Nous commençons cette matinée par l'examen du rapport de M. Hervé Maurey sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances. Je vous rappelle que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable nous avait délégué l'examen de la partie économique et financière de ce texte, constituée de dix articles. En dehors des amendements que nous proposera le rapporteur, un seul amendement a été déposé en vue de l'élaboration du texte de commission, par notre collègue Patrick Chaize.
Nous examinons ce matin en première lecture le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances, dit « DDADUE ».
Le Sénat est la première assemblée saisie sur ce texte, qui comporte 42 articles répartis en cinq chapitres. Si le projet de loi a été renvoyé à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, celle-ci nous a délégué l'examen au fond du dernier chapitre, pour un total de dix articles.
Si les dispositifs relevant de notre compétence ont pour caractéristique commune de porter sur le droit économique et financier, il me semble que l'on peut distinguer deux catégories d'articles.
La première catégorie comporte des dispositions techniques visant à corriger des erreurs et omissions ou à remédier à des difficultés survenues après leur entrée en vigueur. Elles font suite à des évolutions du droit de l'Union européenne ou à des aménagements décidés pour préparer la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. C'est le cas des articles 33, 37, 38, 39, 40 et 42.
Ainsi, l'article 33 complète le régime d'obligation de transmission des données d'identification des actionnaires issu de la loi Pacte, adoptée en 2019. En ce sens, il clarifie les procédures de transmission d'informations entre les intermédiaires financiers et précise certaines modalités d'exercice des droits des actionnaires en présence d'intermédiaires financiers. L'article 37 remédie à des difficultés survenues du fait de la reconnaissance des infrastructures de marché des pays tiers dans le cadre du Brexit. L'article 38 s'efforce de mettre fin aux difficultés d'articulation entre le droit national et le droit européen qui subsistent du fait de l'ouverture à la concurrence de l'activité des dépositaires centraux, en charge du règlement-livraison des titres financiers. L'article 39 définit le régime de sanction applicable en cas d'infraction à certaines dispositions du règlement de 2012 relatif aux virements et prélèvements transfrontaliers, dit SEPA. L'article 40 renforce les moyens de contrôle et prévoit une sanction plus importante en cas de fraude lors de prestation de services de lettre recommandée par des prestataires ne bénéficiant pas de l'agrément de l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information. Enfin, l'article 42 exige des sociétés cotées sur un marché de croissance des petites et moyennes entreprises (PME) l'établissement d'une liste d'initiés standard, en activant une dérogation ouverte en 2019 par le droit européen.
Après un examen approfondi, ces six articles de nature essentiellement technique ne me paraissent pas poser de difficultés et je vous proposerai donc uniquement trois amendements rédactionnels et de coordination.
La seconde catégorie rassemble à l'inverse des dispositions visant à adapter notre droit économique et financier à de nouvelles évolutions du droit de l'Union européenne.
C'est le cas des articles 34, 35, 36 et 41.
Alors que la France s'apprête à prendre la présidence de l'Union européenne au début de l'année prochaine, il y a manifestement une volonté de démontrer l'exemplarité de notre pays en matière de transposition, pour apparaître comme le bon élève de l'Union européenne.
Sur les quatre articles, deux procèdent à des transpositions « en dur », tandis que deux autres sollicitent une habilitation à recourir aux ordonnances.
Ainsi, les articles 34 et 35 transposent deux articles d'une même directive de 2019, qui mettent en oeuvre les conclusions de l'exercice de revue des autorités européennes de supervision mené en 2019.
L'article 34 tire les conséquences en droit national du transfert des compétences d'agrément et de surveillance des prestataires de services de communication de données (PSCD) à l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Ce transfert de compétence a une portée très limitée pour l'Autorité des marchés financiers (AMF) en France, car seul Euronext bénéficie aujourd'hui de ce statut. En revanche, pour ce prestataire, sa contribution pour frais de contrôle devrait significativement augmenter.
L'article 35 transpose en droit interne la création de nouveaux dispositifs visant à améliorer le partage d'information entre les superviseurs nationaux et européen dans le secteur assurantiel.
Premièrement, il transpose dans notre droit national la nouvelle procédure de notification : avant d'agréer un assureur ou un réassureur, le superviseur national notifiera à l'autorité européenne et au superviseur de l'État d'accueil le fait que l'assureur en question prévoit d'exercer une partie de ses activités dans un autre État membre. Ultérieurement, le superviseur de l'État membre d'origine, c'est-à-dire celui qui délivre l'agrément, informera les autorités concernées si les conditions financières de cet assureur se dégradent. Cette procédure devrait renforcer le suivi des assureurs agissant en France sous le régime de la libre prestation de service.
Deuxièmement, l'article 35 transpose également les dispositions du droit de l'Union européenne visant à mettre en place une plateforme collaborative entre les autorités de supervision compétentes, afin que leur dialogue ne repose pas uniquement sur la bonne volonté des parties prenantes.
Ces dispositions constituent une première amélioration bienvenue, portée par la France et l'Italie au niveau européen, afin de répondre aux difficultés engendrées par les faillites récentes d'assureurs exerçant en libre prestation de services. Néanmoins, elles ne règlent pas l'intégralité des difficultés. D'une part, la supervision prudentielle continue de reposer sur l'autorité du pays d'origine : des assureurs peu scrupuleux peuvent profiter d'une moindre vigilance de certains superviseurs pour choisir leur lieu d'implantation et obtenir un agrément. D'autre part, elles n'épuisent pas la question de l'indemnisation des assurés dont les assureurs étrangers ont fait faillite. Le Gouvernement travaille à l'élaboration d'un dispositif sur ce point, pour compléter celui en vigueur depuis 2018, et qui figurera sans doute dans le projet de loi de finances pour 2022.
À ce stade, je vous proposerai donc uniquement d'adopter deux amendements rédactionnels sur ces articles.
J'en viens maintenant aux deux articles sollicitant une habilitation à légiférer par ordonnances.
Comme vous le savez, le recours aux ordonnances s'est fortement intensifié ces dernières années. Le Sénat, qui n'a qu'un goût modéré pour ce recours, a donc renforcé son contrôle en la matière - et ce d'autant plus qu'il a été démontré que légiférer par ordonnance, contrairement à ce que dit le Gouvernement, se révèle souvent plus long que de passer par la voie traditionnelle.
Aussi, je me suis attaché à vérifier que les deux habilitations sollicitées se justifiaient par l'absence de marge de manoeuvre du législateur et l'impossibilité d'intégrer directement dans la loi les mesures de transposition.
Il me semble que ces deux conditions sont remplies pour l'article 36, qui vise uniquement à transposer la série de mesures de relance par les marchés des capitaux portée par la directive 2021/338 du 16 février 2021.
Une transposition directe aurait difficilement pu être réalisée, le texte définitif de la directive ayant été publié quelques jours avant la transmission au Conseil d'État du présent projet de loi. En outre, l'habilitation paraît justifiée par l'absence de marge de manoeuvre substantielle laissée au législateur national.
À l'inverse, l'article 41 me semble emporter un risque majeur de dessaisissement du Parlement.
Il propose d'habiliter le Gouvernement non seulement à mettre notre droit national en conformité avec le nouveau règlement européen sur le financement participatif adopté en octobre 2020 mais également à « adapter et moderniser » les dispositions encadrant les activités de financement participatif ne relevant pas du droit européen, ce qui est très large.
En effet, le règlement européen n'encadre qu'une partie des activités de financement participatif aujourd'hui admises en droit interne. En particulier, son champ exclut les dons et les prêts sans intérêt, les minibons, les projets non lucratifs des collectivités et des associations ou encore les projets lucratifs d'un montant supérieur à 5 millions d'euros.
Or, il ressort des auditions que le Gouvernement pourrait profiter de cette habilitation très large pour durcir les conditions d'exercice de certaines activités de financement participatif n'entrant pas dans le cadre européen, voire pour les supprimer.
De tels choix, lourds de conséquences pour les acteurs concernés, et nullement imposés par le législateur européen, doivent faire l'objet d'un débat public et me semblent relever par essence d'un vote du Parlement.
Aussi, je vous proposerai un premier amendement visant à restreindre le champ de l'habilitation à la mise en conformité avec le règlement européen et à des évolutions ciblées des activités nationales attendues de longue date par les acteurs. Concrètement, une telle restriction aurait pour conséquence de contraindre le Gouvernement à préserver les activités non régulées par le droit européen. Si un besoin de simplification survient à l'usage, il sera toujours temps de revenir devant le Parlement pour procéder aux aménagements nécessaires.
En complément, un second amendement propose de modifier directement les conditions d'accès au financement participatif des collectivités territoriales, afin d'apporter des clarifications et des assouplissements attendus par l'Association des maires de France et les plateformes de financement participatif.
Au total, ce sont donc sept amendements que je vous proposerai d'adopter, dont deux de fond.
Enfin, en application du Vade Mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, je suggère que nous propositions à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'inclure dans le périmètre des articles qui nous sont délégués les dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de l'économie et des finances, concernant plus précisément :
- l'identification des actionnaires ;
- l'adaptation de notre droit pour assurer le contrôle du respect des dispositions des actes législatifs de l'Union européenne en matière de marché européen des paiements unifié ;
- l'adaptation de notre droit aux actes législatifs de l'Union européenne en matière de lutte contre les abus de marché ;
- les règles applicables en matière de prestations de services de lettres recommandées électroniques ;
- l'adaptation de notre droit aux actes législatifs de l'Union européenne modifiant les compétences des autorités européennes de surveillance et les obligations des autorités nationales de contrôle envers celles-ci ;
- l'adaptation de notre droit aux actes législatifs de l'Union européenne visant à promouvoir l'accès aux marchés de capitaux ;
- les règles applicables aux systèmes de règlement et de livraison d'instruments financiers ;- les règles applicables aux dépositaires centraux de titres ;
- les règles relatives au financement participatif.
Bravo, et merci, pour votre pédagogie, sur ce texte qui est loin d'emporter le coeur des foules, de par sa complexité importante. Il s'agit essentiellement de transposition du droit européen. Je partage votre avis sur la nécessité de cadrer davantage les choses à l'article 41.
Bravo pour la clarté de votre exposé. Oui, le Sénat n'a qu'un goût modéré pour les ordonnances - et nous devons être encore plus vigilants en ce qui concerne les directives européennes, que le Gouvernement et la haute administration ont une fâcheuse tendance à vouloir surtransposer. Sur le financement participatif, je partage vos conclusions.
L'interprétation du périmètre au titre de l'article 45 de la Constitution n'est-elle pas restrictive ? Sur les conditions de concurrence dans les transports maritimes, il y a des dispositions à prendre pour que les opérateurs français accroissent leur compétitivité.
