Séance en hémicycle du 10 mai 2021 à 17h30

Résumé de la séance

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La séance

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La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 6 mai 2021 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, un fonctionnaire de police a été assassiné lors d’une intervention en Avignon la semaine dernière.

Je tiens, au nom du Sénat tout entier, à réaffirmer notre soutien total aux forces de l’ordre. Nos pensées vont tout particulièrement à la famille de la victime et à ses proches.

Je serai représenté demain à l’hommage national qui lui sera rendu par le Premier ministre en Avignon.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancienne collègue Monique Cerisier-ben Guiga, qui fut sénatrice représentant les Français établis hors de France de 1992 à 2011 et qui fut secrétaire du bureau du Sénat de 2008 à 2011.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement (projet n° 449, rapport n° 554, avis n° 549).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter le projet de révision constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement. Ce projet, vous le savez, est l’aboutissement des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, exercice inédit et remarquable de démocratie participative dans notre pays.

Parmi les 149 mesures présentées, les membres de la Convention ont proposé de compléter l’article 1er de la Constitution pour renforcer l’engagement et la responsabilité de la France dans la préservation de l’environnement et de la diversité biologique, ainsi que dans la lutte contre le dérèglement climatique. Cette proposition a été retenue par le Président de la République, qui s’est engagé à la soumettre à référendum selon les modalités prévues à l’article 89 de notre Constitution.

Le projet qui vous est présenté, tel qu’adopté par l’Assemblée nationale après un premier examen circonstancié, est la traduction fidèle de cet engagement. Ce projet comporte une disposition unique, reprise de la proposition de la Convention citoyenne, qui a donc pour objet d’inscrire à l’article 1er de la Constitution le principe selon lequel la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ».

Je crois savoir que cette rédaction ne convainc pas encore toutes les travées de la Haute Assemblée et que votre commission des lois en suggère une autre – nous y reviendrons. Je veux donc insister sur deux points essentiels afin de tenter, une nouvelle fois, de dissiper quelques malentendus, car c’est bien l’objet de notre présence ici : débattre du fond de cette réforme.

Le premier point sur lequel je souhaite m’attarder est la portée précise de ce projet de loi constitutionnelle. J’ai déjà pu le dire, l’ambition du Gouvernement est ici de rehausser la protection de l’environnement au cœur de nos principes constitutionnels. Bien sûr, et vous le savez, notre loi fondamentale n’est pas aujourd’hui sans connaître de la protection de l’environnement. Ce principe est inscrit dans la Charte de l’environnement, qui a intégré notre bloc de constitutionnalité en 2005. Je vous rappelle d’ailleurs que le préambule de notre Constitution comporte d’ores et déjà un renvoi à cette Charte. Il ne s’agit donc pas, pour le Gouvernement, d’ajouter un nouveau renvoi à la Charte dans l’article 1er, comme l’a proposé votre commission : il n’y aurait alors aucune plus-value par rapport au droit actuel.

La Charte de l’environnement a donc indéniablement une valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel l’a clairement confirmé dans sa jurisprudence. Mais inscrire le principe de la préservation de l’environnement à l’article 1er de la Constitution présente au moins deux apports, au-delà de la portée symbolique, qu’il ne faut pas négliger, d’une telle inscription au cœur de notre Constitution.

En premier lieu, le projet renforce le poids constitutionnel de la protection de l’environnement dans sa conciliation avec les autres principes à valeur constitutionnelle.

Certes, le Conseil constitutionnel, par sa jurisprudence récente, en particulier par deux décisions de 2020, a déjà contribué à ce renforcement. En particulier, par sa décision du 31 janvier 2020, il a déduit du préambule de la Charte de l’environnement de 2004 que « la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains », constitue un objectif de valeur constitutionnelle. Cependant, un objectif à valeur constitutionnelle, à la différence d’une règle constitutionnelle ayant un caractère impératif, ne comporte qu’une obligation de moyens et nécessite normalement, pour sa mise en œuvre, l’intervention du législateur. Nous partageons ici l’analyse très clairement exposée par le rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale.

Nous voulons clairement mettre en place un principe à valeur constitutionnelle qui pourra être invoqué même lorsque le législateur n’est pas intervenu. Il s’agit donc bien de renforcer le poids constitutionnel de la protection de l’environnement.

Néanmoins, rehaussement ne signifie pas hiérarchie entre les principes constitutionnels. Le Gouvernement n’entend pas introduire d’échelle de valeurs entre les principes constitutionnels : demain comme hier, tous les principes constitutionnels seront de valeur égale. C’est d’ailleurs pour ce motif que le Président de la République a décidé de ne pas donner une suite favorable à la proposition de modification du préambule de la Constitution qui avait été également présentée par la Convention citoyenne pour le climat.

L’objectif est bien de donner plus de poids à la protection de l’environnement dans sa conciliation avec les autres principes à valeur constitutionnelle que nous connaissons. Cette force nouvelle que nous lui conférerons trouvera sa traduction en premier lieu dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

En second lieu, le projet instaure un véritable principe d’action des pouvoirs publics, nationaux comme locaux, en faveur de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique.

Le Gouvernement entend insuffler la préoccupation environnementale dans chaque politique publique. Elle doit innerver son action tant au niveau national qu’international. C’est en ce sens que le Gouvernement a choisi des verbes aussi forts que « garantir » et « lutter ».

J’en arrive donc au second point que je veux développer devant vous : le sens et la portée du verbe « garantir »

Comparons les rédactions : l’Assemblée nationale a approuvé le projet du Gouvernement, qui prévoit que la République « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Votre commission propose d’écrire qu’elle « préserve l’environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004 ».

Au cours des débats à l’Assemblée nationale, j’ai eu l’occasion de dire que l’enjeu de nos travaux repose sur les dix-sept mots qu’il s’agit d’inscrire dans la Constitution. Je comprends, à la lumière des travaux de votre commission - et c’est déjà une évolution encourageante -, que la difficulté porte en réalité sur un seul mot, le verbe « garantir », dont certains d’entre vous ne veulent absolument pas.

Le Gouvernement a bien pris acte des observations présentées notamment par le Conseil d’État dans son avis du 14 janvier dernier quant à l’emploi de ce terme et à ses conséquences potentielles sur les conditions de mise en jeu de la responsabilité des pouvoirs publics. Mais le Gouvernement fait précisément le choix assumé d’une ambition forte en faveur de l’environnement, qui doit se traduire sans équivoque dans notre texte fondateur. L’emploi du verbe « garantir » marque justement la force de cet engagement.

Par ce projet, le Gouvernement affirme et assume que la portée juridique de la protection de l’environnement doit évoluer : que ce qui est aujourd’hui un objectif puisse devenir demain une obligation ; que ce qui est une ambition devienne une garantie.

Parlons des conséquences du projet en matière de responsabilité administrative, puisque je sais que c’est l’un des sujets qui vous préoccupent.

Aujourd’hui, l’État peut déjà voir sa responsabilité engagée en matière environnementale. La récente « affaire du siècle » portée devant le tribunal administratif de Paris le 3 février dernier est là pour nous le rappeler.

Le présent projet de révision constitutionnelle entend consacrer encore davantage cette responsabilité des pouvoirs publics, qui, en promouvant la protection de l’environnement au statut de garantie constitutionnelle, pourrait créer une quasi-obligation de résultat pour les pouvoirs publics ou, si vous préférez, une obligation de moyens renforcée. Cela signifie tout simplement que cette réforme doit avoir pour effet de faciliter la charge de la preuve pour les requérants et de rendre à l’inverse plus difficile pour la personne publique mise en cause la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité. Il ne s’agit donc pas de condamner les pouvoirs publics à l’inaction, mais, tout au contraire, de les obliger à agir pour protéger l’environnement.

Le Gouvernement assume pleinement l’ambition de ce projet, mais il affirme qu’il s’agit d’un projet équilibré qui évite deux écueils : d’une part, répéter le droit existant en n’apportant aucune plus-value, ce que propose, en réalité, si nous l’avons bien compris, le projet alternatif de votre commission des lois ; d’autre part, faire de l’environnemental l’impératif suprême qui s’imposerait à toute autre considération. Nous vous proposons ainsi un projet d’équilibre, pour lequel le choix de chaque mot a été mesuré et, je le dis encore, assumé. Il est à la hauteur de l’enjeu, à l’heure où nous assistons à la sixième extinction de masse des espèces vivantes, due pour la première fois à l’action humaine.

Désormais, c’est à vous qu’il revient de vous prononcer sur ce projet, qui, vous le savez, s’il est adopté par votre chambre dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale, pourra ensuite être soumis aux Français par la voie du référendum, conformément à l’engagement du Président de la République et à la lettre de notre Constitution.

Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur pour avis – cher Guillaume Chevrollier –, mes chers collègues, le débat sur ce projet de loi constitutionnelle a pris une tournure quelque peu déconcertante, parfois même irritante.

Chacun d’entre nous, ici, est absolument convaincu de la nécessité de préserver l’environnement, tout particulièrement la biodiversité et les équilibres climatiques, dont dépend la survie de l’espèce humaine. Comme plusieurs d’entre vous, j’ai siégé au Congrès du Parlement qui, le 28 février 2005, a décidé d’adosser à la Constitution de 1958 la Charte de l’environnement, ce texte précurseur, d’une précision remarquable, et dont l’efficacité juridique est aujourd’hui démontrée.

Chacun d’entre nous est également convaincu qu’il est urgent de prendre les mesures nécessaires pour enrayer la baisse brutale de la biodiversité et le réchauffement climatique, dont les effets se font déjà sentir.

Si de nouveaux instruments juridiques sont nécessaires ou utiles, nous les voterons, bien sûr. La loi autorisant la ratification de l’accord de Paris a été adoptée par le Sénat à l’unanimité, faut-il le rappeler ? Mais, aujourd’hui, le Gouvernement nous soumet un projet de révision constitutionnelle, osons le dire, d’une extraordinaire ambiguïté et dont lui-même ne sait pas bien, je le crois, quels en sont les effets juridiques.

Après ne pas avoir donné suite à des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, il veut ici, pardonnez-moi l’expression, « se racheter » en transmettant « sans filtre » l’une des 149 propositions de la Convention. Notons au passage que le Gouvernement a passé sous silence trois autres propositions de la Convention qui, elles aussi, impliquaient une révision de la Constitution.

Le résultat, c’est que nous sommes forcés de prendre les choses à l’envers. Au lieu d’essayer de nous mettre d’accord sur un objectif, de déterminer ce qu’il faut changer à l’état du droit pour atteindre cet objectif, et ensuite seulement rechercher une rédaction adéquate, nous sommes obligés de faire l’exégèse du texte proposé. Tant bien que mal, nous essayons de comprendre ce que cette rédaction peut bien vouloir dire et comment le juge l’appliquerait. Bref, au lieu d’être politique, notre débat est devenu purement sémantique.

Dans une décision du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a également dégagé du préambule de la Charte un objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement en tant que patrimoine commun des êtres humains.

Monsieur le garde des sceaux, le Gouvernement se fonde paradoxalement sur cette décision pour dire que la Charte de l’environnement ne fixe que des objectifs, et pas des obligations. Pardon de vous le dire, mais nous ne trouvons pas le raisonnement suffisamment rigoureux. Non seulement, ce nouvel objectif s’ajoute aux obligations issues de la Charte et n’y enlève rien, mais, contrairement à ce qui est prétendu, les objectifs de valeur constitutionnelle ont une pleine valeur normative : les pouvoirs publics ont l’obligation de les mettre en œuvre ou de contribuer à leur réalisation.

Vous avez également déclaré qu’il était difficile de faire aboutir une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de la Charte de l’environnement. Cela n’est pas juste !

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Si, c’est juste !

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Comme tous les droits et libertés garantis par la Constitution, le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé peut être invoqué dans le cadre d’une QPC, de même que les droits d’information et de participation prévus à l’article 7 de la Charte. D’autres principes énoncés par celle-ci peuvent également être invoqués dans le cadre d’une QPC, en tant qu’ils constituent le corollaire du droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé. Il y va ainsi du devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement – c’est l’article 2 -, du principe de prévention – c’est l’article 3 - et du principe de réparation - c’est l’article 4. Le Conseil constitutionnel ne s’est pas encore prononcé sur l’invocabilité dans le cadre d’une QPC du principe de précaution, mais la solution serait sans doute la même.

Le Gouvernement propose aujourd’hui d’insérer, à l’article 1er de la Constitution, une disposition selon laquelle la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Ce texte, avez-vous dit, faciliterait l’engagement de la responsabilité des personnes publiques en leur assignant une « quasi-obligation de résultat ».

Monsieur le garde des sceaux, vous savez bien que la notion de « quasi-obligation de résultat » n’a aucun contenu défini en droit. Il faudrait nous dire précisément, si tel était le cas, quel contenu est donné à la nouvelle obligation que votre texte instaurerait, quelles juridictions seraient chargées de la faire respecter, quelle serait la charge de la preuve… Bref, il faudrait nous dire à quel régime de responsabilité le Gouvernement pense.

Vous vous abritez derrière l’avis du Conseil d’État. Toutefois, si le Conseil d’État a lui-même évoqué une « quasi-obligation de résultat », ce n’est pas pour fixer l’interprétation du texte ; c’est au contraire pour souligner combien sa signification et ses effets juridiques ont un caractère incertain. Se prévaloir de l’avis du Conseil d’État pour défendre cette rédaction relève du sophisme.

Enfin, vous avez dit que l’un des objectifs de votre texte était de « rehausser la place de la préservation de l’environnement dans notre Constitution ». Vous aviez aussitôt précisé, à l’occasion de votre audition : « Rehaussement ne signifie pas hiérarchie. Le Gouvernement n’entend pas introduire une échelle de valeurs entre les principes constitutionnels, qui, demain comme hier, seront tous de valeur égale. L’objectif est de donner plus de poids à la protection de l’environnement dans sa conciliation avec les autres principes de valeur constitutionnelle. » Par ces interprétations, le Gouvernement crée lui-même un doute plus que sérieux sur les conséquences juridiques de sa proposition.

