Intervention de Jean-Raymond Hugonet

Réunion du 20 mai 2021 à 10h30
Œuvres culturelles à l'ère numérique — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié et d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Photo de Jean-Raymond HugonetJean-Raymond Hugonet :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’oserai dire que nous revenons de loin. Il y a une semaine, notre commission examinait un projet de loi au contenu, certes, utile, mais très modeste compte tenu des enjeux auxquels est confronté le secteur des médias. La semaine écoulée a vu le groupe TF1 annoncer sa fusion avec le groupe M6, le géant Amazon rendre public le rachat du studio MGM et Warner se rapprocher de Discovery.

Ces grandes manœuvres confirment l’accélération des changements dans un secteur où les Américains sont en train de préempter l’offre de plateformes, tandis que les Européens peinent à s’organiser, empêtrés qu’ils sont dans des réglementations hors d’âge. Si le millésime 1986 est probablement très appréciable pour certains breuvages élevés en fûts de chêne, il en est très différemment en matière d’audiovisuel. En effet, il est des lois très opportunes lors de leur adoption, mais qui vieillissent mal.

Madame la ministre, le projet de loi déposé au Sénat était, à l’évidence, en retard de plusieurs guerres. Il comprenait, certes, des mesures utiles sur la régulation et la lutte contre le piratage, mais rien sur la gouvernance de l’audiovisuel public, malgré l’excellent travail de Franck Riester, votre prédécesseur, qui s’inspirait de nos propositions de 2015, rien sur la réforme de la contribution à l’audiovisuel public, rien sur la réglementation de la production. Vous pouvez certes évoquer la directive SMA, qui prévoit de mettre à contribution les plateformes pour les obliger à investir dans la production française, mais, si cette avancée devrait profiter aux producteurs, elle ne s’accompagne d’aucune modernisation réelle du cadre réglementaire qui s’impose aux chaînes de télévision, sauf à se satisfaire des ajustements modestes prévus par le décret TNT en cours de négociation.

Notre commission de la culture a fait de nombreuses propositions depuis une dizaine d’années pour permettre de moderniser le cadre juridique défini en 1986, quand il n’y avait que six chaînes, une myriade de producteurs fragiles, pas d’internet et encore moins de Netflix. Le cadre adopté à l’époque réservait les droits des programmes aux producteurs et les fréquences aux chaînes. Ce « Yalta » ne correspond évidemment plus du tout à la situation actuelle, dans laquelle les diffuseurs, pour survivre, doivent pouvoir transformer leurs investissements en patrimoine et maîtriser leurs catalogues pour les mettre en valeur sur tous les supports et à l’international.

Compte tenu des échéances électorales à venir en 2022, il ne sera pas possible de discuter d’une nouvelle loi audiovisuelle avant 2023, voire 2024. Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui constitue donc la dernière opportunité pour permettre de redonner un peu d’air aux entreprises françaises de l’audiovisuel. Que contient ce projet de loi ?

La principale disposition du texte concerne le rapprochement entre le CSA et la Hadopi, pour créer l’Arcom, le grand régulateur des médias et du numérique. II s’agit d’une avancée, même si la composition du collège prévue par le texte ne peut nous satisfaire puisqu’elle minore le rôle du Parlement. Nous discuterons d’un amendement de compromis qui devrait permettre de résoudre ce problème.

Le deuxième apport de ce projet de loi concerne la lutte contre les différentes pratiques de piratage, qu’il s’agisse des contenus culturels ou sportifs. C’est sans doute là l’aspect le plus intéressant de ce texte et celui qui recueille notre assentiment le plus large, d’autant que notre commission a été pionnière pour accompagner la prise de conscience d’une nécessaire action législative en la matière.

Le troisième apport important du projet de loi aurait dû être constitué par l’article 17 relatif au contrôle de la cession des catalogues. La disposition envisagée dans l’avant-projet de loi laissait penser qu’un dispositif protecteur pour notre exception culturelle allait pouvoir être adopté. Malheureusement, l’examen par le Conseil d’État de cette disposition semble avoir eu raison de cette ambition, laquelle, il faut bien le reconnaître, mettait à mal les droits de propriété.

Au-delà de ces trois dispositions, que devons-nous faire de ce projet de loi ?

Vous souhaitiez, madame la ministre, que nous ne touchions pas au périmètre de ce projet de loi, qui, je le rappelle, a trait à la fois à la régulation du secteur de l’audiovisuel et à l’accès aux œuvres culturelles. Nous avons décidé de traiter ce périmètre, rien que ce périmètre, mais tout ce périmètre.

La régulation de l’audiovisuel ne se cantonne pas à définir les contours de l’Arcom. La régulation, c’est-à-dire l’organisation et le fonctionnement du secteur, renvoie aussi aux règles de concentration, à la réglementation de la production et aux normes techniques de diffusion.

L’accès aux œuvres culturelles ne peut, de la même manière, se limiter à une disposition sur les catalogues de programmes, surtout lorsqu’elle a été largement vidée de son contenu. Cet accès aux œuvres doit aussi concerner l’offre du service public, notamment en programmes de qualité à destination de la jeunesse, ainsi que la capacité des chaînes à maîtriser la diffusion des programmes qu’elles financent.

En somme, le projet de loi devait avoir pour ambition d’aider les acteurs français à répondre au défi que leur lancent les plateformes américaines.

La quinzaine d’articles additionnels adoptés par la commission donne du muscle à ce texte, qui en était fort dépourvu.

Pourrons-nous trouver un accord avec vous, madame la ministre, et avec nos collègues de l’Assemblée nationale ? Permettez-moi de donner mon avis personnel et de répondre par l’affirmative, puisque même le Président de la République semble maintenant être attentif à nos travaux, comme l’illustre son annonce de lundi dernier concernant le maintien de France 4, qui constituait une des mesures emblématiques du texte adopté en commission la semaine dernière.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion