Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous entamons l’examen d’un titre important, qui porte sur un sujet suscitant les passions.
Le 10 mai 2007, au nom des règles de concurrence fixées par les traités, la Commission européenne a donné à la France un délai de neuf mois pour réformer en profondeur le mode de distribution du livret A et du livret bleu, qui est aujourd'hui attribué à la Banque Postale, aux Caisses d’épargne et au Crédit mutuel.
Cette décision, bien au-delà de ses effets sur les équilibres économiques des établissements concernés, est susceptible d’affecter de manière grave et définitive la cohésion sociale dont le Gouvernement est le garant devant les Français.
Depuis sa création en 1818, le livret A, qui compte 45 millions de titulaires, est le symbole de l’épargne populaire. Tous les gouvernements qui se sont succédé se sont attachés à préserver son mode de distribution, ainsi que le mode de centralisation de ses fonds, confiée à la Caisse des dépôts et consignations. Ils l’ont fait au nom de deux impératifs majeurs et incontournables : le financement du logement social cofinancé à 80 % par le livret A et la lutte contre l’exclusion bancaire.
Dans son rapport 2007 sur l’état du mal-logement en France, la Fondation Abbé-Pierre estime à 5 963 145 le nombre total de « personnes en situation de réelle fragilité à court ou moyen terme ». L’Union sociale pour l’habitat, qui rassemble l’ensemble du mouvement HLM, estime, au 31 août 2007, que plus d’un million de demandes de logement HLM sont en attente en France métropolitaine.
Aujourd’hui, environ 10 millions de personnes résident dans le parc HLM et acquittent, en moyenne, des loyers deux fois moins élevés que dans le secteur privé. Il est prévu que le financement du plan Borloo de relance du logement social repose à 80 % sur les fonds collectés par le livret A.
D’une manière générale, les Français continuent de vivre une situation de crise en matière de logements : logements chers à la location comme à l’achat, ségrégation, difficultés d’accès au logement, personnes sans-abri…
Par ailleurs, à défaut de chiffrage officiel, on estime couramment, depuis le débat législatif sur la mise en place de la procédure de rétablissement personnel, en 2004, que l’exclusion bancaire touche environ 5 millions de personnes dans notre pays. Or le livret A représente par excellence le dernier outil de lutte contre l’exclusion bancaire. En l’absence de tout dispositif légal de service universel bancaire gratuit, les populations les plus démunies et souvent âgées – exclus, bénéficiaires de minima sociaux, travailleurs émigrés, etc. –utilisent leur livret A pratiquement quotidiennement pour effectuer leurs opérations financières.
Produit d’épargne populaire sans équivalent à l’échelon international, le livret A a fait la preuve de sa solidité depuis des décennies. En 190 ans d’existence, il n’a jamais spolié aucun épargnant. Il est le moins coûteux, en Europe, pour les finances publiques. Une déstabilisation du système aurait un impact négatif sur les finances publiques nationales et locales ainsi que sur l’offre de logement social.
En cas de banalisation du livret A, la plupart des établissements financiers chercheraient à capter les bons clients et à décourager les autres, aux dépens des réseaux déjà actifs qui conserveraient la seule clientèle sociale. Leur objectif serait de siphonner les fonds du livret A au profit de placements plus profitables. Cette hypothèse inacceptable est pourtant très vraisemblable ! De plus, le secteur bancaire ne manquerait pas de contester le système de centralisation auprès de la Caisse des dépôts et consignations.