Intervention de Roselyne Bachelot

Réunion du 20 mai 2021 à 10h30
Œuvres culturelles à l'ère numérique — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié et d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Roselyne Bachelot :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique, soumis à votre examen aujourd’hui, poursuit trois objectifs clairs : la protection des œuvres et des retransmissions sportives, à travers le renforcement de la lutte contre le piratage ; la modernisation de la régulation des contenus ; la préservation de l’accès du public aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises. Il s’inscrit dans une démarche globale de réforme du secteur audiovisuel, lancée par le Président de la République depuis 2017.

Vous le savez, cette réforme devait initialement prendre forme à travers le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, porté par mon prédécesseur Franck Riester et présenté en conseil des ministres en décembre 2019. La crise sanitaire et le bouleversement du calendrier parlementaire n’ont pas permis de poursuivre le processus législatif de ce texte. Je sais qu’il est très attendu par le Sénat, qui compte beaucoup d’experts des enjeux audiovisuels.

Malgré la suspension de l’examen de ce texte, l’ambition du Gouvernement est restée intacte.

Tout d’abord, grâce à la promulgation de la loi portant diverses dispositions d’adaptation du droit de l’Union européenne, dite « Ddadue », le Gouvernement est habilité à transposer plusieurs directives européennes importantes par voie d’ordonnances. Très attendues par les professionnels, les ordonnances permettent d’accélérer leur mise en œuvre.

L’ordonnance relative aux services de médias audiovisuels a été promulguée le 21 décembre dernier. Son décret d’application, dit « décret SMAD », sera publié très prochainement. Conformément à l’engagement du Président de la République, les plateformes étrangères qui ciblent notre territoire contribueront au financement de la création cinématographique et audiovisuelle française dès 2021.

Les ordonnances permettant de transposer la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique et la directive dite « Câble et satellite » sont en cours. J’ai ainsi présenté en conseil des ministres, la semaine dernière, une première ordonnance permettant de transposer les articles 17 à 23 de la directive Droit d’auteur. Deux autres suivront très prochainement.

Ensuite, la transformation de l’audiovisuel public, si elle ne se fait plus par voie législative, se poursuit : les objectifs de renforcement des coopérations entre les différentes entreprises ont été confirmés dans les contrats d’objectifs et de moyens de ces sociétés, que j’ai signés voilà quelques semaines.

Enfin, il restait un certain nombre de dispositions urgentes et consensuelles qui nécessitaient un véhicule législatif. Or, vous le savez, ce n’était pas gagné d’avance : dans un calendrier parlementaire particulièrement encombré, j’ai réussi à obtenir le temps nécessaire pour présenter ce projet de loi devant le Parlement – nous y sommes ! Il s’agit donc du projet de loi, resserré et recentré, relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique. Trois enjeux forts structurent ce texte.

Le premier est le renforcement de la lutte contre le piratage. Ces dispositions trouvent une acuité renforcée en raison des pratiques culturelles actuelles, mais aussi dans le contexte de crise sanitaire que nous connaissons. L’offre numérique culturelle a été fortement sollicitée pendant cette période, confirmant la tendance qui se dégage depuis une dizaine d’années. Mais cette forte augmentation de la consommation de biens culturels dématérialisés s’est accompagnée d’une hausse des pratiques illicites, ce qui justifie d’autant plus les dispositions prévues par ce projet de loi.

La lutte contre le piratage se voit renforcée par plusieurs dispositions qui ciblent, non pas les internautes, mais les sites internet qui tirent un profit commercial de la mise en ligne d’œuvres, en violation des droits des créateurs. Le projet de loi prévoit ainsi que soit dressée une « liste noire » des sites internet dont le modèle économique repose sur l’exploitation massive de la contrefaçon. Il permet également de lutter plus efficacement contre les « sites miroirs », c’est-à-dire ceux qui reprennent en totalité ou de manière substantielle les contenus d’un site jugé illicite. C’est la philosophie de ce texte.

Parallèlement, le Gouvernement et les ayants droit s’attachent à tirer le meilleur parti des outils juridiques existants, notamment de « l’action en cessation », qui permet de faire bloquer ou déréférencer, par les fournisseurs d’accès ou les moteurs de recherche, les sites pirates. Cette collaboration est particulièrement fluide avec les moteurs de recherche. Elle l’est moins avec les fournisseurs d’accès, ce qui est à la fois regrettable et paradoxal de la part d’opérateurs nationaux, mais j’ai bon espoir qu’elle progresse rapidement.

