Intervention de Barbara Pompili

Mission d'information Méthanisation — Réunion du 12 mai 2021 à 16h30
Audition de Mme Barbara Pompili ministre de la transition écologique et de M. Julien deNormandie ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Barbara Pompili, ministre de la transition écologique :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis très heureuse d'être avec vous aujourd'hui, aux côtés de Julien Denormandie, pour traiter du sujet de la méthanisation.

Vous avez raison, monsieur le président, il s'agit d'un dossier très important. Comme je l'indiquais hier à certains de vos collègues, le contexte auquel nous devons faire face est lourd et grave. Nous l'avons constaté malheureusement dernièrement : nous avons appris que l'Amazonie brésilienne, poumon vert de la planète, réservoir de biodiversité, émet aujourd'hui davantage de carbone qu'elle n'en séquestre. Nous savons que c'est à cause de l'activité humaine. Plus que jamais, nous avons la responsabilité politique, morale et même civilisationnelle de parvenir à la neutralité carbone, qui permettra de laisser notre planète enfin respirer.

Pour y arriver - et cela recoupera un certain nombre de vos questions, auxquelles je répondrai de manière plus précise après si vous le souhaitez -, la France s'est dotée d'un cap visant à sortir le plus rapidement possible de notre dépendance aux énergies fossiles.

La méthanisation qui occupe votre mission d'information s'inscrit évidemment au coeur de ce combat. C'est un combat pour la transition énergétique du pays et pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

C'est aussi un combat pour l'économie circulaire, en particulier pour la valorisation des biodéchets.

C'est enfin un combat pour la qualité de l'eau. Là encore, le biogaz nous permet de limiter les fuites et les lessivages de produits azotés.

Ce combat, nous le menons sur et pour nos territoires.

La méthanisation est l'une des énergies renouvelables qui crée le plus d'emplois. C'est de plus en plus une source de revenus complémentaires pour nos agriculteurs. Je le répète devant votre mission d'information : le biogaz ne manque pas d'atouts pour notre climat, pour notre eau, pour nos emplois et pour tirer profit de nos déchets. C'est bien pour toutes ces raisons que le Gouvernement souhaite produire davantage de biogaz.

Cet engagement se traduit déjà dans les faits : en 2017, on dénombrait à peine 35 installations de méthanisation dans notre pays, pour une capacité de production de 0,5 Terawatt-heure (TWh) par an. À la fin 2020, la France compte 210 installations, soit six fois plus. Nous sommes dans une dynamique très encourageante.

La filière du biogaz enregistre désormais un essor significatif et je m'en réjouis. Mais c'est encore peu par rapport à notre consommation globale de gaz car, vous le savez, pour parvenir à la neutralité carbone à l'horizon 2050, la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) fixe un premier jalon de 6 TWh par an d'ici 2023. Concrètement, cela signifie que nous devons augmenter notre production de 50 % et ce n'est qu'un début.

Là aussi, notre ambition se traduit dans les faits. Près de 800 dossiers de nouveaux projets ont été déposés et ont fait l'objet d'un contrat d'achat de production de biogaz. Si ces projets se réalisent et si les installations correspondantes sont bel et bien construites et mises en service, nous dépasserons nos objectifs pour 2023, avec un engagement de l'État de 18 milliards d'euros, soit près de trois fois ce que nous mettons sur la table pour la stratégie hydrogène.

Vous le voyez, mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, pour développer le biogaz, le Gouvernement est au rendez-vous. Mais cela ne sera viable que si nous parvenons à maîtriser et à abaisser les coûts de production, car la massification des énergies renouvelables passe nécessairement par un modèle économique qui profite aux producteurs comme aux consommateurs.

Aujourd'hui, l'État achète le biogaz cinq à dix fois plus cher que le gaz naturel. Il est évidemment indispensable que l'augmentation des volumes produits s'accompagne d'une baisse des coûts de production, à mesure que la filière gagne en maturité et en compétitivité.

Nous l'y aidons d'ailleurs. J'ai lancé, en octobre 2020, un appel à projets doté de 20 millions d'euros destiné à faire émerger des solutions industrielles innovantes en matière de méthanisation, afin de développer la compétitivité de la filière française et de la structurer de manière pérenne.

Les tarifs d'achat ont également été revus en novembre 2020 et ce pour les futurs projets. Une telle révision, qui n'avait pas été réalisée depuis près de dix ans, était devenue indispensable pour tenir compte des progrès réalisés durant ces dix années et de la maturité de la filière.

Si cette révision, annoncée dès 2019 et entrée en vigueur fin 2020, a pu susciter un certain émoi - j'y reviendrai -, je veux redire devant vous qu'elle s'est faite en concertation avec l'ensemble des acteurs.

L'objectif n'est bien évidemment pas de réduire notre niveau d'ambition, bien au contraire. Les tarifs de rachat sont établis méthodiquement, au regard de l'examen des bilans techno-économiques des installations existantes, et déterminés de manière à couvrir les coûts et à permettre une rémunération raisonnable. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) est d'ailleurs systématiquement consultée sur la révision des arrêtés tarifaires.

