Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis que cette proposition de résolution sur Taïwan ait été inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée. Je m’en réjouis d’autant plus que j’avais déposé une question écrite sur cette thématique en janvier 2020. C’était, autant que je le sache, la toute première question sur le sujet, plusieurs autres ayant été déposées ensuite sur le même thème par mes collègues de l’Assemblée nationale et du Sénat, dont certains se sont exprimés précédemment.
Outre une demande d’état des lieux sur les excellentes relations bilatérales entre nos deux pays, je m’interrogeais sur le bien-fondé de l’isolement imposé à Taïwan depuis la résolution 2758 de 1971, alors même que Taïwan, sous la direction de la Présidente Tsai Ing-wen, est un modèle de démocratie, applique à la lettre les recommandations de l’ONU, a un comportement et un bilan exemplaires – notamment en matière de protection de l’environnement, d’énergie verte, de soins médicaux, d’éducation, de lutte contre la pauvreté –, un PIB équivalent à celui de la France ou du Japon et un taux d’alphabétisation de 98, 7 %. J’y indiquais également qu’à l’heure de l’apparition en Chine de virus rappelant le SRAS de 2003 – ma question, j’y insiste, a été publiée en janvier 2020 –, une participation de Taïwan à l’OMS, ne serait-ce qu’avec un simple statut d’observateur, pouvait s’avérer très utile pour aider à juguler les risques d’épidémie.
Le jour même où je déposais ma question au Sénat, ce 20 janvier 2020, l’OMS se décidait enfin à qualifier l’épidémie de covid d’« urgence de santé publique de portée internationale ».
Seize mois plus tard, au regard des douze décès dus au covid-19 à Taïwan depuis le début de la pandémie, sur une population de près de 24 millions d’habitants, on ne peut que déplorer que la voix de Taïwan, voix de l’expérience, de la science et de la sagesse n’ait pas été entendue. Rappelons aussi que Taïwan a été exemplaire pendant toute cette pandémie et a fait don, avec beaucoup de générosité, de matériel médical et de masques. On l’a déjà souligné, ce sont 54 millions de masques qui ont été donnés à 80 pays, quand nous subissions une pénurie, notamment en Europe.
Aujourd’hui même, un laboratoire taïwanais a annoncé avoir mis au point un vaccin contre l’entérovirus 71, efficace notamment chez les enfants de moins de six ans et qui pourrait être extrêmement utile à toute l’Asie. De même, le transfert de technologie et le partage d’expérience en recherche et développement – je pense notamment aux tests rapides de diagnostic de covid-19 avec résultat en quinze minutes – pourraient nous être bénéfiques à tous.
Mais cette année encore, Taïwan ne sera pas représentée au sein de l’Assemblée mondiale de la santé qui se tiendra à la fin de ce mois à Genève. Ce n’est pas tolérable, d’autant moins que Taïwan avait été acceptée comme observateur à l’OMS de 2009 à 2016 et que refuser la participation de Taïwan à cette organisation, au regard des 150 millions de cas de covid aujourd’hui dans le monde et des 3, 5 millions de morts, serait criminel.
Si la France a toujours tenu une même position d’ouverture, le ministre Le Drian me répondant en 2020, ainsi qu’à tous ceux qui avaient posé les mêmes questions par la suite, que la France était favorable à la participation de Taïwan aux organisations internationales quand cette participation répondait aux intérêts de la communauté internationale – c’est le cas pour l’OMS –, la voix de la France est restée quelque peu isolée. Il est donc de notre devoir, bien sûr, d’appuyer cette démarche.
Aujourd’hui, la situation commence à évoluer. Ainsi, le G7 réuni à Londres a annoncé, hier, dans sa déclaration des ministres des affaires étrangères et du développement, son souhait que Taïwan puisse participer de manière significative au Forum de l’OMS et de l’Assemblée mondiale de la santé, car « la communauté internationale doit pouvoir bénéficier de l’expérience de l’ensemble des partenaires, y compris la contribution réussie de Taïwan dans la lutte contre la pandémie de covid-19 ». Votre portefeuille comprenant la francophonie, monsieur le secrétaire d’État, cher Jean-Baptiste Lemoyne, permettez-moi au passage de vous suggérer de faire en sorte que cette déclaration figure en français sur le compte Twitter du ministère des affaires étrangères – on ne la trouve pratiquement qu’en anglais !
