Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter le projet de révision constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement. Ce projet, vous le savez, est l’aboutissement des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, exercice inédit et remarquable de démocratie participative dans notre pays.
Parmi les 149 mesures présentées, les membres de la Convention ont proposé de compléter l’article 1er de la Constitution pour renforcer l’engagement et la responsabilité de la France dans la préservation de l’environnement et de la diversité biologique, ainsi que dans la lutte contre le dérèglement climatique. Cette proposition a été retenue par le Président de la République, qui s’est engagé à la soumettre à référendum selon les modalités prévues à l’article 89 de notre Constitution.
Le projet qui vous est présenté, tel qu’adopté par l’Assemblée nationale après un premier examen circonstancié, est la traduction fidèle de cet engagement. Ce projet comporte une disposition unique, reprise de la proposition de la Convention citoyenne, qui a donc pour objet d’inscrire à l’article 1er de la Constitution le principe selon lequel la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ».
Je crois savoir que cette rédaction ne convainc pas encore toutes les travées de la Haute Assemblée et que votre commission des lois en suggère une autre – nous y reviendrons. Je veux donc insister sur deux points essentiels afin de tenter, une nouvelle fois, de dissiper quelques malentendus, car c’est bien l’objet de notre présence ici : débattre du fond de cette réforme.
Le premier point sur lequel je souhaite m’attarder est la portée précise de ce projet de loi constitutionnelle. J’ai déjà pu le dire, l’ambition du Gouvernement est ici de rehausser la protection de l’environnement au cœur de nos principes constitutionnels. Bien sûr, et vous le savez, notre loi fondamentale n’est pas aujourd’hui sans connaître de la protection de l’environnement. Ce principe est inscrit dans la Charte de l’environnement, qui a intégré notre bloc de constitutionnalité en 2005. Je vous rappelle d’ailleurs que le préambule de notre Constitution comporte d’ores et déjà un renvoi à cette Charte. Il ne s’agit donc pas, pour le Gouvernement, d’ajouter un nouveau renvoi à la Charte dans l’article 1er, comme l’a proposé votre commission : il n’y aurait alors aucune plus-value par rapport au droit actuel.
La Charte de l’environnement a donc indéniablement une valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel l’a clairement confirmé dans sa jurisprudence. Mais inscrire le principe de la préservation de l’environnement à l’article 1er de la Constitution présente au moins deux apports, au-delà de la portée symbolique, qu’il ne faut pas négliger, d’une telle inscription au cœur de notre Constitution.
En premier lieu, le projet renforce le poids constitutionnel de la protection de l’environnement dans sa conciliation avec les autres principes à valeur constitutionnelle.
Certes, le Conseil constitutionnel, par sa jurisprudence récente, en particulier par deux décisions de 2020, a déjà contribué à ce renforcement. En particulier, par sa décision du 31 janvier 2020, il a déduit du préambule de la Charte de l’environnement de 2004 que « la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains », constitue un objectif de valeur constitutionnelle. Cependant, un objectif à valeur constitutionnelle, à la différence d’une règle constitutionnelle ayant un caractère impératif, ne comporte qu’une obligation de moyens et nécessite normalement, pour sa mise en œuvre, l’intervention du législateur. Nous partageons ici l’analyse très clairement exposée par le rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale.
Nous voulons clairement mettre en place un principe à valeur constitutionnelle qui pourra être invoqué même lorsque le législateur n’est pas intervenu. Il s’agit donc bien de renforcer le poids constitutionnel de la protection de l’environnement.
Néanmoins, rehaussement ne signifie pas hiérarchie entre les principes constitutionnels. Le Gouvernement n’entend pas introduire d’échelle de valeurs entre les principes constitutionnels : demain comme hier, tous les principes constitutionnels seront de valeur égale. C’est d’ailleurs pour ce motif que le Président de la République a décidé de ne pas donner une suite favorable à la proposition de modification du préambule de la Constitution qui avait été également présentée par la Convention citoyenne pour le climat.