En réalité, l’usage du verbe « garantir » laisse entendre non seulement que la protection de l’environnement se verrait accorder « plus de poids » qu’aujourd’hui dans la conciliation que les pouvoirs publics doivent opérer entre les principes constitutionnels, mais qu’il s’agirait désormais d’une obligation prioritaire, devant être honorée avant toute autre.

La commission des lois a considéré, pour sa part, qu’il serait tout à fait déraisonnable d’accorder une priorité à un principe constitutionnel, quel qu’il soit. Les pouvoirs publics doivent être en mesure de procéder aux arbitrages nécessaires, en fonction des circonstances. Faut-il rappeler le principe de conciliation entre les différentes valeurs constitutionnelles ?

La commission des lois aurait pu recommander au Sénat de rejeter purement et simplement ce texte dont les effets juridiques, je l’ai indiqué, sont mal maîtrisés. Ce n’est pas ce qu’elle a fait, car nous abordons cette discussion, monsieur le garde des sceaux, dans un esprit constructif. La commission défendra donc un amendement visant à substituer au texte proposé par le Gouvernement une rédaction qui lui semble plus sûre juridiquement, inspirée des recommandations du Conseil d’État.

Quelle est notre inquiétude ? Rappelons que l’avis du Conseil d’État est d’une extrême prudence. L’obligation de moyens ou de résultat qui s’applique habituellement dans le domaine civil n’est absolument pas de même nature en droit constitutionnel. La Charte de l’environnement, dont la valeur est reconnue et établie, fait partie du bloc constitutionnel. Le Conseil constitutionnel s’est prononcé à de nombreuses reprises, sur le fondement de cette Charte, afin de préserver et de protéger l’environnement.

De surcroît, et ce n’est pas sans importance, la Charte établit, en son article 6, la définition du développement durable suivant les trois piliers que sont le développement économique, le progrès social, mais aussi la protection de l’environnement. Cet équilibre participe d’une conciliation générale, dans le respect des valeurs constitutionnelles.

C’est la raison pour laquelle la commission des lois, considérant que l’interprétation du verbe « garantir » était incertaine, et les auditions qu’elle a menées n’ayant pas dissipé le doute, a préféré le verbe « préserver ». Nous avons également souhaité ajouter la mention du climat, en renvoyant à la Charte de 2004, que nous connaissons parfaitement, qui est précise et dont la jurisprudence est parfaitement établie.

Nous n’avons pas voulu, monsieur le garde des sceaux, à ce stade, constitutionnaliser le doute que porte en lui le verbe « garantir ».

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Alain Marc applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Chevrollier

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous nous apprêtons à endosser le rôle le plus éminent qui soit pour un parlementaire, celui qui consiste à analyser, à évaluer et à se prononcer sur une réforme de notre texte fondamental. Comme chacun le sait, le Sénat est une assemblée attachée à la clarté et à la cohérence de notre édifice normatif, ce qui implique une grande rigueur méthodologique, sans céder aux sirènes de l’activisme juridique. Je conçois le travail du Constituant comme un exercice de précision, d’orfèvre, consistant à peser chaque mot et chaque implication, tout en s’interrogeant sur l’utilité de faire évoluer la Constitution. Légiférer la main tremblante m’inspire.

Pourquoi cet engouement en faveur d’une nouvelle constitutionnalisation environnementale ? Pour une raison qui tient à l’évidence : l’urgence climatique et l’érosion de la biodiversité ne sont plus contestées. Les scientifiques que nous avons entendus sont unanimes : nos activités influent sur le système terrestre, et nous allons au-devant de sérieuses menaces planétaires, notamment économiques et sanitaires. Cette prise de conscience est désormais internationale, et plus d’une centaine de pays font aujourd’hui référence à l’environnement et à la nécessité de le préserver dans leur texte constitutionnel.

Notre pays a fait le choix, en 2005, de se doter d’une Charte de l’environnement, véritable « Constitution environnementale » à laquelle se réfèrent les pouvoirs publics, le législateur, les juges et, de plus en plus souvent, les citoyens. Il est toutefois regrettable que la Charte n’aborde pas la question climatique. Cette absence est d’autant plus préoccupante que la France a activement promu la lutte contre le changement climatique à l’échelle internationale, ainsi qu’en témoigne l’accord de Paris.

La révision que nous examinons aujourd’hui permet de combler cette lacune dans notre texte constitutionnel, mais au prix de difficultés juridiques. La phrase proposée par le Gouvernement pourrait conduire le juge constitutionnel à changer de mode opératoire, passant d’une conciliation à une hiérarchisation entre les principes constitutionnels. Les choix sémantiques, notamment l’usage du verbe « garantir », portent en germe des contraintes juridiques dont il est difficile de mesurer la portée.

Notre commission du développement durable a été attentive à ne pas fragiliser les pouvoirs publics, les collectivités territoriales et les entreprises avec des contraintes juridiques trop fortes, susceptibles d’alimenter des contentieux inutiles. C’est pourquoi nous proposerons une rédaction alternative, fruit d’une concertation étroite avec la commission des lois. Cette rédaction présente l’avantage de neutraliser les risques pointés par le Conseil d’État et par plusieurs juristes, concernant le maintien du verbe « garantir » et les incertitudes relatives à l’élargissement de l’engagement de la responsabilité environnementale des pouvoirs publics. Cette solution permet d’éviter une possible et dangereuse contradiction entre la Charte et la nouvelle rédaction de l’article 1er de la Constitution. Nous évacuons ainsi tout risque d’insécurité juridique.

Le rôle central de la Charte de l’environnement est réaffirmé avec force, avec une double référence constitutionnelle dans le préambule et à l’article 1er. Sa dynamique conciliatrice, entre la préservation de l’environnement, le développement économique et le progrès social, permettra aux actions environnementales et climatiques de la France de se déployer dans un cadre cohérent, lisible et sécurisant pour les pouvoirs publics, les collectivités et les entreprises, sans créer de hiérarchie entre les principes constitutionnels. Il s’agit d’assurer l’équilibre du développement durable.

L’action en faveur de la préservation de l’environnement et contre le dérèglement climatique figurerait dès l’article 1er de notre Constitution, lui conférant une valeur symbolique forte. La France serait ainsi le premier État du Nord à faire référence au climat dans son texte fondamental, confirmant son rôle moteur à l’international depuis l’accord de Paris et l’ambition portée par notre pays en faveur de la lutte contre le dérèglement climatique.

Ainsi consolidée, cette réforme constitutionnelle est une invitation politique forte à mener des politiques environnementales plus ambitieuses, reposant sur la nécessaire conciliation avec le développement économique et le progrès social. La réponse aux défis environnementaux et climatiques de notre siècle doit reposer sur une ambition politique forte et partagée et non sur des prescriptions constitutionnelles dont la rédaction ambiguë serait laissée à l’appréciation des juges.

Il est dangereux d’utiliser la Constitution pour se donner bonne conscience. C’est une mauvaise façon d’user du pouvoir constituant, qui ne fera pas avancer la cause climatique et pourrait engendrer des tensions si toutes les politiques lui sont subordonnées.

La proposition sénatoriale que nous avons formulée nous semble équilibrée et apporte une vraie valeur ajoutée à notre Constitution.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.

Applaudissements sur les travées du groupe GEST.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, événements climatiques extrêmes et plus nombreux, diminution de la biodiversité, perturbations majeures des océans : la liste des conséquences néfastes de l’inaction face à l’urgence climatique est bien longue. Après le succès de la COP21, salué partout et par tous, pensez-vous que nous sommes à la hauteur de la situation ? De toute évidence, non !

La Convention citoyenne pour le climat, dans ses travaux, a émis le souhait de permettre une plus grande protection de l’environnement via la modification du premier article de notre Constitution. Soyons clairs : le texte, tel qu’il est, a ses limites. Notre groupe le sait, le dit et le montre à travers les amendements qu’il a déposés. Nous aurions préféré une rédaction différente, plus complète, laquelle est demandée depuis des années par tous les acteurs des mouvements écologistes. Toutefois, il comporte des avancées majeures. Outre l’inscription à la symbolique forte de l’ambition environnementale et de la lutte contre le dérèglement climatique dans la Constitution de notre pays, il nous oblige, nous, législateurs, ainsi que la France et tous ses pouvoirs publics, nationaux et locaux, dans leur action.

Il ne faut pas négliger l’impact et les effets qu’aurait une telle inscription au niveau supranational : alors que nous regrettons tous sur ces travées l’absence de procédures de présentation, devant la Haute Assemblée, d’un texte portant ratification du CETA, par exemple, nous pouvons espérer que cette garantie inscrite au cœur de l’article 1er de la Constitution deviendra un outil majeur pour définir les contours de traités commerciaux internationaux acceptables pour la préservation de l’environnement et de la biodiversité.

Faut-il vraiment parler du choix du verbe « garantir » ? Voilà donc la pomme de discorde sur certains bords de notre hémicycle.

Chers collègues, je reste ébahi de la contradiction folle que l’emploi de ce simple verbe provoque chez vous. Vous souhaiteriez justifier la nécessité de modifier le texte qui nous est présenté en prétendant que le verbe « garantir » entraînerait une hiérarchisation absolue trop contraignante et faciliterait l’engagement de la responsabilité des décideurs, tout en expliquant que sa définition trop floue engendrerait une incertitude juridique si forte dans sa mise en œuvre qu’elle laisserait trop de marge d’interprétation au juge dans l’appréciation de la conciliation des principes constitutionnels.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

Nous, écologistes du groupe GEST, comprenons bien que le verbe « garantir » vous effraie en ce qu’il implique une obligation d’action pour les décideurs publics. Vous n’hésitez pas à affirmer que la planète est en danger et qu’il faut la sauver. Mais vous semblez refuser l’obstacle ; vous renâclez à l’idée que ce combat soit prioritaire et que nous puissions utiliser tous les moyens pour le mener de toute urgence !

Serez-vous en retard sur les élus locaux, les citoyens, les associations, l’histoire ? Je le crains… Votre posture n’est en rien technique : elle est politique.

Ce jeu politique a certes été engagé par le Président Macron et par son gouvernement. Mais vous acceptez bien volontiers d’y participer, faisant fi de la réalité de l’urgence ! Le Président Emmanuel Macron a hier rappelé son ambition intacte de mettre en œuvre ce référendum, à condition que les parlementaires des deux assemblées se mettent d’accord sur un texte – simple rappel de la loi. Mais il a refusé de préciser s’il pourrait soumettre à référendum une version différente de celle proposée par la Convention citoyenne pour le climat et l’Assemblée nationale. C’est là où l’on voit que la mise en place d’un enfumage politique prend plus d’importance que la réalité du texte qui va être voté.

Le Président Macron nous dit donc : « Mettez-vous d’accord quoi qu’il en coûte ». Ce serait une immense couleuvre que devrait avaler la majorité à l’Assemblée nationale si elle devait approuver le texte modifié ici – cela constituerait une victoire de la droite sénatoriale –, pour pouvoir lui laisser dire : « Je l’ai fait. » Seriez-vous d’accord, monsieur le garde des sceaux ?

Pour nous, l’important, c’est bien le texte, de nous mettre d’accord sur un texte et non pas sur n’importe quel texte. L’urgence climatique n’a que faire des stratégies de communication politique donnant naissance à des réformes qui n’en ont que le nom.

Il est évident que les seuls qui avancent de manière transparente sur le sujet, et depuis longtemps, sont les écologistes que nous représentons ici. Nous acceptons, sans être dupes des bénéfices politiques que le Gouvernement souhaite tirer de ce possible référendum, d’avancer sur une ligne claire : cette modification de l’article 1er est nécessaire et indispensable, même si elle est loin d’être suffisante.

C’est bien l’urgence climatique qui nous guide. Nous souhaitons que, à l’avenir, l’exécutif au pouvoir ne puisse ignorer la protection de l’environnement dans son action.

Il est tout aussi important pour nous de présenter ce projet à l’ensemble des citoyens. Notre ambition de voter ce texte dans les mêmes termes que ceux de l’Assemblée nationale est ancrée dans notre devoir envers eux.

Mes chers collègues, la maison continue de brûler depuis des années. Si vous ne pouvez plus regarder ailleurs, vous tremblez de prendre les mesures nécessaires ! Ce projet de loi constitutionnelle n’est sûrement pas à la hauteur des enjeux, tout comme le prochain projet de loi Climat. Nous devons pourtant avancer plus vite et plus fort. La Convention citoyenne, les marcheurs pour le climat, les collectifs et les associations écologistes, ainsi que les citoyens qui agissent quotidiennement nous le demandent depuis des années.

Bien sûr, les renoncements majeurs successifs de ce gouvernement – utilisation du glyphosate, objectifs de réduction des gaz à effet de serre, retour de l’utilisation des néonicotinoïdes, et j’en passe – ne seront pas absous par ce semblant de virage écologique. Nous ne sommes pas dupes de l’ambition du Gouvernement d’utiliser le soutien à ce texte comme un faire-valoir d’une politique environnementale lacunaire. Mais le courage politique, c’est aussi et surtout d’accepter qu’une victoire réelle et concrète pour l’intérêt général puisse être l’objet d’une appropriation par certains.

Applaudissements sur les travées du groupe GEST.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle dont nous débattons aujourd’hui, qui prévoit d’inscrire à l’article 1er de la Constitution que la République « garantit la préservation de l’environnement et de la biodiversité et lutte contre le dérèglement climatique », est issu d’une proposition de la Convention citoyenne pour le climat, à laquelle le Président de la République avait donné un avis favorable le 29 juin 2020. Le chef de l’État a également fait le choix de soumettre ce projet de révision à référendum, sur le fondement de l’article 89 de la Constitution. La protection de l’environnement et du climat ne pourra être effective sans l’implication pleine et entière des citoyens dans cet enjeu.

Vous l’avez rappelé, messieurs les rapporteurs, réformer la Constitution n’est jamais un acte anodin. Lorsque le législateur s’y essaye, il doit le faire avec rigueur, sérieux et sens critique. Il me semble que le texte initial présente, à ce titre, des garanties et un intérêt manifestes.

