En ce qui concerne la suppression de ce que vous appelez l'avantage fiscal de TICPE pour le transport routier de marchandises, cette mesure s'inscrit dans une continuité, puisqu'elle arrive après les 4 centimes par litre en 2015 - pour solde de tout compte de l'abandon de l'écotaxe - et les 2 centimes par litre en 2020, pour contribution supplémentaire au financement des infrastructures, qui ont tout de même pesé pour 520 millions d'euros sur le secteur du transport routier. Les orientations prises par la Convention citoyenne pour le climat, reprises dans l'article 30 du projet de loi, gardent le même cap. Jusqu'à présent, la hausse de la fiscalité du gazole n'a pas prouvé son efficacité mais pourtant on poursuit dans cette logique avec cette disposition.
Or cette mesure fragilisera essentiellement le pavillon français. Le remboursement partiel de la TICPE n'est en rien une niche fiscale ou un avantage fiscal. C'est tout simplement l'instauration d'un gazole professionnel, pour éviter les distorsions de concurrence qui résultent notamment des écarts de taxation des carburants au sein des États membres de l'Union européenne. Les rabots successifs du remboursement vont créer encore plus de distorsions de concurrence avec les pavillons étrangers, accroître les écarts de compétitivité, et ouvrir encore plus grandes les portes de la concurrence déloyale, notamment aux pavillons de l'Est.
Cette suppression franco-française du remboursement partiel de TICPE va certes apporter des recettes nouvelles - 1,3 milliard d'euros - mais elle ne va certainement pas réduire le nombre de poids lourds ou l'impact carbone du secteur. Par contre, elle sera mortifère pour les entreprises de transport routier français, déjà fortement impactées par la crise sanitaire. Et elle sera destructrice d'emplois. Pourtant, la crise sanitaire a mis en évidence le rôle stratégique et vital du transport routier de marchandises : il est le garant de l'autonomie du pays. Comment aurions-nous fait pendant la crise sanitaire sans un pavillon français fort ?
L'approche européenne, indispensable, doit pointer vers une convergence des fiscalités. C'est ce qui est inscrit dans l'article 30. Nous tenterons, sous la présidence française, d'avancer en ce sens. Mais il ne faut pas oublier qu'en matière de fiscalité européenne, l'unanimité est requise ! Je souhaite beaucoup de courage aux négociateurs français pour l'obtenir sur la fiscalité du carburant en Europe...
D'une manière générale, l'alourdissement de la fiscalité ne se traduit pas par davantage de report modal. Une hausse importante du prix du transport routier de marchandises ne contribue pas à une hausse de la part du transport ferroviaire. Si la part du fret routier reste la même, la proposition contenue à l'article 30 va générer exclusivement une distorsion de prix en faveur des pavillons étrangers.
Nous suggérons donc d'alourdir la fiscalité des chargeurs, des donneurs d'ordre, plutôt que celle du pavillon français. Les organisations professionnelles l'ont proposé. L'idée était d'impliquer davantage les entreprises donneuses d'ordre pour changer leur comportement. Cette piste de réflexion a été rejetée par le ministère sans avoir été sérieusement approfondie.
La trajectoire fiscale envisagée par l'article 30 n'est pas réaliste en raison de la non-effectivité de l'offre. La Task Force sur la transition énergétique rassemble des constructeurs, des énergéticiens et des transporteurs, mais également l'État, pour définir une trajectoire concertée de transition énergétique et, in fine, travailler sur des énergies alternatives aux énergies fossiles. On peut supposer qu'il y aura une clause de revoyure. Il faut impérativement prendre en compte les résultats des travaux de la Task Force. Or le 20 mai, celle-ci publiera un rapport intermédiaire. Nous préconisons de prendre véritablement en compte ses travaux, pour savoir s'il est possible de travailler à si courte échéance sur une transition énergétique du secteur.