Loin de menacer la méthanisation, cette opération vise au contraire à consolider le secteur. Nous avons mené un large travail de concertation avec les filières agricoles. Il nous a permis de prendre en compte plusieurs de leurs préoccupations et de leurs demandes, qu'il s'agisse de permettre l'augmentation des capacités pour les installations ayant déjà signé un contrat sans que cela ne vienne remettre en cause l'accès aux tarifs, ou encore d'allonger les délais de mise en service en cas de recours contentieux. Nous avons pu avancer concrètement avec les filières professionnelles, et je m'en félicite.

Parce que je crois que cette grande transition énergétique que nous menons demande de la stabilité et de la confiance, j'ai tenu à ce que la révision des tarifs ne concerne que les nouveaux projets, ceux dont le contrat d'achat est signé depuis novembre 2020. Cela ne lèse donc personne.

De même, j'ai tenu à ce que nous prenions en compte les retards dans la mise en service des installations imputables au confinement du printemps 2020.

Enfin, je souhaite souligner que les tarifs sont différenciés en fonction de la taille de l'installation. Les installations de grande taille sont désormais soumises au mécanisme d'appel d'offres, tandis que des installations plus modestes bénéficient d'un tarif d'achat garanti et déterminé à l'avance. Ce dispositif nous autorise ainsi à accompagner spécifiquement les méthaniseurs agricoles et permet aux plus petits projets d'émerger.

Par une action menée avec cohérence et responsabilité, nous pouvons développer la méthanisation dans notre pays, afin d'intégrer pleinement les enjeux agricoles et environnementaux. Cela permet d'éviter la concurrence avec les autres usages de la terre.

Nous avons déjà une limite prévue par l'actuelle réglementation, celle des 15 % maximum d'approvisionnement par le biais des cultures alimentaires. Nous devons veiller au respect de cette limite, et nous allons renforcer les contrôles à ce sujet, ainsi que le prévoit d'ailleurs la directive relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, dite « RED II » (Renewable Energy Directive).

Oui, demain, les cultures intermédiaires utilisées par des installations de grande taille devront faire l'objet d'une certification obligatoire.

Mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, je crois enfin que développer pleinement la filière méthanisation et biogaz dans notre pays, en tirer les avantages dont je vous parlais il y a un instant, demande aussi de la maîtriser et de regarder en face quelles peuvent en être les nuisances.

Je le dis très clairement : certaines installations qui n'étaient pas exploitées avec suffisamment de rigueur ont nui à l'image de la méthanisation. Nous devons donc mieux maîtriser les risques et les nuisances. Les incidents des dernières années le montrent bien : il y va de la protection de l'environnement, comme de l'acceptabilité des projets.

C'est pourquoi j'ai demandé à l'inspection des installations classées de renforcer ses contrôles sur les méthaniseurs, tout au long de l'année dernière. Aujourd'hui, l'ensemble des travaux d'inspection et les retours d'expérience ont montré la nécessité de renforcer le cadre réglementaire, ainsi que les exigences applicables en matière de prévention des risques.

Qu'il s'agisse des distances d'éloignement des habitations par rapport à l'installation, du suivi scrupuleux des quantités stockées d'intrants, de la prévention des nuisances olfactives, ou du renforcement des obligations de maintenance, tout cela figurera dans la nouvelle réglementation en cours de finalisation qui va être adoptée dans les prochaines semaines. Je pourrai vous en dire plus si vous le souhaitez.

Moderniser les cadres tarifaire et réglementaire, soutenir l'innovation dans la filière, mieux prévenir les nuisances, voilà des bases saines et solides pour un développement durable de la méthanisation !

À présent, afin de pérenniser et d'amplifier le mouvement, nous devons être capables d'imaginer de nouveaux dispositifs de soutien, sans qu'ils soient forcément budgétaires d'ailleurs. C'est pourquoi j'ai lancé, dès le mois de septembre 2020, une vaste consultation avec la filière, destinée à étudier ce qu'un dispositif de certificat vert pourrait apporter.

Je sais que votre mission d'information est parfaitement au fait de ce dispositif. Je ne vais donc pas revenir dessus, mais il s'agit d'une piste de soutien que mon ministère étudie très sérieusement. Je serai ravie de lire vos suggestions et propositions à ce sujet.

Voilà, mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, ce que je pouvais vous dire pour commencer.

Oui, le biogaz et la méthanisation présentent des intérêts majeurs pour la transition écologique que je porte, une transition faite de progrès, d'emplois et de revitalisation des territoires. Et je suis très heureuse que ce sujet, qui est parfois considéré comme un sujet de « niche » ou d'experts, fasse l'objet d'une mission d'information au Sénat. Celle-ci permettra, je n'en doute pas, de faire connaître au plus grand nombre les atouts de cette filière.

Je répondrai plus précisément à vos questions dans un second temps.

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