Comme tout parlementaire, je n'ai pas un goût immodéré pour les ordonnances, et nous devons être vigilants sur le champ de l'habilitation. L'article 36 est très technique, et le Parlement n'aurait guère de marge de manoeuvre. Mais à l'article 41, l'habilitation est très large : « moderniser » est un terme très vague, qui revient à signer un blanc-seing au Gouvernement. Quant au périmètre du texte, je ne vous le propose que pour la partie économique et financière déléguée à notre commission, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable statuera sur l'ensemble du périmètre, en incluant notre proposition sur les articles dont l'examen nous est délégué au fond.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 33 (délégué)
L'amendement rédactionnel COM-35 est adopté.
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 33 ainsi modifié.
Article 34 (délégué)
L'amendement rédactionnel COM-36 est adopté.
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 34 ainsi modifié.
Article 35 (délégué)
L'amendement rédactionnel COM-37 est adopté.
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 35 ainsi modifié.
Article 36 (délégué)
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 36 sans modification.
Article 37 (délégué)
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 37 sans modification.
Article 38 (délégué)
L'amendement rédactionnel COM-38 est adopté.
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 38 ainsi modifié.
Article 39 (délégué)
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 39 sans modification.
Article 40 (délégué)
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 40 sans modification.
Article additionnel après l'article 40 (délégué)
L'amendement COM-1 autorise la prestation de services de recommandés électroniques par des prestataires non qualifiés. En 2016, avec la loi pour une République numérique, le choix a été fait de créer un régime unifié de lettre recommandée électronique, avec un haut niveau d'exigence de sécurité informatique et d'authentification, en s'appuyant sur le cadre européen en vigueur. La logique de l'amendement est contraire à l'objet de l'article 40 du présent projet de loi, qui est de rendre opérationnel le dispositif de poursuites pour les prestataires offrant, sans agrément, des prestations de lettre recommandé ou recourant à toute dénomination susceptible de prêter à confusion. Nous aurions deux catégories de lettre recommandée électronique, avec une concurrence entre les deux... Avis défavorable.
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable de ne pas adopter l'amendement COM-1.
Article 41 (délégué)
Mon amendement COM-39 clarifie et assouplit les conditions d'accès des collectivités territoriales au financement participatif. Aujourd'hui, elles ne peuvent en bénéficier que pour un service culturel, éducatif, social ou solidaire. Ce champ apparaît trop limité au regard de la variété des projets susceptibles d'être financés. En outre, une interprétation restrictive de l'administration crée un doute sur la possibilité de lever des fonds en émettant des obligations, alors même que les investisseurs institutionnels font preuve d'un intérêt nouveau pour ce type d'instrument.
Absolument ! C'est une demande formulée depuis un quinquennat, au moins, et cela répondra à des besoins nouveaux.
Comme quoi, même sur ce type de texte, on peut faire avancer les choses !
L'amendement rédactionnel COM-39 est adopté.
Mon amendement COM-40 encadre l'habilitation, en la limitant à la mise en conformité du droit national avec le règlement européen et à des évolutions ciblées des règles internes permettant un accès plus aisé des sociétés civiles agricoles au financement participatif et une soumission plus large des cagnottes en ligne aux obligations de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, compte tenu des risques importants en la matière mis en évidence par Tracfin. C'est plus strict que ce que propose le Gouvernement : nous ne voulons pas lui donner un blanc-seing.
Cette proposition de limitation a-t-elle fait l'objet d'échanges avec le Gouvernement, permettant d'espérer son accord ?
Nous avons échangé avec ses services, et n'avons pas reçu de réponse à ce stade. Le Gouvernement n'est jamais enthousiaste à l'idée que le Parlement encadre ses demandes d'habilitation...
L'amendement rédactionnel COM-40 est adopté.
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 41 ainsi modifié.
Article 42 (délégué)
L'amendement de coordination COM-41 est adopté.
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 42 ainsi modifié.
Je soumets à votre approbation la proposition de périmètre du texte au sens de l'article 45 de la Constitution tel qu'il nous a été présenté par le rapporteur, pour la partie du texte dont l'examen au fond nous est délégué.
Il en est ainsi décidé.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
TABLEAU DES SORTS
Nous continuons cette matinée par l'examen de la proposition de loi d'urgence visant à apporter une réponse solidaire et juste face à la crise, présentée par Mmes Raymonde Poncet Monge, Sophie Taillé-Polian et plusieurs de leurs collègues. Aucun amendement n'a été déposé pour cet examen en commission.
L'article 1er de la proposition de loi prévoit le versement d'un complément de 100 euros par mois aux bénéficiaires des aides personnelles au logement. Cette mesure s'appliquerait jusqu'à trois mois après la fin de l'état d'urgence, c'est-à-dire jusqu'à la fin août de cette année si l'état d'urgence n'est pas prorogé au-delà du 1er juin.
Cette mesure est rattachée par ses modalités aux aides au logement, ce qui faciliterait certainement sa mise en oeuvre, mais elle est en fait d'une nature très différente.
En effet, elle ne dépend pas du niveau du loyer, des ressources, du patrimoine ou même du nombre de personnes composant le ménage : l'aide serait identique pour un ménage composé de nombreuses personnes et sans ressources, qui bénéficie en conséquence d'une aide personnalisée au logement (APL) relativement élevée, et pour une personne seule à revenu plus élevé pour laquelle le niveau de l'APL est réduit.
Il s'agirait donc d'une aide sociale générale, sans véritable lien avec les dépenses de logement, mais dotée d'un effet de seuil considérable, puisqu'une légère différence de revenus suffirait pour qu'un ménage bénéficie, ou non, de l'intégralité de l'aide de 100 euros.
Le coût est facile à estimer : le nombre des bénéficiaires des APL étant d'environ 6,6 millions, la mesure représenterait une dépense de l'ordre de 660 millions d'euros par mois, ou 2 milliards d'euros pour trois mois. Pour mémoire, le montant total des aides personnelles au logement a été de 17 milliards d'euros en 2020, dont 13,9 milliards d'euros à la charge de l'État.
L'article 1er gage cette dépense sur les recettes provenant du report de la mise en oeuvre de la suppression de la taxe d'habitation à l'article 2, mais ces recettes seront nulles en 2021 ; donc, en pratique, c'est une taxe additionnelle aux droits sur le tabac qui devrait être créée.
Ainsi la création de cette aide, qui part du souhait légitime d'aider les ménages à revenus modestes pendant la crise sanitaire, me semble mal adaptée à la diversité de leur situation ainsi qu'à leur exposition réelle aux effets de la crise, qui dépend d'autres facteurs tels que le secteur économique ou le type de contrat de travail.
L'article 2 de la proposition de loi a pour objet de modifier la trajectoire de suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales pour ce qui concerne, plus particulièrement, l'allégement en faveur des 20 % de ménages aisés.
La mesure poursuit un double objectif d'après les auteurs de la proposition.
D'abord, elle vise à dégager des ressources pour assurer le financement des aides proposées à l'article 1er.
Ensuite, elle propose d'organiser une contribution plus importante des ménages que l'exposé des motifs qualifie de privilégiés.
Je vais me permettre de vous présenter un bref rappel des grandes lignes de la réforme de la taxe d'habitation sur les résidences principales avant de vous expliquer, plus précisément, ce que propose la PPL.
À l'occasion de la loi de finances pour 2018, le Parlement a adopté, comme vous le savez, un dégrèvement progressif de taxe d'habitation sur les résidences principales en faveur des 80 % de ménages les moins aisés.
Ainsi, en 2020, les ménages concernés ont bénéficié d'un dégrèvement intégral de taxe d'habitation sur leur résidence principale. En loi de finances pour 2020, le Parlement a voté la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales à compter de 2023.
Cette réforme comporte plusieurs volets. En premier lieu, elle prévoit que le dégrèvement de taxe d'habitation sur les résidences principales est transformé en exonération.
En deuxième lieu, elle prévoit que les 20 % de ménages aisés restant redevables de la taxe dans le dispositif introduit en 2018, bénéficieront d'une exonération progressive en 2021 et 2022. Ainsi, en 2021 l'exonération sera égale à 30 % de la taxe d'habitation sur les résidences principales et, en 2022, à 65 %.
En troisième lieu, la réforme prévoit qu'à compter de 2021, le produit de la taxe d'habitation sur les résidences principales est intégralement reversé à l'État.
Enfin, la réforme prévoit que les collectivités locales bénéficient de ressources de substitution au travers, vous le savez, de la redescente de la part départementale de la taxe foncière ou de l'affectation d'une fraction de TVA.
Notre commission des finances et le Sénat ont largement discuté et débattu de cette réforme que nous jugions, je le rappelle, critiquable sur de nombreux points. En particulier, nous avions considéré que l'impact sur les collectivités locales de la mise en oeuvre de ce nouveau modèle de financement n'était pas suffisamment évalué.
Le Sénat avait donc, à l'initiative de la commission des finances, voté une série d'amendements tendant à décaler d'un an la mise en oeuvre du nouveau schéma de financement des collectivités locales. Je me permets d'insister sur ce dernier point : ce que le Sénat a voté, c'est un décalage d'un an de la redescente de la taxe foncière et de l'affectation de TVA aux établissements publics de coopération intercommunale et aux départements.
À aucun moment, le Sénat n'a remis en question par son vote le principe ou la trajectoire d'allègement en faveur des 20 % de ménages restant redevables de l'impôt. Celle-ci s'impose pour des motifs constitutionnels, comme l'analysait fort bien le rapport Richard-Bur de 2017.
J'en viens donc au contenu de l'article 2 de la proposition de loi
Celui-ci propose que l'exonération à 65 % de la taxe d'habitation sur les résidences principales prévue pour s'appliquer en 2022 au profit des 20 % des ménages restant redevables de l'impôt, soit limitée à 30 %. L'exonération à 65 % ne s'appliquerait qu'en 2023 et la taxe ne serait supprimée, corrélativement, qu'en 2024.
D'abord, je rappelle que ces propositions sont absolument sans incidence pour les collectivités locales, qui n'y gagneront ou n'y perdront rien. En effet, le nouveau schéma de financement des collectivités locales est déjà en vigueur, et c'est donc l'État qui perçoit actuellement la taxe d'habitation sur les résidences principales. Ne voyons donc pas là, mes chers collègues, une occasion de refaire le match de la réforme en faveur des collectivités locales, car ce n'est pas l'objet du dispositif de cette proposition de loi. Cette proposition ne me semble pas bienvenue, et je vous proposerai de rejeter cet article.
En premier lieu, la mesure a pour objet de générer une recette supplémentaire pour l'État de l'ordre 2,6 milliards d'euros en 2022 afin de financer le coût des aides prévues à l'article 1er. Par cohérence avec la proposition de rejet de l'article 1er que j'ai déjà évoqué, je considère que le dispositif de l'article 2 ne se justifie plus.
