitaire de sa maîtrise.

Les femmes étant majoritaires au sein des populations illettrées, l’accès à la lecture et à l’écriture leur serait rendu encore plus difficile par un procédé qui ambitionne paradoxalement de les rendre plus visibles.

En outre, le recours au point médian vient détourner l’usage de ce signe de ponctuation qui indique la fin d’une phrase selon la règle « une phrase commence par une majuscule et se termine par un point » et qui sert la compréhension des textes. En détournant la ponctuation, l’écriture inclusive ne féminise pas seulement les mots, elle modifie les structures grammaticales et orthographiques de l’écriture.

J’observe d’ailleurs que l’effet dominateur des hommes sur les femmes, lequel résulterait de la règle selon laquelle « le masculin l’emporte sur le féminin », ne sera pas entièrement gommé : à bien y regarder, avec l’écriture inclusive, la féminisation procède généralement de l’adjonction du point médian et du « e » après un mot dans sa forme masculine. On pourrait dès lors en déduire la règle selon laquelle « le féminin vient après le masculin », ce qui nous fait revenir au point de départ !

Pourquoi, dès lors, ne pas faire évoluer la formulation de la règle ? Si l’on veut transformer les mentalités avec l’écriture, ce même objectif peut être atteint par l’enseignement de la distinction entre le genre des mots et le sexe des personnes, moins complexe et permettant d’éviter l’assignation au sexe de la personne.

De fait, un autre grand risque de l’écriture inclusive est à mon sens celui de l’essentialisation des femmes. Dans cette logique, la facteure, l’autrice, les défenseures, les actrices sont distinguées d’abord en tant que femmes, ce qui conduirait à terme au même effet pour les hommes. Mais à l’heure où notre époque refuse les déterminismes de genre, afin de permettre aux transgenres ou encore aux personnes qui ne souhaitent pas être déterminées de trouver pleinement leur place, il me semble qu’une reconfiguration de l’écriture à partir d’un axe binaire masculin/féminin irait à rebours de la société. Visuellement, le point n’inclut pas, mais établit une séparation entre la forme masculine et la marque du féminin.

De nombreux linguistes ont démontré le caractère en réalité « excluant » de ce mode d’écriture, qui déplace un sujet sociétal sur le terrain de la grammaire. Trente-deux d’entre eux ont ainsi publié une tribune collective pointant « outre les défauts fonctionnels » de l’écriture inclusive, l’absence de lien linguistique exclusif entre la féminisation des mots et la féminisation de la société et confirmant, en tout état de cause, l’effet d’éviction pour les personnes présentant des difficultés d’apprentissage.

Dans son ouvrage Le Sexe et la langue, l’un des signataires, Jean Szlamowicz, rappelle que l’expression « écriture inclusive » n’est pas née d’une évolution spontanée de la langue. Il s’agit d’un nom de domaine déposé en 2016 par une agence de communication, qui conduit à établir une distinction entre genre des mots et sexe des personnes.

Ce sont donc toutes ces raisons qui conduisent à considérer que l’écriture inclusive exclut plus qu’elle n’inclut. Dans cette optique, notre attention doit être concentrée sur les enfants. Nous devons nous garder de leur ajouter une contrainte supplémentaire, alors que les positions de la France au classement PISA nous éclairent sur les enseignements à conforter.

La féminisation des mots ou l’écriture épicène, qui privilégient les genres neutres, sont des vecteurs de visibilité pour les femmes, laissant à chacun le choix de les utiliser selon son appréhension de la langue. Le français est suffisamment riche pour offrir cette liberté, et l’esthétique particulière de la langue française dans l’imaginaire mérite d’être préservée.

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