Les aides disponibles actuellement ont été évoquées. Pour utiliser le suramortissement, encore faut-il avoir du résultat ! Nous avions d'ailleurs proposé un prêt garanti par l'État pour investir dans le transport routier de marchandises, qui n'a pas été accepté par Bercy. En ce qui concerne le plan de relance et les véhicules propres, un bonus de 50 000 euros par camion a été prévu, mais pour des véhicules qui n'existent pas... Et les premiers travaux de la Task Force nous disent qu'un véhicule électrique lourd coûte cinq à six fois le prix d'un véhicule répondant à la norme Euro 6 : ce ne sont pas 50 000 euros qui vont faire la différence ! De plus, il faut produire en nombre, des dizaines de milliers de véhicules par an. Et il faut un réseau d'avitaillement. D'ailleurs, l'article 25 parle de 2040. Il faudrait que l'article 30 et l'article 25 soient en cohérence... La fin des énergies fossiles, en 2040, peut coïncider, éventuellement, avec la fin de la trajectoire de baisse de la ristourne sur le TICPE pour le gazole. Sinon, il n'y aura aucune cohérence dans le projet de loi. Il faut une vraie effectivité de l'offre, qu'il s'agisse des constructeurs ou des énergéticiens.
L'article 32, avec l'écotaxe régionale, vise le report modal. Alors que la fiscalité est toujours plus importante sur le transport routier de marchandises, celui-ci réalise aujourd'hui 89 % du transport de marchandises contre 67 % en 1985. Il y a aucune preuve qu'une hausse importante du prix du transport routier de marchandises contribuera à accroître le report modal. D'ailleurs, le transport routier de marchandises est le premier client du transport ferroviaire ! Il n'y a pas d'opposition des modes, mais des complémentarités. Et ce n'est pas en taxant le transport routier de marchandises qu'on développera le fret ferroviaire.
La hausse de la fiscalité prévue dans l'article 32 va simplement pénaliser encore un peu plus la compétitivité des entreprises locales, mais aussi de leurs clients - donc toute l'industrie locale. À la fin, c'est le pouvoir d'achat du consommateur qui en souffrira, dans une période de crise économique et sociale.
Les exemples étrangers montrent bien que la mise en oeuvre d'une écotaxe ne produit pas les effets escomptés. En Belgique, cela n'a pas contribué du tout à la diminution du nombre de poids lourds circulant sur les routes écotaxées, bien au contraire : après deux ans de mise en oeuvre, on a observé une hausse de 6 %. On nous dit qu'il faut contraindre les poids lourds en transit à utiliser les autoroutes plutôt que le réseau secondaire, gratuit. Je réponds que 76 % des trajets sont effectués sur le réseau autoroutier. La présence de poids lourds sur le réseau national et départemental est principalement liée aux transports régionaux de proximité, puisque seule la route est en mesure d'assurer une desserte fine du territoire, ou aux trajets permettant l'accès aux zones de chargement et de déchargement chez le client. Donc, aucune solution ne permet d'atteindre cet objectif sans impacter l'activité régionale ou les dessertes locales.
Enfin, l'instauration des écotaxes régionales suppose un préalable, la loi 4D, et un éclaircissement sur la possibilité de créer des écotaxes départementales. Elle soulève des interrogations. Il ne peut être envisagé de laisser une région instaurer son modèle de contribution sans cohérence avec les autres. La Collectivité européenne d'Alsace, avec le projet d'ordonnance qui a été publié, a pris de l'avance. Le principe retenu y est la taxation au kilomètre, alors que, dans le même temps, en Île-de-France, Mme Pécresse annonce une vignette ! Il va falloir agrandir les pare-brise si toutes les régions imposent leur vignette... La cohérence des décisions, d'une région à l'autre, est centrale. On ne pourra pas s'en passer. Par ailleurs, le dispositif alsacien nécessite un équipement électronique embarqué.
D'autres exemples étrangers montrent bien que tout ce qu'on nous raconte sur l'écotaxe n'est pas exact. Ainsi, la Cour suprême espagnole, le 13 mars 2021, a jugé impossible de taxer uniquement des portions de route ou certains types de tonnages. L'idée de ne taxer que les poids lourds en transit, avec une compensation pour les transporteurs nationaux, a été retoquée également par la Cour de justice de l'Union européenne, dans une décision concernant l'Allemagne.
Bref, cet article 32 n'apporte aucune réponse concrète aux objectifs recherchés, et il va fragiliser essentiellement le transport routier français, un secteur vital et stratégique. Pour nous, il n'a rien à faire dans le projet de loi climat.