Nous sommes tous d'accord pour reconnaître que la protection sociale des travailleurs indépendants est loin d'être ce qu'elle devrait être. Le statut d'indépendant des travailleurs de plateformes est un détournement de l'autoentreprenariat. Dans le contrat qui lie l'indépendant et la plateforme, existe-t-il un lien de subordination ? On peut considérer que c'est le cas puisque la plateforme a toujours la possibilité de désactiver le compte d'un travailleur indépendant qui ne satisfait pas à la demande ou qui ne va pas assez vite... Les plateformes offrent une couverture lacunaire : comment améliorer les choses ? L'ordonnance du 21 avril 2021 apporte quelques améliorations : elle permet d'engager des démarches pour désigner des représentants. Néanmoins, nous ne savons pas encore dans quel cadre s'engageront ces consultations.
Nous ne menons pas une charge contre les plateformes. Elles ont quelques vertus : elles offrent un travail à des personnes éloignées de l'emploi. Mais il ne faut pas oublier que bon nombre de livreurs partenaires sous-louent illégalement le compte d'un autre autoentrepreneur et que, chez les chauffeurs VTC, un grand nombre de personnes sont dans l'illégalité totale et n'ont donc aucune protection.
Monsieur Savary, il faut en effet écarter l'idée de créer un statut intermédiaire qui créerait des difficultés supplémentaires.
Les plateformes vont se développer. Il faut prendre en compte dès maintenant la nouvelle approche du travail qu'elles instituent avant que les choses ne se dégradent davantage. Monique Lubin l'a dit, les plateformes sont issues du système anglo-saxon, dans lequel il faut créer soi-même son travail. Certaines étaient, au départ, très rémunératrices, ce qui a suscité un grand engouement, mais au fur et à mesure de leur développement les conditions d'emploi se sont dégradées. On en arrive aujourd'hui à des situations où les travailleurs indépendants travaillent pour moins que le SMIC et à temps partiel. Cette situation est absolument insupportable. On dit qu'il faut améliorer la couverture sociale, mais nous devons aller plus loin : ces frais doivent rester à la charge de la plateforme, sinon la rémunération de ces travailleurs va encore se dégrader.
Les trois articles proposés sont simples. On voit bien les vertus de l'action de groupe pour des travailleurs qui sont individuellement incapables de défendre leur cause. Cette mesure permettrait d'améliorer le statut social des travailleurs indépendants.
Renverser la charge de la preuve, c'est permettre d'avancer sur le statut sans demander en permanence aux travailleurs de prouver leur subordination.
Enfin, il est évident qu'il faut soulever le problème des algorithmes, ces outils qui vont de plus en plus envahir notre sphère de travail et notre vie personnelle. Il est important que le conseil de prud'hommes puisse consulter l'algorithme et s'adjoindre les compétences d'un expert. L'article 3 prévoit la possibilité pour le conseil de prud'hommes de consulter un expert, qui établira le contenu exact de l'algorithme. Car c'est bien l'algorithme qui définit les modalités d'application du contrat passé entre l'autoentrepreneur et la plateforme, et la sanction de l'attitude du travailleur qui ne va pas assez vite ou n'est pas assez présent. Désactiver un travailleur est un pouvoir de sanction terrible, d'autant qu'en général aucune explication n'est donnée. Pour l'ensemble de ces raisons, il faut envisager d'instituer un statut de salarié pour ces travailleurs indépendants. La solution n'est pas inimaginable : la plateforme Just Eat travaille avec du personnel salarié, et envisage de passer de 2 500 contrats à 5 000 contrats d'ici à la fin de l'année.
Les travailleurs sont jeunes et dynamiques, mais la situation sera dramatique au moment où ils voudront faire valoir leurs droits à la retraite.
Dernier point, la durée moyenne de l'activité des livreurs est inférieure à un an. En effet, les conditions d'exercice du travail sont tellement dures qu'il est difficilement envisageable d'aller au-delà. Cela mérite que l'on s'interroge sur ce type d'emploi.