Il comporte tout d’abord une dimension symbolique forte, attendue par les citoyens de notre pays, qui ont su marquer, ces dernières années, leur attachement à la prise en considération des problématiques environnementales – nous l’avons encore vu hier. Par ailleurs, l’obligation à laquelle le texte soumet les pouvoirs publics accompagne le mouvement jurisprudentiel sur la responsabilité, observé récemment.

En outre, cette proposition de réforme offre au Conseil constitutionnel un levier supplémentaire dans son appréciation de la constitutionnalité des textes de loi qui lui seront soumis. Aujourd’hui, seule la moitié des articles de la Charte de l’environnement peut être invoquée au fondement d’une question prioritaire de constitutionnalité. Tel n’est pas le cas de son préambule, qui comporte pourtant des principes intéressants.

De plus, et à la différence de la protection de l’environnement, le Conseil constitutionnel n’avait jusqu’alors conféré à la lutte contre le réchauffement climatique qu’un « caractère d’intérêt général » et non la qualification d’un « objectif d’intérêt général ». Son inscription ferait de la France le premier pays européen à procéder à cette mention dans sa loi fondamentale.

Malgré ces apports indéniables, je regrette que nos débats se soient presque exclusivement focalisés sur le choix des verbes de la réforme. Les éminents constitutionnalistes et juristes en droit de l’environnement entendus par la commission des lois et celle de l’aménagement du territoire et du développement durable ont manifesté des divergences de point de vue notables sur cette question. Certains ont considéré que la modification envisagée de l’article 1er ne changera rien à l’état actuel du droit, qu’elle ne gênera pas davantage le législateur et ne donnera pas au Conseil constitutionnel un instrument supplémentaire pour contrôler les pouvoirs publics. D’autres, au contraire, ont estimé qu’elle serait dangereuse. Comment un texte peut-il tout à la fois être dénué de portée juridique et dangereux ?

Les verbes « garantir » et « lutter » obligent le Gouvernement à agir conformément à son engagement et impliquent une détermination totale pour répondre à l’urgence climatique. Ils n’instaurent pas de hiérarchisation des normes constitutionnelles et ne confèrent à l’environnement ni prééminence ni priorité. En premier lieu, parce que le verbe « garantir » figure à huit reprises dans le bloc de constitutionnalité. Il ne fait aucun doute que le repos ou les loisirs, pourtant « garantis » à tous dans le préambule de notre Constitution, ne viendront pas concurrencer le progrès social et économique. En second lieu, parce qu’il appartient au juge d’apprécier le contexte et de rechercher un nécessaire équilibre entre les droits et libertés constitutionnellement garantis, en se fondant notamment sur l’intention du législateur.

L’insertion dans le préambule de la Constitution d’une telle prééminence de l’environnement sur les autres principes constitutionnels, souhaitée par la Convention citoyenne, ou encore l’introduction du principe de non-régression en matière environnementale n’ont pas été retenues.

Convaincus de la dangerosité du projet de révision, les rapporteurs nous ont présenté une proposition de réécriture, se cristallisant sur les verbes employés et enserrant la révision proposée dans les conditions de la Charte de l’environnement. Nous n’y sommes pas favorables. L’objet des amendements et le rapport affirment que cette rédaction ne produira pas d’effet juridique nouveau. Devons-nous comprendre que soutenir le « oui » au référendum consisterait à convaincre les citoyens de se rendre aux urnes pour approuver une révision constitutionnelle, dont vous revendiquez vous-mêmes qu’elle n’aura pas de portée ?

Par ailleurs, vous souhaitez circonscrire la préservation de l’environnement, la diversité biologique et l’action contre le dérèglement climatique aux conditions prévues par la Charte de l’environnement. Ce texte, dont on ne peut dénier l’importance, est désormais vieux d’une quinzaine d’années. Les atteintes à l’environnement se sont développées depuis, et l’on ne peut décemment pas contester l’impérieuse nécessité de rechercher de nouveaux instruments juridiques pour tenter d’y mettre un terme.

Pour toutes ces raisons, bien qu’il soit profondément attaché à la préservation de notre environnement et à son inscription au sein de notre Constitution, validée par référendum, le groupe RDPI ne pourra se résoudre à voter favorablement la révision constitutionnelle telle qu’issue des travaux du Sénat.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Corbisez

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, un article unique, dix-quinze mots : voilà ce qui nous réunit aujourd’hui. Ce texte a fait couler beaucoup d’encre ; il a engendré des heures de débat et a déchaîné les passions, plus particulièrement parmi les juristes constitutionnalistes et autres experts en droit public.

Le débat sémantique n’est pas inintéressant, mais je m’interroge : est-ce le rôle du Sénat de débattre de ce qui s’apparente davantage à une querelle juridique sur le verbe « garantir » qu’à une question de fond ? Je n’en suis pas convaincu. Bien évidemment, le sujet est sérieux – essentiel même –, mais, de mon point de vue, il nous faut l’aborder selon un prisme différent.

Quelle est l’utilité des modifications qui nous sont soumises ? Quels sont leurs impacts dans le quotidien de nos concitoyens ? Permettent-elles de rendre plus efficace l’action publique ? C’est précisément sous cet angle que je souhaite aborder cette discussion générale.

En ce qui concerne la forme du texte, était-il nécessaire de modifier l’article 1er de notre Constitution ? Si l’on s’en réfère à la doctrine constitutionnelle, rien n’est moins sûr… Celle-ci indique en effet qu’il n’existe pas de hiérarchie entre les dispositions constitutionnelles. Cette analyse a été confirmée par le Conseil constitutionnel en 2008 et a été rappelée par le Conseil d’État dans son avis rendu sur le présent texte en janvier dernier.

Les principes de préservation de l’environnement et du droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé de chacun sont inscrits dans la Charte de l’environnement, intégrée à notre corpus constitutionnel en 2005. Cinq articles de la Charte ont par ailleurs été légitimés comme invocables dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité et autorisent donc le contrôle de la conformité des lois aux règles qu’ils établissent. Transcrire ces principes dans un article de la Constitution, fût-ce l’article 1er, ne leur conférera donc pas une valeur supérieure à celle déjà acquise de longue date.

Peut-être faut-il voir dans ce projet de loi constitutionnelle l’aveu d’un échec ? Celui de l’incapacité des gouvernements successifs à prendre des décisions suffisamment ambitieuses pour faire en sorte que ces déclarations de 2005 ne soient pas que des intentions… Or force est de constater que notre environnement continue sa lente dégradation et que le changement climatique ne semble pas pouvoir être enrayé, malgré les engagements pris dans l’accord de Paris. Aux termes de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, les contributions des États, actualisées au 31 décembre 2020, démontrent que les plans Climat adoptés n’entraîneraient qu’une baisse de 0, 5 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Nous sommes très loin des 45 % nécessaires pour maintenir l’augmentation des températures mondiales à 1, 5 degré à l’horizon de 2100.

Alors, rehausser la préservation de notre environnement, pour reprendre vos propres termes, monsieur le garde des sceaux, renforcée par la sauvegarde de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique au sein de l’article 1er de la Constitution, permettra-t-il de dépasser la relative inaction qui a été la nôtre depuis plus de quinze ans ? À titre personnel, j’en doute. Peut-être l’analyse du fond des dispositions mises en débat nous donnera-t-elle la réponse. Si nous voulions être optimistes, peut-être apportera-t-elle la solution…

Là encore, c’est le débat sémantique qui a pris le pas sur le droit. Il est bien évident que les mots ont un sens, lequel produit des responsabilités, engendre des obligations et fait naître des risques. Mais le cœur du sujet est le suivant : la modification de la Constitution permettra-t-elle réellement de contraindre l’action de notre pays et de ses gouvernants ?

Si tel est bien l’objectif visé, j’aurais tendance à défendre la réintroduction de la rédaction initiale du texte. Elle ouvrirait la voie à un recours accru à la question prioritaire de constitutionnalité ? Tant mieux ! Elle pourrait créer une quasi-obligation de résultat pour l’État ? Tant mieux ! Elle opérerait un glissement vers un verdissement du contentieux ? Tant mieux !

Qu’avons-nous à craindre ? Au mieux, une meilleure efficacité du texte par la pression supplémentaire qu’il imposera à l’action publique. Au pire, un statu quo ; rien de plus qu’une invitation lancée au juge de mieux prendre en considération la préservation de l’environnement, de la diversité biologique et de la lutte contre le dérèglement climatique.

Doit-on en conclure que le texte dont nous allons discuter relèverait davantage du symbole ? Personnellement, je m’en accommode. Le symbole est parfois aussi important que les actes, d’autant plus dans un contexte juridictionnel où, depuis quelques années, les actions en justice au titre de la préservation de l’environnement se multiplient, tandis que le cadre réglementaire, qu’il soit international ou européen, se renforce.

En droit interne, citons les récents arrêts rendus par le Conseil d’État en 2020 en faveur de l’association des Amis de la Terre – France et de la Commune de Grande-Synthe, qui, respectivement, condamnent l’État sous astreinte à agir contre la pollution de l’air et à tenir compte des dispositions de l’accord de Paris.

Plus récemment, en février dernier, le tribunal administratif de Paris, dans le contentieux de « l’affaire du siècle », a établi un lien de causalité entre l’existence d’un préjudice écologique en matière de changement climatique et le non-respect par l’État de ses engagements internationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Alors, allons-y franchement ! Et même si je ne suis pas coutumier du fait, je suis cette fois plutôt en accord avec la rédaction proposée par le Gouvernement. La situation est préoccupante ; elle commande d’agir avec force.

La discussion qui va s’engager doit aboutir à un texte exemplaire, d’une puissance symbolique telle qu’elle nous permette d’envisager enfin que toutes nos décisions et toutes nos réformes s’orientent résolument vers la préservation de l’environnement. Et si cette modification constitutionnelle n’a d’intérêt que par le message qu’elle véhicule, elle doit alors être un levier pour les débats qui s’ouvriront dans quelques semaines autour du projet de loi Climat.

Je le dis solennellement au Gouvernement, cette réforme constitutionnelle n’a de sens que si elle se traduit immédiatement dans les actes et nous offre l’opportunité d’un texte ambitieux, déclencheur d’une nouvelle conception de l’intervention publique et annonciateur d’une bascule radicale de nos choix.

L’ajout que nous nous apprêtons à faire au sein de la Constitution ne doit pas être incantatoire. Il doit être un point de départ, où nul retour en arrière ne sera possible. C’est pourquoi je salue et défendrai les amendements de nos collègues souhaitant aller plus loin, qui visent notamment à introduire dans la Constitution le principe de non-régression ou celui de solidarité écologique, un renvoi direct aux prescriptions de la Charte de l’environnement ou encore la référence aux biens mondiaux ou à l’adaptation de notre législation aux conséquences du changement climatique.

Reste un dernier point, celui de la faisabilité de cette réforme, dans le contexte très particulier d’une élection présidentielle qui se profile et accapare déjà toute l’attention des médias.

Le Président de la République s’est engagé à soumettre à référendum cette modification constitutionnelle, volonté qui suppose que le texte soit adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées. Au vu de l’amendement défendu par la commission des lois, qui sera soutenu par une partie de mes collègues du groupe du RDSE, le rendez-vous semble compromis.

En outre, l’organisation de ce référendum sera-t-elle tenable avant la fin du quinquennat, face au calendrier électoral qui s’ouvre à nous ? Rien n’est moins sûr et rien ne serait plus déceptif pour nos concitoyens et désespérant pour les membres de la Convention citoyenne pour le climat. En effet, si cette proposition de la Convention a été reprise quasiment mot pour mot dans le présent projet de loi, nombre d’autres propositions ont purement et simplement été écartées. C’est une maigre consolation au regard du travail accompli, mais ce rendez-vous-là, au moins, ne doit pas être raté.

Je conclurai mon propos en formulant un avertissement. Lorsque l’on affiche sa résolution de placer l’environnement et sa préservation au cœur de son action, l’engagement politique doit se placer au service de la cause et non l’inverse. Quand cet engagement se double d’une ambition, il suscite de l’espoir et rien n’est pire qu’un espoir déçu – l’examen du passé, proche ou lointain, nous le rappelle constamment.

Nous serons prêts à soutenir cette initiative, mais nous demeurerons extrêmement vigilants à sa traduction opérationnelle. Le premier acte sera l’examen du projet de loi Climat et résilience, à l’occasion duquel j’attends que le Gouvernement soit à l’écoute des propositions des sénateurs et traduise l’engagement qu’il nous invite collectivement à prendre : modifier l’article 1er de notre Constitution.

Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi est issu de l’engagement du Président de la République pris devant la Convention citoyenne pour le climat, le 14 décembre dernier. Dans sa stratégie du « en même temps », il exprimait parallèlement un recul net sur les propositions formulées, brisant ainsi la promesse de reprise sans filtre.

Les ONG environnementales ne se sont pas trompées en dénonçant l’arbre qui cache la forêt des renoncements et de l’inaction du Gouvernement. Nous continuons ainsi de penser que les travaux de la Convention citoyenne méritent mieux que l’instrumentalisation, l’artifice référendaire et le fétichisme constitutionnel.

Au-delà de la traditionnelle opération de communication, le piège tendu par le Président de la République était en réalité cousu de fil blanc. Cela n’aura pas empêché la majorité sénatoriale de s’y engouffrer, permettant au Président et candidat Macron de reporter la faute de l’inaction climatique sur un Sénat qualifié de conservateur et de mettre à son avantage une situation délicate pour le pouvoir.

C’est chose faite, puisque, hier, jour des marches pour le climat, qui ont réuni plus de 115 000 personnes, le JDD a fait sa une sur l’abandon du référendum, qui serait acté au plus haut sommet de l’État, avant d’assister à un rétropédalage du Président lui-même. L’urgence climatique et écologique nécessite pourtant autre chose que ces gesticulations et cette instrumentalisation malhonnête et politicienne non seulement des travaux de la Convention citoyenne, mais également des institutions.

