Notre commission a déjà eu l'occasion de se pencher sur la question des travailleurs des plateformes. L'an dernier, Michel Forissier, Catherine Fournier et moi-même avions rédigé, au nom de la commission, un rapport intitulé « Travailleurs des plateformes : au-delà de la question du statut, quelles protections ? ».
Cette proposition de loi est à charge contre les plateformes ; or celles-ci sont très diverses. Le travail par l'intermédiaire d'une plateforme n'est pas toujours synonyme de précarité ; certains travailleurs indépendants obtiennent des rémunérations importantes. Le déficit de couverture sociale des travailleurs des plateformes est à nuancer : la couverture santé est identique à celle des salariés, quant aux prestations de la branche famille, elles sont décorrélées du statut.
Vous partez du postulat que ces travailleurs ont du mal à se faire entendre par la justice pour obtenir une reconnaissance de leur statut ; mais il est difficile de faire la part entre ceux qui choisissent ce statut et ceux pour qui il est contraint, et les demandes de requalification sont peu nombreuses. De plus, les organisations syndicales sont attentives à la situation de ces travailleurs, alors même qu'elles ont plutôt vocation à défendre des salariés. La justice statue au cas par cas, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation. C'est pertinent, car il est difficile de procéder à des généralisations en la matière.
Notre rapport n'allait pas du tout dans le même sens que cette proposition de loi. Nous voulions d'abord améliorer la protection sociale des travailleurs indépendants, sans pour autant imposer un statut. Nous voulions aussi renforcer la négociation collective - c'est d'ailleurs l'objet de l'ordonnance qui a été présentée en conseil des ministres le 21 avril dernier, relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d'exercice de cette représentation.
L'action de groupe pour requalification que vous proposez ne semble pas correspondre aux attentes de tous les travailleurs des plateformes ; MM. Bruno Mettling et Gilbert Cette estimaient d'ailleurs, lors de leur audition, que cette requalification n'était pas forcément une solution.
L'article 2 vise à instaurer une présomption de salariat : « Tout travailleur, dont au moins les deux tiers du revenu professionnel annuel résultent de l'utilisation d'un algorithme exploité directement ou indirectement par une personne, est présumé être lié à cette dernière par un contrat de travail. » C'est une position quelque peu radicale, qui ne correspond sans doute pas aux attentes de tous les travailleurs. La présomption s'appliquerait a posteriori, alors que la plateforme n'a aucun moyen de connaître les autres revenus du travailleur. Cela crée aussi une inégalité de traitement entre travailleurs placés dans des situations similaires, selon les revenus qu'ils ont par ailleurs.
Enfin, s'agissant de l'article 3, il est déjà possible pour le conseil des prud'hommes d'obtenir la production des algorithmes utilisés par la plateforme.
Pour toutes ces raisons, et par cohérence avec le rapport que notre commission a adopté, notre groupe ne votera pas cette proposition de loi.