Le problème reste évidemment l’opposition de la Chine et sa réaction, qui, suite à ce communiqué, ne s’est pas fait attendre. En effet, comme nous le savons tous, elle veut, en invoquant un principe de souveraineté nationale, contraindre Taïwan à un isolement diplomatique et multiplie les déclarations agressives, voire les menaces. Certains nous ont même conseillé d’être prudents pour éviter les foudres du pays et de son représentant à Paris, qui ne s’est pas privé, dans un passé récent, d’abreuver d’insultes les parlementaires français. Nous ne pouvons pas et nous ne devons pas nous laisser intimider.
Je sais combien nos intérêts, notamment économiques, avec ce grand pays qu’est la Chine sont imbriqués, combien nos liens sont forts. J’aime, je respecte la Chine et son peuple. La Chine continentale est un partenaire extrêmement important, comme l’est d’ailleurs Taïwan. La diplomatie est l’art de la prudence, du compromis et des tout petits pas. Nous ne saurions attendre de la France qu’elle avance seule contre ses propres intérêts économiques. Il serait trop facile d’agiter les bras pour faire des effets à cette tribune, et je m’en garderai.
Pour autant, je pense vraiment que ce serait tout à l’honneur de ce grand pays qu’est la Chine et de ce grand peuple de 1, 4 milliard d’habitants de faire preuve de magnanimité et de respecter les plus petits que lui. Je pense à Hong Kong ; je pense bien sûr à Taïwan, et ses 24 millions d’habitants, qui n’aspire qu’à vivre en paix et en bonne intelligence avec son grand voisin.
Les avancées et les richesses de Taïwan, avec un PIB en prévision de croissance de 4, 6 % pour 2021 – près de 8, 2 % de plus au premier trimestre par rapport à l’année dernière –, ses innovations technologiques et sa politique industrielle dynamique peuvent susciter envies, appétits, voire craintes chez ceux qui ne partagent pas notre vision de la démocratie et des droits de l’homme.
Cette semaine, cela a déjà été dit, The Economist titrait en couverture : « Taïwan, l’endroit le plus dangereux du monde. » Oui, les bruits de bottes se font entendre de plus en plus fortement ; oui, la Chine se réarme. Mais je crois profondément que l’honneur d’un parlementaire, c’est aussi de savoir faire preuve de courage et d’affirmer haut et fort ses convictions.
Alors, oui, madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux le dire haut et fort : c’est notre devoir d’aider Taïwan à retrouver la place que ce pays mérite sur la scène internationale.
L’équilibre géopolitique mondial implique que nous soutenions Taïwan, car, pour que nous puissions atteindre une paix, même relative, sur notre planète, pour que nous puissions travailler enfin à l’amélioration du climat, de la sécurité, des conditions de vie des citoyens du monde dans leur ensemble, nous devons développer notre coopération internationale et, surtout, nous devons inclure tous les acteurs dans les organisations internationales.
Pour nous, parlementaires, c’est aussi une question de courage.
Alors, oui, mes chers collègues, ayons le courage d’aller de l’avant, ayons le courage de ne pas nous laisser intimider par les gesticulations et les invectives, ayons le courage de dire ce que nous pensons être juste.
Renforcer nos partenariats en matière sanitaire et médicale est indispensable, mais Taïwan doit aussi avoir le droit de participer à toutes les organisations internationales où son expertise pourrait être utile. Je pense notamment à Interpol, à l’Organisation internationale de l’aviation civile, au débat sur le climat.
Je voudrais aussi dire à tous ceux qui, ici ou ailleurs, auraient la tentation de Munich qu’on ne respecte jamais un adversaire qui s’aplatit, mais que l’on craint et respecte celui qui, même s’il sait qu’il ne gagnera pas, a le courage de se battre pour ses convictions lorsqu’il les sait justes.
Je souhaiterais aussi m’adresser à mes amis chinois, parce que, nous le savons, ils nous écoutent ou ils nous liront.
Mais de quoi avez-vous peur ? Vous êtes un grand, vous êtes un magnifique pays, vous n’avez rien à craindre de Taïwan, qui ne veut que la paix ! Vous avez tout à gagner, au contraire, d’une coopération pacifique dans l’intérêt de vos peuples. Alors, s’il vous plaît, aidez Taïwan à vous aider, aidez-nous à vous aider, aidez-les à vous aider, ne serait-ce qu’en matière médicale ! Parlez-leur, écoutez-les, et le monde n’en sera que meilleur : il sera plus sûr, plus stable. Et c’est aussi votre intérêt, c’est l’intérêt de la Chine dans son ensemble.