L’objectif est bien de donner plus de poids à la protection de l’environnement dans sa conciliation avec les autres principes à valeur constitutionnelle que nous connaissons. Cette force nouvelle que nous lui conférerons trouvera sa traduction en premier lieu dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
En second lieu, le projet instaure un véritable principe d’action des pouvoirs publics, nationaux comme locaux, en faveur de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique.
Le Gouvernement entend insuffler la préoccupation environnementale dans chaque politique publique. Elle doit innerver son action tant au niveau national qu’international. C’est en ce sens que le Gouvernement a choisi des verbes aussi forts que « garantir » et « lutter ».
J’en arrive donc au second point que je veux développer devant vous : le sens et la portée du verbe « garantir »
Comparons les rédactions : l’Assemblée nationale a approuvé le projet du Gouvernement, qui prévoit que la République « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Votre commission propose d’écrire qu’elle « préserve l’environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004 ».
Au cours des débats à l’Assemblée nationale, j’ai eu l’occasion de dire que l’enjeu de nos travaux repose sur les dix-sept mots qu’il s’agit d’inscrire dans la Constitution. Je comprends, à la lumière des travaux de votre commission - et c’est déjà une évolution encourageante -, que la difficulté porte en réalité sur un seul mot, le verbe « garantir », dont certains d’entre vous ne veulent absolument pas.
Le Gouvernement a bien pris acte des observations présentées notamment par le Conseil d’État dans son avis du 14 janvier dernier quant à l’emploi de ce terme et à ses conséquences potentielles sur les conditions de mise en jeu de la responsabilité des pouvoirs publics. Mais le Gouvernement fait précisément le choix assumé d’une ambition forte en faveur de l’environnement, qui doit se traduire sans équivoque dans notre texte fondateur. L’emploi du verbe « garantir » marque justement la force de cet engagement.
Par ce projet, le Gouvernement affirme et assume que la portée juridique de la protection de l’environnement doit évoluer : que ce qui est aujourd’hui un objectif puisse devenir demain une obligation ; que ce qui est une ambition devienne une garantie.
Parlons des conséquences du projet en matière de responsabilité administrative, puisque je sais que c’est l’un des sujets qui vous préoccupent.
Aujourd’hui, l’État peut déjà voir sa responsabilité engagée en matière environnementale. La récente « affaire du siècle » portée devant le tribunal administratif de Paris le 3 février dernier est là pour nous le rappeler.
Le présent projet de révision constitutionnelle entend consacrer encore davantage cette responsabilité des pouvoirs publics, qui, en promouvant la protection de l’environnement au statut de garantie constitutionnelle, pourrait créer une quasi-obligation de résultat pour les pouvoirs publics ou, si vous préférez, une obligation de moyens renforcée. Cela signifie tout simplement que cette réforme doit avoir pour effet de faciliter la charge de la preuve pour les requérants et de rendre à l’inverse plus difficile pour la personne publique mise en cause la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité. Il ne s’agit donc pas de condamner les pouvoirs publics à l’inaction, mais, tout au contraire, de les obliger à agir pour protéger l’environnement.
Le Gouvernement assume pleinement l’ambition de ce projet, mais il affirme qu’il s’agit d’un projet équilibré qui évite deux écueils : d’une part, répéter le droit existant en n’apportant aucune plus-value, ce que propose, en réalité, si nous l’avons bien compris, le projet alternatif de votre commission des lois ; d’autre part, faire de l’environnemental l’impératif suprême qui s’imposerait à toute autre considération. Nous vous proposons ainsi un projet d’équilibre, pour lequel le choix de chaque mot a été mesuré et, je le dis encore, assumé. Il est à la hauteur de l’enjeu, à l’heure où nous assistons à la sixième extinction de masse des espèces vivantes, due pour la première fois à l’action humaine.
Désormais, c’est à vous qu’il revient de vous prononcer sur ce projet, qui, vous le savez, s’il est adopté par votre chambre dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale, pourra ensuite être soumis aux Français par la voie du référendum, conformément à l’engagement du Président de la République et à la lettre de notre Constitution.