Vous comprendrez donc l’opposition du Gouvernement à l’introduction d’un dispositif de transaction pénale. Je ne doute pas que nous aurons l’occasion d’en débattre longuement, mais je veux appeler à la prudence sur ce sujet. Outre le fait que le succès de cette transaction n’est pas garanti, le niveau de sensibilité du grand public sur la question de la répression des pratiques des internautes reste élevé, et ce dispositif toucherait surtout notre jeunesse, qui connaît déjà de grandes difficultés en raison de la crise sanitaire.

Le projet de loi prévoit également un dispositif spécifique de référé pour lutter contre le piratage sportif : il exige la mise en place de mesures adaptées, qui tiennent particulièrement compte de l’urgence inhérente aux retransmissions audiovisuelles en direct de manifestations sportives. C’est pourquoi le projet de loi instaure un mécanisme ad hoc de référé, susceptible de produire des effets dans la durée.

Le deuxième enjeu est de moderniser la régulation des contenus audiovisuels et numériques. Pour mener à bien ces nouvelles missions en matière de lutte contre le piratage, mais aussi pour mieux accommoder la convergence progressive de l’audiovisuel et du numérique, le texte fusionne la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet et le Conseil supérieur de l’audiovisuel en une nouvelle autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, l’Arcom.

Ce nouveau régulateur sera compétent sur l’ensemble du champ de la régulation des contenus audiovisuels et numériques, qu’il s’agisse de lutter contre le piratage, de protéger les mineurs ou de défendre les publics contre la désinformation et la haine en ligne. Il sera aussi mieux armé et plus efficace avec des missions élargies et des pouvoirs de contrôle et d’enquête étendus.

La composition de son collège doit également être adaptée. Vous le savez, le Gouvernement est très attaché à la présence de deux magistrats, non pas par idéologie, mais parce qu’elle est indispensable au bon fonctionnement de la future autorité. Ces magistrats seront notamment chargés de mettre en œuvre la réponse graduée, qui est une procédure prépénale, aujourd’hui confiée, d’ailleurs, à des magistrats.

Compte tenu de la sensibilité des atteintes à la vie privée et à la liberté de communication que peut impliquer la réponse graduée, cette présence paraît indispensable. Plus largement, le renforcement des missions du régulateur en matière de régulation des contenus en ligne, que ce soit en matière de fausses informations ou de contenus haineux, engagé par plusieurs textes nationaux et européens, justifie pleinement que le collège de l’Arcom puisse bénéficier de l’expertise de deux membres magistrats.

Les préoccupations que vous avez exprimées en commission sur le nombre de désignations par le Parlement sont également légitimes. En tant qu’ancienne parlementaire, je ne peux qu’y être sensible. Nous aurons un débat sur cette composition, mais je crois vraiment que nous pouvons converger sur cette question, et des amendements ont été déposés en ce sens par certains d’entre vous.

Enfin, le troisième enjeu auquel répond ce texte est la protection de l’accès du public aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises.

Les catalogues de nos œuvres cinématographiques et audiovisuelles constituent notre patrimoine. Le public a aujourd’hui la garantie d’avoir accès aux œuvres françaises, car les producteurs, établis en France, qui les possèdent sont tenus à une obligation de « recherche d’exploitation suivie » : elle leur impose de conserver les supports des œuvres en bon état et de fournir leurs meilleurs efforts pour que l’œuvre puisse être exploitée et, donc, vue par le public, en France et à l’étranger.

Or il existe aujourd’hui le risque que de grandes sociétés de production ou simplement leurs catalogues soient rachetés par des entreprises éloignées de tout objectif culturel et non soumises à l’obligation de recherche d’exploitation suivie, comme des fonds d’investissement, notamment étrangers. Ces acheteurs pourraient décider de retirer temporairement du marché certaines œuvres, pour en faire monter les prix, ou décider d’exploiter seulement les films les plus rentables d’un catalogue et laisser les autres en déshérence.

L’article 17 du projet de loi étend donc à toutes les personnes qui rachètent une ou plusieurs œuvres françaises l’obligation de recherche d’exploitation suivie, qui existe aujourd’hui uniquement pour les producteurs établis en France. Il prévoit également que tout projet de cession d’œuvre doit faire l’objet d’une notification préalable auprès des services du ministère de la culture, au moins six mois avant la date de l’opération envisagée. Ces six mois permettront de vérifier que l’acheteur présente bien toutes les garanties pour assurer la recherche d’exploitation suivie. Si ce n’est pas le cas, certaines obligations garantissant l’exploitation suivie des œuvres françaises de ces catalogues peuvent lui être imposées.

Cet article est vraiment important pour préserver notre souveraineté culturelle. Reste que j’ai entendu les craintes exprimées par certains producteurs. Le Gouvernement proposera donc d’apporter quelques précisions par voie d’amendement afin d’y répondre.

Ces trois chapitres sont donc étroitement liés entre eux. La lutte contre le piratage et la protection des catalogues participent d’un même objectif de défense de notre création culturelle. Elles visent à permettre au public d’accéder aux œuvres dans des conditions respectueuses des droits des créateurs. Or il faut un régulateur solide et puissant pour mettre en œuvre les nouveaux outils innovants et ambitieux de lutte contre le piratage. La création de l’Arcom marque la volonté, à la fois, de passer à la vitesse supérieure dans la lutte contre les sites pirates et d’inscrire cette action dans une politique plus large de régulation des contenus en ligne.

Vous avez souhaité en commission élargir le périmètre du projet de loi à différents enjeux, comme la distribution des chaînes, les procédures d’autorisations d’émettre ou les seuils anti-concentration. Vous soulevez des questions légitimes, et je suis tout à fait prête à en débattre avec chacune et chacun d’entre vous durant les prochaines heures.

En revanche, et je vous l’ai indiqué très clairement lors de mon audition le 13 avril dernier, il est indispensable de rester sur un projet de loi cohérent et resserré. Cohérent autour des trois objectifs énumérés : la lutte contre le piratage, la modernisation de la régulation et la protection des œuvres culturelles. Resserré, avec un nombre d’articles limité pour permettre la poursuite du processus législatif et l’adoption définitive du projet de loi dans le temps parlementaire imparti. J’aurai donc systématiquement, au cours de nos débats, une attention particulière au respect du périmètre initial du texte.

Je souhaite également évoquer France 4 et la décision prise par le Président de la République de son maintien.

Je veux saluer l’engagement de l’ensemble des parlementaires, députés et sénateurs, à ce sujet. Vous avez été nombreux à exprimer vos inquiétudes et votre soutien au maintien d’une chaîne jeunesse, qui a su se réinventer et faire la preuve de son utilité.

Ce maintien est avant tout une excellente nouvelle pour les plus jeunes téléspectateurs et leurs parents, puisqu’ils pourront continuer à regarder une chaîne de service public proposant des programmes dédiés aux enfants, sans publicité. C’est aussi une excellente nouvelle pour l’animation et la création françaises, qui continueront ainsi d’être exposées quotidiennement sur France 4.

En outre, la nouvelle offre de France 4, depuis le 3 mai dernier, combine une programmation jeunesse et éducative en journée et une programmation culturelle en soirée. Cette nouvelle offre en soirée permet de capitaliser sur le succès de la chaîne éphémère Culturebox, qui a su toucher son public en donnant à la scène française une exposition inédite. Cela permettra de continuer à exposer le spectacle vivant sous toutes ses formes le soir, pour donner envie au public d’aller à la rencontre de nos artistes et de toutes nos esthétiques sur scène.

Avant de conclure, je voudrais revenir sur le travail mené avec M. le rapporteur au cours des dernières semaines. Ce n’est pas une surprise, nous avons et nous aurons encore, probablement, à l’issue de ces débats, des désaccords. Malgré ces divergences, je crois pouvoir dire que nous avons eu un dialogue de qualité, avec nos équipes respectives, permettant des échanges réguliers, nourris et francs. Je ne peux que m’en réjouir.

Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, ce texte est très important. Il apporte des réponses concrètes à trois enjeux majeurs dans le domaine de la communication audiovisuelle : la protection des droits des auteurs, des artistes, des producteurs, des diffuseurs ou des fédérations sportives ; l’organisation de notre régulation, qui doit être rationalisée et modernisée ; enfin, la défense de l’accès du public aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises, dans un contexte où la demande d’œuvres n’a jamais été aussi forte. Il rassemble des dispositions consensuelles et attendues par les professionnels. J’espère donc qu’il recevra un large soutien dans cet hémicycle.

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