Je dois le dire, nous avions des doutes sur l’usage de ce référendum. En effet, si le peuple reste souverain et que nous sommes favorables à toute consultation populaire, le référendum qui nous est proposé semble démagogique. Par ailleurs, comme cela a été souvent le cas, notamment lors du référendum de 1962 relatif à l’élection du Président de la République au suffrage universel, il ouvre la voie à la personnalisation, transformant ce scrutin en plébiscite pour ou contre Macron.

À l’heure où le bilan environnemental, sanitaire, économique et social de ce quinquennat résonne douloureusement pour nos concitoyens, il est fort à la craindre que ce référendum ne fasse les frais de l’ensemble des causes des mécontentements. Bref, qu’il y soit question de tout sauf d’environnement.

Le choix de l’utilisation de la procédure référendaire est étonnant de la part de ceux-là mêmes qui méprisent la parole du peuple, tout autant que celle des organisations syndicales et de l’ensemble des corps intermédiaires, jouant de toujours plus d’autoritarisme. Dois-je vous rappeler que, lorsque nous demandions la tenue d’un référendum sur les retraites ou sur la privatisation d’ADP, c’était le silence ?

Par ailleurs, réduire la nécessité de modifier la Constitution à son article 1er méconnaît l’exigence plus large d’une réforme engageant un réel rééquilibrage des pouvoirs et le renforcement de la souveraineté populaire. L’exigence démocratique n’est-elle pas d’une grande urgence, y compris pour avancer sur la question environnementale ? En est-il toujours question, à la suite des annonces contradictoires avant même le vote du Sénat ? Que faisons-nous ici ? Vous nous devez des explications, monsieur le garde des sceaux.

Là encore, le présent texte méconnaît gravement la conception que nous avons d’une démocratie parlementaire. Vous l’avez dit, monsieur le garde des sceaux, ce projet de loi, c’est dix-sept mots – pas un de plus, pas un de moins –, témoignant d’une vision assez peu républicaine du Parlement, devenu une simple chambre d’enregistrement du fait du prince. Nous ne l’acceptons pas !

Pour en venir au contenu du texte, nous estimons qu’il s’agit d’une manœuvre dilatoire. Selon le Gouvernement, ce projet de loi instaure un principe d’action positif. Monsieur le garde des sceaux, vous avez vous-même fait état d’une « quasi-obligation de résultat ». Nous sommes pourtant loin du compte, et ce quels que soient les termes employés, car ce projet de loi n’apportera rien à l’existant et aucune obligation de résultat ne pèsera sur les pouvoirs publics. Ainsi, il s’agit d’une mention inutile, puisque la Charte de l’environnement, intégrée au bloc de constitutionnalité, a d’ores et déjà valeur constitutionnelle.

Par ailleurs, la portée de la Charte fait l’objet d’une évolution constante de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le 31 janvier 2020, ce dernier a rendu une décision énonçant que le respect du droit à la santé et à l’environnement est un objectif de valeur constitutionnelle. Le Conseil se réfère explicitement au considérant de la Charte, garantissant ainsi à l’ensemble du texte la même force juridique. Dans une décision du 10 décembre 2020, le Conseil Constitutionnel a été plus loin en jugeant que les limites apportées par le législateur à la Charte de l’environnement « ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ». Cette évolution traduit une prise de conscience aiguë des enjeux environnementaux, permettant une montée en puissance de la valeur juridique de la Charte de l’environnement au gré d’une jurisprudence évolutive.

L’État est déjà soumis à une obligation de lutte contre le changement climatique au regard de ses engagements internationaux… C’est d’ailleurs sur ces derniers que se fonde le recours administratif contre l’État pour carence fautive dans « l’affaire du siècle »… La question est donc de savoir si la proposition de modification de l’article 1er améliore ou non l’état actuel du droit. Je répondrai en sept points.

Premièrement, certains juristes déplorent – nous partageons leur analyse – un recul des termes par rapport à la Charte de l’environnement, puisqu’il est prévu d’introduire à l’article 1er de la Constitution que la République « garantit la préservation de l’environnement ». Il n’est ici nullement question d’améliorer l’environnement, voire de le réparer, comme le précise l’article 2 de la Charte. Cette posture défensive apparaît largement contestable et ouvre la voie à une régression.

Deuxièmement, telle qu’elle est formulée, la phrase suscite des interrogations. Elle renvoie à la notion de « République ». Or la République n’est pas une personne, ce qui explique que l’article 1er de la Constitution renvoie surtout à des valeurs et non à une politique. Ainsi la notion de « République » ne permet-elle pas de garantir un quelconque recours en responsabilité.

Troisièmement, le Conseil d’État lui-même pointe les difficultés que pose la rédaction proposée, qui distingue trois sous-thèmes : la préservation de l’environnement, la diversité biologique et la lutte contre le changement climatique. Cette rédaction remet en cause l’aspect globalisant de la notion d’environnement, pourtant reconnu par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et l’esprit de l’article L. 110-1 du code de l’environnement. Une telle rédaction s’articulera en outre difficilement avec la définition du domaine de la loi, telle qu’elle figure à l’article 34 de la Constitution.

Quatrièmement, rien n’empêchera le Conseil constitutionnel, comme il le fait toujours dans le cadre du contrôle de proportionnalité, de mettre en balance le droit de l’environnement et d’autres principes ou libertés constitutionnels. En effet, très peu de droits sont aujourd’hui dits « indérogeables » ou intangibles. L’inscription à l’article 1er qui nous est proposée n’apporte donc aucune garantie sérieuse sur la future jurisprudence du Conseil constitutionnel, contrairement à ce que j’ai pu entendre en commission sur une prétendue hiérarchie des principes constitutionnels.

Ce constat a d’ailleurs conduit le Conseil d’État à demander au Gouvernement de préciser la portée juridique réelle de la disposition qu’il propose.

Cinquièmement, nous redoutons que cette révision constitutionnelle n’entraîne une judiciarisation accrue des politiques environnementales et un renforcement du rôle du juge, ce qui ne serait pas le gage de réels progrès. Au contraire, cela entraînerait une forme de dessaisissement des pouvoirs publics. Le juge ne peut être un vecteur pour imposer de nouvelles contraintes environnementales, sans poser la question de l’adhésion à la norme.

Les promoteurs de cette réforme arguant qu’il s’agit de donner un appui supplémentaire au juge constitutionnel, nous en profitons pour rappeler notre critique du Conseil constitutionnel, organe politique illégitime.

Enfin, et cela sera mon dernier point, la vaine discussion qui a agité la commission des lois sur les verbes « garantir », « favoriser » et « lutter » ne nous semble pas essentielle. Ce débat est largement surjoué. On peut en effet déduire de l’article 61-1 de la Constitution que l’ensemble des droits et libertés constitutionnels sont « garantis ».

Par ailleurs, certains droits sont déjà « garantis » dans la Constitution, notamment dans son préambule. Pour autant, ces droits ne sont pas appliqués. C’est malheureux et nous le déplorons ! Ces droits restent le plus souvent largement fictifs. Ainsi, la Constitution garantit à la femme des droits égaux à ceux de l’homme, elle garantit à tous la protection de la santé et un égal accès à l’instruction et à la culture. Par ailleurs, l’alinéa 5 du préambule de 1946 consacre le droit d’obtenir un emploi. Malgré cela, ces droits sont insuffisamment protégés.

À l’inverse, d’autres évolutions constitutionnelles ou législatives auraient des effets réels et directs. Il est ainsi nécessaire de compléter la Charte de l’environnement par des principes qui sont aujourd’hui de nature législative : la solidarité écologique, l’utilisation durable des ressources et, surtout, la non-régression. Tel est le sens des amendements que nous vous soumettrons.

Enfin, et surtout, référendum ou non, la protection de l’environnement requiert des politiques publiques et des moyens financiers, et non des politiques du rabot comme celles qui frappent le ministère de la transition écologique ou des décisions comme celles qu’à récemment prises le Gouvernement sur le glyphosate et les pesticides.

Pour l’ensemble de ces raisons, et au regard du jeu de dupe que constitue l’examen de ce projet de loi constitutionnelle, le groupe CRCE votera contre ce texte. L’urgence climatique et écologique mérite mieux que cette mascarade.

Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, quel est le sens des propositions de nos concitoyens membres de la Convention pour le climat ? Une société décarbonée est-elle possible ? Oui ! Comment ? Grâce à la taxe carbone européenne aux frontières. Si un entrepreneur français et son homologue asiatique sont demain à égalité, l’un devant respecter les normes applicables, l’autre devant compenser financièrement ses exportations de CO2 et les différentiels environnementaux, c’est faisable.

Le combat environnemental et climatique de notre pays se joue donc non pas à l’article 1er de la Constitution, mais à l’échelle internationale. C’est avant tout un combat européen.

La proposition de révision constitutionnelle qui nous est proposée illustre ce tropisme français consistant à préférer définir des principes plutôt qu’à chercher des solutions.

Sur cette révision constitutionnelle, je ferai trois remarques.

Premièrement, la bataille des mots à l’article unique n’est pas essentielle, mes chers collègues.

Deuxièmement, nous ne souhaitons pas créer de hiérarchie des normes constitutionnelles.

Troisièmement, changer notre État de droit en donnant la priorité aux droits dits « objectifs », c’est-à-dire aux droits collectifs ou de la société sur les droits dits « subjectifs », c’est-à-dire les droits de l’homme, serait un changement majeur. L’idée de faire prévaloir les droits de l’environnement, du climat, de la nature, de la biodiversité sur les droits sociaux, sur les droits humains, au motif que l’homme serait une cause ou la cause des problèmes environnementaux, est probablement populaire

M. Bruno Sido se montre dubitatif.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

La bataille des mots n’est donc pas essentielle. Le débat sémantique – faut-il préférer « agit pour », « favorise », « préserve », « garantit » ? – serait le signe d’un grand débat politique : il est permis d’en douter. Ces quatre mots nous ont successivement déjà été proposés par le Président de la République et le Gouvernement depuis 2018. Le Gouvernement peut donc difficilement les qualifier de « conservateurs » en 2021. Relativisons donc la bataille des mots : que l’on retienne « garantit » ou « préserve » ne changera pas fondamentalement l’interprétation du Conseil constitutionnel.

Ce qui est un effet important pour lui, c’est non pas l’intensité plus ou moins marquée d’un verbe, mais les principes constitutionnels en présence : il vérifie qu’ils peuvent être conciliés avec des motifs d’intérêt général et qu’ils sont proportionnels à l’objectif visé. Telle est la mission du Conseil constitutionnel.

La protection de l’environnement occupe déjà dans le préambule de notre Constitution, cela a été indiqué, la plus haute place dans la hiérarchie de nos normes : la plus haute, certes, mais pas la seule, et c’est sur ce point que portera le débat.

Chers collègues, « préserve » offre certes une sécurité supplémentaire par rapport à « garantit » en diminuant l’incertitude juridique. Je serai assez mesuré sur les risques de judiciarisation accrue et de contentieux de masse dus à l’obligation de quasi-résultat. En revanche, je crains davantage l’insécurité, monsieur le garde des sceaux.

La règle veut en effet que le Conseil constitutionnel s’autorise à réexaminer, par le biais des questions prioritaires de constitutionnalité, en cas de changement des circonstances de droit, ce qui serait le cas, l’ensemble des dispositions législatives, même celles dont il aurait déjà approuvé la conformité. On créerait là une insécurité importante, qui, à mon sens, monsieur le garde des sceaux, irait très au-delà de la simple question de la charge de la preuve, à laquelle vous avez fait référence.

Par ailleurs, nous ne souhaitons pas de hiérarchie des normes constitutionnelles. Tel est le sens de l’amendement que nous avons déposé et que vous devriez approuver, monsieur le garde des sceaux.

Votre propos est explicite : « Le Gouvernement n’entend toutefois pas introduire d’échelle des valeurs entre les principes constitutionnels. » Si telle est bien votre conviction, l’article unique doit alors être rédigé comme nous vous le proposons. Si vous en restez à la rédaction issue de l’Assemblée nationale, vous introduisez un « rehaussement », pour reprendre le mot que vous avez employé. Dans votre propos liminaire, vous avez évoqué le renforcement du poids constitutionnel, mais aussi la notion de forces nouvelles.

Chers collègues, le droit est logique et il emprunte assez souvent à la géométrie. Si les principes constitutionnels sont sur la même ligne horizontale et sont de même valeur

L ’ orateur trace du doigt cette ligne dans l ’ espace.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Je ne crois donc pas, monsieur le garde des sceaux, que vous souhaitiez le faire, mais vous devrez le faire, et ce pour une raison simple : c’est que le Conseil constitutionnel recherche l’effet utile d’une révision, en vertu du principe d’effectivité.

La rédaction de l’article unique adoptée par l’Assemblée nationale vise à permettre au Conseil constitutionnel de placer au-dessus des autres principes classiques, en particulier des principes de l’article 6 de la Charte de l’environnement, ce que vous avez appelé la « plus-value », monsieur le garde des sceaux.

Si nous sommes en désaccord avec la rédaction qui nous est proposée, c’est parce qu’elle entre en contradiction avec l’article 6 de la Charte, lequel repose sur une conciliation entre la préservation de l’environnement, le développement économique et le progrès social ou humain. Cette conciliation, nous y tenons.

Cette conciliation entre des principes d’un même niveau est au cœur de la décision politique, laquelle consiste à trouver un équilibre entre des considérations différentes, sur le fondement d’un bilan entre les avantages et les inconvénients. Vous connaissez bien cela, mes chers collègues ! Ne glissons donc pas d’un système de conciliation constitutionnel vers un système de hiérarchisation, dans lequel une norme écraserait les autres.

J’en viens à la défense de notre conception des droits dits « subjectifs ». Notre pays a une histoire, qui s’est incarnée, ciselée, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, laquelle protège dans son préambule « les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme ». Cela signifie que, en France, nous protégeons les droits individuels, dits « subjectifs ». Telle est notre tradition.

