Intervention de Thierry Repentin

Réunion du 3 juillet 2008 à 15h00
Modernisation de l'économie — Article 39

Photo de Thierry RepentinThierry Repentin :

Cet article 39 a de fortes conséquences. Ainsi, depuis 150 ans, 80 % des logements sociaux ont été construits grâce au livret A. De plus, ce texte concerne près des deux tiers des Français qui détiennent un livret de ce type. Et aujourd’hui, tel qu’il est rédigé, il aura pour effet tant de fragiliser le système de financement du logement social que de remettre en cause le droit au compte des plus fragiles de nos concitoyens.

Comme je l’avais exposé lors de la discussion générale, la fin de la centralisation totale, que vous prenez l’initiative de proposer, ne constitue ni plus, ni moins, qu’une largesse faite aux banques. Et, contrairement à ce que l’on peut entendre ces temps-ci, ce point est loin d’être une simple question de clivage politique. Nous sommes nombreux, de tendances politiques très différentes, à regretter cette mesure, qui ne peut être comprise que comme telle. Ce point de vue est partagé tant par des parlementaires, que par des responsables associatifs et des élus locaux, de toutes sensibilités politiques. Nous avons d’ailleurs été nombreux à signer l’appel de l’Union sociale pour l’habitat, qui a exprimé ses craintes relatives à la pérennité du financement du logement social, craintes confirmées par certains grands banquiers.

Comment comprendre autrement que comme une aide financière de l’État le fait de laisser aux banques privées la libre disposition d’une épargne défiscalisée, dans une proportion pouvant atteindre jusqu’à 60 milliards d’euros ? Neelie Kroes, commissaire européen chargé de la concurrence, a elle-même reconnu que c’était une véritable question pour la Commission européenne, qui, contrairement à ce qu’affirme Bercy, n’a pas été consultée sur cette proposition de la réforme. Il n’est pas inutile de rappeler que, dans la décision visant à la banalisation de la distribution, la Commission avait bel et bien validé le principe de centralisation à 100 % à la Caisse des dépôts et consignations.

Il nous paraît très risqué de laisser 30 % de la collecte à la disposition des banques, alors que, jusqu’à présent, ces mêmes 30 % servaient à la Caisse des dépôts et consignations pour équilibrer les comptes des 70 % prêtés aux organismes de logement social. Ces 30 % ne bénéficieront plus de la garantie de l’État, ce qui implique que cette part des sommes placées par les détenteurs du livret A sera mise en jeu, à la guise des banques, sur n’importe quelle opération, y compris les plus risquées.

Mettre fin à la centralisation et, ainsi, soumettre le financement du logement social aux aléas du marché, voilà qui nous promet des temps difficiles ! Si le niveau d’encours se trouvait menacé, de deux choses l’une : soit il faudrait recourir à l’endettement des collectivités territoriales ou de l’État, soit il faudrait faire appel de façon accrue aux marchés financiers, ce qui signifie une hausse des taux d’intérêt pour les organismes d’HLM, un raccourcissement de la durée des prêts, et donc une augmentation inévitable des loyers dans le parc HLM.

C’est pour éviter un tel scénario que nous avons déposé plusieurs amendements de repli tendant au moins à inscrire le taux minimum de 70 % de centralisation, que vous annoncez sans pour autant le faire figurer dans le projet de loi, et à relever le coefficient multiplicateur minimum à 1, 33.

Ces amendements sont les garanties les plus minimes que nous nous devons d’apporter pour éviter une remise en cause trop importante du financement du logement social.

C’est aussi pour cette raison que nous vous proposerons d’augmenter le plafond du livret A. Cette hausse permettrait aussi d’accroître l’épargne sur livret et de garantir une hausse des encours à disposition des politiques publiques de l’habitat.

Nous souhaitons votre soutien à l’égard de cette série de propositions, ce qui marquerait votre attachement à l’intérêt général en le plaçant au-dessus des intérêts d’établissements bancaires qui vont voir leurs profits s’accroître grâce à l’épargne des détenteurs d’un livret A.

C’est d’ailleurs ce qui expliquerait votre décision de rémunérer les banques sur les fonds destinés au logement social, alors qu’elles auront largement de quoi se rétribuer avec les 30 % que vous voulez leur laisser.

Dans le texte qui nous est proposé, vous justifiez cette rémunération par les transferts de centralisation. Or, la centralisation ne va rien coûter aux banques. Seules les opérations aux guichets sont coûteuses ; cette rémunération devrait donc se faire au prorata des opérations effectuées sur livret. C’est en ce sens que va l’un de nos amendements.

De plus, vous faites ce choix au moment où d’autres investissements seront sûrement nécessaires et bien plus pertinents. Par exemple, nous savons tous que la banalisation risque d’avoir un impact clairement négatif sur le réseau de points de contact de La Poste situés, notamment, en zone rurale ou dans les quartiers les plus difficiles, parce que le produit net bancaire de cet établissement dépend fortement de son duopole de la collecte sur le livret A. Mais sur ce point, nous ne partageons sans doute pas les mêmes priorités.

D’autre part, en obligeant la seule Banque Postale à accepter toute demande d’ouverture de livret, l’article 39 la destine à être la « banque des pauvres », alors que les autres banques pourront sélectionner les clients « dignes » d’ouvrir un compte chez elles. C’est d’autant plus paradoxal que cela signifie que ces mêmes banques, alors qu’elles ont voulu la banalisation du livret A, ne seront pas tenues d’ouvrir un tel livret à tout client potentiel en faisant la demande. Cela se confirme, puisque vous avez déclaré que vous envisagiez, pour ceux qui se servent du livret A comme d’un compte courant, de mettre en place un dispositif « spécial » d’accessibilité bancaire. Mais cette mesure, si elle entrait en application, ne ferait qu’entériner la discrimination entre les détenteurs de livrets confortables et modestes.

Mesdames les ministres, il ne vous reste plus qu’à nous démontrer, en émettant un avis favorable sur certains des amendements que nous allons vous présenter, que, comme nous, vous êtes attachées à la vocation sociale et à la préservation de l’équilibre du livret A. Si vous agissez ainsi, madame le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, vous enverrez un signal fort à Mme le ministre du logement et de la ville, comme aux 1 400 000 demandeurs de logements sociaux, auxquels je pense plus particulièrement, et vous contribuerez à la construction des 900 000 logements qui manquent aujourd’hui pour héberger la totalité de nos concitoyens.

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