Le Gouvernement nous propose d'instituer un régime de gestion de la sortie de l'état d'urgence sanitaire, qui se distingue en principe de l'état d'urgence sanitaire par l'impossibilité de recourir au couvre-feu et au confinement.
Néanmoins, le régime de l'état d'urgence sanitaire ne serait pas abrogé : il resterait activable jusqu'au 31 décembre prochain, pour le cas où la situation sanitaire devrait se dégrader. Le Gouvernement pourrait donc prendre les mesures qu'il n'a pas le droit de prendre dans le cadre de la gestion de la sortie de l'état d'urgence sanitaire en rétablissant l'état d'urgence sanitaire par un simple décret.
La situation sanitaire s'améliore rapidement depuis une quinzaine de jours, mais elle reste grave : le 17 mai, le nombre de contaminations quotidiennes était en moyenne, sur les sept jours précédents, de 14 000. Le nombre de personnes hospitalisées est plus élevé aujourd'hui que le 11 mai 2020, avec 22 963 patients contre 22 219. Le nombre de patients en réanimation diminue depuis le 3 mai, puisqu'il est passé de 5 630 à 4 255, mais il était de 2 666 le 11 mai 2020.
La situation n'est pas totalement rassurante, ce qui justifie de ne pas baisser la garde.
L'accélération du rythme des vaccinations peut nous laisser entrevoir une amélioration de la situation. Il a été annoncé que plus de 20 millions de personnes ont été vaccinées, ce qui représente moins du tiers de la population française.
Si les chiffres se sont rapidement améliorés lors des dernières semaines, c'est parce que nous sortons d'un troisième confinement. Nous devons décider s'il faut autoriser le Gouvernement à alléger les contraintes et les disciplines qui s'imposent aux Français. C'est un nouveau pari dont il faut avoir conscience.
Quelle est la différence entre l'état d'urgence sanitaire et la sortie de l'état d'urgence sanitaire ? Toutes les restrictions aux libertés sont possibles dans la sortie de l'état d'urgence sanitaire sauf le reconfinement et le couvre-feu. C'est donc un régime qui reste fortement attentatoire aux libertés, pour un motif digne d'être pris en considération : la sécurité sanitaire de nos concitoyens. La liberté de réunion, la liberté de manifestation, la liberté de circulation et la liberté du commerce peuvent être restreintes dans le régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire.
Pourquoi instituer un tel régime, alors que le Gouvernement disposerait des mêmes moyens en nous demandant simplement l'autorisation de prolonger l'état d'urgence sanitaire ? Je ne trouve pas de réponse à cette question autre que politique et, à vrai dire, j'ai du mal à blâmer complètement le Gouvernement de prendre une telle position : il a considéré que la loi devait symboliser l'amélioration de la situation sanitaire et l'espoir de venir à bout de l'épidémie, pour améliorer le moral des Français. Néanmoins, sur le plan juridique, absolument rien ne justifie de mettre en place un régime dont tous les moyens d'action existent déjà dans le cadre du régime de l'état d'urgence sanitaire, créé à titre temporaire et jusqu'au 31 décembre 2021 par la loi du 23 mars 2020.
Je ne vous demande pas de faire preuve de mauvaise volonté ou de mauvaise humeur. Je vous propose de vous inscrire dans le cadre d'un choix d'opportunité politique, certes contestable, fait par le Gouvernement. Ce texte repose davantage sur un effet d'annonce que sur une nécessité pratique et juridique.
Si le Gouvernement veut faire une distinction entre le régime de la gestion de la sortie de l'état d'urgence sanitaire et celui de l'état d'urgence sanitaire, alors cette différence doit être claire. Or le Gouvernement a, postérieurement à l'adoption du texte en conseil des ministres, élaboré plusieurs amendements qui ont été adoptés par l'Assemblée nationale et qui me paraissent apporter une certaine confusion. Je pense à la poursuite du couvre-feu, qui s'atténuera étape par étape jusqu'au 30 juin prochain. Je vous proposerai d'accepter cette mesure, mais dans le cadre de l'état d'urgence, lequel serait prolongé jusqu'au 30 juin prochain.