Cette conception est aujourd’hui attaquée. Les pays d’Europe centrale, et ils ne sont pas les seuls, expliquent que les droits collectifs doivent primer les droits des personnes. Or la volonté de placer la protection de la nature au-dessus des droits humains, même si nous comprenons bien ce raisonnement, monsieur le garde des sceaux – il s’agit de protéger l’environnement pour préserver l’avenir des hommes – va à l’encontre de notre définition du droit. Je suis donc réservé sur ce point.

Finalement, l’amendement proposé par la majorité sénatoriale vise à prendre en compte l’attente sociétale qu’a exprimée la Convention citoyenne pour le climat, tout en empêchant l’établissement d’une hiérarchie des normes constitutionnelles et en préservant les droits subjectifs, auxquels nous accordons une grande importance. Il constitue donc une proposition équilibrée, réfléchie, argumentée, robuste.

À ceux qui nous écoutent, au-delà de notre hémicycle, je dirai simplement que l’amendement de la majorité sénatoriale n’est pas un prétexte et qu’il témoigne d’un dialogue sérieux entre les deux assemblées. Le groupe Union Centriste le soutiendra de façon quasi unanime.

Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Kerrouche

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne sais pas très bien, comme vous peut-être, ce que je fais aujourd’hui en prenant la parole dans cette discussion générale.

Nous discutons aujourd’hui, après deux échecs en 2018 et en 2019, d’un article unique visant à réviser la Constitution. Pourtant, il se murmure à un très haut niveau que le Président de la République renoncerait à cette révision, avant même son examen par la Haute Assemblée, ce qui témoignerait de nouveau du peu de respect qu’il a pour la deuxième chambre du Parlement.

Hier, l’oracle qui préside à la destinée de la République a laissé filtrer son auguste décision : de référendum sur une nouvelle rédaction de l’article 1er de notre Constitution, il n’y aurait point, en raison du désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat et, plus probablement, de l’opposition de ce dernier.

Pourtant, le même, en marge d’un déplacement, a indiqué qu’il n’y aurait pas d’abandon, que ce texte vivrait sa vie parlementaire, qui, seule, permettrait l’organisation d’un référendum.

J’ai l’impression de revivre le suspense sur la tenue ou non du scrutin du mois juin et ses innombrables coups de théâtre !

On pourrait avoir la tentation, de guerre lasse et au vu de l’accumulation de tant de mépris, de le prendre au mot, de ranger nos notes, d’oublier nos auditions, d’éteindre la lumière de l’hémicycle et de vaquer à d’autres occupations.

Pourtant, ce n’est pas ce que nous allons faire, parce que, voyez-vous, mes chers collègues, malgré nos différences politiques et face à cette morgue qui est la marque permanente du pouvoir macronien et de sa majorité, notre institution doit conserver une certaine dignité. Le bicamérisme doit être préservé, quand bien même nos débats pourraient apparaître dérisoires et participer du théâtre d’ombres organisé par l’exécutif.

Le mépris touche non seulement la chambre haute, que le Président de la République cherche à instrumentaliser, mais aussi la Convention citoyenne, dans laquelle 150 citoyens se sont investis à corps perdu en pensant que le Président de la République tiendrait sa parole.

Alors que toutes les mesures devaient être reprises sans filtre, on sait ce qu’il advint.

Un possible ajournement du référendum résonne comme une dernière gifle symbolique. Avec ce pouvoir, aucun engagement ne tient, tout n’est qu’une question d’opportunité.

Pourtant, en sommes-nous vraiment là ? Je ne le pense pas. La volonté initiale, marquée du sceau de l’insincérité, n’a jamais été de modifier la Constitution, puisque le calendrier électoral rend quasiment impossible la tenue d’un référendum.

Nous connaissons tous l’article 89 de la Constitution, qui définit la procédure usuelle de révision constitutionnelle. Il aurait sans doute été possible de passer par la voie du Congrès. Il n’est pas exclu en effet que la majorité des trois cinquièmes puisse être atteinte. Compte tenu du calendrier électoral, cette voie offrirait la possibilité d’une nouvelle lecture, loin d’être superflue s’agissant d’une révision constitutionnelle.

Avec l’emphase qui est la sienne, Emmanuel Macron a préféré le référendum, un vote du Constituant ayant plus de portée sur un texte fondamental. On aurait pu l’entendre si l’intention avait été réelle. Dès lors, pourquoi peut-être vouloir ajourner la procédure, si ce n’est par calcul politique ?

Je constate, mes chers collègues, que tous les groupes ont été modérés dans leurs propositions et qu’ils ne sont pas tombés dans le piège politique qui leur était tendu, sans doute par sens des responsabilités.

En matière constitutionnelle, il n’existe pas de procédure accélérée, celle-ci étant pourtant l’unique façon de procéder du Gouvernement depuis 2017. Que le rapporteur à l’Assemblée nationale se drape dans une feinte dignité en disant que le texte a été vidé de sa substance relève de la posture. Il aurait peut-être été possible de faire converger les positions des uns et des autres vers une rédaction unique.

C’est là que la manœuvre politique prend le dessus. Avec les délais qu’il a retenus, Emmanuel Macron sait que nous n’avons plus le temps d’adopter une révision constitutionnelle. Il le savait d’ailleurs dès le départ. Alors que, en pratique, les choses auraient pu avancer, il se contente de révéler ce que tout le monde sait : il n’est point question ici d’environnement. L’inscription de ce texte dans l’agenda législatif démontre qu’il a toujours été un prétexte aux yeux de l’exécutif.

On pourrait presque en rire si le sujet n’était pas aussi vital, car bientôt, au vu de l’effondrement de la biodiversité et de la dégradation de notre environnement, nous pleurerons collectivement.

La difficulté tient sans doute à la forme. Le texte de la proposition initiale, retenu en toute bonne foi par la Convention citoyenne, après de multiples auditions, peut poser des difficultés, mais comme je l’ai dit en commission, la forme a lancé un débat de pharisiens, confirmant à nouveau les propos de Jean Giraudoux : « Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité. »

L’opposition entre d’excellents juristes – les uns soulignant l’inutilité de la réforme, les autres considérant qu’elle était absolument nécessaire – n’a pas contribué à éclaircir les choses. Seule une question compte : quelle est la volonté politique ? La question est de savoir si l’on peut se cacher derrière le droit.

Pour notre part, nous nous sommes focalisés sur un aspect complémentaire, qui nous semblait ne pas avoir été pris en compte alors qu’il est central : les biens communs. Ma collègue Nicole Bonnefoy, qui a déjà porté une proposition de loi constitutionnelle sur ce thème, détaillera ce point fondamental pour nous.

Quant à la majorité sénatoriale, elle a considéré que la Charte de l’environnement, la jurisprudence du Conseil d’État et, plus sûrement, celle du Conseil constitutionnel suffisaient. Elle est partie du principe, défendu par certains juristes, que le texte pouvait emporter des risques, notamment en matière de conciliation des droits et de hiérarchisation. Sans surprise, elle a retenu une rédaction qui minore la phrase initialement proposée, la réduisant à une véritable aporie.

Je retiens néanmoins quelques arguments portés en faveur du texte initial.

D’abord, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme et l’environnement, David Boyd, a montré que, dans les pays où de telles avancées constitutionnelles avaient eu lieu, les conséquences n’avaient pas été dramatiques.

Ensuite, cette révision, si elle était adoptée, aurait au moins un effet symbolique : celui de réitérer l’exigence de protection de l’environnement à l’article 1er, à côté des autres valeurs fondamentales de la République.

Enfin, la France s’honorerait à introduire le changement climatique dans sa Constitution : elle serait la première à le faire parmi les États du Nord.

En l’espèce, seul le fond compte : les dispositions actuelles, la Charte de l’environnement et la jurisprudence suffisent-elles en matière de défense de l’environnement ? La réponse est non. La Constitution doit donc s’adapter aux nécessités de notre temps.

Du Club de Rome jusqu’au dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), tous nous montrent tous les jours que notre situation n’est plus tenable.

Selon l’OCDE, 40 % de la population mondiale sera confrontée à des pénuries d’eau d’ici à 2050 et 700 millions de personnes pourraient être déplacées à l’horizon 2030 du fait d’une telle pénurie.

Selon Météo-France, les températures estivales moyennes augmenteraient de 6 degrés Celsius d’ici à 2050. La recharge des nappes phréatiques diminuerait de 10 % à 25 % selon les régions.

Les populations de vertébrés ont chuté de 68 % en 45 ans. Au cours des prochaines décennies, de 500 000 à 1 million d’espèces vont décliner et seront, à terme, menacées d’extinction.

La crise sanitaire que nous vivons n’est que la traduction de cette situation.

Comme le souligne Bruno David, président du Muséum national d’histoire naturelle : « Plus la biodiversité est riche, plus les pathogènes infectent des espèces différentes, plus ils nous épargnent. Plus nous portons atteinte à la biodiversité et plus la probabilité que des zoonoses se déclenchent et se propagent augmentera. »

La question environnementale dépasse tous les clivages. En définitive, cette révision méritait bien mieux que des calculs politiques, tellement futiles et dérisoires, pour ne pas dire consternants, au regard du défi que nous devons relever collectivement.

Alors, de deux choses l’une : soit cette réforme ne change rien juridiquement, mais elle porte une valeur symbolique forte qui nous paraît essentielle dans la bataille culturelle – le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain pense qu’un tel symbole est important – ; soit cette réforme emporte des conséquences et la question est de savoir si l’urgence environnementale n’impose pas de rehausser enfin notre niveau d’ambition. Nous pensons que c’est absolument nécessaire.

De ce fait, la réécriture de l’article 1er doit être la plus ambitieuse possible pour l’avenir de l’humanité. Nous y veillerons.

Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Éliane Assassi et Esther Benbassa ainsi que M. Jean-Pierre Corbisez applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le Parlement est ici devancé dans le processus législatif par une Convention citoyenne dont le coprésident n’est autre que le directeur général de Terra Nova, le think tank qui avait conseillé à un certain François Hollande, alors candidat à l’élection présidentielle, d’abandonner les classes populaires pour se tourner vers un électorat d’origine étrangère. Nous participons donc aujourd’hui à un simulacre de démocratie, ou plutôt à un exercice oligarchique.

Le peuple français demande une meilleure représentativité et plus de concertation par voie référendaire, pas une manipulation de l’opinion populaire pilotée par Terra Nova. Nous devons tous veiller à ne pas faire sombrer notre pays dans une crise démocratique. La démocratie, monsieur le garde des sceaux, est aussi l’écologie du peuple !

Les choses étant ainsi piétinées, il n’est pas étonnant que les termes envisagés de cette révision soient excessifs et qu’ils emportent des effets juridiques insupportables. Terra Nova et Emmanuel Macron considèrent sans doute la Constitution comme le simple règlement intérieur d’une association loi 1901 ou 1958.

L’écologie n’a rien à voir avec l’écologisme : elle est une exigence transversale, elle appartient à tous. Elle est à l’opposé de l’idéologie internationaliste et cosmopolite des talibans verdoyants.

Rires sur les travées du groupe GEST.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

On a vu ces derniers mois ce que donnait la gestion locale par ces écolo-gauchistes. Ne manger que du tofu et des graines de quinoa en fumant des joints peut être à l’origine de politiques graves, comme la fin des arbres – morts – de Noël, du rêve aérien ou d’un Tour de France jugé « machiste et polluant » ou comme la régularisation de tous les clandestins et la légalisation du cannabis. Je passe sur l’ignoble accusation de racisme systémique dans la police et sur les autres délires de ces Khmers, qui sont aussi verts à l’extérieur que rouges à l’intérieur.

L’impératif environnemental et social du XXIe siècle mérite tellement mieux que ces idiots utiles de l’ultralibéralisme. Entre les partisans de la décroissance et ceux d’un développement durable hypocrite, qui cherchent à verdir un système de production sans frein, il existe le chemin de l’écologie intégrale et du localisme.

Le localisme, c’est dire que nous préférons la courte distance en tracteur et en train, plutôt que le tour de la planète en bateau ou en avion. Le localisme, c’est valoriser le travail de ceux qui respectent les normes sociales et environnementales. Le localisme, c’est le pragmatisme.

Le localisme exclut les décisions simplistes qui consistent à recouvrir nos territoires marins et terrestres d’éoliennes et de panneaux solaires, sans considérer les effets néfastes sur les milieux de vie des gens et sur l’esthétique de nos paysages. On implante des éoliennes plus grandes que nos cathédrales, c’est le signe des temps : on préfère brasser de l’air plutôt que s’enraciner dans la pierre !

Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et GEST.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

Le localisme, ce sont de nouveaux tissus de vie et d’échanges locaux, promus par un État stratège, protecteur, mais c’est aussi une vision élevée du monde.

Il ne s’agit pas de céder au lobbying de ceux qui se goinfrent, au premier rang desquels la Chine, qui émet des taux de CO2 incomparables et ne prend aucune résolution pour changer, tandis qu’elle tire tous les bénéfices du « tout énergies renouvelables » et du « tout électrique » en maîtrisant la fabrication des pièces et des technologies spécialisées, l’extraction et l’exportation des métaux rares.

Faisons preuve de clairvoyance et regardons où se situe le véritable esclavage, car c’est une question d’écologie humaine. Au lieu de réécrire notre histoire et de sombrer dans une repentance injustifiée, regardons comment notre monde accepte aujourd’hui, en Asie, en Afrique et dans la péninsule arabique, le nouvel esclavage. La justice sociale et la justice environnementale sont liées.

Des victimes de l’écolo-gauchisme, il y en a beaucoup chez nous ! Je pense aux chefs d’entreprise qui n’ont pas délocalisé et cherchent à produire en émettant un minimum de dioxyde de carbone, ou encore aux agriculteurs, si respectueux de nos sols, de leurs cultures et de leurs animaux : les uns et les autres sont victimes du dumping social et environnemental.

Par ailleurs, notre gouvernement, tétanisé par l’écolo-gauchisme, a fait fermer le réacteur nucléaire de Fessenheim pour des raisons strictement politiques.

M. Ronan Dan tec s ’ esclaffe.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

La phrase que le Gouvernement propose d’insérer dans la Constitution ne « garantit » qu’une chose : que le cinquième PIB mondial sera juridiquement cloué au pilori, en pleine crise économique, dans la droite ligne des lubies bruxelloises.

