Intervention de Jean-François Longeot

Réunion du 10 mai 2021 à 17h30
Article 1er de la constitution et préservation de l'environnement — Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Jean-François LongeotJean-François Longeot :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « changement de paradigme » pour les uns, « écoblanchiment constitutionnel » pour les autres : à n’en pas douter, la réalité est sûrement moins manichéenne.

Avant d’aborder le présent texte, j’aimerais revenir sur sa genèse, liée, selon moi, à un premier âge du constitutionnalisme environnemental.

Celui-ci repose sur une puissante dynamique de constitutionnalisation environnementale. Plus d’une centaine de pays font aujourd’hui référence à la préservation de l’environnement dans leur norme suprême. La France n’est pas restée à l’écart de cette évolution, avec l’intégration de la Charte de l’environnement au sein du bloc de constitutionnalité dès 2005.

Mais, quinze ans plus tard, force est de dresser deux constats. Le premier est implacable : la dégradation de notre environnement, de la biodiversité et du climat s’est poursuivie à un rythme soutenu, malgré ce mouvement de constitutionnalisation. Le second revient à acter la timidité des décisions que les juridictions ont prises sur le fondement de la Charte, malgré la décision du Conseil constitutionnel de 2009 qui évoque un « objectif de lutte contre le réchauffement climatique ».

Si le premier âge du constitutionnalisme environnemental a fait de la protection de l’environnement un objet de droit constitutionnel à part entière, son premier bilan d’application se révèle en demi-teinte.

Se pose dès lors la question du second âge.

Faut-il compléter les normes existantes ou bien repenser l’édifice constitutionnel afin d’inscrire plus explicitement l’action climatique dans la norme suprême, et ainsi renforcer l’obligation d’agir ?

En France, la question s’était posée en amont de la tenue de la COP21, avec l’idée d’inscrire la lutte climatique au sein de l’article 6 de la Charte de l’environnement. Quelques années plus tard, la première d’une longue série de propositions de réforme constitutionnelle suggérait d’inscrire dans le marbre de la Constitution une phrase selon laquelle la France « agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques ».

Ces interrogations de l’époque trouvent, trois ans plus tard, une nouvelle actualité à la suite des travaux de la Convention citoyenne pour le climat.

Une révision est-elle véritablement nécessaire ? Nous restons dans une relative ambivalence, hésitant sur l’utilité de cette seconde vague de constitutionnalisme vert, doutant de sa capacité à produire des effets concrets, redoutant des effets contentieux difficiles à mesurer par le Constituant.

Apport limité ? Quasi-obligation de résultat ? Insécurité juridique ? En réalité, le Gouvernement a lui-même entretenu la confusion sur la portée juridique du texte qu’il propose.

En touchant à l’article 1er de la Constitution, on craint d’introduire une forme de principe de non-régression à même de remettre en cause tout projet dès lors qu’on pourra prouver qu’il a une incidence, même mineure, sur la biodiversité. Dans ce contexte, comment déployer des énergies renouvelables ou de nouvelles lignes de train, sachant que ces projets peuvent détruire une partie de la biodiversité ? Nous renoncerions alors à la conciliation des principes qui est l’essence même du politique.

Je souscris ainsi pleinement au constat établi par le président de la commission des lois : sur le fond, nous partageons évidemment la nécessité de préserver l’environnement ; sur la forme, il faut nous accorder.

Le rapporteur pour avis partage également cette conviction, étant attaché à ce qu’une réforme de la Constitution ne soulève pas davantage d’ambiguïtés sur l’articulation des principes constitutionnels. En effet, alors que la Charte de l’environnement est déjà intégrée au bloc de constitutionnalité, ses principes prévalant sur les lois, le risque de la présente réforme est d’accorder à la protection de l’environnement une prééminence sur les autres principes constitutionnels, laquelle mettrait à mal le principe selon lequel il n’est pas possible de hiérarchiser les différents principes constitutionnels, cependant qu’il est nécessaire de les concilier.

Dès lors, en étroite collaboration avec la commission des lois, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, que je préside, a décidé d’accompagner le mouvement de constitutionnalisation de l’enjeu climatique, mais en suivant les sages recommandations du Conseil d’État et en confortant la Charte de l’environnement, afin d’affirmer la primauté et la cardinalité du principe de développement durable.

Nous considérons en effet que le Constituant ne peut se satisfaire d’une réforme constitutionnelle aux effets juridiques incertains, voire ambigus, comme le souligne le rapporteur pour avis. Et il n’est pas souhaitable de se défausser sur le juge en matière d’action environnementale et climatique.

Ce projet de loi constitutionnelle permet-il réellement d’agir face à l’urgence climatique ? À quel moment dépasse-t-on le symbolisme constitutionnel pour en faire un principe d’action politique ? C’est tout le paradoxe du présent texte, dont la portée, relativement symbolique, est pourtant source possible d’insécurité juridique dans sa mise en œuvre.

Comme l’a dit Philippe Bonnecarrère, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce projet de loi constitutionnelle, tel qu’il a été amendé par nos deux commissions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion