Je souhaite vous présenter les conclusions du travail de contrôle que j'ai mené sur les prêts garantis par l'État (PGE).
Comme vous le savez, ce dispositif a été mis en oeuvre rapidement dès le mois de mars 2020. Il a permis aux entreprises de sécuriser leur trésorerie en empruntant jusqu'à trois mois de chiffre d'affaires, avec un différé initial de remboursement d'un an. Distribués par les banques, ces prêts bénéficient de la garantie de l'État dans la limite de 90 % des sommes versées et d'une enveloppe maximale de 300 milliards d'euros.
À bien des égards, ce montant global a incarné l'engagement du Président de la République d'accompagner les acteurs économiques « quoi qu'il en coûte ». Pourtant, dans un premier temps, les PGE ne coûtent rien au budget de l'État : il s'agit d'un soutien en trésorerie que les entreprises doivent ensuite rembourser. D'autres pays ont, dès le départ, fait un choix différent, en privilégiant le recours aux subventions, ce qui tend à soulager immédiatement et définitivement les entreprises.
Comme point de départ de mon travail, je me suis posé deux questions : tout d'abord, dans quelle mesure le choix de recourir massivement aux PGE remet-il en question l'efficacité du soutien apporté aux entreprises françaises ? Ensuite, comment ce choix affecte-t-il notre capacité à rebondir en sortie de crise ?
Vous l'aurez constaté, depuis quelque temps, certains s'interrogent sur les risques de « zombification » qui pourraient menacer l'économie française, tandis que de nombreuses entreprises réfléchissent à la façon de rembourser leurs emprunts.
Pour répondre à ces questions, j'ai mené de nombreuses auditions à Paris et à Nancy, en échangeant avec tous types d'acteurs, qu'il s'agisse d'acteurs institutionnels, d'économistes ou de chefs d'entreprise.
Je me suis également appuyé sur une étude inédite commandée à l'Institut des politiques publiques (IPP), afin d'évaluer l'efficacité du recours aux PGE et d'apprécier les contraintes qui en résultent sur les bilans des entreprises. Ses conclusions sont particulièrement précieuses, notamment parce que l'étude se fonde sur les premières données réelles disponibles, là où les travaux publiés jusqu'à présent résultent de modèles économétriques.
Je vous présenterai mes conclusions en trois temps, en commençant par un bilan des PGE, puis en envisageant l'exposition de l'économie française à un surendettement des entreprises, avant de vous présenter mes recommandations.
Les chiffres résument l'ampleur du recours au dispositif : depuis sa création, près de 140 milliards d'euros de PGE ont été octroyés à plus de 670 000 entreprises. Plus de 80 % d'entre eux ont été signés au cours du deuxième trimestre 2020.
Par rapport aux autres pays européens, la France se place dans une situation intermédiaire : en proportion de notre PIB, le recours aux PGE est cinq fois supérieur à celui de l'Allemagne, mais presque moitié plus faible qu'en Espagne. Faute de marges de manoeuvre budgétaires jugées suffisantes, le Gouvernement a donc fait le choix de recourir davantage à ce soutien en trésorerie.
Les caractéristiques du PGE ont été définies de manière « agressive » en France avec, en particulier, la décision de proposer aux entreprises un taux d'intérêt sensiblement plus faible que celui auquel celles-ci pouvaient se financer avant le déclenchement de la crise sanitaire. Pour une majorité d'entre elles, le PGE s'est donc révélé très attractif.
L'étude de l'IPP atteste d'une réelle efficacité des PGE à court terme, et ce pour deux raisons principales. D'abord, en dépit de sa large diffusion, le dispositif a concerné en priorité des secteurs particulièrement touchés par la crise sanitaire. Ainsi, près de 60 % des entreprises du secteur de l'hébergement et de la restauration ont souscrit un PGE. Ensuite, la garantie n'a pas entraîné d'effet anti-sélection, puisque les banques ont appliqué le même niveau d'exigence pour l'octroi de leurs prêts.
À ce stade, les évaluations convergent donc pour conclure à une efficacité réelle des PGE à court terme.
Mais qu'en est-il de la suite ? Il semble que ce premier bilan pourrait être remis en cause à l'aune de deux facteurs.
La publication des comptes nationaux pour l'exercice 2020 révèle que les entreprises françaises ont conservé dans leur bilan 22 % du coût de la crise, contre 7 % en moyenne à l'échelon européen. En Allemagne, c'est même l'intégralité des pertes des entreprises qui a été prise en charge par la puissance publique.
En outre, l'allongement de la crise sanitaire met le principe même du dispositif sous tension, sans que le différé d'un an supplémentaire ne réponde totalement à la problématique.
Certaines entreprises ont donc utilisé leur PGE pour compenser leurs pertes. Beaucoup de chefs d'entreprise se demandent aujourd'hui comment ils pourront honorer leurs mensualités de remboursement, auxquelles s'ajoutent souvent différentes échéances fiscales et sociales reportées. Cette inquiétude est d'autant plus forte que certains secteurs particulièrement touchés par la crise l'ont abordée avec des fragilités spécifiques. Ainsi, avant la crise, un quart des entreprises du commerce avait au maximum une semaine de chiffre d'affaires en trésorerie d'avance.
À l'appui de ce bilan, quelles sont les conséquences du choix du Gouvernement de recourir largement aux PGE ? Deux questions se posent : faut-il s'inquiéter du risque de surendettement des entreprises françaises ? Quel en sera le coût pour les finances publiques ?
Concernant les entreprises, le risque est double : d'une part, une accélération du nombre de faillites, y compris d'entreprises fondamentalement viables et productives et, d'autre part, une réduction de leurs dépenses d'investissement. C'est ce que les économistes qualifient généralement d'« étranglement par la dette ». Vous l'aurez compris, une telle situation affecterait sensiblement notre capacité de rebond et pourrait même menacer durablement nos capacités de production.
Or, de ce point de vue, la France se distingue par une plus forte « congélation » de son économie que les autres pays européens. La baisse du nombre des défaillances en 2020 y atteint près de 40 % du niveau observé en 2019, contre 21 % au niveau de l'Union européenne. Un rattrapage est à redouter, ne serait-ce qu'au vu des défaillances suspendues en 2020. Il nous faut cependant anticiper le « dégel » pour éviter tout risque de progression spontanée sous l'effet de la dégradation de la situation financière des entreprises.
C'est pourquoi il est indispensable de confronter ces différents éléments avec la réalité : à quel point la crise sanitaire a-t-elle dégradé le bilan de nos entreprises ?
Les chiffres agrégés sont de prime abord plutôt rassurants : l'endettement net des entreprises françaises reste globalement stable en 2020. Autrement dit, les entreprises se sont endettées massivement, mais elles ont aussi accumulé d'importantes liquidités. Cependant, une partie d'entre elles pourrait d'ores et déjà être préemptée pour honorer les échéances reportées. Une telle observation coïncide d'ailleurs avec la corrélation constatée entre le recours aux PGE et les reports des échéances fiscales et sociales, en particulier dans certains secteurs.
Une analyse plus fine, entreprise par entreprise, s'impose. C'est tout l'intérêt de l'étude de l'IPP, qui s'est intéressée à la déformation du bilan sous l'effet de la crise, en procédant directement à partir des premiers comptes déposés.
Les résultats confirment l'appréciation générale : sous une forme agrégée, la dégradation des bilans est contenue. Cependant, elle se révèle potentiellement dangereuse pour certains secteurs et certaines entreprises. Pour tenir compte de ces situations, il est primordial d'engager une action complémentaire rapide visant à renforcer leur solvabilité.
De cette action dépendra aussi le coût des PGE pour les finances publiques. À ce stade, le Gouvernement intègre une probabilité de défaut s'élevant à 6,2 %. Dans son étude, l'IPP évalue quant à lui la sinistralité à 5,4 %, ce qui se traduirait par un coût net pour les comptes publics, primes de garantie incluses, légèrement supérieur à 3 milliards d'euros.
Pourtant, force est de constater que l'action en solvabilité reste insuffisante. Alors que beaucoup redoutent le « mur de la dette », le Gouvernement nie l'ampleur du problème. Anticiper la sortie des PGE s'impose dès maintenant. C'est pourquoi je formule huit recommandations, en retenant une approche en trois temps, sur le modèle du triptyque mis en oeuvre dans le domaine sanitaire : pour réussir la sortie des PGE, il faudra identifier, orienter et traiter les entreprises en difficulté.
La priorité initiale doit être donnée à l'identification des entreprises en difficulté, mais viables. Le premier bilan que j'ai dressé va dans le sens d'un risque circonscrit à un périmètre réduit de situations. Il reste néanmoins à les identifier correctement et à distinguer les entreprises qui ont des chances réelles de redressement.
Pour y procéder, je retiens deux recommandations.
Ma première recommandation est de réactiver les signaux classiques des entreprises en difficulté qui ont été suspendus ou aménagés au plus fort de la crise sanitaire, comme l'accumulation d'une dette sociale et fiscale ou encore la cotation de crédit par la Banque de France. Nous récupérerons ainsi le « thermomètre » sur les difficultés d'une entreprise qui permet de donner l'alerte.