Le Sénat, chambre de la réalité des territoires et des élus locaux, est évidemment concerné par une écologie locale et enracinée. Il doit toutefois d’abord s’appliquer, mes chers collègues, à faire l’économie des contradictions ! C’est là la première des écologies.

Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Marc

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avec moins de 1 % de la population mondiale, la France ne représente que 1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Notre pays est reconnu pour son action climatique à l’échelon européen et international. Le succès de la COP21 comme l’énergie déployée en faveur d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières sont des exemples de notre volonté d’agir concrètement en faveur de la préservation de l’environnement, mais cela ne nous exonère pas d’agir davantage.

À l’échelon national, les normes ont aussi grandement évolué ces dernières décennies. Nos concitoyens sont de plus en plus conscients de l’urgence environnementale, et c’est pour le mieux. Cette prise de conscience trouve écho dans toutes les facettes de la vie de notre pays, et là encore c’est pour le mieux.

La France agit dans le domaine de la protection environnementale. Le législateur, à l’instar des Français, est conscient des menaces que constitue le changement climatique et travaille à trouver les meilleurs équilibres.

Notre Constitution est, pour reprendre une phrase récemment coécrite par l’un de nos derniers Premiers ministres, une « merveille d’équilibre des pouvoirs ». Mais elle a aussi et surtout pour objectif de protéger les citoyens, ainsi que leurs libertés fondamentales. Le changement climatique et le réchauffement de notre planète représentent une menace pour les individus, et singulièrement dans l’exercice de leurs libertés.

Les projections de hausses de température nous font craindre le pire. Nous vivons déjà les conséquences du réchauffement, et nous le voyons chaque jour accélérer. La préservation de l’environnement et de la biodiversité ainsi que notre action pour infléchir le réchauffement climatique ont toute leur place dans notre Constitution.

Le Président Chirac l’avait bien compris. Au-delà de nous expliquer que nous tournions le dos à notre maison commune en flammes et que nous regardions ailleurs, voilà vingt ans presque jour pour jour, le 3 mai 2001, il développait un projet d’écologie humaniste basée sur la création d’une charte de l’environnement adossée à notre Constitution. Je vous rappelle ses termes : « L’écologie, le droit à l’environnement protégé et préservé doivent être considérés à l’égal des libertés publiques. » Plus fort encore, ce fut une promesse de campagne, et nous lui sommes redevables de l’avoir mise en œuvre.

Toute révision de la Constitution ne doit être envisagée qu’avec la plus grande circonspection. Il est impératif d’envisager tous les paramètres et d’évaluer les conséquences avant toute modification. Si Montesquieu disait des lois qu’« il n’y faut toucher que d’une main tremblante », l’examen de ce texte appelle la plus grande prudence.

L’article unique qui nous est présenté a pour objectif d’introduire dans l’article 1er de la Constitution la préservation de l’environnement et de la diversité biologique. Cela s’accompagnerait de la mention de notre combat contre le dérèglement climatique. Ce dernier point ne fait pas partie de la Charte de l’environnement. Ce serait un message fort, faisant de la France un exemple.

D’après la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, cette protection est un objectif de valeur constitutionnelle. Cependant, si un tel principe est au plus haut dans la hiérarchie des normes, le Conseil d’État rappelle qu’il n’a pas de prééminence juridique sur d’autres dispositions constitutionnelles, même s’il devait être intégré dans l’article 1er de la Loi fondamentale.

La place de la protection de l’environnement, grâce à la Charte de l’environnement de 2004, est donc constitutionnelle. C’est essentiel. Sur le terrain, c’est l’une des principales préoccupations. En tant qu’élu, je peux vous assurer que les enjeux sont pris en compte et que nous y sommes très attentifs.

Laissez-moi vous faire part d’une anecdote. Je suis, pour un mois encore, président de la commission des routes d’un conseil départemental. Au sud de mon département, nous avons récemment dû travailler à la remise en état d’une route à flanc de montagne. Longeant l’une de nos rivières – l’une des plus belles de France –, la route en question permet de relier le plateau du Causse noir, ses villages et ses fermes à l’une des principales villes du département. Dans nos territoires, la route est un moyen de vivre en hyper-ruralité et d’accéder à l’éducation, à la santé, à l’emploi. Nous avons rendu la route plus sûre. C’était important pour les habitants. Nous l’avons fait avec le concours de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal). Des études encadrées ont été menées. Nous avons tenu compte de l’environnement et de la spécificité du territoire. Nous avons replanté des arbres et respecté les exigences de la biodiversité.

Nous sommes donc déjà énormément contraints par le droit à intégrer la lutte pour l’environnement dans toutes nos décisions, et c’est heureux !

Je n’évoque même pas les règles d’urbanisme régies désormais par les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et, conséquemment, les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi). Mais les élus locaux, eux, savent combien il est éminemment tenu compte de l’environnement dans les décisions qu’ils prennent au quotidien.

L’inscription dans l’article 1er de la Constitution qui nous est proposée aujourd’hui a le même objectif. La révision d’un texte renvoie à la complexité de le rédiger. Comme le soulignait Flaubert : « Tout le talent d’écrire ne consiste après tout que dans le choix des mots. » En matière de droit – ce n’est pas vous qui me contredirez, monsieur le garde des sceaux –, chaque mot doit être pesé, car il peut donner lieu à interprétation. C’est d’autant plus vrai pour la norme constitutionnelle.

Les termes qui ont été sélectionnés laissent une place très importante à l’interprétation et aux incertitudes qui en découlent. Il y a danger quand nous ne sommes pas capables d’entrevoir les conséquences juridiques réelles des modifications que nous apportons. Notre rapporteur, François-Noël Buffet, l’a très justement illustré en évoquant le fait de « constitutionnaliser le doute ».

De son côté, le Conseil d’État relève les difficultés dans l’anticipation des effets que produirait l’utilisation des mots « garantit » et « lutte ». Selon lui, cela imposerait une quasi-obligation de résultat et pourrait être entendu comme « s’imposant aux pouvoirs publics nationaux et locaux dans leur action nationale et internationale ».

Que se passerait-il lors de la ratification d’un texte européen qui ne serait pas conforme à notre Constitution, mais qui marquerait des avancées environnementales majeures ? Le mois dernier, l’Allemagne a été contrainte de suspendre la ratification du plan de relance européen de 750 milliards d’euros en raison d’une saisine de la Cour constitutionnelle visant à s’assurer que le plan était bien conforme à la Loi fondamentale allemande. Un tel recours paralyse ainsi l’adoption du plan de relance pour l’ensemble des États européens, l’unanimité étant requise pour son adoption.

La rédaction qui nous est proposée fait encourir le risque de décisions pouvant in fine contrevenir au bien-être social et économique de nos concitoyens, ce qui irait à l’encontre de l’article 6 de la Charte de l’environnement, et donc de beaucoup de nos libertés. Le Conseil d’État redoute d’ailleurs les effets juridiques du projet sur « la conciliation entre la préoccupation environnementale et les autres intérêts publics ». Notre collègue Philippe Bonnecarrère a très bien développé ce point tout à l’heure.

Restons vigilants afin de pouvoir défendre ensemble notre objectif de protection de l’environnement. À être trop contraignants, nous risquons des effets pervers inacceptables.

Notre groupe croit à une écologie libérale et réaliste, en phase avec les réalités sociales et économiques. Nous croyons que l’innovation et le progrès vont de pair avec la protection de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique. Les normes sont nécessaires. Mais il serait fâcheux que, faute de souplesse, elles ne permettent ni à la recherche de se développer ni aux investissements d’être bien orientés pour faire émerger des pratiques et une consommation différentes, plus sobres et moins utilisatrices de nos ressources naturelles.

Un dernier risque doit être pris en compte : celui du gouvernement des juges. Nous en avons eu le meilleur exemple la semaine dernière en Allemagne. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe, saisie par des associations environnementales, a jugé les objectifs de la loi allemande sur la protection du climat « insuffisants », forçant le gouvernement à retravailler le texte. Certains plaignants, après le jugement, ont même regretté que la Cour n’ait pas fixé elle-même la trajectoire de réduction des émissions. Nous trouvons dangereux que des arbitrages éminemment politiques soient confiés aux juges plutôt qu’aux élus.

Nous ne pouvons donc pas voter ce texte dans la rédaction proposée par le Gouvernement. Au terme « garantit », nous préférons « préserve », et nous trouvons le verbe « agir » plus adapté que celui de « lutter ». La précision des mots dans notre Constitution est fondamentale.

La rédaction proposée dans les amendements identiques présentés par les deux commissions saisies pour l’examen du texte – il s’agit de reprendre les recommandations du Conseil d’État – nous paraît équilibrée.

Le groupe Les Indépendants votera par conséquent dans sa très grande majorité en faveur du texte ainsi amendé.

Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, citoyens et sénateurs, l’écologie, c’est comme l’économie : c’est une science, mais ce n’est pas une science exacte. Il y a plusieurs politiques écologiques possibles, de la même manière qu’il y a plusieurs politiques économiques possibles. Et c’est bien le cœur du débat, au-delà des arguties juridiques, qu’il nous faut avoir entre nous.

Personne – je dis bien « personne » – n’a le monopole de l’écologie. Monsieur le garde des sceaux, le fait qu’un référendum tranche le débat entre les politiques écologiques serait certainement une bonne chose. Cela permettrait d’avoir enfin un cap au lieu d’être sur un navire qui faseye, comme nous avons pu constater que c’était le cas au cours des dernières années. Une telle perspective n’est donc pas de nature à nous inquiéter. Ce serait même très utile pour conforter le consensus né de la Charte de l’environnement sur une politique de développement durable. Cette Charte avait obtenu – c’est une autre époque ! – 531 votes favorables et 23 votes « contre » de la part des parlementaires. Ce référendum serait le moyen de lever définitivement l’hypothèque d’une écologie radicale de décroissance, dont, j’en suis certain, les Français ne veulent pas.

Protestations sur les travées du groupe GEST.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Encore faudrait-il que les termes du débat soient clarifiés. Or, monsieur le garde des sceaux, avec le texte que vous défendez au nom du Gouvernement – nous savons bien que ce n’est pas le « vôtre » –, nous en sommes loin. Il faudrait sortir de l’ambiguïté qui caractérise ce projet de révision constitutionnelle. C’est justement ce que proposent notre commission des lois et notre commission du développement durable – les mots ont été bien choisis au Sénat – et de l’aménagement du territoire.

L’ambiguïté que je dénonce tient au fait que le texte dont nous sommes saisis ferait coexister dans les dispositions les plus fondamentales de la République deux approches contradictoires de la politique écologique.

La première est celle de la Charte de l’environnement, dont je vous recommande – c’est très facile d’accès – un examen attentif de l’article 6. La Charte s’inscrit dans une politique de développement durable, qu’elle définit comme la conciliation entre la protection de l’environnement, le développement économique et le progrès social. Je crois que c’est la bonne conception de la politique écologique.

Le texte que vous nous soumettez sort de cet équilibre, bien que vous l’ayez qualifié, d’une manière à mes yeux incompréhensible, de « texte d’équilibre ». Il pose comme un absolu la garantie non pas seulement de la protection, terme utilisé par la Charte, mais de la préservation de l’environnement. Et vous nous dites vouloir que l’on sorte d’une simple obligation de moyens sans pour autant rejoindre une obligation de résultat. De ceci, je ne retiens rien de clair. Au contraire : au fur et à mesure que je vous écoutais, l’obscurité gagnait du terrain dans mon esprit.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Philippe Bas. J’en souffre, monsieur le garde des sceaux. Je vais faire tous les efforts nécessaires pour sortir de cette situation.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Lorsque deux textes de valeur équivalente – tous les deux ont valeur constitutionnelle – sont contradictoires, la conciliation entre les deux est une mission impossible, et pourtant incontournable. Et c’est le juge qui en serait chargé. Plaignons-le ! Plaignons aussi le législateur, plaignons le Gouvernement, qui devra prendre des décrets, et les préfets, qui devront prendre des arrêtés ! Si des principes contradictoires coexistent dans la Loi fondamentale, le juge est obligé d’apporter des réponses débordant largement de la mission que la Constitution lui assigne.

Monsieur le garde des sceaux, la procédure suivie jusqu’à notre débat d’aujourd’hui m’a paru très étrange. Peut-être suis-je un peu vieux jeu, mais je suis profondément attaché à la démocratie. Et cet attachement se traduit par une très grande vigilance pour tout ce qui peut porter atteinte au principe de la légitimité démocratique.

J’ai beaucoup de respect pour le travail accompli par les 150 personnes concernées et pour la sincérité dont elles ont fait preuve. Leur désignation a été très complexe. Le tirage au sort, dont on parle souvent, n’a été que subsidiaire. L’élément principal a été l’application des méthodes des instituts de sondages pour tendre vers une représentativité. Je me suis curieusement dit qu’un sondage reposant sur l’avis de 150 personnes serait sanctionné par la commission des sondages pour son manque de représentativité…

Mais vous avez décidé que ces personnes réunies au Conseil économique, social et environnemental auraient une légitimité suffisante, si bien qu’avant même la remise de leurs conclusions, le Président de la République pouvait annoncer qu’il reprendrait « sans filtre » leurs propositions. Le Président de la République ne veut pas assumer le choix ; il reprend « sans filtre ». Le Gouvernement le suit ; il reprend « sans filtre ». La majorité parlementaire à l’Assemblée nationale ne filtre pas non plus. Mais qui va filtrer ?

Rires.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous allons filtrer, monsieur le garde des sceaux ! §Car c’est notre devoir et notre mission ; il n’y a pas moyen de faire autrement. Et nous le faisons pour ouvrir le dialogue avec vous, avec l’Assemblée nationale et avec le Président de la République. Comme je vous le disais, nous souhaitons vivement que les Français puissent trancher le débat sur la politique écologique, si possible dans notre sens. Nous ne voulons pas d’une écologie dogmatique ; nous ne voulons pas d’une écologie radicale ; nous ne voulons pas d’une écologie coercitive ; nous ne voulons pas d’une écologie de la décroissance.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Dites plutôt que vous ne voulez pas d’écologie du tout !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous voulons l’écologie du développement durable, celle qui concilie protection de l’environnement, développement économique et progrès social.