À partir du 1er juillet, nous serons vraiment dans la gestion de la sortie de l'état d'urgence sanitaire. Le Gouvernement veut alors pouvoir rétablir l'état d'urgence sanitaire dans des territoires qui ne sont pas peuplés de plus de 10 % de la population française sans que le Parlement ait à se prononcer au bout d'un mois. Je vous propose que si le Gouvernement déclare, même partiellement, l'état d'urgence sanitaire, c'est-à-dire impose un confinement ou un couvre-feu quelque part en France, alors il ne pourra le faire que pour un mois : au-delà, le Parlement devra l'autoriser à prolonger ces mesures.
Je trouve tout à fait désobligeant pour le Parlement de présenter la position gouvernementale comme une forme d'égard envers les députés et les sénateurs, qui ne siègent pas normalement au mois d'août. On leur permettrait de poursuivre paisiblement leurs vacances alors que la situation sanitaire serait très grave dans le pays : ce n'est pas l'idée que je me fais de la fonction parlementaire !
D'autres sujets sont abordés dans ce texte. D'abord, le passe sanitaire, qui est issu d'un amendement du Gouvernement déposé lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale. Ce passe sanitaire comporte des informations médicales relevant de la vie privée, qui ne peuvent être divulguées à n'importe qui. Les conditions de respect du principe d'égalité doivent aussi être prises en compte. Il m'a semblé que l'amendement du Gouvernement, au principe duquel je ne m'oppose pas, n'était pas suffisamment encadré, et ce avant même que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), qui curieusement n'avait pas été saisie en temps utile par le Gouvernement, se soit finalement prononcée, dans des conditions assez acrobatiques, postérieurement à l'adoption de l'amendement par l'Assemblée nationale. Je vous proposerai de reprendre de nombreuses propositions de la CNIL.
Le passe sanitaire correspond à une réflexion développée au niveau européen, puisqu'un projet de règlement européen sur le passeport vert a déjà fait l'objet d'un avis du Parlement européen. Il doit pouvoir être établi seulement de manière temporaire, et dans des conditions qui apportent pleine garantie pour nos concitoyens.
Autre disposition : la quarantaine. La quarantaine n'a pas été inventée par l'état d'urgence sanitaire : c'est une disposition permanente du code de la santé publique tellement ancienne et mal rédigée qu'à l'initiative du Sénat, son régime juridique avait été entièrement réécrit dans une des précédentes lois relatives à l'état d'urgence sanitaire. Cette mesure touche de près aux libertés : il faut être extrêmement vigilant.
Je vous proposerai d'introduire dans le dispositif une disposition, que nous avons déjà adoptée, réécrivant entièrement l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. Cet article avait permis, pendant quelques jours, de mettre en place le premier confinement en mars 2020 avant l'adoption de la loi du 23 mars 2020. Sauf problème, nous ne devrions plus avoir à examiner, d'ici à l'élection présidentielle, de texte sur l'état d'urgence sanitaire et la lutte contre les épidémies. Or l'article L. 3131-1 du code de la santé publique n'est pas assez précis : selon sa lettre, un ministre de la santé pourrait s'en servir pour prévoir un confinement de la population par un simple arrêté. Le travail que nous avions fait sur la question n'a pas été retenu jusqu'à présent, malgré les votes réitérés du Sénat. Je proposerai que la modernisation de cet article figure dans le texte. C'est le dernier point d'eau avant le désert !