En second lieu, la mesure vise pour les auteurs à renforcer la justice fiscale en organisant une plus forte participation des ménages favorisés. Il me semble que ce terme est loin d'être adéquat. Certes, les ménages encore redevables de la taxe d'habitation disposent, par définition, des 20 % de revenus les plus importants.
Néanmoins, cette présentation ne rend pas compte du fait que les seuils retenus sont en réalité assez faibles et que l'on peut être, dans une pièce de dix personnes, parmi les deux qui gagnent le mieux leur vie sans pour autant être riches. Par exemple, un couple sans enfant figure parmi les 20 % de ménages aisés dès lors que le revenu mensuel de chacun des conjoints excède 1 749 euros après impôts. Pour un couple avec deux enfants, ce montant est de 2 256 euros.
Il ne s'agit pas pour moi de nier le fait qu'une part importante de nos concitoyens perçoit des revenus inférieurs à ceux que je viens de citer, mais plutôt à rappeler qu'on ne peut pas vraiment dire que les ménages visés par la mesure proposée sont des privilégiés.
En troisième et dernier lieu, revenir sur le niveau de l'exonération applicable en 2022 serait un mauvais signal. Un mauvais signal pour le soutien à la relance, car cela réduirait le pouvoir d'achat des ménages qui s'attendaient à bénéficier de cette mesure. Un mauvais signal pour la prévisibilité de la loi de fiscale, également, alors que celle-ci constitue un élément de confiance important.
Pour l'ensemble des raisons que j'ai évoquées, je vous propose de rejeter l'article 2 de la proposition de loi.
Je suis d'accord avec notre rapporteur : cette proposition de loi apporte une réponse inadaptée, inappropriée, à une question parfaitement légitime. Nous devons éviter de brouiller le message que le Parlement envoie aux Français. Le logement est un vrai sujet, pour maintes raisons, et pas seulement le niveau des revenus. Il y a d'ailleurs des différences entre régions, en fonction de la tension du marché, des conditions de financement, des parcours résidentiels, etc. Je partage l'analyse du rapporteur : notre commission des finances est là, aussi, pour faire respecter certaines lignes et empêcher des modifications intempestives des dispositifs adoptés.
Nous sommes d'accord, je pense, sur le constat : il est urgent de prendre des mesures exceptionnelles de soutien aux populations les plus modestes - si vous préférez ce terme, et nous parlerons des revenus fiscaux les plus hauts plutôt que des privilégiés ! Toutes les associations qui travaillent et agissent au plus près de ces populations, comme ATD Quart Monde, ou le Secours catholique, nous alarment. Il n'est pas question de réformes structurelles, ou d'une réforme fiscale, mais de répondre à une situation de crise. Les acteurs de la lutte contre la pauvreté nous disent qu'en 2020, un million de personnes auraient basculé dans la pauvreté, s'ajoutant aux 9 millions de ménages qui étaient déjà en dessous du seuil de pauvreté. Les premières données de l'Insee confirment un recul net du niveau de vie pour les deux ou trois premiers déciles de la distribution des revenus fiscaux. Les départements mesurent bien cette progression de la grande pauvreté avec l'évolution du revenu de solidarité active (RSA).
Pour certains, il y a aujourd'hui un arbitrage entre le paiement du loyer - souvent privilégié, tant la crainte de ne pas payer son loyer est forte dans les populations très modestes - et l'alimentation, voire les soins. Il est urgent de prendre une mesure sociale exceptionnelle et s'étalant sur plusieurs mois, au lieu d'un unique chèque. Nous avons, pour cela, cherché à toucher les 20 à 30 % plus pauvres, c'est-à-dire les deux ou trois premiers déciles. C'est pour cela que nous avons utilisé les APL : il ne s'agit aucunement d'un texte sur le logement ! Les APL solvabilisent les locataires. Surtout, comme toutes les analyses le montrent, c'est l'outil le plus puissant - avec les minima sociaux - pour lutter contre les inégalités : elle fait descendre de huit points l'indice d'extrême pauvreté ! C'est pour cela que nous l'avons prise pour guide : 90 % de ses bénéficiaires sont dans les premiers déciles. C'est une aide très concentrée sur le bas de la distribution. De fait, 40 % de ses bénéficiaires sont sous le seuil de pauvreté. Et il importait de bien cibler les destinataires d'une mesure sociale que nous voulions redistributive.
Bien sûr, il n'est pas question de stigmatiser le haut de la distribution, mais on parle beaucoup de l'excès d'épargne qui a été constitué pendant le confinement en 2020, et qui continue à l'être en 2021, alors que les deux premiers déciles n'ont pas épargné - même, ils ont désépargné, puisqu'ils se sont endettés. Les quelque 200 milliards d'euros d'épargne supplémentaire ont été constitués, à 70 %, par les 20 % les moins modestes - si vous préférez cette formulation. Nous n'avons pas voulu taxer cette épargne supplémentaire. Nous demandons simplement s'il est vraiment opportun de faire un cadeau fiscal à ceux qui l'ont constituée.
Nous n'avons pas voulu passer par le tabac... On constate actuellement que le coefficient de Gini, suivi par l'Observatoire des inégalités, est en train de se dégrader - ce qui est mauvais pour la croissance.
En bref, l'APL est le meilleur outil pour concentrer l'aide sur le public concerné. Et je vous rappelle que l'État, par deux fois l'an dernier, au profit des 800 000 étudiants touchant les APL, a versé une prime exceptionnelle, par deux décrets, sans effet de bord. Seule différence avec nous : nous voulons une prime pendant plusieurs mois. Pour la financer, nous proposons de différer un cadeau fiscal. De fait, à l'origine, l'exonération de taxe d'habitation a été pensée pour les classes moyennes...
Elle n'était pas constitutionnelle, en effet. Mais l'idée était de toucher 80 % de la population, correspondant, au niveau statistique, aux classes moyennes. Cette réforme ne devait pas concerner les 20 % les plus riches. Depuis, elle est devenue anti-redistributive !
D'abord, il est évidemment indispensable de se poser la question du calibrage des aides versées. Je note cependant qu'on est très pointilleux quand il s'agit de soutenir les ménages les plus modestes, et beaucoup moins quand les dispositifs ciblent indistinctement la quasi-totalité des entreprises.
Ensuite, il faut rappeler que le montant des aides personnelles au logement a sensiblement baissé ces dernières années. Notre texte vient en quelque sorte contrebalancer les effets néfastes de la réforme de la contemporanéité des APL.
Enfin, nous n'ambitionnions pas d'élaborer une véritable réforme fiscale. Nous souhaitions simplement reporter d'une année le cadeau fiscal fait aux 20 % des ménages les plus aisés. L'article 2 doit être considéré comme un geste de solidarité à l'égard des familles les plus en difficulté.
Je ne suis pas opposé à ce que l'on aide les ménages les plus fragiles. En revanche, la solution que vous préconisez doit faire débat. Vous proposez de verser une aide forfaitaire de 100 euros à tous les bénéficiaires actuels des APL : le choix de la forfaitisation a certes le mérite de la clarté, mais il est économiquement injuste.
Cette mesure coûterait 8 milliards d'euros par an. À mon sens, si nous avions 4 ou 4,5 milliards d'euros à redistribuer, il y aurait certainement mieux à faire.
Je précise que j'ai toujours été défavorable à la suppression de la taxe d'habitation, mesure qui coûte 17 à 18 milliards d'euros par an au budget de l'État. Il s'agit d'un cadeau électoral, qui plus est mal pensé, puisque le dispositif initial a été fait l'objet de réserves substantielles de la part du Conseil constitutionnel. Je ne suis pas certain que ce dernier validerait une disposition tendant à reporter d'une année une réforme déjà entrée en vigueur pour 80 % des Français.
Je suis défavorable à cette proposition de loi, car elle accroîtrait encore davantage l'écart entre ceux qui vivent des revenus de leur travail et ceux qui vivent de la solidarité nationale. Une telle réforme serait inéquitable. Je rappelle, en outre, que cet écart n'est pas sans incidence pour les collectivités locales qui offrent des services dont la tarification peut varier en fonction du revenu des ménages.
Nous partageons évidemment le même objectif que les auteurs de cette proposition de loi. Si nous sommes d'accord avec l'état des lieux qui est parfaitement dressé, nous aurons en définitive un avis mitigé sur le texte. En effet, plutôt qu'une aide d'urgence provisoire, nous préférerions une réforme fiscale de fond et d'ampleur.
Les mesures fiscales en matière de logement sont très largement incomprises par nos concitoyens. La réforme des APL a été mal accueillie, notamment par les ménages modestes et les primo-accédants. En effet, ces derniers ne comprennent pas toujours pourquoi ils perdent le bénéfice de l'APL lorsqu'ils parviennent à concrétiser un projet d'achat alors même que leur revenu n'a pas évolué.
Cela étant, la mesure ponctuelle proposée par nos collègues ne me paraît pas très efficace. En outre, si la suppression de la taxe d'habitation a constitué une erreur financière, politique et démocratique, il faut admettre que l'échéance ne peut pas être éternellement repoussée. Cette proposition de loi me laisse donc très dubitatif.
La hausse de la précarité due à la crise sanitaire est indéniable. Si l'on peut s'interroger sur son absence de progressivité ou de proportionnalité, il faut reconnaître que l'aide proposée est seulement temporaire et permettrait de disposer de davantage de temps pour réfléchir à d'autres dispositifs plus adaptés.
Cette mesure répond également au manque criant de dispositions en faveur des publics les plus défavorisés, les fameux « oubliés » de la crise. Le logement fait effectivement partie des politiques publiques sacrifiées à l'aune de la crise actuelle.
À l'instar de mes collègues, j'étais hostile à la suppression de la taxe d'habitation. Pour autant, qu'on le veuille ou non, cette réforme est actée et cela n'est pas remis en cause par la proposition de loi, alors pourquoi ne pas en reporter l'application d'une année ?
Même si je partage les objectifs visés, dans la mesure où beaucoup de familles sont aujourd'hui fragilisées par la crise, la disposition proposée ne me semble pas adaptée : en effet, l'aide repose sur le mécanisme des APL sans pour autant que le calcul de son montant tienne compte des revenus du bénéficiaire ou du montant du loyer.
Il n'est bien entendu pas question de revenir sur le constat selon lequel la crise touche davantage les plus modestes.
En revanche, la mesure envisagée à l'article 1er nous paraît mal calibrée. Elle a d'ailleurs le défaut de sa grande simplicité : elle est tellement simple qu'elle en devient inique. Son montant est versé forfaitairement et n'est pas déterminé en fonction du coût du logement, des revenus du bénéficiaire des APL ou des critères servant au calcul des aides au logement.
