C'est un sujet technique que je vous propose ce matin avec la syndication, une technique d'émission de la dette publique. L'Agence France Trésor (AFT), chargée de la gestion de la dette de l'État, est animée par un double objectif : que les titres de la dette française trouvent preneur - afin de couvrir nos besoins de trésorerie et de financement - et à moindre coût, dans les conditions les plus favorables possibles pour le contribuable - afin que la charge de la dette soit la moins élevée possible.
Avant de vous présenter les caractéristiques de la syndication, qui diffèrent de celles de la méthode classique d'émission par adjudication, un rappel sur la spécificité des titres de dette publique. Imaginons un particulier qui souhaite faire un prêt, il emprunte une somme donnée sur 20 ans à un coût de 2 % et il connait très exactement le coût de son produit. Pour la dette publique, c'est différent. Prenons là-aussi un exemple théorique, l'État va émettre 100 avec un coupon (un intérêt) de 0,5 %. Le prix payé par les souscripteurs pourrait très bien ne pas être de 100, mais être de 99 ou 101 selon le contexte de taux. C'est important parce qu'il faut bien se rappeler que les obligations assimilables du Trésor (OAT), les titres à moyen et long terme de la dette française, s'inscrivent dans un marché financier, il y a une offre et une demande.
Quand l'État émet des titres par adjudication, ce sont les spécialistes en valeur du Trésor (SVT), les 15 banques sélectionnées pour être les partenaires privilégiées de l'AFT, qui vont venir acheter les titres, sur ce marché primaire. Ils les portent donc dans leur bilan, avant de les revendre aux investisseurs intéressés sur le marché secondaire, là où ces titres s'échangent. Les détenteurs de dette peuvent être des assureurs, des gestionnaires d'actifs ou encore des hedge funds, des résidents français comme des non-résidents. Dans une opération d'adjudication, la Banque de France apporte un soutien technique et les SVT ne sont pas rémunérés. J'ai eu l'opportunité d'assister en direct à une adjudication et c'est très impressionnant : en moins d'une heure, plus de 10 milliards d'euros sont émis et répartis entre les souscripteurs. Les offres dont les prix sont les plus élevés sont servies en premier, chaque SVT payant donc des prix différents, correspondant aux prix demandés, pour les quantités demandées. Le prix moyen pondéré n'est donc connu qu'à la fin de l'opération.
En syndication, le déroulement de l'opération et les rôles de chacun sont différents. Commençons par les SVT, dont je rappelle ici qu'ils sont sélectionnés pour trois ans, le prochain renouvellement ayant lieu à l'automne prochain, pour la période 2022-2024. Ces SVT se rassemblent dans un syndicat bancaire, avec un rôle particulier pour les cinq établissements désignés « chefs de file ». Dans une syndication, les SVT ne sont plus acheteurs directs des titres mais garants. Ils vont servir d'intermédiaire entre l'émetteur (l'AFT) et les investisseurs finaux, à qui ils doivent faire souscrire une part de la dette, en développant aussi des stratégies de vente pour ces produits, comme ce fut le cas pour le lancement de la première OAT verte par exemple. Si jamais l'un des investisseurs venait à faire défaut, le SVT concerné prendre le papier à son compte. Il y a par ailleurs des échanges en amont de l'opération entre l'AFT et les SVT pour juger de l'appétence du marché pour le produit émis par syndication et à quel prix. Les titres sont en effet acquis par les souscripteurs au prix défini avec l'émetteur, contrairement à une adjudication. Il y a donc une négociation. Dernière spécificité, dans une syndication, les SVT sont rémunérés par l'AFT, avec le versement de commissions. Si la grille de rémunération est confidentielle, le montant total des commissions et frais encourus au titre de la gestion de la dette est connu : 27,5 millions d'euros en 2020, pour trois syndications.