De ce triptyque, nous ne voulons pas sortir. Et nous pensons que les Français seront d’accord avec nous.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Philippe Bas. C’est la raison pour laquelle la référence à l’article 6 de la Charte nous paraît absolument indispensable. Vous suivre serait un mauvais service à vous rendre. Nous passerions du gouvernement de la Convention citoyenne pour le climat, c’est-à-dire du gouvernement du « comité de salut public 3.0 »

Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

, au gouvernement des juges ! Où est la démocratie dans tout cela ?

Marques d ’ ironie sur les travées du groupe GEST.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

C’est une funeste prédiction que je fais. Je suis sûr qu’elle ne se réalisera pas. D’ailleurs, au Sénat, nous mettrons tout en œuvre pour qu’elle ne puisse pas se réaliser.

L’essentiel à nos yeux est que chacun comprenne que, dans sa rédaction actuelle, une telle révision constitutionnelle ne serait pas sans effet. Elle constituerait un changement radical par rapport à la Charte de l’environnement et à l’équilibre trouvé en 2005 pour une politique de développement durable. Ce serait un saut dans l’inconnu, dans lequel le politique serait débordé par le juge.

Nous avions, nous, le devoir de retirer le venin de ce texte et de réaffirmer ce qui fait déjà consensus entre les Français. Vous l’aurez compris, pour moi, il s’agit de la politique de développement durable.

Sur cette base, monsieur le garde des sceaux, le dialogue va pouvoir s’ouvrir, et je souhaite de tout cœur que les Français puissent alors se prononcer.

Applaudissements prolongés sur les travées d u groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Patrick Kanner et Jean-Pierre Corbisez applaudissement également.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Gontard

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, voilà dix ans, Dominique Bourg coordonnait l’excellent ouvrage Pour une 6 e République écologique, épaulé par d’éminents politistes et constitutionnalistes : Loïc Blondiaux, Marie-Anne Cohendet, Bastien François, Yves Sintomer, etc.

Cette nouvelle constitution, les écologistes n’ont cessé de la promouvoir, et particulièrement ces dernières années avec le collectif Notre Constitution écologiste.

Malgré l’ajout de la Charte de l’environnement en 2005, notre Constitution n’est pas adaptée à la nécessaire transition écologique. Elle ne permet de lutter efficacement ni contre le dérèglement climatique ni contre la sixième extinction de masse de la biodiversité. Pis encore, elle est souvent un frein à une véritable ambition législative des écologistes. J’en veux pour preuve l’essentiel de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Pionnière et littéralement révolutionnaire à son époque, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui sacralise la propriété privée, a quelque peu vieilli. À l’heure de la préservation des communs essentiels à la vie sur terre et à la perpétuation de la civilisation humaine, il est grand temps d’en écrire collectivement la version du XXIe siècle.

Le texte qui nous est proposé ne va pas jusque-là. Mais il représente néanmoins une avancée importante, tant symbolique que juridique. L’avis alarmé du Conseil d’État et la panique sur les travées droites de cet hémicycle en sont le vibrant témoignage. Les écologistes appellent de leurs vœux un vote conforme du Sénat et la tenue de ce référendum essentiel pour affirmer l’ambition de la France de rejoindre la première ligne du combat pour la préservation du vivant.

Mes chers collègues de droite, sortez du côté obscur ! §Gardez vos arguments pour la campagne référendaire !

Monsieur Bas, ne faites-vous pas confiance aux Françaises et aux Français pour déterminer le destin du pays ? Avez-vous peur de perdre ce référendum ? Avez-vous peur de constater le décalage immense entre votre idéologie conservatrice et les aspirations de la France ?

Je comprends votre inquiétude. La Convention citoyenne vient de montrer que quand on prend le temps d’expliquer l’ampleur du défi et de la transformation à engager, les Françaises et les Français de tous horizons, de toutes obédiences politiques, ou même sans obédience politique, rejoignent les propositions défendues depuis des décennies par les écologistes.

(Rires sur les travées du groupe Les Républicains.) et que les idéologues sont du vôtre.

Applaudissements sur les travées du groupe GEST.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Gontard

Contrairement à la petite musique que vous vous évertuez à jouer, cela fait longtemps que les pragmatiques sont de notre côté §

Entre les deux, le Président de la République semble tellement soulagé de voir la droite sénatoriale bloquer le référendum qu’il laisse son entourage spoiler la fin du film dans le Journal du dimanche. Il aura beau jeu de se défausser de ce renoncement sur le Sénat. Il n’effacera pas tous les autres, par exemple la loi sur le climat, vidée de sa substance par Bercy et les lobbies en tous genres. Il n’a d’ailleurs soumis aucune proposition de la Convention citoyenne au référendum, comme il l’avait annoncé.

La présente démarche ne suffira absolument pas à masquer le fait que le quinquennat Macron est un quinquennat perdu pour la lutte contre le réchauffement climatique ; la France est passée du statut de locomotive internationale à celui de boulet assumant de ne pas respecter les objectifs de décarbonation qu’elle s’était elle-même fixés.

Seul un quinquennat écologiste volontaire permettra de rattraper ce retard. Nous vous proposerons pendant le débat un échantillon de la constitution écologiste que nous appelons de nos vœux. Mais, vous l’aurez compris, notre ambition va bien au-delà. Ce que nous voulons proposer aux Françaises et aux Français, c’est d’écrire ensemble la constitution d’une République véritablement écologiste, démocratique et sociale !

Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Nadège Havet

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, mardi, en première lecture, après plus de 200 heures de débat, les députés ont adopté le projet de loi Climat et résilience, avec 332 voix « pour ».

Près de 400 voix s’étaient déjà exprimées quelques semaines auparavant en faveur du texte constitutionnel dont nous allons débattre ce soir. Celui-ci vise à compléter par voie référendaire l’article 1er de la Constitution en y introduisant la préservation de l’environnement, la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique.

Ainsi, en moins de deux mois, il y a eu deux larges majorités. La première s’est constituée sur un texte qui fera entrer l’écologie dans notre quotidien, sans la réduire à des objectifs lointains ou lui faire revêtir une dimension punitive. La seconde concerne le renforcement de l’intégration juridique du volet environnemental. Elles ont pour visée principale d’obliger les pouvoirs publics nationaux et locaux à agir. Ces deux projets complémentaires, sur lesquels nous devons nous prononcer, ont un seul objectif, aussi nécessaire qu’ambitieux : agir plus vite et plus fort pour sauvegarder notre biodiversité, alors que nous assistons à une nouvelle extinction de masse des espèces animales et végétales.

J’évoquerai d’ailleurs un troisième pilier, financier celui-là, de la démarche politique résolue qui est la nôtre : le budget record supplémentaire de 30 milliards d’euros sur deux ans dédié à la transition écologique et rendu possible par l’adoption du plan de relance. Si la moitié du chemin vers un référendum a donc été faite à l’Assemblée nationale avec la majorité présidentielle et des élus du parti radical de gauche, des socialistes et même des communistes, la seconde, qu’il nous faut parcourir aujourd’hui, semble difficile.

Avec les sénateurs du groupe RDPI, nous le regrettons. Pourquoi ? Parce que la volonté du Gouvernement, nous la partageons. Il s’agit, en quelque sorte, de construire l’étage supérieur. Pour ce faire, il nous faut au préalable en bâtir la nouvelle fondation. La protection de l’environnement est un principe inscrit dans la Charte de l’environnement résultant de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Elle fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité. La jurisprudence cumulative a atteint son maximum de portée en début d’année dernière. Depuis lors, la protection de l’environnement constitue un objectif non plus simplement d’intérêt général, mais de valeur constitutionnelle. Elle se rapproche ainsi d’autres exigences constitutionnelles dans la conciliation et le contrôle du juge. Pourquoi ne pas franchir une nouvelle étape dans cette intégration par le droit sur les enjeux absolument essentiels et poser la question aux Françaises et aux Français ? Il n’est plus question de faire de la préservation de l’environnement un moment dédié ici ou là ! Cela doit irriguer toutes nos politiques.

À ce propos, je fais un aparté. Dans le cadre d’une mission confiée par le Premier ministre, je m’intéresse avec la députée Sophie Beaudouin-Hubiere à la commande publique comme levier social et environnemental. Et nous constatons la nécessité pour les acheteurs d’une sécurisation juridique lorsqu’ils souhaitent faire prévaloir ces dimensions dans leurs marchés. Je ferme cette parenthèse, que nous rouvrirons lors des discussions sur l’article 15 du projet de loi Climat et résilience, puis de la remise de notre rapport.

Mon collègue Thani Mohamed Soilihi a évoqué plus longuement les réactions face à la modification envisagée de l’article 1er. Vous iriez « trop loin », monsieur le garde des sceaux. La portée juridique serait « insuffisamment maîtrisée ». Elle viendrait « en surplomb » des autres principes. Elle empêcherait au final « toute possibilité d’action publique ». Mais, pour d’autres, vous n’iriez pas assez loin, puisque le Président de la République n’a pas donné suite à la proposition de modification du Préambule de la Constitution. S’il est tout à fait vrai qu’il faut toucher à la Constitution avec prudence, vous avez été clair en audition : il s’agit avant tout de défendre un véritable principe d’action pour les pouvoirs publics.

Le texte proposé est donc un point d’équilibre : un dispositif mieux-disant, plus efficace, à la hauteur des enjeux environnementaux, loin du monstre radical et contraire aux objectifs de progrès et de développement durable que l’on nous présente ici ou là.

Enfin, ne nous trompons pas : si nos débats aujourd’hui s’inscrivent dans le prolongement d’un exercice démocratique inédit de consultation, ils doivent surtout permettre de rendre possible un exercice de démocratie encore plus directe : la tenue d’un référendum. Le dernier remonte à seize ans. Il s’agit de faire en sorte que les Françaises et les Français répondent à la question suivante : « Pensez-vous qu’il nous faille aller plus loin ensemble ? »

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « changement de paradigme » pour les uns, « écoblanchiment constitutionnel » pour les autres : à n’en pas douter, la réalité est sûrement moins manichéenne.

Avant d’aborder le présent texte, j’aimerais revenir sur sa genèse, liée, selon moi, à un premier âge du constitutionnalisme environnemental.

Celui-ci repose sur une puissante dynamique de constitutionnalisation environnementale. Plus d’une centaine de pays font aujourd’hui référence à la préservation de l’environnement dans leur norme suprême. La France n’est pas restée à l’écart de cette évolution, avec l’intégration de la Charte de l’environnement au sein du bloc de constitutionnalité dès 2005.

Mais, quinze ans plus tard, force est de dresser deux constats. Le premier est implacable : la dégradation de notre environnement, de la biodiversité et du climat s’est poursuivie à un rythme soutenu, malgré ce mouvement de constitutionnalisation. Le second revient à acter la timidité des décisions que les juridictions ont prises sur le fondement de la Charte, malgré la décision du Conseil constitutionnel de 2009 qui évoque un « objectif de lutte contre le réchauffement climatique ».

Si le premier âge du constitutionnalisme environnemental a fait de la protection de l’environnement un objet de droit constitutionnel à part entière, son premier bilan d’application se révèle en demi-teinte.

Se pose dès lors la question du second âge.

Faut-il compléter les normes existantes ou bien repenser l’édifice constitutionnel afin d’inscrire plus explicitement l’action climatique dans la norme suprême, et ainsi renforcer l’obligation d’agir ?

En France, la question s’était posée en amont de la tenue de la COP21, avec l’idée d’inscrire la lutte climatique au sein de l’article 6 de la Charte de l’environnement. Quelques années plus tard, la première d’une longue série de propositions de réforme constitutionnelle suggérait d’inscrire dans le marbre de la Constitution une phrase selon laquelle la France « agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques ».

Ces interrogations de l’époque trouvent, trois ans plus tard, une nouvelle actualité à la suite des travaux de la Convention citoyenne pour le climat.

Une révision est-elle véritablement nécessaire ? Nous restons dans une relative ambivalence, hésitant sur l’utilité de cette seconde vague de constitutionnalisme vert, doutant de sa capacité à produire des effets concrets, redoutant des effets contentieux difficiles à mesurer par le Constituant.

Apport limité ? Quasi-obligation de résultat ? Insécurité juridique ? En réalité, le Gouvernement a lui-même entretenu la confusion sur la portée juridique du texte qu’il propose.

En touchant à l’article 1er de la Constitution, on craint d’introduire une forme de principe de non-régression à même de remettre en cause tout projet dès lors qu’on pourra prouver qu’il a une incidence, même mineure, sur la biodiversité. Dans ce contexte, comment déployer des énergies renouvelables ou de nouvelles lignes de train, sachant que ces projets peuvent détruire une partie de la biodiversité ? Nous renoncerions alors à la conciliation des principes qui est l’essence même du politique.

Je souscris ainsi pleinement au constat établi par le président de la commission des lois : sur le fond, nous partageons évidemment la nécessité de préserver l’environnement ; sur la forme, il faut nous accorder.

Le rapporteur pour avis partage également cette conviction, étant attaché à ce qu’une réforme de la Constitution ne soulève pas davantage d’ambiguïtés sur l’articulation des principes constitutionnels. En effet, alors que la Charte de l’environnement est déjà intégrée au bloc de constitutionnalité, ses principes prévalant sur les lois, le risque de la présente réforme est d’accorder à la protection de l’environnement une prééminence sur les autres principes constitutionnels, laquelle mettrait à mal le principe selon lequel il n’est pas possible de hiérarchiser les différents principes constitutionnels, cependant qu’il est nécessaire de les concilier.

Dès lors, en étroite collaboration avec la commission des lois, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, que je préside, a décidé d’accompagner le mouvement de constitutionnalisation de l’enjeu climatique, mais en suivant les sages recommandations du Conseil d’État et en confortant la Charte de l’environnement, afin d’affirmer la primauté et la cardinalité du principe de développement durable.