S'il est vrai que certaines mesures ont été prises l'an dernier pour aider les plus modestes, il faut préciser qu'elles reposaient toutes sur des critères précis et objectifs, comme le nombre d'enfants à charge, la taille du ménage ou l'âge, ce qui n'est pas le cas ici.
S'agissant de la suppression de la taxe d'habitation, le processus est engagé et il serait complexe de revenir en arrière.
Enfin, en application du l'article 45 de la Constitution, je vous propose de considérer que le périmètre indicatif de la proposition de loi visant à apporter une réponse solidaire et juste face à la crise inclue les dispositions relatives à l'institution d'une aide complémentaire aux aides personnelles au logement, d'une part, et à la trajectoire d'allégement de la taxe d'habitation sur les résidences principales préalable à la suppression de cette imposition, d'autre part.
Le périmètre de la proposition de loi est adopté.
Dans la mesure où il n'y a pas d'amendements déposés en vue de l'élaboration du texte de commission, je vais mettre directement aux voix les articles de la proposition de loi.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er et 2
Les articles 1er et 2 ne sont pas adoptés.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposé sur le Bureau du Sénat.
Notre commission a été destinataire jeudi dernier d'un projet de décret d'avance portant ouverture de 7,2 milliards d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement afin de financer des dépenses urgentes.
En application de l'article 13 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, ce décret doit être pris sur avis du Conseil d'État et après avis des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, qui disposent pour cela d'un délai de sept jours à compter de la notification qui leur a été faite du projet de décret.
Aussi le rapporteur général va-t-il nous présenter une communication à ce sujet et nous exposer un projet d'avis sur lequel notre commission devra statuer. L'avis de notre commission sera ensuite transmis à M. le Premier ministre.
Jusqu'en 2017, chaque année était marquée par la présentation d'un ou de plusieurs décrets d'avance, y compris par le Gouvernement actuel. Ce dernier s'est ensuite abstenu de prendre des décrets d'avance pendant trois années consécutives, de 2018 à 2020 : c'est une pratique plus respectueuse de l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), car le décret d'avance devrait rester une procédure d'exception pour des cas d'urgence.
Le projet de décret d'avance qui nous est soumis à présent ne ressemble guère à ceux que nous avions l'habitude d'examiner. Il s'en distingue en particulier par sa relative simplicité, puisque ses ouvertures et annulations ne portent que sur trois programmes d'une même mission, la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », mais aussi par son montant et par le contexte budgétaire exceptionnel dans lequel il s'inscrit.
Je dois d'abord faire un point sur sa régularité.
Première condition : un décret d'avance doit annuler un montant de crédits égal au montant des crédits ouverts : c'est bien le cas, puisque d'un côté, le texte ouvre 7,2 milliards d'euros de crédits, soit 6,7 milliards d'euros pour le programme 357 relatif au fonds de solidarité pour les entreprises et 0,5 milliard d'euros pour le programme 356, qui finance principalement l'activité partielle ; et de l'autre côté, il annule le même montant sur le programme 358 consacré au renforcement des participations financières de l'État.
Deuxième condition : les crédits de paiement ouverts doivent être inférieurs à 1 % des crédits ouverts dans la loi de finances de l'année et les autorisations d'engagement ne doivent pas dépasser 1,5 % de ces crédits. Là encore c'est bien le cas, puisque 7,2 milliards d'euros sont égaux très précisément à 0,995 % des crédits ouverts par la loi de finances pour 2021. Ceci m'amène à mes premiers constats.
D'une part, ce projet de décret d'avance est d'un montant historiquement élevé et le présent Gouvernement a d'ores et déjà ouvert beaucoup plus de crédits par décret d'avance que ses prédécesseurs.
D'autre part, il se prive de la possibilité de prendre un nouveau décret d'avance au cours de l'année, si un besoin urgent apparaissait. La marge restante, en valeur absolue, est de 35 millions d'euros. À titre de comparaison, les dépenses du fonds de solidarité sont en ce moment de 190 millions d'euros par jour.
Troisième condition : les ouvertures de crédit doivent correspondre à un besoin urgent. Je distinguerai les deux programmes concernés.
Les crédits disponibles sur le programme 356 de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », qui finance l'activité partielle et deux autres dispositifs, sont aujourd'hui de 0,7 milliard d'euros seulement alors que les dépenses sont supérieures à 1 milliard d'euros par mois. Mais la situation est en fait un peu plus complexe et je vais tenter de vous l'expliquer.
Si les crédits disponibles sont si faibles, c'est parce que le Gouvernement a, par un arrêté pris le 18 mars dernier, annulé 2,3 milliards d'euros de crédits de ce programme. Sans cette décision, il ne serait évidemment pas nécessaire d'ouvrir aujourd'hui 500 millions d'euros de crédits... Plus précisément, cette annulation portait sur des crédits ouverts en 2020 et non consommés : au lieu de les reporter sur le même programme, le Gouvernement les a reportés vers le programme 357, c'est-à-dire le fonds de solidarité. Le Gouvernement a fait de même avec 4,3 milliards d'euros de crédits non consommés sur le programme 360, qui finance des compensations à la sécurité sociale d'allégements de cotisations.
Je m'interroge sur la compatibilité de ces reports croisés avec l'article 15 de la LOLF qui prévoit que « les crédits de paiement disponibles sur un programme à la fin de l'année peuvent être reportés sur le même programme ou, à défaut, sur un programme poursuivant les mêmes objectifs ». Pour le dire en termes moins techniques, cela peut s'apparenter à un contournement de l'autorisation parlementaire, puisque celle-ci a été apportée de manière distincte pour chacun des dispositifs.
Mais il y a plus. Pour financer l'activité partielle instituée lors du premier confinement, qui relève comme je viens de le dire du programme 356 de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », le Gouvernement a décidé d'utiliser des fonds non encore utilisés sur le programme 364 « Cohésion » de la mission « Plan de relance ». Ce programme contient une enveloppe de 4,4 milliards d'euros qui est en fait destinée à deux dispositifs nouveaux, à savoir l'activité partielle de longue durée (APLD) et l'activité partielle de droit commun (APDC). Ces deux nouveaux dispositifs ont été sous-utilisés jusqu'à présent car c'est en fait le dispositif de 2020, créé par le plan d'urgence, qui se poursuit. Là encore, je m'interroge sur cette pratique qui conduit à appliquer à un dispositif des crédits qui ont été votés pour un autre, même si les objectifs, cette fois, sont proches. Nous avions, lors de la loi de finances, déploré le rassemblement sous le label « Plan de relance » de dispositifs qui relevaient en fait du soutien d'urgence.
Ainsi, lorsqu'on examine les crédits réellement disponibles pour financer l'activité partielle, il faut additionner les 0,7 milliard d'euros du programme 356 déjà cités, les crédits issus du plan de relance et non encore consommés, soit 2 milliards d'euros environ, et encore la trésorerie de l'Agence de services et de paiement chargée de verser les aides, soit environ 1,5 milliard d'euros.
Le total est de 4,2 milliards d'euros, ce qui correspond à peu près aux besoins estimés par le Gouvernement jusqu'au mois de juillet, mais pas au-delà.
La demande d'ouverture de crédits, à hauteur de 500 millions d'euros, paraît donc nécessaire pour « sécuriser » les financements. Elle pourrait servir pour le financement de l'activité partielle proprement dite, mais aussi pour deux dispositifs annexes, à savoir une prime aux salariés précaires, dits « permittents », et une indemnisation des congés payés pour certains établissements. Ces deux dispositifs ont été rajoutés dans le périmètre du programme 356 par l'Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021 en nouvelle lecture.
L'urgence est plus grande s'agissant du fonds de solidarité. La situation est la suivante : les crédits en 2021 sont de 20,2 milliards d'euros, avec 5,6 milliards d'euros ouverts par la loi de finances pour 2021 et le reste provenant de crédits non consommés en 2020 sur le fonds de solidarité lui-même, mais aussi sur d'autres programmes comme je l'ai évoqué tout à l'heure.
Avec un rythme de dépenses qui a varié entre 2,2 et 4,2 milliards d'euros par mois depuis le début de l'année, les crédits actuellement encore disponibles sont de l'ordre de 6,9 milliards d'euros. Or l'administration prévoit une consommation de l'ordre de 5,9 milliards d'euros au mois de mai, estimation qui paraît assez raisonnable compte tenu du renforcement progressif de ce fonds au cours des derniers mois ; et la décroissance des besoins sera très progressive au cours de l'été.
La rupture de paiement risque donc de survenir rapidement au mois de juin et l'ouverture de crédits me paraît nécessaire et urgente pour continuer à soutenir les entreprises.
Un mot à présent sur les annulations de crédit. Elles portent sur le programme 358, créé pour permettre à l'État de prendre des participations financières dans des entreprises en difficulté. Ce programme n'a pourtant reçu aucune dotation en loi de finances pour 2021 : ses crédits proviennent intégralement d'un report massif de 11,7 milliards d'euros de crédits non consommés en 2020. Nous avons déjà critiqué alors le manque de sincérité de cette pratique, que nous ne pouvons que déplorer à nouveau aujourd'hui.
Le décret d'avance « gage » ses ouvertures sur des crédits ouverts il y a plus d'un an, par la deuxième loi de finances rectificative du 25 avril 2020. Ces crédits ne semblent ainsi avoir été maintenus au-delà de la fin de l'année, par un contournement des principes de sincérité et d'annualité budgétaires, que pour servir de compensation à l'ouverture de nouveaux crédits en 2021.
Pour autant, ces crédits paraissant disponibles aujourd'hui pour une annulation, il n'y a pas lieu de s'y opposer, d'autant qu'il restera encore 3,9 milliards d'euros sur ce programme après l'entrée en vigueur de ce décret d'avance. On ne peut toutefois pas exclure que le Gouvernement demande une nouvelle ouverture de crédits dans les mois à venir si des besoins se présentaient.
En conclusion, je vous proposerai de donner un avis favorable, non pas à la gestion budgétaire conduite par ce Gouvernement, mais aux dispositions de ce projet de décret d'avance. Les critères de régularité sont, à mon sens, respectés et les besoins sont réels et urgents, en particulier sur le fonds de solidarité.
Je déplore cependant que le Gouvernement ait eu recours à de tels expédients budgétaires pour retarder jusqu'au dernier moment la présentation d'une demande de crédits. Et je considère également, une nouvelle fois, qu'il aurait dû présenter, plus tôt dans l'année, un projet de loi de finances rectificative, ce qui aurait permis au Parlement d'en débattre pleinement et de l'autoriser formellement.