Ma seconde recommandation vise à ce que les entreprises aient une vision plus claire de la réalité de leurs besoins financiers. La multiplication des reports d'échéance peut fausser la bonne compréhension de la situation financière d'une entreprise. Je pense essentiellement aux reports fiscaux et sociaux. La mise en place des outils existants prend du retard : il faut accélérer et intensifier les plans d'apurement des échéances sociales et fiscales reportées.
Une fois acquis qu'une entreprise ne pourra pas s'en sortir seule, encore faut-il qu'elle sache vers qui se tourner. C'est l'objet de la deuxième étape : l'orientation vers un accompagnement sur mesure.
Au cours de mes travaux, nombreux sont les interlocuteurs ayant insisté sur l'absence de structure locale de concertation autour des difficultés des entreprises. Le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) n'a pas véritablement de déclinaison locale. Ces dernières semaines, le Gouvernement a envisagé de recourir aux comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises (CODEFI). Encore faut-il moderniser et rendre plus visibles ces structures, qui restaient inconnues du grand public il y a peu. J'observe d'ailleurs que de nombreuses préfectures ont récemment communiqué sur la réactivation des CODEFI, ce qui en dit long sur leur activité actuelle.
Surtout, ces structures ne sont actuellement pas en mesure de répondre au besoin que j'identifie. Présidées par le préfet, hébergées à la préfecture et réunissant les créanciers publics, elles nécessitent que les chefs d'entreprise les saisissent.
C'est pourquoi je propose de transformer radicalement les CODEFI et de créer des comités partenariaux de financement des entreprises en sortie de crise (COFISOC). Ceux-ci évolueraient sur deux points essentiels : d'une part, ils seraient systématiquement ouverts aux acteurs privés ; d'autre part, ils permettraient d'élargir la palette des outils susceptibles d'être mobilisés pour contribuer au redressement d'une entreprise.
Cette identification pourrait également aboutir au nécessaire assainissement du bilan de certaines entreprises. Dans ce cas, il est nécessaire de recourir à un dispositif judiciaire, seul à même d'organiser la négociation avec les créanciers.
Pour ce qui concerne les très petites entreprises (TPE), les jugements des tribunaux de commerce conduisent trop souvent à la faillite. Dans 70 % des cas, une TPE en difficulté est directement placée en liquidation judiciaire. Il faut inverser cette tendance, ce qui suppose d'anticiper au maximum leur prise en charge. C'est tout l'enjeu du recours aux procédures préventives, qui présentent l'avantage de contribuer à traiter les difficultés à l'amiable.
Les freins sont malheureusement bien connus : la réticence spontanée du chef d'entreprise à se tourner vers le tribunal de commerce, mais aussi le coût de la procédure. Lever ces freins sera complexe, mais nous pourrons le faire en communiquant plus largement sur les dispositifs de prise en charge financière des coûts associés aux procédures préventives que de nombreuses collectivités proposent.
La bonne orientation des entreprises permettra d'apporter la réponse la plus appropriée, en proposant un accompagnement sur mesure.
Pour une entreprise en difficulté financière, deux solutions sont envisageables : l'amélioration de son bilan par le renforcement de ses fonds propres ou, lorsque plus rien d'autre n'est possible, l'assainissement de son bilan par la restructuration de son endettement.
S'agissant des fonds propres, il n'y a pas de recette miracle. Un chef d'entreprise est bien souvent réticent à revoir à la baisse la valorisation de son entreprise en période de crise et à ouvrir son capital à d'autres actionnaires.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a privilégié le recours aux prêts participatifs et aux obligations « Relance ». La loi de finances pour 2021 a ainsi autorisé l'État à apporter sa garantie à des véhicules d'investissement financés par des investisseurs privés tels que les assureurs, qui auront pour objet d'acquérir des prêts participatifs distribués aux entreprises. Souvent qualifiés de « quasi-fonds propres », ces instruments sont toujours considérés comme de la dette subordonnée devant être remboursée à échéance. Ils ne renforcent donc que temporairement le bilan.
Il me semble difficile d'aller plus loin dans la définition d'un mécanisme public de renforcement du capital des entreprises. En la matière, je préfère orienter le comportement des acteurs, en émettant deux recommandations.
