Je ne suis pas un dogmatique sur ces sujets et je considère qu'il faut revenir à des cas concrets car la finance durable ne peut exister qu'à la condition que l'on ait une économie durable et des décisionnaires publics qui la conçoivent. Je ne crois pas à la main invisible de la finance. Elle ne peut pas faire les choses toutes seules.
Je vais prendre l'exemple du nucléaire. La fermeture de la centrale de Fessenheim a beaucoup mobilisé l'opinion mais il n'en va pas de même sur la fermeture des centrales à charbon. Pourtant le nucléaire n'émet pas de CO2, même s'il existe des externalités négatives en termes de déchets qu'il ne faut pas négliger. Il n'empêche que les décisions politiques depuis 15 ans s'acharnent davantage à fermer les centrales nucléaires que les centrales à charbon qui sont pourtant fortement émettrices de gaz à effet de serre.
La finance durable ne va pas remplacer la décision et les politiques publiques. On peut parler de désinvestissement dans les énergies qui contribuent aux émissions de gaz à effets de serre mais ça ne règle pas le problème si les États ne prennent pas la décision de fermer les centrales. Dans ce cas, désinvestir cela signifie qu'un financier rapace prendra le relais en anticipant des gains financiers. L'action publique est essentielle pour guider, non seulement la finance, mais plus largement l'économie et l'ensemble des acteurs économiques sur ces sujets.
Un autre exemple intéressant est celui des transports. Combien de collectivités locales ont pris des décisions fermes de renouvellement de leurs flottes de bus diesel, même Euro 6, par des motorisations électriques, hydrogène ou autres solutions alternatives ? Est-ce qu'une décision politique centrale, comme en Californie, doit l'imposer ? Les Californiens ont décidé qu'en 2030, leurs transports afficheraient des émissions nettes nulles. Sans une telle décision, la finance ne peut pas, d'elle-même, faire bouger les choses. La question n'est pas est-ce que l'on peut faire évoluer la finance ? Il faut que la finance soit toujours en lien avec l'activité économique réelle et les objectifs de développement durable clairs et précis traduits par les États dans leur action et leurs décisions politiques. Il ne peut en être autrement.
Tous les systèmes de contrôle ont bien évolué et les régulateurs y travaillent activement. Le contrôle prudentiel est nécessaire car il y a un élément de risque évident. Je pense que les efforts de la commission européenne et de la Banque de France sont énormes et vont finir par aboutir. Les exigences de transparence obligent à mieux quantifier le risque et, in fine, elles conduisent à pénaliser, dans une logique prudentielle, ceux qui détiennent les actifs à terme.
Les obligations sociales à impact existent déjà. Nous finançons des hôpitaux en Turquie avec des obligations à la fois sociales et vertes. Nous essayons d'identifier les bonnes pratiques économiques vertueuses car c'est bien la base. Pour avoir un hôpital « vert » il faut construire un bâtiment zéro émissions nettes avec des exigences d'accessibilité. C'est d'abord l'acteur économique qui doit être responsable. La finance doit l'inciter en lui proposant des solutions pour faciliter sa transformation. Prenons l'exemple du tanneur qui fournit les sacs d'Hermès. Si ses effluents ne sont pas contrôlés par une réglementation stricte et qu'il ne dispose pas des moyens pour transformer son outil industriel, la finance durable est impuissante.
Il faut rester sur du concret, partir de la situation concrète des citoyens, des entreprises et des acteurs économiques. Il y a une responsabilité forte de l'État et du Parlement dans la définition de ces objectifs. L'économie ne va pas opérer seule une transformation aussi profonde dans un délai aussi rapide sans des décisions très claires quant aux objectifs. IL ne s'agit pas de donner de leçons, de contrôler ou de taxer systématiquement, mais de se montrer clair sur ces objectifs. Par exemple, si l'on veut protéger la biodiversité, on n'autorise pas forcément les compensations. S'il s'agit en effet d'une pratique ancienne, la question de son évolution ou de son interdiction est posée, et la réponse qu'il convient d'apporter doit reposer sur une base scientifique. La protection de la biodiversité étant un objectif de développement durable, il faut que les politiques publiques se déploient en déterminant ce qui est souhaitable ou non, la finance ne peut pas le décider à leur place.
En résumé, nous devons « rester sur terre » : c'est à l'économie de devenir durable, la finance n'est qu'à son service. Je ne nie pas qu'il ne faut pas « taper » sur la finance pour qu'elle le fasse à coups d'incitations, de réglementations et de pénalités. Il faut se monter réalistes : le fait d'attirer les flux vers l'économie durable nécessite de surmonter d'autres obstacles en amont. Il est compliqué d'expliquer à l'élu d'un territoire où une centrale à charbon génère un millier d'emplois que celle-ci doit fermer. Il faut parvenir à une transition durable, mais juste. Je suis par exemple favorable à une taxonomie de transition : certaines opérations ne sont aujourd'hui pas considérées comme relevant de la taxonomie « verte », mais pourraient le devenir. La Banque européenne d'investissement applique par exemple une taxonomie impliquant toute une série d'investissements interdits. Reste posée la question de savoir comment aider les petites entreprises dont l'activité pollue à mener leur transition grâce à une finance bien orientée et des politiques publiques adéquates.
Sur l'économie sociale et solidaire, je dirais que nous avons la chance, en France, d'être de très gros épargnants. Or, la finance ne peut être efficace que si elle atteint des volumes suffisants. Il faut que la finance globale se rende compte qu'il y existe un vrai bénéfice à investir dans l'ESS. C'est la raison pour laquelle l'initiative de l'Impact est très importante pour la place de Paris et, je l'espère, pour l'Europe.