Je vais vous présenter quelques diapositives pour introduire ce débat, en abordant le développement du marché des obligations vertes, au travers de notre expérience d'émetteur. Le marché des obligations vertes était initialement un marché de niche, défriché par quelques émetteurs supranationaux. Je rappellerais le rôle moteur joué par la Banque européenne d'investissement en 2006 et par la Banque mondiale en 2009. Les grandes entreprises du secteur de l'énergie et quelques collectivités locales ont pris le relais de ces institutions supranationales. Les États n'arrivent donc que tardivement sur ce marché. Il faut donc reconnaitre qu'il s'agit d'un marché de niche, avec une audience assez confidentielle. Au regard de l'ensemble des flux obligataires actuels, on estime que l'encours des obligations vertes, sociales et durables est à peu près de 1 000 milliards de dollars à la fin de l'année 2020, soit 0,86 % du total de l'encours du marché obligataire. Même avec le développement que nous avons connu ces dernières années, en termes de stock, l'encours des OAT vertes reste faible. Mais en 2016, l'encours n'était que de 100 milliards de dollars : le marché a donc été multiplié par 10 en termes d'encours en quelques années.
Comme vous l'avez rappelé, il y a eu un changement d'échelle en 2017 avec l'émission par la France d'une OAT souveraine qui a eu deux conséquences : d'abord, celle de consolider la place de premier plan de la France sur ce marché. Nous avons un écosystème remarquable, constitué d'agences et d'établissements publics, de grandes entreprises qui ont très tôt saisi le potentiel de ce marché, des banques qui ont des capacités de placement, et des agences de notation. Avec cette première émission, l'État a consolidé cet écosystème. En deuxième lieu, cette émission a eu un effet d'entraînement sur d'autres émetteurs européens.
La deuxième diapositive montre, à partir des données du Climate Bonds Initiative, que la France occupe ces dernières années une troisième place dans les flux d'émissions d'OAT vertes dans le monde, souvent aux côtés des États-Unis et de la Chine. L'Allemagne est arrivée en troisième position en 2020 : nouvel émetteur souverain en 2020 sur ce marché, l'Allemagne est en effet remontée dans le classement. Vous avez rappelé que c'est à l'issue de la COP 2021, en 2016, que la France a décidé de démontrer la maturité des marchés financiers pour accompagner la transition énergétique dans laquelle doivent s'engager les États signataires et de montrer l'exemple en étant le premier État souverain à émettre une obligation verte pour une taille de référence : c'est l'OAT 2039 émise en janvier 2017, pour 7 milliards d'euros. La troisième diapositive montre le changement d'échelle du marché français à compter de 2017 : le marché triple en l'espace d'une année et les OAT vertes ont représenté près de 50 % des émissions totales en 2017 et 2018, puis le marché poursuit sa lancée en 2019 et en 2020. Les émissions de l'État ont donc joué un rôle de premier plan dans la dynamique de ce marché.
La quatrième diapositive illustre le rôle pionnier de la France parmi les émetteurs souverains européens. Après avoir fait la preuve de la viabilité de ce marché, à travers une structuration adéquate qui n'a pas mis à bas les principes d'efficience qui guident les agences d'émission, d'autres pays emboîtent le pas de la France : dans l'ordre, il s'agit de la Belgique, de l'Irlande, des Pays-Bas, de l'Allemagne, et plus récemment de l'Italie. L'Espagne et le Royaume-Uni sont attendus pour cette année. Comme le montre le graphique, un mois sépare les opérations de la Pologne et de la France : la Pologne a effectué en décembre 2016 une opération de 750 millions d'euros d'émission à 5 ans. L'émission française, c'est 7 milliards d'euros, pour un titre à 22 ans de maturité. En termes de risque absorbé par le marché, nous sommes donc sur un facteur de 1 à 40 entre la Pologne et la France. Le changement d'échelle s'est véritablement produit avec l'émission française. Nous pouvons revendiquer d'avoir changé les dynamiques dans ce marché.
Les diapositives suivantes rappellent ce que sont les OAT vertes : il s'agit d'une obligation dont le produit de l'émission sert à financer les dépenses budgétaires qualifiées de « vertes ». La cinquième diapositive illustre les types de dépenses qui ont été financées sur la période de 2017 à 2020 en cumulé. Par souci de simplicité et d'illustration, nous avons sélectionné les 8 principales, d'un montant cumulé supérieur au milliard d'euros et couvrant 80 % du global, mais au total nous avons 32 lignes budgétaires concernées, relevant de 13 programmes budgétaires, auxquels il faut ajouter les 3 programmes d'investissements d'avenir. Si vous souhaitez des informations exhaustives à ce sujet, je vous renvoie au rapport annuel d'allocation des fonds de l'OAT verte, publié sur le site internet de l'Agence France Trésor. Ces dépenses vertes sont sélectionnées après un processus interministériel rigoureux. Elles doivent répondre à un cahier des charges précis, et doivent contribuer à l'atteinte d'objectifs environnementaux rappelés dans la sixième diapositive. Les quatre objectifs environnementaux sont l'atténuation du changement climatique, la protection de la biodiversité, la réduction de la pollution et l'adaptation au changement climatique. Ces dépenses interviennent dans six différents secteurs : le bâtiment, le transport, l'énergie, les ressources vivantes, l'adaptation et la pollution et l'éco-efficacité. Ces dépenses doivent faire l'objet d'un rapportage annuel quant à l'allocation des fonds, et de rapport d'impacts environnementaux dans la mesure du possible. C'est ce à quoi la France s'est attelée avec la constitution du conseil d'évaluation de l'OAT verte. La septième diapositive montre sur la gauche quelques exemples de rapports et d'études ayant été menés par le conseil. Je voudrais insister sur le rôle essentiel de ce conseil d'un point de vue institutionnel car il est garant de la qualité de notre démarche. Il est composé de neuf personnalités qualifiées, ayant une expérience internationale, spécialisées dans le champ de l'environnement, de la finance verte ou dans l'évaluation des politiques publiques : de grandes institutions sont représentées comme l'OCDE, la Banque mondiale, le Programme des Nations Unies pour l'environnement. Ce conseil est présidé par un ancien ministre de l'environnement du Pérou, qui avait présidé la COP 20.
