Intervention de Julien Bargeton

Réunion du 20 mai 2021 à 10h30
Œuvres culturelles à l'ère numérique — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié et d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Photo de Julien BargetonJulien Bargeton :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, certes, le texte que nous examinons aujourd’hui ne réforme pas la gouvernance ou le financement de l’audiovisuel public, mais imputer ce fait à un manque de volonté politique du Gouvernement me paraît relever d’une injustice. Au départ, le texte comprenait bel et bien une telle réforme. La crise sanitaire a chamboulé l’agenda parlementaire, nous contraignant à le repenser.

La crise sanitaire a eu pour conséquence d’amplifier certaines tendances et certaines pratiques. Elle a notamment engendré une augmentation inédite des usages du numérique, qu’il s’agisse de l’utilisation de services de streaming, d’achats en ligne ou de recours au télétravail.

Parallèlement, on a observé une hausse sans précédent du piratage audiovisuel. Le 6 mai dernier, une étude de la Hadopi révélait que 12, 7 millions d’internautes avaient visité, en 2020, chaque mois, des sites proposant des contenus manifestement contrefaisants. Cela représente, mes chers collègues, près d’un quart des internautes. Le pic a été atteint en mars, lors du premier confinement, avec 14, 2 millions d’internautes, soit 27 % du total.

Ces chiffres éloquents témoignent malheureusement de l’incapacité de la Hadopi à lutter contre les nouveaux vecteurs du piratage des contenus audiovisuels.

En d’autres termes, la crise sanitaire nous a conduits à reconsidérer l’ordre des priorités, pour sauver le secteur de l’audiovisuel, dans le cadre d’un calendrier parlementaire fortement contraint.

C’est là précisément l’objet de ce projet de loi, qui fait de la lutte contre le piratage audiovisuel une priorité. Ce texte est donc à la fois un texte d’urgence et un texte pragmatique, qui apporte des solutions innovantes et concrètes. Je pense au dispositif des listes noires que pourra dresser l’Arcom ou à la possibilité pour cette autorité de demander le blocage ou le déréférencement d’un site miroir sur saisine d’un ayant droit lorsqu’il existe une décision passée en force de chose jugée. Vous le savez, les sites miroirs, c’est-à-dire la reproduction exacte d’un autre site pour contourner une décision judiciaire, sont aujourd’hui un fléau contre lequel nous ne parvenons pas à lutter, faute d’instrument législatif adéquat.

Je citerai également, sans prétention à l’exhaustivité, le dispositif spécifique du référé que crée ce projet de loi pour lutter contre le piratage sportif, ainsi que les dispositions sur les droits voisins et sur la protection de nos catalogues : une série de dispositions à la fois efficaces, utiles et attendues par le secteur.

La commission de la culture a enrichi ce texte ; certains ajouts nous paraissent bienvenus. C’est le cas, par exemple, des dispositions qui maintiennent l’attractivité de la TNT. D’autres ajouts nous semblent au contraire inopportuns, comme l’instauration d’une transaction pénale. Nous aurons certainement un débat tout à l’heure sur ce point : notre volonté est de sanctionner, d’empêcher, de prévenir l’existence des sites contrevenants, les sites miroirs notamment, mais pas de nous en prendre aux internautes eux-mêmes.

De la même manière, l’éviction des deux magistrats initialement prévus par le projet de loi dans le collège de l’Arcom ne nous paraît pas pertinente. J’ai proposé à ce titre un amendement de compromis. Monsieur le rapporteur, vous avez bien voulu le mentionner, affirmant qu’un chemin existait ; proposer une solution, pour la Haute Assemblée, cela me paraît bénéfique. Certes, nous en sommes à la première lecture, mais cela n’empêche pas le Sénat d’avancer de manière équilibrée sur ce sujet en proposant dès maintenant une solution qui pourra être reprise par l’Assemblée nationale. Je souhaite que nous y parvenions, et j’en accepte l’augure.

J’aimerais rappeler enfin que ce texte s’adresse évidemment d’abord et avant tout aux créateurs, aux artistes, à la production intellectuelle et artistique, qu’il faut protéger. Coco Chanel disait, d’une formule fameuse : « Volez mes idées, j’en aurai d’autres. » Mais, en l’espèce, il ne s’agit pas d’idées : il s’agit d’œuvres. Une idée, on la lance, elle peut être reprise. Là où il s’agit d’œuvres et de création, en revanche, à défaut d’une protection renforcée, il existe, dans un monde qui fait la part belle au piratage audiovisuel, un risque d’appauvrissement : appauvrissement de la qualité artistique, de la diversité et du rayonnement audiovisuel, artistique et même intellectuel de la France.

Pour lutter contre un tel risque d’appauvrissement, ce texte, en ce qu’il renforce la lutte contre le piratage, est extrêmement utile ; il est en outre extrêmement attendu par tous les créateurs.

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