La première concerne les prêts participatifs. Je m'appuie à cet égard sur un double constat. D'une part, l'enveloppe de 20 milliards d'euros de prêts participatifs qui peuvent être garantis doit suffisamment irriguer nos entreprises, tout en préservant leur capacité d'y accéder. D'autre part, ces instruments financiers ne doivent pas conduire à désinciter les plus grosses entreprises à lever de réels fonds propres. C'est ainsi que le Sénat avait adopté sur mon initiative, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, un amendement tendant à imposer un plafond par entreprise, fixé à 3 millions d'euros pour une PME et à 7 millions d'euros pour une ETI. Même si ce dispositif garde toute sa pertinence, l'Assemblée nationale l'avait rejeté en nouvelle lecture.
Ma seconde recommandation visant à renforcer les fonds propres concerne le traitement fiscal d'une telle opération. Le constat est établi de longue date : les règles de déductibilité favorisent le financement par la dette. Or l'intensité de ce biais en faveur de la dette se révèle particulièrement forte en France. Ces dernières années, plusieurs pays européens ont entendu le corriger, à l'instar de l'Italie. Pour cela, ils ont introduit une déduction fiscale pour le capital à risque - allowance for corporate equity. Concrètement, ce mécanisme fiscal permet de déduire de l'assiette imposable un intérêt fictif correspondant à la rémunération attendue des fonds propres.
De premières études empiriques ont confirmé l'efficacité de ce dispositif. Je vous propose de le mettre en place à titre temporaire, en réservant son application aux nouveaux fonds propres, afin d'en maximiser l'attrait et d'en maîtriser le coût pour nos finances publiques. À titre de comparaison, le coût de la mise en oeuvre d'une telle mesure en Italie a été évalué à 400 millions d'euros environ la première année.
J'en arrive à mes dernières recommandations, qui concernent cette fois-ci les situations les plus dégradées, lorsque la restructuration de l'endettement s'impose comme ultime recours.
D'abord, le dispositif des PGE comporte actuellement un écueil qu'il faut rapidement corriger. Comme vous le savez, la durée maximale des PGE est de six ans. Compte tenu des caractéristiques retenues par la France, il est difficile de chercher à prolonger la durée de remboursement des PGE. Nos marges de manoeuvre semblent fort contraintes en la matière, la Commission européenne n'admettant une durée plus longue que dans le cas où les modalités retenues par ailleurs sont moins avantageuses.
Une situation spécifique mérite toutefois d'être examinée : qu'advient-il d'un PGE en cas de restructuration de la dette d'une entreprise au-delà de six ans ? Le cadre en vigueur prévoit que la garantie tombe : la banque serait indemnisée à hauteur de la perte actuarielle constatée. Par conséquent, une banque pourrait préférer mettre l'entreprise en défaut pour bénéficier de la totalité de la garantie plutôt que de lui donner une chance en étalant sa dette.
Pour surmonter cet écueil, je vous propose d'autoriser le maintien de la garantie de l'État en cas de restructuration de la dette d'une entreprise au-delà de six ans. L'accord préalable de la Commission européenne sera nécessaire, mais il me semble que cette possibilité reste strictement encadrée et participe de l'objectif même du dispositif.
Ensuite, pour redonner de l'oxygène aux seules entreprises les plus en difficulté, je recommande de recourir plus largement aux abandons partiels de créances publiques. Ma proposition concerne toute forme de créances publiques, que ce soit la partie garantie d'un PGE ou les créances fiscales et sociales. Alors que Bruno Le Maire envisage de transformer le PGE en subvention, j'ai pu mesurer la farouche hostilité que rencontre cette proposition auprès des différents acteurs. En effet, comment surmonter l'aléa moral né de la différence de traitement entre une entreprise ayant souscrit un PGE et sa concurrente ayant préféré s'en passer ?
Autre précision, l'abandon de créances devrait être décidé de concert avec les créanciers privés, afin d'accroître la décote consentie à l'entreprise et de s'assurer que l'ensemble des acteurs mise sur le redressement de l'entreprise. Une majoration pourrait être appliquée sur la décote publique, afin de tenir compte de l'intérêt économique et social que représente le maintien de l'entreprise en activité.
Telles sont mes huit recommandations pour réussir la sortie des PGE. Les récentes prises de parole du Gouverneur de la Banque de France sur la situation financière de nos entreprises se veulent rassurantes. Je veux aussi le croire, mais ce constat n'en reste pas moins fragile.
Quoiqu'il en soit, il faut pouvoir répondre rapidement aux situations problématiques qui sont identifiées. Plus on anticipera, plus le nombre d'entreprises qui seront sauvées augmentera, et plus notre tissu productif sera préservé. L'État doit être au rendez-vous en assurant un véritable « service après-vente » des PGE.