Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le pays reste vulnérable et nos concitoyens sont atteints d’une grande lassitude. Ajoutons qu’à ce stade des débats le Parlement est échaudé.
Il est échaudé par le défaut de confiance dont il a fait l’objet de la part de l’exécutif, qui a certes accepté de l’informer, mais sans lui laisser une capacité de décider et sans partager d’une manière réellement collective les responsabilités face à cette crise.
Il est aussi échaudé par une autre forme de défaut de confiance, au regard de la banalisation de l’état d’urgence. Chacun sait que nous en sommes à treize déclarations d’un état d’urgence depuis 2015 : cinq pour des motifs terroristes et huit pour des motifs sanitaires. Cela signifie que, pour l’essentiel, notre pays a vécu ces dernières années sous le régime de l’état d’urgence.
Comment allons-nous nous positionner par rapport à cette situation et au texte qui nous est soumis ?
Je tiens immédiatement à préciser que les sénateurs centristes vont soutenir la réécriture de ce projet de loi issue des travaux de la commission des lois. C’est pour moi l’occasion, monsieur le rapporteur, de vous remercier, non seulement de la qualité du travail de réécriture dont vous êtes l’auteur, mais aussi, plus généralement, de votre travail de recadrage au regard des exigences juridiques, mais surtout de l’exigence de vérité.
L’objet du texte qui nous est présenté serait de sortir de l’état d’urgence ; on nous demande de supposer que cela est exact. Les orateurs qui m’ont précédé à cette tribune nous ont pourtant déjà expliqué que ce texte reconduit en réalité jusqu’au 1er octobre la quasi-totalité des pouvoirs énumérés dans la loi du 23 mars 2020 relative à l’état d’urgence sanitaire : couvre-feu jusqu’au 30 juin, reconfinement possible pour 10 % de la population avec saisine du Parlement à l’expiration d’un délai de deux mois, régime de quarantaine durci.
Vous savez également que le Président de la République a déjà annoncé le calendrier jusqu’à la fin du mois de juin. Un couvre-feu est prévu jusqu’alors. Cela signifie en réalité que nous serons bien dans un état d’urgence jusqu’à la fin de ce mois. Il s’agit donc, si vous me passez l’expression, d’un « coup parti » : nous savons que l’Assemblée nationale ne désavouera pas le Président de la République.
Dès lors, soit nous sommes dans l’état d’urgence, soit nous sommes dehors. Soit nous en gardons les mesures, comme le Gouvernement nous le propose, et cela s’appelle un état d’urgence, soit nous en sortons, en écartant les mesures que l’on nous propose.
La seule issue honorable face à cette situation est celle que nous propose notre rapporteur : c’est dire que, le calendrier annoncé comportant un couvre-feu jusqu’à la fin juin, ce mois sera un mois d’état d’urgence.
Cela signifie également, en contrepartie, qu’à partir du 1er juillet nous serons hors de l’état d’urgence, et non dans un état transitoire qui en serait une forme déguisée.
C’est pourquoi, à compter de cette date, les établissements recevant du public devront être ouverts, sous réserve de règles propres et du respect des gestes barrières. Pour le dire autrement, il ne peut pas y avoir un état d’urgence de précaution qui serait conservé à l’intérieur du régime de sortie.
Nous vous proposons donc, pour la période allant du 1er juillet au 15 septembre, ou au 30 septembre dans la version de l’Assemblée nationale, une vraie sortie de l’état d’urgence, sans interdiction de circulation des personnes ni fermeture des établissements recevant du public.
On sait aussi que, s’il y avait une quatrième vague, ce que personne ne peut souhaiter, le Premier ministre aurait toujours la possibilité de déclarer l’état d’urgence ; le Parlement en serait saisi après un délai d’un mois.
À l’intérieur du régime de vraie sortie de l’état d’urgence que nous vous proposons se pose la question du pass sanitaire ; c’est une question redoutable, car c’est une question de principe qui taraude nombre d’entre nous.
Le Gouvernement a prévu des modalités d’encadrement, avec un dispositif temporaire jusqu’au 30 septembre ; il serait réservé aux manifestations de plus de 10 000 personnes et ne s’appliquerait pas aux besoins de la vie quotidienne.
Notre commission des lois nous propose des garanties supplémentaires : le pass sanitaire ne s’imposerait que dans les lieux qui ne permettent pas d’assurer les gestes barrières, sous forme d’un document numérique ou sur papier justifiant, par exemple, d’une double vaccination ; un décret en définirait les modalités et préciserait quelles personnes seraient aptes à effectuer des contrôles.
Sur ce sujet, on peut se demander s’il y a pour nous un risque à admettre le pass sanitaire. Effectivement, on nous habitue à un système anormal, on nous habitue à l’inacceptable. Voici le risque : à l’avenir, dans des situations qui seraient différentes, mais pourraient sembler équivalentes, on pourrait se parer de l’intérêt général et de notre acceptation dans le passé d’un tel mécanisme pour le réintroduire. En face, vous avez les besoins de la vie, qu’elle soit culturelle ou sportive : chacun souhaite que la vie reprenne.
C’est ce qui nous conduit à accepter le pass sanitaire, dès lors que le support numérique et le support papier sont tous deux offerts, mais strictement dans la limite du 15 septembre ; autrement dit, si vous me passez l’expression, mes chers collègues, un pass sanitaire le temps d’un été !
Cela suppose de recevoir du Gouvernement la garantie que le pass sanitaire disparaîtra au 15 septembre et qu’il ne reviendra pas sur ce sujet. Une saisine du Conseil constitutionnel est assez probable ; il sera intéressant de voir s’il valide le pass sanitaire nonobstant le principe de respect des libertés, ou s’il introduit une réserve d’interprétation, dans laquelle il indiquerait ne considérer un pass sanitaire comme proportionnel aux besoins nés de la crise sanitaire que dans la limite d’une certaine date, qui pourrait correspondre au 15 septembre. Dans cette hypothèse, on disposerait de toutes les garanties requises.
Reste le problème de la conservation des données de santé. On nous avait dit qu’elle serait très limitée et se ferait dans des fichiers très spécialisés. Nous savons aujourd’hui que nous partons, dans le projet du Gouvernement, sur le fichier général et sur une durée de vingt ans. Nous avons des doutes quant à la pseudonymisation proposée et sur le respect de l’anonymat, si nous voulons que la recherche puisse se dérouler dans des conditions normales.
Enfin, pour les organisateurs de festivals, reste à savoir qui va contrôler l’identité des membres du public : si vous contrôlez les éléments de vaccination, il faut aussi vérifier les éléments d’identité. Enfin, j’avoue une incompréhension : si tout le monde bénéficie du pass sanitaire, alors pourquoi limiter la jauge, puisque les conditions de sécurité sont assurées ?