Je souhaiterais quant à moi vous interroger sur le titre III « Se déplacer ».
L'article 27 relatif aux zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) modifie considérablement le cadre juridique prévu par la loi d'orientation des mobilités (LOM). Alors que ces zones étaient prévues comme un outil à la main des collectivités territoriales afin de s'adapter à leurs besoins, l'article 27 impose des interdictions de circulation à échéance courte, en 2023, 2024 et 2025, qui concerneraient deux millions de véhicules selon l'étude d'impact. Pourquoi avez-vous fait ce choix de mettre un seuil minimal de restrictions ? L'étude d'impact indique également que ces véhicules auraient été remplacés « naturellement » d'ici à 2028 : la mise en oeuvre de ZFE-m a-t-elle une véritable valeur ajoutée pour accélérer de trois ans ce renouvellement ?
Par ailleurs, et toujours sur l'article 27, l'étude d'impact comporte peu d'éléments sur les conséquences économiques de cette mesure sur les particuliers et les entreprises. En particulier, à la suite de l'adoption, à l'Assemblée nationale, d'un amendement visant à étendre les mesures de restrictions des ZFE-m aux véhicules utilitaires légers (VUL), avez-vous chiffré quel pourrait être l'effet de la mise en place de ZFE-m sur l'activité d'artisans et de travailleurs utilisant ces véhicules ? Concernant les particuliers, ne peut-on pas penser que les ménages qui seront le plus impactés par la nécessité de renouvellement de leur véhicule sont les plus précaires ? Enfin, êtes-vous en mesure de chiffrer le coût des moyens de contrôle humains et automatisés qu'il sera nécessaire de déployer, alors même que les dispositifs de contrôle automatisé prévus par la LOM ne sont pas encore opérationnels ?
En outre, le projet de loi fixe des objectifs ambitieux de décarbonation des poids lourds d'ici à 2040. Cependant, force est de constater que les véhicules industriels électriques ou à hydrogène ne sont pour l'heure ni disponibles ni abordables pour les transporteurs routiers. Ainsi, des mesures comme la diminution de l'avantage fiscal sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) revêtent un caractère punitif sans pour autant s'accompagner d'aides suffisantes de l'État. En effet, dans la mesure où le bonus écologique du Gouvernement est limité aux motorisations à hydrogène et électriques et qu'il expire en 2022, il ne paraît pas adapté aux préoccupations du secteur. Comptez-vous revoir le périmètre ou la durée de ces aides à la transition ?
Par ailleurs, le projet de loi ne traite pas de la question des biocarburants, alors qu'il s'agit d'une solution, certes transitoire, mais extrêmement intéressante en matière de décarbonation. Pourriez-vous donc préciser les raisons qui ont amené le Gouvernement à exclure les biocarburants des leviers de décarbonation dont la France pourrait se doter avec ce projet de loi ?
J'en viens à présent à l'article 32 de ce projet de loi, qui prévoit d'autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour instituer une contribution régionale assise sur la circulation des véhicules de transport de marchandises. Cette contribution, qui serait fondée sur le transfert de la compétence des routes aux régions, soulève plusieurs questions. Pouvez-vous nous en dire plus sur le dispositif envisagé à ce stade ? Tout d'abord, disposez-vous d'informations relatives aux coûts de collecte et d'infrastructure d'un tel dispositif ? Par ailleurs, cet article prévoit que les départements qui subiraient un « report significatif de trafic » pourraient également étendre ces contributions à leur réseau : les recettes perçues iraient-elles donc au département ou à la région ? On ne comprend plus rien, madame la ministre ! Alors que la loi 4D - différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification - n'a pas encore été débattue par le Sénat, on donnerait déjà aux régions les ressources pour pouvoir assumer cette compétence !
Comment s'organiserait l'articulation entre les collectivités en matière de perception et de gestion des infrastructures ? Et comment est-il prévu d'apprécier le caractère « significatif » du report ?
Plus généralement, l'échelle régionale paraît susceptible de créer des distorsions importantes entre les régions, induisant une concurrence fiscale, qui pourrait avoir de nombreux effets pervers en matière de détournement de trafic. L'instabilité de cette taxe pourrait également affaiblir l'attractivité de la France en matière de logistique, alors qu'il s'agit là d'un secteur stratégique. Comment comptez-vous éviter ou atténuer ces effets pervers ?
Enfin, l'article 36 prévoit l'interdiction de toute liaison aérienne pour laquelle plusieurs liaisons quotidiennes sont disponibles sur le réseau ferroviaire en moins de deux heures et trente minutes. Des dérogations sont cependant prévues pour les lignes assurant majoritairement des correspondances. Certains acteurs estiment que ce dispositif pourrait générer non pas moins d'émissions de CO2, mais plus de détournements de trafic et des contournements des installations et compagnies françaises. Pouvez-vous nous donner des estimations chiffrées sur ce point ?
En outre, la fermeture de ces lignes aura des conséquences importantes pour les territoires concernés, affectant les compagnies aériennes, mais également l'attractivité des villes touchées et leurs habitants. Des mesures d'accompagnement sont-elles prévues afin de limiter ces impacts ?
Au regard de la situation économique actuelle de notre pays, je m'inquiète du titre III « Se déplacer », principalement constitué de mesures de taxations et d'interdictions, lesquelles sont l'essence même de l'écologie punitive - en particulier pour les plus modestes -, ce que nous ne voulons pas au Sénat. À cet égard, je vous renvoie au mouvement des « gilets jaunes ».