Nous ne parviendrons pas à revenir à une trajectoire de réchauffement climatique liée à 2 degrés sans une transformation profonde de la finance. Il ne faut pas seulement investir dans l'économie verte, mais aussi et surtout désinvestir de l'économie brune et carbonée. Or la finance climatique n'est pas actuellement alignée sur une trajectoire 2 degrés et une politique de simple amélioration n'est pas raisonnable. Il faudra un engagement volontariste des États et des banques centrales, qui peuvent contribuer à la réallocation de flux financiers.
En premier lieu, la finance est incapable à elle seule d'aligner les flux financiers sur une trajectoire soutenable. La plupart des efforts ont porté jusqu'à présent sur l'amélioration de l'information relative à l'exposition des entreprises aux secteurs carbonés ou peu soutenables. Il faut certes réunir des informations pour mesurer les risques financiers d'origine climatique et la taxonomie verte d'origine européenne est une avancée, mais ce n'est pas suffisant. En effet, l'allocation des flux, en finance, se fait en fonction du rendement et du risque anticipés, mais seul le rendement du point de vue de l'investisseur est pris en compte : la réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui bénéficie à tous, n'est pas tarifée par le marché. À l'inverse, les investissements dans l'économie brune nuisent à tous sans que cela pèse sur la rentabilité financière. Ainsi les plus grandes banques mondiales ont-elles, depuis les accords de Paris, accordé près de 4 000 milliards de dollars à l'industrie fossile, dont près de 300 milliards de dollars pour les banques françaises. Cette défaillance du marché justifie une intervention publique.
En outre, les risques financiers d'origine climatique sont sous-estimés parce qu'ils sont nouveaux, les modèles existants étant basés sur les risques passés, et ils ne sont pas véritablement quantifiables, ce qui constitue une entrave à l'action.
La finance durable doit porter surtout sur le désinvestissement dans les secteurs les plus nocifs, comme l'a recommandé hier un rapport de l'Agence internationale de l'énergie. Les investissements publics doivent donc être massifs et, afin d'entraîner la finance privée, des règlementations doivent pénaliser l'investissement dans l'économie brune.
Il faut, en application du principe de double matérialité, qui est désormais reconnu dans la législation européenne, reconnaître les conséquences du réchauffement climatique sur la finance mais aussi, à l'inverse, celles des choix économiques et financiers sur l'aggravation du réchauffement climatique. Contrairement aux intermédiaires financiers, les banques centrales peuvent prendre en compte ce principe parce qu'elles n'ont pas d'objectif de maximisation des profits et qu'elles représentent les intérêts de la communauté. De même que, en situation de crise financière, les banques centrales agissent en prêteurs de dernier ressort lorsque les acteurs privés ne le font pas, il faut reconnaître une urgence à agir pour la lutte contre le réchauffement climatique, dont on ne se relève pas comme d'une crise financière : les banques centrales devraient donc, du fait de leur position hiérarchiquement supérieure, intégrer dans leur doctrine le principe de double matérialité, en dépit de la difficulté à tarifer les risques climatiques. Le prix de l'inaction, lui, est connu : elle entraînerait des catastrophes climatiques irréversibles. Les travaux du GIEC l'ont montré, certaines régions pourraient devenir invivables d'ici à la fin du siècle. Les banques centrales ont donc un rôle majeur à jouer, selon des critères différents de leurs actions habituelles.