Une dernière observation importante : rien de tout cela ne se fait en contradiction avec les principes budgétaires, notamment la règle de l'universalité, qui interdit l'utilisation d'une recette déterminée pour le financement d'une dépense déterminée. Il n'y a pas d'affectation prédéterminée, pas de compte ségrégé. Le produit des émissions d'OAT vertes est géré comme les autres produits d'émissions obligataires et les autres ressources au sein du compte unique du Trésor.
Cependant, nous sommes engagés à tenir un reporting auprès des investisseurs sur les montants qui sont effectivement décaissés sur les programmes budgétaires pré-identifiés, en assurant que chaque année, nous n'émettions pas plus d'OAT vertes que nous décaissions envers ces programmes : il s'agit de l'équivalence notionnelle, vérifiée par un auditeur externe qui certifie l'intégrité de notre approche.
Après quatre années d'expérience, le modèle d'émission conçu par la France connait un succès à trois titres. D'abord, l'émission d'OAT vertes s'est faite sans surcoût pour le contribuable, ce qui est la mission première de l'AFT - financer l'État dans les meilleures conditions de coût et de sécurité - car nous avons été en mesure d'entretenir la liquidité de notre souche d'OAT selon les mêmes principes que nous utilisons pour les émissions de nos OAT conventionnelles, en étant à l'écoute du marché et en apportant aux investisseurs le produit qu'ils recherchent au moment où il le souhaitent. Avec le temps, nous avons progressivement augmenté notre encours d'OAT vertes : la neuvième diapositive montre que l'encours atteint un niveau équivalent à celui des autres OAT, ce qui assure un niveau de liquidité équivalent. Nos émissions se sont réalisées avec un coût sans doute un peu moindre pour l'OAT verte que pour les autres OAT : le contribuable en a donc bénéficié. Nous tirons parti d'un déséquilibre persistant dans ce marché entre la demande de titres verts qui vient de la communauté des investisseurs et l'offre de titres, en dépit de la multiplication du nombre d'émetteurs, notamment souverains. L'encours atteint par l'OAT verte est actuellement de 30 milliards d'euros, ce qui nous a conduits en mars dernier à émettre une nouvelle souche, l'OAT 2044, dans d'excellentes conditions de demande et de taux d'intérêt : 0,526 % à l'émission. Pour la première fois à l'occasion d'une opération syndiquée, le fameux greenium s'est matérialisé : il s'agit de la prime à l'émission d'une OAT verte. On estime que cette OAT a été émise avec 1 point de base sous sa valeur théorique. Le greenium, par référence à l'OAT 2039 et aux conditions qui prévalaient sur le marché secondaire au moment où a été émise l'OAT 2044, peut être estimé entre 2 et 3 points de base. À l'occasion de cette opération, nous avons en quelque sorte partagé le greenium entre l'émetteur et les investisseurs. C'est donc la preuve que le marché gagne en maturité, ce premium permettant de couvrir sans difficulté les charges administratives spécifiques aux OAT vertes et la gouvernance associée à ce titre obligataire.
J'en viens au deuxième succès : l'OAT verte s'est installée comme un produit d'émission régulier de l'AFT, aux côtés des OAT conventionnelles, des titres indexés sur l'inflation, et des titres de court terme. Nous avons à peu près 5 % des programmes d'émissions sous forme d'OAT vertes contre 10 % de programmes d'émissions réalisé sous la forme de titre indexés sur l'inflation française et européenne. Nous nous adaptons en fonction de l'intensité de la demande.
Enfin, le troisième succès : beaucoup d'autres États nous ont emboité le pas, selon une structuration voisine de la nôtre, y compris des émetteurs souverains qui au départ étaient très sceptiques après notre opération en 2017. On assiste donc à des conversions bienvenues. L'arrivée de ces nouveaux émetteurs n'a pas détérioré nos conditions préférentielles d'émissions. Nous avons contribué à renforcer cette classe d'actifs, avec un cercle vertueux où l'offre génère un supplément de demande. J'ai l'intime conviction que l'émergence d'actifs souverains verts permet le développement croissant d'une gestion d'actifs purement verte, qui devrait permettre le financement d'investissements de la part d'entreprises ou de pays émergents par exemple, qui n'auraient pas pu voir le jour sans la structuration progressive du marché.
En conclusion, je voudrais évoquer les défis à venir. Ce n'est pas l'émission d'un nouveau titre vert, puisque ce défi a déjà été relevé avec succès. À court terme, le défi est de voir dans quelle mesure l'équilibre de marché actuel sera modifié ou pas par l'arrivée de la Commission européenne en tant qu'émetteur. La Commission européenne a en effet un programme d'émission de titres verts considérable, de 250 milliards d'euros potentiellement au cours des prochaines années, ce qui en fera rapidement le premier émetteur d'obligations vertes au monde. Le deuxième défi est la question de l'alignement de notre cadre d'émissions avec la taxonomie européenne en cours d'élaboration, qui n'est pas encore complète. Il s'agira de nous assurer que ce que nous faisons et les dépenses que nous finançons sont bien alignés avec cette taxonomie. Je vous remercie.