Des dispositions dans le texte du Gouvernement m'ont paru porter à controverse : celles sur le versement au Système national des données de santé (SNDS) de données pseudonymisées recueillies dans le cadre des systèmes d'information mis en place pour lutter contre la covid-19. Sur cette question extrêmement technique, le diable est dans les détails ! Je me suis aperçu que le SNDS, créé par une loi de 2016 et largement étendu par une loi de 2019, comportait assez peu de garanties pour nos concitoyens, même s'il est indiscutablement très utile pour les politiques de santé et la recherche épidémiologique.
Le fait que l'on puisse verser dans le SNDS les données recueillies dans le cadre de la lutte contre la covid-19, pour lesquelles nous avions pris beaucoup plus de précautions, m'a paru être source d'inquiétude. Je vous proposerai un certain nombre de restrictions, notamment pour permettre l'exercice d'un droit d'opposition par les personnes dont les données de santé, même pseudonymisées, rejoindraient le SNDS. Celui-ci permet de réunir pour un même individu des données de santé pseudonymisées recueillies dans des systèmes d'information différents.
Le texte comprend également des dispositions sur les ordonnances : les 95 ordonnances prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire concernent tous les pans du droit : le droit du travail, le droit civil, les relations entre locataires et bailleurs, ainsi que le fonctionnement de la justice administrative, de la justice civile et de la justice judiciaire, et j'en passe. De nombreuses dispositions très utiles ont été prises, en particulier pour suspendre un certain nombre de délais qui couraient et qui ne pouvaient plus être respectés compte tenu des confinements successifs.
Puisque le Gouvernement nous propose de maintenir l'application d'une bonne partie de ces 95 ordonnances, je vous proposerai d'en profiter pour régler un certain nombre de points : cessons d'abuser du juge unique quand une formation de jugement collégiale peut être réunie ; n'imposons pas la visioconférence pour faire comparaître des accusés qui le refuseraient ; n'acceptons pas de mettre dans une nouvelle habilitation la prolongation de l'indemnisation des intermittents du spectacle dans des conditions plus favorables qu'à l'ordinaire, mais faisons-la figurer dans le texte même ; ne reconduisons pas la trêve hivernale pendant l'été pour ne pas léser les bailleurs pauvres ; permettons aux bailleurs de prendre des gages quand une entreprise ne paye pas son loyer.
Enfin, certaines dispositions touchent à la vie publique. Le Gouvernement nous propose d'abaisser à un tiers le quorum nécessaire pour élire les exécutifs départementaux et régionaux. Ce sont des décisions tellement importantes que cette diminution me paraît excessive, d'autant qu'il est possible de prévoir des procurations.
Une mesure concerne les Français de l'étranger. Il n'a pas été possible, l'an dernier, d'organiser les élections des conseillers et délégués consulaires, qui ont été reportées à ce mois-ci. Nous savons déjà qu'elles ne pourront pas se dérouler dans un certain nombre de pays. Le vote par internet est certes possible, mais il n'est permis que si les bureaux de vote sont ouverts dans les pays où le vote a lieu : c'est une exigence du Conseil constitutionnel. Dans plusieurs pays, les conseillers et délégués consulaires ne seront donc pas élus au mois de mai. Quelles conséquences doit-on en tirer pour l'élection des sénateurs, qui a été reportée et qui doit avoir lieu en septembre prochain ?
Le Gouvernement a traité à la dernière minute cette question par un amendement adopté à l'Assemblée nationale, que je vous proposerai de retenir moyennant un certain nombre de modifications. Il ne doit pas y avoir de doute sur l'identité des grands électeurs et il ne doit donc pas être possible d'élire des conseillers et délégués consulaires pendant la période de la campagne électorale en vue des élections sénatoriales : par voie de conséquence, les circonscriptions où le scrutin n'aurait pas pu avoir lieu et celles où l'élection aurait été annulée seraient représentées au sein du collège électoral par les conseillers et délégués consulaires dont le mandat aura expiré le 31 mai. Nous espérons que le Conseil constitutionnel admettra cette disposition, car c'est un cas de force majeure.