Je vous l'ai indiqué, la France n'émet qu'une part minoritaire de ses titres par syndication, tout comme l'Allemagne, qui, avant 2020, n'avait plus eu recours à cette technique d'émission depuis 2015. A contrario, des plus petits émetteurs, comme la Slovénie ou le Portugal, ont au contraire couvert respectivement 100 % et 48 % de leur programme de financement net par des syndications. Passer par une syndication est un moyen plus sûr pour les pays plus petits ou plus fragiles de pouvoir placer les montants souhaités.
La France, comme les plus grands émetteurs souverains, réserve la syndication à l'émission de titres pour lesquels la demande et, surtout, le prix sont moins connus. Il s'agit notamment des produits innovants, tels la création d'une OAT verte, ou encore les titres de maturité très élevée, de 30 à 50 ans. En l'absence de référence, il est préférable de passer par cet échange direct entre l'émetteur et les investisseurs finaux. Pour les titres plus « classiques », de deux à vingt ans pour les OAT nominales, les prix sont bien connus et les adjudications se déroulent selon un calendrier précis et prédéterminé. Il n'y a pour ces produits que peu d'incertitudes sur le prix et la demande, qui plus est au regard des montants émis par la France, qui fait partie des plus gros émetteurs de dette en volume.
Les syndications conduites par la France en 2020 et en ce début d'année se sont déroulées dans de très bonnes conditions, avec des taux de rendement à des niveaux historiquement bas et surtout des taux de couverture extrêmement élevés. Ainsi, les montants inscrits sur le livre d'ordres, qui retrace la demande des investisseurs finaux, étaient près de 10 fois plus élevés que le montant émis lors du lancement de la nouvelle OAT à 50 ans. Les investisseurs demandaient 75 milliards d'euros, l'AFT en a servi sept. Dans ces conditions, certains estiment que la France devrait profiter de ce contexte pour allonger très fortement la maturité de sa dette en émettant de manière beaucoup plus fréquente des titres de maturité très élevée. Je veux tout de suite clarifier les choses : ce n'est pas la bonne solution et cela pourrait même être très dangereux pour la qualité de la dette française.
Cette proposition s'appuie en effet sur une lecture déformée du livre d'ordres, du fait du phénomène de surenchère (overbidding) de la part des investisseurs. Ce phénomène s'observe dans plusieurs pays et traduit la tendance des investisseurs, notamment les plus opportunistes d'entre eux, à demander des montants très élevés lors des syndications en anticipation de la dilution de leurs ordres lors de l'allocation finale par l'émetteur. Le but de ces investisseurs c'est de revendre rapidement les titres acquis pour réaliser un bénéfice ; ce ne sont donc pas les investisseurs les plus privilégiés lors des syndications. En effet si, dans une adjudication, les investisseurs finaux ne sont pas connus, dans une syndication, l'AFT peut optimiser l'allocation des titres en fonction de la nature des investisseurs. Ce n'est toutefois bien qu'une image à un instant donné, les titres pouvant être immédiatement revendus après l'allocation.
Ce sujet sur les syndications m'a donc conduit à m'interroger d'une part sur l'allongement de la maturité de la dette et d'autre part sur l'émission de nouvelles obligations thématiques pour traiter de la hausse de l'endettement public. J'ai répondu sur l'allongement de la maturité, une impasse. La maturité de la dette française est par ailleurs supérieure à la moyenne OCDE, dans la fourchette haute, à 8,2 ans. Loin devant se situe le Royaume-Uni, à plus de 15 ans, mais pour des raisons très spécifiques, liées au poids des fonds de pension, du fait de la gestion du système de retraite britannique. Ces acteurs demandent des titres de maturité élevée et concentrent par ailleurs leurs investissements sur le segment obligataire.
Pour conclure, il me semble qu'il me faut plutôt conserver les modalités actuelles d'émissions de la dette, avec une prédominance des adjudications, en réservant les syndications pour les produits « rares » que sont par exemple les produits innovants ou de très longue maturité. Ces opérations coûtent plus chères et il ne serait pas dans notre intérêt de bouleverser notre modèle.