Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous nous apprêtons à endosser le rôle le plus éminent qui soit pour un parlementaire, celui qui consiste à analyser, à évaluer et à se prononcer sur une réforme de notre texte fondamental. Comme chacun le sait, le Sénat est une assemblée attachée à la clarté et à la cohérence de notre édifice normatif, ce qui implique une grande rigueur méthodologique, sans céder aux sirènes de l’activisme juridique. Je conçois le travail du Constituant comme un exercice de précision, d’orfèvre, consistant à peser chaque mot et chaque implication, tout en s’interrogeant sur l’utilité de faire évoluer la Constitution. Légiférer la main tremblante m’inspire.
Pourquoi cet engouement en faveur d’une nouvelle constitutionnalisation environnementale ? Pour une raison qui tient à l’évidence : l’urgence climatique et l’érosion de la biodiversité ne sont plus contestées. Les scientifiques que nous avons entendus sont unanimes : nos activités influent sur le système terrestre, et nous allons au-devant de sérieuses menaces planétaires, notamment économiques et sanitaires. Cette prise de conscience est désormais internationale, et plus d’une centaine de pays font aujourd’hui référence à l’environnement et à la nécessité de le préserver dans leur texte constitutionnel.
Notre pays a fait le choix, en 2005, de se doter d’une Charte de l’environnement, véritable « Constitution environnementale » à laquelle se réfèrent les pouvoirs publics, le législateur, les juges et, de plus en plus souvent, les citoyens. Il est toutefois regrettable que la Charte n’aborde pas la question climatique. Cette absence est d’autant plus préoccupante que la France a activement promu la lutte contre le changement climatique à l’échelle internationale, ainsi qu’en témoigne l’accord de Paris.
La révision que nous examinons aujourd’hui permet de combler cette lacune dans notre texte constitutionnel, mais au prix de difficultés juridiques. La phrase proposée par le Gouvernement pourrait conduire le juge constitutionnel à changer de mode opératoire, passant d’une conciliation à une hiérarchisation entre les principes constitutionnels. Les choix sémantiques, notamment l’usage du verbe « garantir », portent en germe des contraintes juridiques dont il est difficile de mesurer la portée.
Notre commission du développement durable a été attentive à ne pas fragiliser les pouvoirs publics, les collectivités territoriales et les entreprises avec des contraintes juridiques trop fortes, susceptibles d’alimenter des contentieux inutiles. C’est pourquoi nous proposerons une rédaction alternative, fruit d’une concertation étroite avec la commission des lois. Cette rédaction présente l’avantage de neutraliser les risques pointés par le Conseil d’État et par plusieurs juristes, concernant le maintien du verbe « garantir » et les incertitudes relatives à l’élargissement de l’engagement de la responsabilité environnementale des pouvoirs publics. Cette solution permet d’éviter une possible et dangereuse contradiction entre la Charte et la nouvelle rédaction de l’article 1er de la Constitution. Nous évacuons ainsi tout risque d’insécurité juridique.
Le rôle central de la Charte de l’environnement est réaffirmé avec force, avec une double référence constitutionnelle dans le préambule et à l’article 1er. Sa dynamique conciliatrice, entre la préservation de l’environnement, le développement économique et le progrès social, permettra aux actions environnementales et climatiques de la France de se déployer dans un cadre cohérent, lisible et sécurisant pour les pouvoirs publics, les collectivités et les entreprises, sans créer de hiérarchie entre les principes constitutionnels. Il s’agit d’assurer l’équilibre du développement durable.
L’action en faveur de la préservation de l’environnement et contre le dérèglement climatique figurerait dès l’article 1er de notre Constitution, lui conférant une valeur symbolique forte. La France serait ainsi le premier État du Nord à faire référence au climat dans son texte fondamental, confirmant son rôle moteur à l’international depuis l’accord de Paris et l’ambition portée par notre pays en faveur de la lutte contre le dérèglement climatique.
Ainsi consolidée, cette réforme constitutionnelle est une invitation politique forte à mener des politiques environnementales plus ambitieuses, reposant sur la nécessaire conciliation avec le développement économique et le progrès social. La réponse aux défis environnementaux et climatiques de notre siècle doit reposer sur une ambition politique forte et partagée et non sur des prescriptions constitutionnelles dont la rédaction ambiguë serait laissée à l’appréciation des juges.
Il est dangereux d’utiliser la Constitution pour se donner bonne conscience. C’est une mauvaise façon d’user du pouvoir constituant, qui ne fera pas avancer la cause climatique et pourrait engendrer des tensions si toutes les politiques lui sont subordonnées.
La proposition sénatoriale que nous avons formulée nous semble équilibrée et apporte une vraie valeur ajoutée à notre Constitution.