Nous sommes d'accord, je pense, sur le constat : il est urgent de prendre des mesures exceptionnelles de soutien aux populations les plus modestes - si vous préférez ce terme, et nous parlerons des revenus fiscaux les plus hauts plutôt que des privilégiés ! Toutes les associations qui travaillent et agissent au plus près de ces populations, comme ATD Quart Monde, ou le Secours catholique, nous alarment. Il n'est pas question de réformes structurelles, ou d'une réforme fiscale, mais de répondre à une situation de crise. Les acteurs de la lutte contre la pauvreté nous disent qu'en 2020, un million de personnes auraient basculé dans la pauvreté, s'ajoutant aux 9 millions de ménages qui étaient déjà en dessous du seuil de pauvreté. Les premières données de l'Insee confirment un recul net du niveau de vie pour les deux ou trois premiers déciles de la distribution des revenus fiscaux. Les départements mesurent bien cette progression de la grande pauvreté avec l'évolution du revenu de solidarité active (RSA).
Pour certains, il y a aujourd'hui un arbitrage entre le paiement du loyer - souvent privilégié, tant la crainte de ne pas payer son loyer est forte dans les populations très modestes - et l'alimentation, voire les soins. Il est urgent de prendre une mesure sociale exceptionnelle et s'étalant sur plusieurs mois, au lieu d'un unique chèque. Nous avons, pour cela, cherché à toucher les 20 à 30 % plus pauvres, c'est-à-dire les deux ou trois premiers déciles. C'est pour cela que nous avons utilisé les APL : il ne s'agit aucunement d'un texte sur le logement ! Les APL solvabilisent les locataires. Surtout, comme toutes les analyses le montrent, c'est l'outil le plus puissant - avec les minima sociaux - pour lutter contre les inégalités : elle fait descendre de huit points l'indice d'extrême pauvreté ! C'est pour cela que nous l'avons prise pour guide : 90 % de ses bénéficiaires sont dans les premiers déciles. C'est une aide très concentrée sur le bas de la distribution. De fait, 40 % de ses bénéficiaires sont sous le seuil de pauvreté. Et il importait de bien cibler les destinataires d'une mesure sociale que nous voulions redistributive.
Bien sûr, il n'est pas question de stigmatiser le haut de la distribution, mais on parle beaucoup de l'excès d'épargne qui a été constitué pendant le confinement en 2020, et qui continue à l'être en 2021, alors que les deux premiers déciles n'ont pas épargné - même, ils ont désépargné, puisqu'ils se sont endettés. Les quelque 200 milliards d'euros d'épargne supplémentaire ont été constitués, à 70 %, par les 20 % les moins modestes - si vous préférez cette formulation. Nous n'avons pas voulu taxer cette épargne supplémentaire. Nous demandons simplement s'il est vraiment opportun de faire un cadeau fiscal à ceux qui l'ont constituée.