Nous considérons en effet que le Constituant ne peut se satisfaire d’une réforme constitutionnelle aux effets juridiques incertains, voire ambigus, comme le souligne le rapporteur pour avis. Et il n’est pas souhaitable de se défausser sur le juge en matière d’action environnementale et climatique.

Ce projet de loi constitutionnelle permet-il réellement d’agir face à l’urgence climatique ? À quel moment dépasse-t-on le symbolisme constitutionnel pour en faire un principe d’action politique ? C’est tout le paradoxe du présent texte, dont la portée, relativement symbolique, est pourtant source possible d’insécurité juridique dans sa mise en œuvre.

Comme l’a dit Philippe Bonnecarrère, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce projet de loi constitutionnelle, tel qu’il a été amendé par nos deux commissions.

Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes à un moment clé de l’évolution de notre civilisation.

La crise sanitaire de la covid, la plus grave crise que le monde ait connue en temps de paix depuis l’entre-deux-guerres, marque une rupture. Il y aura un avant et un après.

Mais le champ des possibles reste ouvert, cette crise pouvant engendrer le meilleur comme le pire.

Le monde de demain dépendra des priorités que se fixera la société, et nous pensons justement que l’ordre des priorités que nous avons établies jusqu’à maintenant doit changer.

Les États-Unis, qui reviennent en force dans la gouvernance mondiale, nous montrent la voie. Ils ont décidé d’augmenter massivement les dépenses publiques en injectant pas moins de 5 000 milliards de dollars dans l’économie, avec un plan de relance à la fois social, pour réduire fortement les inégalités, et écologique, avec 56 % des dépenses publiques qui seront destinées à lutter contre le changement climatique.

Quant au financement de ce plan, il repose sur l’augmentation de l’impôt sur les sociétés multinationales et la taxation des plus riches, remettant en cause la théorie du ruissellement et des premiers de cordée.

Le monde d’après américain sera sans doute plus égalitaire – les revenus des plus pauvres vont augmenter – et enclenchera une véritable transition écologique pour l’amélioration du bien-être de tous, en particulier des plus démunis.

Par ailleurs, en répondant à l’appel de plus de 155 personnalités du monde entier, dont des prix Nobel de la paix ou de médecine et d’anciens chefs d’État ou de gouvernement, pour faire du vaccin contre la covid un « bien commun mondial », le président des États-Unis, Joe Biden, vient de donner son accord à la levée de la propriété intellectuelle sur les vaccins destinés à lutter contre la pandémie de covid-19. Pour ne pas être à la traîne, l’Union européenne veut lui emboîter le pas.

Là aussi, reconnaître les vaccins contre la pandémie de covid comme un bien commun constitue une avancée considérable.

Il est effectivement des biens qui, par leurs caractéristiques, doivent être soustraits des pures logiques du marché, des règles relatives aux droits de propriété et de la liberté d’entreprendre.

Ces biens se nomment des « biens communs », comme les vaccins, l’eau, le climat, les biens informationnels ou de la connaissance.

Afin de construire, pour nos enfants et petits-enfants, un monde d’après socialement plus juste et écologiquement viable, nous devons protéger ces biens communs.

C’était le sens de la proposition de loi constitutionnelle que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain avait déposée en mai 2020, et qui a été examinée par notre assemblée en décembre dernier.

Cette proposition de loi constitutionnelle avait les mêmes intentions que le texte que nous examinons aujourd’hui, mais avec cependant une bien plus grande ambition, à la hauteur des enjeux écologiques, sanitaires et climatiques que réclame notre siècle : celle d’inscrire, à l’article 1er de la Constitution, le principe selon lequel la France s’engage également, comme d’autres pays l’ont fait, à garantir la préservation des biens communs mondiaux.

Nos sociétés dites « modernes » et leur modèle de développement basé sur le productivisme et le consumérisme à outrance sont à l’origine des catastrophes climatiques et industrielles dont nous mesurons les conséquences désastreuses sur le plan humain, social et environnemental. Quelles réponses avons-nous véritablement apportées jusqu’à présent ?

Alors que nous avons besoin de mesures fortes pour réorienter notre économie, chaque jour, nous constatons le recul de l’État face à la toute-puissance des firmes globalisées qui cherchent à imposer leurs normes.

La pandémie que nous connaissons est l’exemple parfait pour illustrer les dérives de notre modèle de développement.

La covid-19, qui a déjà tué plus de 3 millions de personnes à travers le monde, a conduit en quelques semaines à une quasi-paralysie de pans entiers de l’activité économique, avec des conséquences socio-économiques d’une extrême gravité. Notre modèle économique est en crise. Comme l’écrit l’économiste Éloi Laurent, nous souffrons « d’une stratégie économique qui a trop longtemps donné la priorité à la croissance, et a de ce fait détruit et la santé, et l’environnement ».

Ce modèle de croissance infinie fut certes une réponse à la Grande Dépression des années 1930, ainsi qu’au défi de reconstruction de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale. Mais on en mesure aujourd’hui les excès, qui vont jusqu’à provoquer une crise écologique et sociale profonde mettant en danger nos institutions mêmes et notre propre civilisation.

L’humanité ne survivra pas si nous continuons à détruire l’environnement et le monde vivant comme nous le faisons.

Cette crise sanitaire mondiale plaide donc en faveur d’une gouvernance mondiale rénovée, fondée sur la reconnaissance de notre appartenance à une communauté de destin.

Comme le souligne Mireille Delmas-Marty, professeure honoraire au Collège de France : « Il est urgent que d’autres pays ou unions comme l’Europe s’intéressent aussi à ce destin commun de l’humanité afin d’éviter l’émergence ou la résurgence d’un Empire monde, d’où qu’il vienne. Il est grand temps que l’Europe se lève et se relève de toutes ses tentations souverainistes pour prendre en charge une partie du destin commun de l’humanité. »

L’enjeu du projet de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd’hui est bien celui-là.

Comment mieux protéger notre environnement ? Comment mieux préserver la diversité de nos écosystèmes, de nos espèces et du monde vivant ?

En un mot, comment répondre à l’urgence climatique et protéger ainsi les populations qui sont les premières victimes des changements climatiques ?

Comment prendre soin de la forêt amazonienne, qui constitue un maillon essentiel dans la lutte contre le changement climatique, sans pour autant priver les populations autochtones de la jouissance de ce type de bien ?

La solution est sans doute de considérer que la forêt amazonienne fait partie des « biens communs mondiaux » en ce qu’elle constitue un bien non appropriable, contribuant au bien-être de tous et préservant la biodiversité qu’elle inclut.

Mes chers collègues, nous vivons un moment décisif pour l’humanité. Il est de notre devoir à tous de le mesurer et d’agir pour changer de paradigmes afin de répondre à l’urgence climatique, sociale et démocratique.

La notion de « bien commun » permet précisément d’opérer ce changement, à la fois sur les plans international, en inscrivant dans notre Constitution la nécessité de préserver les biens communs mondiaux, et national, cette notion ayant des déclinaisons très concrètes dans les territoires.

D’ailleurs, dans son discours aux Français du 13 mars 2020, le Président de la République ne disait pas autre chose : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie. » Ces biens et services dont il est question sont, précisément, des « biens communs ».

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe socialiste veut apporter une véritable réponse à ces défis majeurs en renversant la hiérarchie des valeurs et en responsabilisant les acteurs, pour faire en sorte que les droits fondamentaux soient considérés comme des « biens communs » de l’humanité.

Ces biens communs ne peuvent être la propriété de personne, dès lors que nous en avons tous besoin pour vivre. Nous devons, à ce titre, les protéger et favoriser leur accès pour tous.

C’est le sens des deux amendements que nous avons déposés et qui déclinent notre proposition de loi constitutionnelle déposée en mai dernier, en donnant une autre dimension à votre texte, qui, sans cela, nous le pensons, ne permettra pas d’enclencher une dynamique propre à faire en sorte que le monde d’après ne soit pas le même que celui d’avant « en un peu pire », comme dirait Houellebecq, mais un monde écologiquement soutenable, socialement inclusif et démocratiquement participatif.

Puissions-nous voir ce projet de loi constitutionnelle comme une opportunité pour nous attaquer aux causes profondes du dérèglement climatique, pour ne pas repartir comme si de rien n’était. L’homme n’est plus au centre de la Terre ; il fait partie de la nature, dont il est une composante. Ne l’oublions jamais.

Mes chers collègues, le groupe socialiste conditionnera son vote sur ce texte au sort réservé à son amendement de principe.

Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – MM. Thani Mohamed Soilihi et Jean-Pierre Corbisez applaudissent également.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai brève, chacun ayant compris le sens de la modification de la loi constitutionnelle que le Gouvernement nous demande aujourd’hui d’adopter.

Tout d’abord, il me semble que personne ne peut ni ne songe à s’opposer à la protection de l’environnement et de la biodiversité – on parlait jadis, en des termes quelque peu triviaux qui n’ont manifestement plus cours, de « protection de la nature ».

La lutte contre le dérèglement climatique est en revanche un objectif plus ambitieux. Si l’on sait que la France produit moins de 1 % du CO2 mondial, grand coupable désigné du dérèglement climatique, on imagine mal comment notre pays pourrait influer sur le dérèglement climatique en produisant moins, voire plus du tout de CO2…

Et si l’on se rappelle que l’évolution du climat obéit à de grands phénomènes naturels sur lesquels nous n’avons aucune prise – j’en veux pour preuve le petit âge glaciaire, qui atteignit son apogée en France au XVIIe siècle, ou encore l’ère glaciaire qui nous était promise dans les années 1970 par les mêmes qui nous promettent aujourd’hui le réchauffement climatique –, nous mesurons que la lutte contre le réchauffement climatique est un objectif sans doute un peu présomptueux pour la France.

Protestations sur les travées du groupe GEST.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Mais admettons que nous abondions dans le sens de cette proposition de réforme constitutionnelle. J’émettrai dans ce cas deux réserves.

Premièrement – chacun le sait ici, et vous le premier, monsieur le garde des sceaux –, la révision de la Constitution n’est pas une petite affaire. Il est toujours préférable d’obtenir le résultat recherché sans la modifier, car nous ne touchons pas à la Constitution pour ne rien dire de plus.

Or – le rapport de la commission des lois l’a montré, et le président François-Noël Buffet l’a rappelé dans le débat –, la Charte de l’environnement, annoncée voilà vingt ans par le président Jacques Chirac, et qui appartient depuis plus de quinze ans au bloc de constitutionnalité, présente une véritable opérationnalité pour obtenir le résultat escompté.

On peut donc s’interroger sur la nécessité de modifier la Constitution. J’ai peine à croire qu’il puisse s’agir simplement d’une manœuvre électoraliste de petite envergure…

Deuxièmement – je suis en désaccord avec la précédente intervenante sur ce point –, au sein de la biodiversité que nous voulons protéger, il me semble que l’être vivant le plus remarquable, celui qui mérite le plus d’attention, c’est l’homme.

(Exclamations sur les travées du groupe GEST.) Il ne se contente pas d’agir par atavisme et de s’adapter à son milieu ; il évolue et se développe. L’homme est bien l’être le plus remarquable de la biodiversité.

Protestations sur les travées du groupe GEST. - Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

L’homme est l’être le plus extraordinaire que la nature ait créé, il suffit d’ouvrir les yeux pour le constater. §

Même si j’entends quelques protestations, j’entends aussi les applaudissements. De fait, nous sommes assez nombreux à partager cette opinion, à commencer par M. le garde des sceaux, me semble-t-il… Je n’oublie pas que l’homme qui est devant moi est celui qui a préfacé il y a quelques mois le livre du président de la fédération des chasseurs, faisant l’apologie de la chasse au perdreau et fustigeant « les ayatollahs de l’écologie »…

Marques d ’ ironie sur les travées du groupe GEST. - Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Mais certains ne la partagent pas. La commission des lois a auditionné quelques membres de la Convention citoyenne pour le climat, et je me souviens des affirmations de l’un d’entre eux – elles sont sans doute vraies, au demeurant – selon lesquelles l’homme et la pierre étaient faits des mêmes atomes…

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Je ne dis pas que mon cœur de Morbihannaise ne s’émeut pas à l’idée d’un alignement de pierres dressées du côté de Carnac, mais, pour autant, je ne crois pas que nous puissions mettre sur le même plan les hommes et les pierres…

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Nos idées ne semblent donc pas partagées notamment par ceux qui ont inspiré ce texte.

Le seront-elles par le juge constitutionnel ? Car, tout le monde l’a compris, c’est lui qui devra appliquer la Constitution.

Je l’ignore. Même si la volonté affirmée du Parlement est d’introduire cette hiérarchie dans la biodiversité et de permettre le développement de l’homme avant tout, même si cette volonté est partagée par M. le garde des sceaux, à une époque où l’impartialité, vertu cardinale de la justice à mes yeux, a cédé le pas à l’indépendance, qui peut affirmer que le juge constitutionnel ne finira pas par s’affranchir de la volonté du législateur et par expliquer que le développement de l’homme ne vaut pas plus ?

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Selon les spécialistes du droit constitutionnel que nous avons auditionnés, il n’existe aucune interprétation stable du droit sur ce point.

De l’inutilité de ce texte, nous passons donc au danger qu’il peut représenter…

Ces réserves ne signifient pas pour autant que l’homme doit être au cœur du développement, qu’il peut absolument tout. Le pouvoir a en effet pour corollaire la responsabilité, une notion qui s’est malheureusement un peu perdue aujourd’hui, à l’heure où la démocratie trouve son apogée non plus dans l’élection, mais, semble-t-il, dans le tirage au sort.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Ces notions de pouvoir et de responsabilité se retrouvent toutefois en matière d’environnement dans un texte, la Charte de l’environnement, et dans une notion, le développement durable.

C’est pourquoi la rédaction proposée par la commission des lois me semble nettement supérieure à celle qui nous l’est par l’Assemblée nationale.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Marc applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La discussion générale est close.

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt-et-une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.