En tout état de cause, un collectif budgétaire sera évidemment nécessaire d'ici à l'été afin d'alimenter à nouveau le fonds de solidarité, mais aussi, par exemple, pour financer l'annonce faite par le Premier ministre d'une aide d'un milliard d'euros en faveur des agriculteurs touchés par un épisode de gel tardif, voire pour le programme 360 qui finance les compensations d'exonérations de charges sociales : sur ce dernier point, la Cour des comptes note, en effet, un manque de financement de l'ordre de 2 milliards d'euros au titre de 2020, alors que le programme n'a reçu aucun crédit en 2021 et que ses crédits non consommés, comme on l'a vu, ont été reportés vers le fonds de solidarité. Nous aurons donc l'occasion d'y revenir prochainement.
Je tiens à féliciter le rapporteur général pour avoir tenté de nous expliquer cette mécanique infernale. Nous touchons là aux limites de la LOLF : ainsi, pour la première fois dans l'histoire, ce décret d'avance aggrave le déficit public car il gage des dépenses comptabilisées dans le solde maastrichtien sur une annulation de dépenses en capital qui, elles, ne sont pas comptabilisées dans le déficit public.
On constate que le Gouvernement a les mains liées : il n'est plus en mesure de financer des besoins réels, comme l'aide exceptionnelle pour les agriculteurs victimes du gel.
Même si l'on a le sentiment que le Gouvernement se moque du Parlement et qu'il utilise l'urgence sanitaire pour justifier l'embrouillamini général, je suivrai l'avis du rapporteur général, car il convient de financer les dépenses du fonds de solidarité qui s'élèvent à 4 milliards d'euros en moyenne chaque mois.
Je partage les propos de Jérôme Bascher. Avec ce projet de décret d'avance, le Gouvernement malmène le Parlement, en particulier les commissions des finances des deux assemblées.
Peut-être faudrait-il profiter de l'occasion qui nous est offerte par nos collègues députés Éric Woerth et Laurent Saint-Martin, avec leur projet de réviser certains aspects de la LOLF, pour tenter de poser quelques verrous, notamment au niveau de la programmation pluriannuelle des crédits, ce qui permettrait d'éviter ces dysfonctionnements répétitifs.
Ce projet de décret d'avance pose un problème de méthode et démontre un manque de respect à l'égard du Parlement. Le Gouvernement me semble éprouver des difficultés à dialoguer de manière sereine, apaisée et constructive avec les élus, quels qu'ils soient. Il est dommage qu'il ait choisi de repousser le plus possible la date de l'examen du prochain projet de loi de finances rectificative. Il faudra, à cette occasion, que le Sénat fasse clairement entendre sa voix.
Hier soir, aux inquiétudes qui se sont manifestées à propos de l'éventuelle dérive du déficit, le ministre Olivier Dussopt a répondu que les recettes fiscales de l'État seraient meilleures que ce que la loi de finances prévoit. S'il dit vrai, nous ne devrions pas assister à l'acrobatie budgétaire que constitue ce projet de décret d'avance.
La réponse qui a été faite hier par le ministre Olivier Dussopt était aussi acrobatique que ce que nous constatons aujourd'hui sur la mécanique du décret d'avance. Si le gouvernement considère qu'il peut s'attendre à recevoir des recettes fiscales supplémentaires, il aurait pu les inscrire dans un collectif budgétaire.
La raison pour laquelle un projet de loi de finances rectificative n'a pas été déposé aujourd'hui a été clairement exprimée par le ministre hier : le gouvernement souhaite pouvoir « solder » la pandémie d'ici à l'été et accompagner cette séquence d'un discours positif. Nous verrons apparaître dans le prochain collectif budgétaire ce que nous aurions dû voir apparaître dès aujourd'hui, à savoir de nouvelles recettes budgétaires. Un deuxième plan de relance est par ailleurs évoqué. Cela semble être une volonté du président de la République même si cette perspective n'est peut-être pas entièrement partagée par Bercy à ce stade.
Le rapporteur général nous invite à prendre en compte, dans l'avis de la commission, la réalité très particulière de la période : le cycle économique n'est pas aussi clair qu'espéré, des ressauts de la pandémie viennent l'affecter et des coûts imprévus sont constatés. C'est une année que l'on essaiera d'oublier, à la fois sur le strict plan de la pandémie mais également pour revenir à des règles budgétaires plus orthodoxes. Au sujet du projet de révision de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) proposé par nos collègues députés Éric Woerth et Laurent Saint-Martin, que Vincent Éblé a évoqué, la situation actuelle illustre surtout les limites des règles budgétaires : nous voyons bien que lorsqu'une crise d'ampleur se présente, certains des verrous fixés sont levés par nécessité.
La commission donne acte de sa communication au rapporteur général et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information ; elle adopte l'avis sur le projet de décret d'avance.
L'avis est ainsi rédigé :
La commission des finances,
Vu les articles 13, 14 et 56 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;
Vu la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 ;
Vu le projet de décret d'avance notifié le 6 mai 2021, portant ouverture et annulation de 7,2 milliards d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, le rapport de motivation qui l'accompagne et les réponses du ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics au questionnaire du rapporteur général ;
Sur la régularité du projet de décret d'avance :
1. Constate que les ouvertures de crédits ont pour objet de permettre la poursuite du versement d'aides aux entreprises dans le cadre du programme 357 « Fonds de solidarité pour les entreprises à la suite de la crise sanitaire », à hauteur de 6,7 milliards d'euros, et d'aides aux actifs et employeurs dans le cadre du programme 356 « Prise en charge du chômage partiel et financement des aides d'urgence aux employeurs et aux actifs précaires à la suite de la crise sanitaire », pour 500 millions d'euros, deux dispositifs mis en place à partir de mars 2020 en réponse aux conséquences économiques de la crise sanitaire ;
2. Observe que les ouvertures de crédits prévues par le présent projet de décret sont gagées par des annulations de même montant portant sur le programme consacré au renforcement des participations financières de l'État, lui aussi mis en place dans le cadre des mesures d'urgence ;
3. Note que les ouvertures de crédits prévues par le présent projet de décret, ainsi que les annulations de crédit, sont égales à 0,995 % des crédits de paiement ouverts par la loi de finances de l'année ; qu'elles n'excèdent donc pas le plafond de 1 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année et que les annulations n'excèdent pas le plafond de 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours ;
4. Estime que l'urgence à ouvrir les crédits est avérée, aussi bien pour le financement de l'activité partielle et des autres dispositifs relevant du programme 356 que pour le fonds de solidarité pour les entreprises, en raison de la prolongation de la crise sanitaire et des conséquences pour l'activité économique des restrictions qui ont été mises en place depuis le mois de janvier ;
5. Constate que les conditions de régularité du recours au décret d'avance prévues par la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 précitée sont donc réunies ;
Sur les ouvertures prévues par le projet de décret d'avance :
6. Relève que l'ampleur exceptionnelle des ouvertures de crédits prévues par le présent projet de décret d'avance est inédite et atteint, à 35 millions d'euros près, la limite du montant autorisé par la loi organique relative aux lois de finances ;
7. Note que le Gouvernement se prive ainsi de toute possibilité, en cas de nouveaux besoins urgents en cours d'année, d'y répondre en prenant un nouveau décret d'avance, sauf cas de nécessité impérieuse d'intérêt national prévue par le dernier alinéa de l'article 13 de la loi organique ;
8. Constate que le faible niveau des crédits actuellement disponibles sur le programme 356, qui rend nécessaire l'ouverture de crédits supplémentaires, ne résulte pas directement des besoins nouveaux liés à la crise sanitaire et à l'application de mesures restrictives de circulation et d'activité, mais de l'annulation de crédits réalisée par le Gouvernement sur le même programme par un arrêté pris le 18 mars dernier ;
9. Estime que l'arrêté précité du 18 mars témoigne d'une surprenante imprévision du Gouvernement en matière budgétaire ;
10. S'interroge aussi sur la conformité de cet arrêté au regard du principe de spécialité budgétaire, en ce qu'il a reporté des crédits non consommés en 2020 depuis les programmes budgétaires relatifs, d'une part, au financement de l'activité partielle et, d'autre part, aux compensations des exonérations de cotisations, vers le programme budgétaire relatif au fonds de solidarité, alors que ces programmes ne poursuivent pas le même objectif, sauf à considérer que tous relèvent de mesures de soutien aux entreprises ;
11. Considère que le recours au décret d'avance pour ouvrir des crédits pour un montant aussi important devrait demeurer, comme le prévoit la loi organique relative aux lois de finances, une exception ;
12. Constate en outre que le présent projet de décret d'avance, bien que ses crédits ouverts atteignent quasiment les plafonds prévus par la loi organique relative aux lois de finances, ne suffira pas à satisfaire les besoins de crédits jusqu'à la fin de l'exercice, s'agissant notamment de la prolongation annoncée de certains dispositifs du plan d'urgence pour le reste de l'année 2021 et du soutien aux agriculteurs et viticulteurs touchés par un épisode de gel tardif ;
13. Regrette en conséquence que le Gouvernement n'ait pas présenté un projet de loi de finances rectificative plutôt qu'un projet de décret d'avance ;
Sur les annulations prévues par le projet de décret d'avance :
14. Constate que les crédits annulés ne portent pas sur des crédits ouverts en loi de finances initiale, mais sur des crédits non consommés de l'année 2020 relatifs au dispositif destiné à financer le renforcement des participations financières de l'État et qui avaient fait l'objet d'un report ;
15. Souligne que ce report de crédits, qui représentait 60 % des crédits initialement ouverts sur le programme budgétaire en 2020, a été réalisé par un arrêté pris avant même la promulgation de la loi de finances initiale pour 2021, qui en constituait pourtant le fondement juridique ;
16. Relève que les crédits concernés n'ont pas vocation à être utilisés prochainement et que les crédits disponibles sur ce dispositif seraient encore de 3,9 milliards d'euros, une fois prise en compte l'annulation prévue par le présent projet de décret ;
17. Déplore que finalement cette annulation, qui aurait dû être réalisée dès la quatrième loi de finances rectificative pour 2020, ne survienne à présent que pour compenser de nouvelles ouvertures de crédits ;
18. Émet, sous les réserves formulées précédemment, un avis favorable au présent projet de décret d'avance.
Nous en venons maintenant à une communication du rapporteur général sur le thème : « Comment sortir des prêts garantis par l'État ? ».
Je souhaite vous présenter les conclusions du travail de contrôle que j'ai mené sur les prêts garantis par l'État (PGE).
Comme vous le savez, ce dispositif a été mis en oeuvre rapidement dès le mois de mars 2020. Il a permis aux entreprises de sécuriser leur trésorerie en empruntant jusqu'à trois mois de chiffre d'affaires, avec un différé initial de remboursement d'un an. Distribués par les banques, ces prêts bénéficient de la garantie de l'État dans la limite de 90 % des sommes versées et d'une enveloppe maximale de 300 milliards d'euros.
