Intervention de Stéphane Le Rudulier

Réunion du 18 mai 2021 à 14h30
Gestion de la sortie de crise sanitaire — Discussion générale

Photo de Stéphane Le RudulierStéphane Le Rudulier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, plus d’un an après le premier déclenchement de l’état d’urgence sanitaire, ce projet de loi constitue le huitième texte d’urgence consacré à cette crise d’une ampleur inédite. Comme l’année dernière à l’été 2020, il matérialise l’espoir de la sortie de crise et devrait marquer le début d’un retour progressif à la normale.

Certes, l’impatience des Français est grande, mais nous devons prendre conscience que la situation reste très préoccupante.

Le contexte sanitaire, même s’il s’améliore de jour en jour, appelle tout de même à la prudence et à la progressivité des mesures de sortie de crise. Les derniers chiffres en notre possession justifient de ne pas abandonner totalement et brutalement un certain nombre de mesures et de contraintes.

Néanmoins, ce texte met en place une sorte de régime hybride apportant beaucoup de confusion. Le Sénat avait d’ailleurs déjà déploré cette confusion à l’occasion de l’examen des textes précédents, dénonçant le manque de clarté entre les frontières du droit commun et de l’état d’urgence sanitaire.

En effet, à bien y regarder, le texte proposé semble relever davantage d’un effet d’annonce, d’une volonté de faire jouer des ressorts psychologiques dans l’opinion publique, plutôt que d’une véritable nécessité juridique.

En réalité, sans que cela soit clairement exprimé, le Sénat est invité à reconduire après le 1er juin l’autorisation donnée au Gouvernement d’exercer la quasi-totalité des pouvoirs énumérés par la loi du 23 mars 2020. Ce texte s’apparente donc à un texte de prolongation de l’état d’urgence sanitaire, plutôt qu’à un texte de sortie de crise, dont il ne porte que le nom.

Aussi, au-delà de ces remarques d’ordre général, je souhaite articuler mon propos autour de quatre points, qui me paraissent essentiels.

En premier lieu, tel qu’il a été modifié par l’Assemblée nationale et renforcé en commission au Sénat, le texte tend à ramener la période de ce nouveau régime sanitaire du 1er juillet au 15 septembre 2021, afin d’éviter toute confusion entre état d’urgence et sortie de l’état d’urgence, sortie qui doit permettre d’apporter des restrictions aux libertés sans pour autant poser des interdits généraux comme le confinement – généralisé ou territorialisé – et le couvre-feu.

Cela constitue une véritable clarification par rapport au projet de loi initial, qui prévoyait cinq mois consécutifs de ce régime d’exception qu’est l’état d’urgence, sans consultation du Parlement. Une fois de plus, les exigences d’un contrôle parlementaire ne sont pas respectées. Cela aura été jusqu’au bout une constante dans la gestion de crise du Gouvernement, une constante que nous déplorons et que nous désapprouvons.

En deuxième lieu, la question du pass sanitaire est au cœur du débat pour tous les Français, comme en témoignent les nombreuses sollicitations dont nous avons fait l’objet au cours des derniers jours.

Le dispositif a été inséré tardivement, par voie d’amendement gouvernemental, évitant ainsi l’examen devant le Conseil d’État qu’une telle mesure méritait amplement.

Si des garanties pour les « activités de la vie quotidienne » ont pu être apportées, sur l’initiative des députés, les conditions d’application du pass sanitaire n’en demeurent pas moins assez floues. Nous vous proposons de les encadrer plus rigoureusement, car, à l’intérieur de ce document, ce sont bel et bien des informations médicales, même si elles ne sont que partielles, qui relèvent de la vie privée.

Ainsi le pass sanitaire doit être expressément limité dans le temps et accompagné de garanties suffisantes, afin de protéger les droits et libertés de chacun.

C’est d’ailleurs pour cette raison que la CNIL, dans son avis rendu après l’adoption du projet de loi à l’Assemblée nationale, recommande l’intégration de garanties pour la protection de ces données, mais préconise aussi, et surtout, « que la loi [définisse], de manière précise, les finalités, la nature des lieux, établissements et événements concernés, ainsi que le seuil de fréquentation minimal envisagé ».

En troisième lieu, le texte proposé par le Gouvernement soulève une interrogation autour de la possibilité de décider des confinements locaux sans consulter le Parlement avant deux mois. Ce dispositif permettrait à l’exécutif de mettre en œuvre l’état d’urgence sanitaire, donc de reconfiner, dans des territoires représentants moins de 10 % de la population nationale, sans avoir à demander la prorogation au Parlement pendant deux mois, contre un mois en l’état actuel du droit.

S’il est possible d’arguer de son intérêt pratique et de la rapidité de sa mise en place, cette mesure n’en est pas moins en totale opposition avec la position défendue par le Sénat depuis un an, c’est-à-dire l’établissement d’un contrôle parlementaire étroit de l’action du Gouvernement pendant la crise sanitaire.

C’est la raison pour laquelle la commission des lois a maintenu l’intervention du Parlement au bout d’un mois, en cas de réinstauration de l’état d’urgence sanitaire dans certaines circonscriptions, considérant que c’est un motif suffisamment grave pour justifier cette intervention.

En quatrième lieu, et enfin, un point d’attention majeur concerne le dispositif prévoyant la conservation pseudonymisée des données de santé collectives dans le système d’information sur le covid créé par la loi du 11 mai 2020.

La pseudonymisation de ces données, plutôt que leur anonymisation, fragilise considérablement leur sécurisation, puisqu’il est possible, sous certaines conditions, d’avoir accès à l’identité de leurs détenteurs. Par ailleurs, celles-ci seraient reversées dans le système national des données de santé, ce qui reviendrait à prolonger considérablement – jusqu’à vingt ans – la durée de conservation d’informations initialement censées être enregistrées pour la seule durée de vie – quelques mois – du système d’information spécifique au covid.

Ainsi, il était indispensable d’assortir la bascule de ces données dans le SNDS de garanties supplémentaires s’agissant de l’accès à ces informations, de la finalité de leur traitement ou de l’information des personnes concernées.

Pour conclure, je voudrais saluer le travail précis et rigoureux, d’un point de vue juridique, de notre rapporteur, qui, une nouvelle fois, a démontré sa grande expertise.

Notre groupe sera vigilant quant à l’évolution de la discussion en séance, veillant à ce qu’elle permette de concilier les libertés individuelles et collectives avec la nécessaire protection de la santé publique, équilibre qui faisait cruellement défaut dans le texte initial.

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