À bien des égards, ce montant global a incarné l'engagement du Président de la République d'accompagner les acteurs économiques « quoi qu'il en coûte ». Pourtant, dans un premier temps, les PGE ne coûtent rien au budget de l'État : il s'agit d'un soutien en trésorerie que les entreprises doivent ensuite rembourser. D'autres pays ont, dès le départ, fait un choix différent, en privilégiant le recours aux subventions, ce qui tend à soulager immédiatement et définitivement les entreprises.
Comme point de départ de mon travail, je me suis posé deux questions : tout d'abord, dans quelle mesure le choix de recourir massivement aux PGE remet-il en question l'efficacité du soutien apporté aux entreprises françaises ? Ensuite, comment ce choix affecte-t-il notre capacité à rebondir en sortie de crise ?
Vous l'aurez constaté, depuis quelque temps, certains s'interrogent sur les risques de « zombification » qui pourraient menacer l'économie française, tandis que de nombreuses entreprises réfléchissent à la façon de rembourser leurs emprunts.
Pour répondre à ces questions, j'ai mené de nombreuses auditions à Paris et à Nancy, en échangeant avec tous types d'acteurs, qu'il s'agisse d'acteurs institutionnels, d'économistes ou de chefs d'entreprise.
Je me suis également appuyé sur une étude inédite commandée à l'Institut des politiques publiques (IPP), afin d'évaluer l'efficacité du recours aux PGE et d'apprécier les contraintes qui en résultent sur les bilans des entreprises. Ses conclusions sont particulièrement précieuses, notamment parce que l'étude se fonde sur les premières données réelles disponibles, là où les travaux publiés jusqu'à présent résultent de modèles économétriques.
Je vous présenterai mes conclusions en trois temps, en commençant par un bilan des PGE, puis en envisageant l'exposition de l'économie française à un surendettement des entreprises, avant de vous présenter mes recommandations.
Les chiffres résument l'ampleur du recours au dispositif : depuis sa création, près de 140 milliards d'euros de PGE ont été octroyés à plus de 670 000 entreprises. Plus de 80 % d'entre eux ont été signés au cours du deuxième trimestre 2020.
Par rapport aux autres pays européens, la France se place dans une situation intermédiaire : en proportion de notre PIB, le recours aux PGE est cinq fois supérieur à celui de l'Allemagne, mais presque moitié plus faible qu'en Espagne. Faute de marges de manoeuvre budgétaires jugées suffisantes, le Gouvernement a donc fait le choix de recourir davantage à ce soutien en trésorerie.
Les caractéristiques du PGE ont été définies de manière « agressive » en France avec, en particulier, la décision de proposer aux entreprises un taux d'intérêt sensiblement plus faible que celui auquel celles-ci pouvaient se financer avant le déclenchement de la crise sanitaire. Pour une majorité d'entre elles, le PGE s'est donc révélé très attractif.
L'étude de l'IPP atteste d'une réelle efficacité des PGE à court terme, et ce pour deux raisons principales. D'abord, en dépit de sa large diffusion, le dispositif a concerné en priorité des secteurs particulièrement touchés par la crise sanitaire. Ainsi, près de 60 % des entreprises du secteur de l'hébergement et de la restauration ont souscrit un PGE. Ensuite, la garantie n'a pas entraîné d'effet anti-sélection, puisque les banques ont appliqué le même niveau d'exigence pour l'octroi de leurs prêts.
À ce stade, les évaluations convergent donc pour conclure à une efficacité réelle des PGE à court terme.
Mais qu'en est-il de la suite ? Il semble que ce premier bilan pourrait être remis en cause à l'aune de deux facteurs.
La publication des comptes nationaux pour l'exercice 2020 révèle que les entreprises françaises ont conservé dans leur bilan 22 % du coût de la crise, contre 7 % en moyenne à l'échelon européen. En Allemagne, c'est même l'intégralité des pertes des entreprises qui a été prise en charge par la puissance publique.
En outre, l'allongement de la crise sanitaire met le principe même du dispositif sous tension, sans que le différé d'un an supplémentaire ne réponde totalement à la problématique.
Certaines entreprises ont donc utilisé leur PGE pour compenser leurs pertes. Beaucoup de chefs d'entreprise se demandent aujourd'hui comment ils pourront honorer leurs mensualités de remboursement, auxquelles s'ajoutent souvent différentes échéances fiscales et sociales reportées. Cette inquiétude est d'autant plus forte que certains secteurs particulièrement touchés par la crise l'ont abordée avec des fragilités spécifiques. Ainsi, avant la crise, un quart des entreprises du commerce avait au maximum une semaine de chiffre d'affaires en trésorerie d'avance.
À l'appui de ce bilan, quelles sont les conséquences du choix du Gouvernement de recourir largement aux PGE ? Deux questions se posent : faut-il s'inquiéter du risque de surendettement des entreprises françaises ? Quel en sera le coût pour les finances publiques ?
Concernant les entreprises, le risque est double : d'une part, une accélération du nombre de faillites, y compris d'entreprises fondamentalement viables et productives et, d'autre part, une réduction de leurs dépenses d'investissement. C'est ce que les économistes qualifient généralement d'« étranglement par la dette ». Vous l'aurez compris, une telle situation affecterait sensiblement notre capacité de rebond et pourrait même menacer durablement nos capacités de production.
Or, de ce point de vue, la France se distingue par une plus forte « congélation » de son économie que les autres pays européens. La baisse du nombre des défaillances en 2020 y atteint près de 40 % du niveau observé en 2019, contre 21 % au niveau de l'Union européenne. Un rattrapage est à redouter, ne serait-ce qu'au vu des défaillances suspendues en 2020. Il nous faut cependant anticiper le « dégel » pour éviter tout risque de progression spontanée sous l'effet de la dégradation de la situation financière des entreprises.
C'est pourquoi il est indispensable de confronter ces différents éléments avec la réalité : à quel point la crise sanitaire a-t-elle dégradé le bilan de nos entreprises ?
Les chiffres agrégés sont de prime abord plutôt rassurants : l'endettement net des entreprises françaises reste globalement stable en 2020. Autrement dit, les entreprises se sont endettées massivement, mais elles ont aussi accumulé d'importantes liquidités. Cependant, une partie d'entre elles pourrait d'ores et déjà être préemptée pour honorer les échéances reportées. Une telle observation coïncide d'ailleurs avec la corrélation constatée entre le recours aux PGE et les reports des échéances fiscales et sociales, en particulier dans certains secteurs.
Une analyse plus fine, entreprise par entreprise, s'impose. C'est tout l'intérêt de l'étude de l'IPP, qui s'est intéressée à la déformation du bilan sous l'effet de la crise, en procédant directement à partir des premiers comptes déposés.
Les résultats confirment l'appréciation générale : sous une forme agrégée, la dégradation des bilans est contenue. Cependant, elle se révèle potentiellement dangereuse pour certains secteurs et certaines entreprises. Pour tenir compte de ces situations, il est primordial d'engager une action complémentaire rapide visant à renforcer leur solvabilité.
De cette action dépendra aussi le coût des PGE pour les finances publiques. À ce stade, le Gouvernement intègre une probabilité de défaut s'élevant à 6,2 %. Dans son étude, l'IPP évalue quant à lui la sinistralité à 5,4 %, ce qui se traduirait par un coût net pour les comptes publics, primes de garantie incluses, légèrement supérieur à 3 milliards d'euros.
Pourtant, force est de constater que l'action en solvabilité reste insuffisante. Alors que beaucoup redoutent le « mur de la dette », le Gouvernement nie l'ampleur du problème. Anticiper la sortie des PGE s'impose dès maintenant. C'est pourquoi je formule huit recommandations, en retenant une approche en trois temps, sur le modèle du triptyque mis en oeuvre dans le domaine sanitaire : pour réussir la sortie des PGE, il faudra identifier, orienter et traiter les entreprises en difficulté.
La priorité initiale doit être donnée à l'identification des entreprises en difficulté, mais viables. Le premier bilan que j'ai dressé va dans le sens d'un risque circonscrit à un périmètre réduit de situations. Il reste néanmoins à les identifier correctement et à distinguer les entreprises qui ont des chances réelles de redressement.
Pour y procéder, je retiens deux recommandations.
Ma première recommandation est de réactiver les signaux classiques des entreprises en difficulté qui ont été suspendus ou aménagés au plus fort de la crise sanitaire, comme l'accumulation d'une dette sociale et fiscale ou encore la cotation de crédit par la Banque de France. Nous récupérerons ainsi le « thermomètre » sur les difficultés d'une entreprise qui permet de donner l'alerte.
Ma seconde recommandation vise à ce que les entreprises aient une vision plus claire de la réalité de leurs besoins financiers. La multiplication des reports d'échéance peut fausser la bonne compréhension de la situation financière d'une entreprise. Je pense essentiellement aux reports fiscaux et sociaux. La mise en place des outils existants prend du retard : il faut accélérer et intensifier les plans d'apurement des échéances sociales et fiscales reportées.
Une fois acquis qu'une entreprise ne pourra pas s'en sortir seule, encore faut-il qu'elle sache vers qui se tourner. C'est l'objet de la deuxième étape : l'orientation vers un accompagnement sur mesure.
Au cours de mes travaux, nombreux sont les interlocuteurs ayant insisté sur l'absence de structure locale de concertation autour des difficultés des entreprises. Le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) n'a pas véritablement de déclinaison locale. Ces dernières semaines, le Gouvernement a envisagé de recourir aux comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises (CODEFI). Encore faut-il moderniser et rendre plus visibles ces structures, qui restaient inconnues du grand public il y a peu. J'observe d'ailleurs que de nombreuses préfectures ont récemment communiqué sur la réactivation des CODEFI, ce qui en dit long sur leur activité actuelle.
Surtout, ces structures ne sont actuellement pas en mesure de répondre au besoin que j'identifie. Présidées par le préfet, hébergées à la préfecture et réunissant les créanciers publics, elles nécessitent que les chefs d'entreprise les saisissent.
C'est pourquoi je propose de transformer radicalement les CODEFI et de créer des comités partenariaux de financement des entreprises en sortie de crise (COFISOC). Ceux-ci évolueraient sur deux points essentiels : d'une part, ils seraient systématiquement ouverts aux acteurs privés ; d'autre part, ils permettraient d'élargir la palette des outils susceptibles d'être mobilisés pour contribuer au redressement d'une entreprise.
Cette identification pourrait également aboutir au nécessaire assainissement du bilan de certaines entreprises. Dans ce cas, il est nécessaire de recourir à un dispositif judiciaire, seul à même d'organiser la négociation avec les créanciers.
Pour ce qui concerne les très petites entreprises (TPE), les jugements des tribunaux de commerce conduisent trop souvent à la faillite. Dans 70 % des cas, une TPE en difficulté est directement placée en liquidation judiciaire. Il faut inverser cette tendance, ce qui suppose d'anticiper au maximum leur prise en charge. C'est tout l'enjeu du recours aux procédures préventives, qui présentent l'avantage de contribuer à traiter les difficultés à l'amiable.
Les freins sont malheureusement bien connus : la réticence spontanée du chef d'entreprise à se tourner vers le tribunal de commerce, mais aussi le coût de la procédure. Lever ces freins sera complexe, mais nous pourrons le faire en communiquant plus largement sur les dispositifs de prise en charge financière des coûts associés aux procédures préventives que de nombreuses collectivités proposent.
La bonne orientation des entreprises permettra d'apporter la réponse la plus appropriée, en proposant un accompagnement sur mesure.
Pour une entreprise en difficulté financière, deux solutions sont envisageables : l'amélioration de son bilan par le renforcement de ses fonds propres ou, lorsque plus rien d'autre n'est possible, l'assainissement de son bilan par la restructuration de son endettement.
S'agissant des fonds propres, il n'y a pas de recette miracle. Un chef d'entreprise est bien souvent réticent à revoir à la baisse la valorisation de son entreprise en période de crise et à ouvrir son capital à d'autres actionnaires.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a privilégié le recours aux prêts participatifs et aux obligations « Relance ». La loi de finances pour 2021 a ainsi autorisé l'État à apporter sa garantie à des véhicules d'investissement financés par des investisseurs privés tels que les assureurs, qui auront pour objet d'acquérir des prêts participatifs distribués aux entreprises. Souvent qualifiés de « quasi-fonds propres », ces instruments sont toujours considérés comme de la dette subordonnée devant être remboursée à échéance. Ils ne renforcent donc que temporairement le bilan.
Il me semble difficile d'aller plus loin dans la définition d'un mécanisme public de renforcement du capital des entreprises. En la matière, je préfère orienter le comportement des acteurs, en émettant deux recommandations.
La première concerne les prêts participatifs. Je m'appuie à cet égard sur un double constat. D'une part, l'enveloppe de 20 milliards d'euros de prêts participatifs qui peuvent être garantis doit suffisamment irriguer nos entreprises, tout en préservant leur capacité d'y accéder. D'autre part, ces instruments financiers ne doivent pas conduire à désinciter les plus grosses entreprises à lever de réels fonds propres. C'est ainsi que le Sénat avait adopté sur mon initiative, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, un amendement tendant à imposer un plafond par entreprise, fixé à 3 millions d'euros pour une PME et à 7 millions d'euros pour une ETI. Même si ce dispositif garde toute sa pertinence, l'Assemblée nationale l'avait rejeté en nouvelle lecture.
Ma seconde recommandation visant à renforcer les fonds propres concerne le traitement fiscal d'une telle opération. Le constat est établi de longue date : les règles de déductibilité favorisent le financement par la dette. Or l'intensité de ce biais en faveur de la dette se révèle particulièrement forte en France. Ces dernières années, plusieurs pays européens ont entendu le corriger, à l'instar de l'Italie. Pour cela, ils ont introduit une déduction fiscale pour le capital à risque - allowance for corporate equity. Concrètement, ce mécanisme fiscal permet de déduire de l'assiette imposable un intérêt fictif correspondant à la rémunération attendue des fonds propres.
De premières études empiriques ont confirmé l'efficacité de ce dispositif. Je vous propose de le mettre en place à titre temporaire, en réservant son application aux nouveaux fonds propres, afin d'en maximiser l'attrait et d'en maîtriser le coût pour nos finances publiques. À titre de comparaison, le coût de la mise en oeuvre d'une telle mesure en Italie a été évalué à 400 millions d'euros environ la première année.
J'en arrive à mes dernières recommandations, qui concernent cette fois-ci les situations les plus dégradées, lorsque la restructuration de l'endettement s'impose comme ultime recours.
D'abord, le dispositif des PGE comporte actuellement un écueil qu'il faut rapidement corriger. Comme vous le savez, la durée maximale des PGE est de six ans. Compte tenu des caractéristiques retenues par la France, il est difficile de chercher à prolonger la durée de remboursement des PGE. Nos marges de manoeuvre semblent fort contraintes en la matière, la Commission européenne n'admettant une durée plus longue que dans le cas où les modalités retenues par ailleurs sont moins avantageuses.
Une situation spécifique mérite toutefois d'être examinée : qu'advient-il d'un PGE en cas de restructuration de la dette d'une entreprise au-delà de six ans ? Le cadre en vigueur prévoit que la garantie tombe : la banque serait indemnisée à hauteur de la perte actuarielle constatée. Par conséquent, une banque pourrait préférer mettre l'entreprise en défaut pour bénéficier de la totalité de la garantie plutôt que de lui donner une chance en étalant sa dette.
Pour surmonter cet écueil, je vous propose d'autoriser le maintien de la garantie de l'État en cas de restructuration de la dette d'une entreprise au-delà de six ans. L'accord préalable de la Commission européenne sera nécessaire, mais il me semble que cette possibilité reste strictement encadrée et participe de l'objectif même du dispositif.
Ensuite, pour redonner de l'oxygène aux seules entreprises les plus en difficulté, je recommande de recourir plus largement aux abandons partiels de créances publiques. Ma proposition concerne toute forme de créances publiques, que ce soit la partie garantie d'un PGE ou les créances fiscales et sociales. Alors que Bruno Le Maire envisage de transformer le PGE en subvention, j'ai pu mesurer la farouche hostilité que rencontre cette proposition auprès des différents acteurs. En effet, comment surmonter l'aléa moral né de la différence de traitement entre une entreprise ayant souscrit un PGE et sa concurrente ayant préféré s'en passer ?
Autre précision, l'abandon de créances devrait être décidé de concert avec les créanciers privés, afin d'accroître la décote consentie à l'entreprise et de s'assurer que l'ensemble des acteurs mise sur le redressement de l'entreprise. Une majoration pourrait être appliquée sur la décote publique, afin de tenir compte de l'intérêt économique et social que représente le maintien de l'entreprise en activité.
Telles sont mes huit recommandations pour réussir la sortie des PGE. Les récentes prises de parole du Gouverneur de la Banque de France sur la situation financière de nos entreprises se veulent rassurantes. Je veux aussi le croire, mais ce constat n'en reste pas moins fragile.
Quoiqu'il en soit, il faut pouvoir répondre rapidement aux situations problématiques qui sont identifiées. Plus on anticipera, plus le nombre d'entreprises qui seront sauvées augmentera, et plus notre tissu productif sera préservé. L'État doit être au rendez-vous en assurant un véritable « service après-vente » des PGE.
Je remercie le rapporteur général pour cette présentation.
Près de 140 milliards d'euros ont été prêtés aux entreprises grâce aux PGE. Or certaines entreprises, notamment les plus petites, n'y ont pas eu recours en raison de la complexité du dispositif. D'autres, également parmi les plus fragiles, ne seront pas en mesure de rembourser leur emprunt : dans ces conditions, les PGE ne coûteront-ils vraiment rien au budget de l'État ?
Comment expliquer que les taux soient beaucoup plus favorables aux entreprises françaises qu'aux autres entreprises européennes, et ce depuis bien avant le début de la crise sanitaire ?
Le rapporteur général a évoqué le risque d'aléa moral. Je me demande si certaines entreprises n'ont pas choisi de souscrire un PGE pour financer leurs dépenses grâce à un prêt peu cher. A-t-on une idée du montant des prêts qui n'aurait pas été utilisé par les entreprises pour combler leurs déficits, mais pour disposer d'une source de financement à bon compte ?
Enfin, pourriez-vous nous rappeler brièvement le rôle exact des CODEFI ? Je n'ai pas le sentiment qu'il s'agisse véritablement de lieux où l'on discute des problèmes de financement des entreprises aujourd'hui. De plus, si l'on ouvre les CODEFI, comment assurer la confidentialité des informations qui y seront échangées ?
Je souhaiterais saluer l'excellent travail du rapporteur général et de l'étude commandée à l'institut des politiques publiques, qui nous apportent des informations extraordinairement utiles.
Une première question pratique : dans la synthèse, vous écrivez que la probabilité de défaut augmente alors que la crise et la pandémie se prolongent. Nous passerions de 4,6 % à 6,2 % d'après les évaluations de la sinistralité du Gouvernement que vous évoquez. Comment expliquez-vous ce chiffre ? En particulier, s'agit-il d'une probabilité de défaut à 100 % ou de défaut partiel ? En effet, le coût final du dispositif ne serait que de 2,7 % des montants garantis, comment expliquez-vous ce différentiel ?
Mon autre réflexion concerne la sortie de crise : lorsque vous indiquez qu'il faut identifier les entreprises dont le bilan est le plus dégradé, le préalable n'est-il pas de disposer d'une analyse sectorielle approfondie ? Le chiffre d'affaires a, pour certaines périodes, été quasi nul dans un certain nombre de secteurs.
Tels qu'ils fonctionnent aujourd'hui, les CODEFI sont absolument inaptes à répondre aux centaines de dossiers qui pourraient être déposés par département. Ils n'ont ni l'outil technique, ni la capacité pour répondre à la demande qui pourrait émerger. De plus, quelles seraient les relations des banques avec ces comités ?
Je suis heureux que nous abordions la question des PGE, que j'ai posée de manière récurrente au cours des dernières auditions. En effet, la rentabilité moyenne des entreprises étant d'environ 2 % à 3 %, je ne vois pas comment rembourser en cinq ans la dette contractée au travers d'un PGE à 25 % du chiffre d'affaires annuel. Je ne parle pas des entreprises qui ont souscrit un PGE sans l'utiliser, mais des secteurs les plus touchés et particulièrement concernés.
La sélection des entreprises me paraît donc primordiale. Je ne crois pas beaucoup à celle effectuée par l'État, du fait de lacunes dans son efficacité, sa réactivité et parfois son objectivité. Certaines entreprises non viables ont ainsi bénéficié d'un PGE. Un vrai travail de sélection doit être mené, afin d'éviter de concentrer de l'argent public ou privé sur des entreprises non viables. Dès lors, comment sélectionner les entreprises ? Comment s'assurer que les banques soient partenaires ? Si celles-ci couvrent les risques à hauteur de 10 % mais que ce taux doit être porté à 100 % en cas de refinancement, il faudra être convainquant. Par ailleurs, les vingt milliards d'euros accordés au titre des prêts participatifs sont-ils suffisants ? Ou s'agira-t-il, comme dans le cas du plan de relance, d'une loterie visant à sélectionner les entreprises bénéficiaires ?
A la question des modes de sortie des PGE, Bruno le Maire a répondu le 14 avril lors d'une interview sur la chaîne BFM « nous allons aider les entreprises à passer le mur de la dette et travailler les dispositifs d'accompagnement. On ne va pas attendre que l'entreprise se prenne le mur, on va regarder sa situation et voir s'il faut étaler sa dette, voire annuler sa dette, en partie ». Si on estime que la probabilité de défauts de paiement est d'environ 6,2 %, cela fait 8 milliards qui retomberaient dans le pot commun de la dette publique. Bruno le Maire nous qualifie d'utopistes ou d'irresponsables lorsqu'on évoque l'annulation de la dette publique détenue par la Banque centrale européenne (BCE), mais propose cette solution pour les entreprises. Benoit Coeuré indiquait à notre commission la semaine dernière que l'essentiel des PGE avait servi à reconstituer la trésorerie des entreprises. Cela signifie-t-il que l'argent serait disponible pour leur remboursement ?
La différence de pertes conservées par les entreprises françaises et les entreprises européennes m'avait échappé et constitue un sujet d'inquiétude en termes de compétitivité, sur lequel nous devrons revenir. Concernant la sortie des PGE, la question des fonds propres me semble le plus souvent être ignorée. Je m'interroge sur une proposition qui viserait à renforcer durablement les fonds propres, notamment en mobilisant l'épargne disponible. Nous avions eu à ce sujet une proposition de loi et il me semble pertinent de réfléchir à cette question. S'agissant des TPE, je ne partage pas entièrement le diagnostic du rapporteur général concernant les attentes de transformation des PGE en subventions pour les plus petites d'entre elles, pour lesquelles les fonds propres ou les prêts participatifs ne peuvent répondre à leurs difficultés. Seule la subvention peut permettre, si l'entreprise est viable, de sortir des PGE.
Ce système a été particulièrement opérant, car il a séduit plus de 670 000 entreprises. Le niveau de défaillances a très fortement baissé dans le pays, ce qui est un signe positif. Toutefois, les défaillances ne doivent pas être cachées, et devraient concerner uniquement les entreprises qui ne parviennent plus à maintenir leurs activités. La question de la médiation est extrêmement importante : l'idée qui a été évoquée d'un comité partenarial pour associer les experts-comptables, les acteurs consulaires, les banquiers est très bonne à condition de veiller à la confidentialité des données. Il faut éviter que ces comités ne soient des outils où seraient diffusées des informations confidentielles. Comment voyez-vous concrètement ces comités ? Je crains en outre que les services de l'État, dont les moyens ont été réduits significativement ces dernières années, aient du mal à prendre en main un tel dispositif.
Vous évoquez les entreprises pour lesquelles les PGE auraient permis de conforter leur trésorerie, puis les effets d'aubaine concernant les entreprises qui auraient contracté ces prêts du fait de leur caractère avantageux. Quelle est la part de PGE résultant de ces effets d'aubaine et quelle est la part d'entreprises dont on peut craindre l'insolvabilité ?
Je ne suis pas certain que les modalités habituelles de détection des entreprises fragiles soient suffisantes. Il faudrait aller au-delà. Nous avons dans notre pays des blocages culturels à cet égard, tant de la part des prêteurs que des entreprises. Ainsi, concernant les collectivités territoriales, j'ai conseillé à mes collègues de mettre en oeuvre des reports de dette et non des abandons de créances. Il y a chez les élus, comme dans les entreprises, des difficultés à ouvrir sa propre comptabilité, et nous risquons de rencontrer un problème similaire dans le cadre des PGE. Lorsqu'on parle d'effet d'aubaine, dans le cadre des PGE, il s'agit parfois plus simplement d'entrepreneurs ayant eu peur de la situation à l'origine de la crise et qui aujourd'hui n'ont pas de difficultés substantielles.
S'agissant du soutien au capital-investissement, vous proposez des déductions fiscales pour les entreprises au titre de l'impôt sur les sociétés. Selon une autre approche, l'idée d'une garantie par l'État sur une fraction du capital investi avait été soulevée par le passé sans avoir prospéré, à l'image de ce qui existe pour une garantie en capital de l'assurance-vie. Monsieur le rapporteur général, que pensez-vous de ces réflexions ?
Pour répondre à Marc Laménie, le PGE ne coûte rien à l'État s'il n'y a pas de défaillances. Le Gouvernement estimant ce risque à 4,6 % en début de crise, il est aujourd'hui évalué à plus de 6 %. Le dispositif diffère de l'Allemagne où des subventions ont été accordées aux entreprises touchées. J'ai expliqué les raisons pour lesquelles la France a choisi un dispositif différent.
S'agissant du secteur du BTP, j'ai rencontré, au cours de mes auditions à Nancy, deux acteurs de tailles différentes : une TPE et une PME. La TPE nous a fait état de sa grande satisfaction sur les facilités d'accès aux prêts et la rapidité de leur décaissement. La PME n'a, de son côté, demandé qu'un simple prêt de trésorerie, qu'elle a remboursé.
Christine Lavarde partage mes observations sur la question de l'aléa moral. J'irai plus loin que le simple propos budgétaire : la plupart des acteurs économiques auditionnés nous ont exprimé leur hostilité à une forme de laisser-aller quant à l'octroi de subventions en lieu et place du remboursement de ces prêts. En sortie de crise, elle se ferait au détriment des entreprises qui ont fait le plus d'efforts.
En ce qui concerne les CODEFI et leur ouverture aux acteurs privés, j'ai bien pris la mesure de la question de la confidentialité des informations qui peuvent y être échangées. Je relève cependant que celle-ci est déjà prégnante au sein des conseils d'administration des grandes entreprises, qui associent différents acteurs. Pour l'heure, les CODEFI ne sont pas structurés pour accompagner la sortie de crise. N'y laisser que des représentants de l'État leur donnerait par ailleurs un caractère presque hémiplégique. La proposition que j'ai formulée reprend le modèle du PGE où l'État apporte sa garantie et laisse ensuite aux banques le soin de formuler une offre de prêt. Je suis agréablement surpris par l'implication de la Fédération bancaire française ou de la Banque publique d'investissement dans l'accompagnement au plus près des entreprises, en dépassant le simple cadre de la filière pour nouer une relation directe avec les entreprises. Un changement de paradigme a été opéré.
Il s'agit aujourd'hui de poursuivre dans cette logique associant public et privé, cette fois-ci au niveau des CODEFI, en s'appuyant notamment sur la connaissance des entreprises acquise par les professionnels du chiffre. Les chambres consulaires pourraient également être associées. Il s'agit de s'adresser au maximum d'acteurs et de prendre en compte l'évolution constatée quant à l'utilisation de ces prêts. La longueur de la crise a, en effet, incité les entreprises qui y recourraient à repenser leur rapport au PGE, qui a été initialement envisagé comme une facilité de trésorerie pour faire face lorsque le premier confinement, particulièrement strict, a été décidé.
Pour répondre à Gérard Longuet, nous devons avoir le traitement le plus fin possible en ce qui concerne la sortie de crise et aller au-delà d'une approche par secteur d'activité, en prenant en compte les spécificités de chaque entreprise. L'exemple des traiteurs est assez éloquent. Il existe en la matière deux types de structures, selon qu'elles disposent ou non d'une boutique et de la part de chiffre d'affaires qu'elle représente. Pour une quarantaine d'entreprises du secteur, l'essentiel de leur activité tient aux grands évènements. Elles emploient pour cela une ou plusieurs centaines de collaborateurs afin de répondre à la demande. Leur activité s'est arrêtée du jour au lendemain en mars 2020, voire même un peu avant pour les plus grands événements. Il n'est pas possible pour elles d'opérer en vente à emporter. Un dispositif les visant a pu être mis en place au 1er janvier dernier mais pas avant. La situation n'est pas la même pour les artisans-traiteurs, qui ont pu garder leur boutique ouverte et reprendre une partie de leur activité après le premier déconfinement, pour des évènements moins importants.
Le caractère inédit de cette crise nous invite à revoir les acquis de la théorie économique sur la sortie de crise et privilégier des approches innovantes, en associant public-privé, afin d'éviter les défaillances, accélérer la reprise et écarter le spectre d'une hausse d'impôts.
Vincent Segouin évoque les entreprises non viables ayant bénéficié d'un PGE. Aujourd'hui, un nombre important d'entreprises est effectivement sous perfusion et certaines d'entre elles auraient dû cesser leurs activités. Ces dernières ont bénéficié d'un sursis, notamment pour les commerces. Dans nos villes, de nombreux locaux et fonds de commerce sont d'ailleurs déjà disponibles. Les COFISOC que je propose de mettre en place doivent permettre de répondre à ces difficultés.
En France, les conséquences économiques de la crise ont été supportées à 22 % par les entreprises. Les problématiques de compétitivité reviendront et, comme l'évoque Stéphane Sautarel, une part essentielle de la sortie de crise réside dans les fonds propres. Si l'on souscrit tous à l'idée de préserver notre souveraineté industrielle, les moyens dont nous disposons pour la garantir sont limités.
Numériquement, les TPE sont les principaux bénéficiaires des PGE. La crainte que l'outil soit cannibalisé par les grandes entreprises ne s'est donc pas réalisée, même si les constructeurs automobiles et le secteur aéronautique ont largement bénéficié de ce dispositif et risquent de rencontrer des difficultés supplémentaires du fait de l'évolution des mobilités à la fin de la crise sanitaire. Il faut donc mettre en place une sortie en sifflet des aides, qui ne concernera pas uniquement les PGE. Il faudra être pragmatique.
Comme l'a indiqué Michel Canévet, les services de l'État ne doivent pas être seuls pour traiter les difficultés rencontrées par les entreprises et négocier leur dette. Il est cependant logique qu'ils soient représentés autour de la table et c'est le sens de la proposition visant à créer de nouveaux comités, les COFISOC.
Concernant les effets d'aubaine, il faut bien comprendre que les entreprises ont simplement voulu prendre leurs précautions en début de crise, c'est dans l'utilisation et les décisions qui ont pu être prises ensuite qu'il faut distinguer les situations.
Pour répondre à Charles Guéné, il faut effectivement aller au-delà de la logique initiale des PGE et lever les blocages. En particulier, il faut s'assurer que les banques ne resserrent pas les conditions de crédit en sortie de crise. Les COFISOC que je propose doivent constituer le moyen d'un diagnostic partagé entre les acteurs.
S'agissant de la question posée par le président et du soutien public aux investissements privés en fonds propres, d'après les acteurs interrogés, des liquidités sont disponibles pour investir et la question est plutôt d'accompagner les entreprises dans leurs besoins de financement. De ce point de vue, les prêts participatifs sont une des réponses apportées par le Gouvernement.
La commission autorise la publication de la communication du rapporteur général sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est close à 11 h 50.