La proposition de loi que j'ai déposée en janvier 2020 fait suite aux événements qui se sont déroulés au début de ce même mois : plusieurs attaques au couteau ont eu lieu, et leurs auteurs ont été jugés irresponsables. Nous avions par ailleurs alors eu connaissance de l'arrêt de la chambre de l'instruction concernant l'affaire Halimi. L'objet de ce texte était de modifier les dispositions de l'article 122-1 du code pénal sur la responsabilité pénale des auteurs de crimes et délits pour exclure de son bénéfice la faute préalable de l'auteur ou une infraction concomitante. Nous voulions procéder à une sorte de transposition de la règle Nemo auditur pour qu'elle s'applique à l'irresponsabilité.
Cette proposition de loi a donné lieu à un débat de contrôle le 18 février 2020 devant Mme Belloubet, qui s'était engagée à travailler sur ce sujet. Dans le même temps, la commission des affaires sociales et la commission des lois, avec nos collègues Jean Sol et Jean-Yves Roux, ont réalisé un travail sur l'expertise psychiatrique et psychologique dans le cadre d'une mission commune et ont déposé une proposition de loi. À l'issue de nos travaux, le texte de Jean Sol et le mien seront réunis pour devenir le texte de la commission.
Depuis le dépôt de nos textes, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la famille de Sarah Halimi, ce qui a suscité une vague d'émotion et entraîné des déclarations du Président de la République et du garde des sceaux ainsi que des manifestations. La Cour de cassation a dû publier des communiqués pour s'expliquer, ce qui est quasiment inédit. En outre, l'avocate générale près la Cour de cassation a été menacée personnellement. Je tiens à souligner la qualité de son travail et j'encourage nos collègues à lire les 87 pages de ses conclusions pour mieux comprendre le contexte juridique.
Parallèlement, l'Assemblée nationale a confié à Mme Naïma Moutchou et à M. Antoine Savignat une mission flash sur la question de l'irresponsabilité pénale, tandis que la Chancellerie élabore un nouveau projet de loi.
Nous nous sommes saisis les premiers de cette question extrêmement importante. Pour y avoir travaillé en amont depuis plus d'un an, le Sénat est légitime à présenter un texte le plus complet possible sur un sujet délicat qui se situe entre le droit et la santé, sans véritable définition de la notion de discernement.
La question récurrente que nous devons trancher porte sur les conséquences de la faute préalable sur l'irresponsabilité pénale. Il s'agit non pas de juger la folie, mais de repenser, dans les cas où l'irresponsabilité pénale est contestée, l'accès au juge. Plusieurs affaires tragiques ont souligné la complexité des cas. Aux termes de l'article 122-1 du code pénal, le juge doit prendre en compte l'état mental de l'auteur de l'acte au moment des faits.
Après avoir lu et relu l'avis de l'avocat général près la Cour de cassation et auditionné de nombreuses personnalités, il s'avère que l'article 122-1 du code pénal constitue une sorte de totem, un principe de notre droit pénal. Modifier cet article conduirait probablement à des difficultés d'application et ne produirait pas l'effet escompté car il est extrêmement compliqué de fixer le curseur pour apprécier la folie. Aussi, j'ai choisi une évolution procédurale très lisible, qui s'inscrit dans le continuum de la loi Dati de 2008, laquelle a ouvert un débat contradictoire devant la chambre de l'instruction en ce qui concerne l'irresponsabilité. Toutefois, la chambre de l'instruction n'est pas une juridiction de jugement. C'est pourquoi je propose qu'il y ait un véritable procès - ce que souhaitent les associations de victimes - en modifiant l'article 706-120 du code de procédure pénale : en cas de faute préalable de l'auteur, la juridiction de jugement sera saisie. Nous ne touchons pas au socle de l'irresponsabilité pénale ; nous respectons l'article 10 du code de procédure pénale qui prévoit les garanties pour le justiciable. Outre les associations de victimes, plusieurs des professeurs de droit et magistrats auditionnés ont donné leur feu vert à ce changement de braquet.
Permettez-moi de porter à votre attention deux chiffres très importants. En 2018, on a enregistré 13 495 classements sans suite et 326 ordonnances d'irresponsabilité. Plus de 20 000 victimes se sont retrouvées avec une ordonnance de non-lieu ou un classement sans suite. Parallèlement, ce sont donc 20 000 auteurs, dont certains présentent une certaine dangerosité, qui ont été reconnus irresponsables pour des faits plus ou moins graves. Or aucun suivi n'est réalisé ; la commission pourrait à l'avenir se saisir de cette question.
L'article 1er de ma proposition de loi serait ainsi rédigé : « Lorsque le juge d'instruction au moment du règlement de son information estime que l'abolition temporaire du discernement de la personne mise en examen résulte au moins partiellement de son fait fautif, il renvoie devant la juridiction de jugement compétente qui statuera sur l'application de l'article 122-1 du code pénal et éventuellement sur la culpabilité. » Par ailleurs, je le répète, les dispositions de l'article 10 du code de procédure pénale continueront à s'appliquer.
En outre, le code pénal considère que l'alcool et les stupéfiants sont des causes aggravantes de responsabilité pour le viol, mais pas pour les actes de torture et de barbarie, le meurtre, l'homicide involontaire, les violences et la mutilation. Aussi, je propose de remédier à cette lacune en créant un article nouveau qui institue l'alcool et les stupéfiants comme cause aggravante pour tous les crimes et délits car ils sont des causes fréquentes d'irresponsabilité.
Enfin, les dispositions adoptées hier par la commission des affaires sociales feront l'objet d'une série d'amendements que nous allons examiner.
Permettez-moi d'ajouter trois éléments.
Premièrement, j'ai saisi notre collègue Antoine Lefèvre, rapporteur du budget de la justice au nom de la commission des finances, pour qu'il nous fasse un point sur les moyens mis à disposition pour procéder à des expertises psychiatriques. Il faut que la justice bénéficie maintenant du « quoi qu'il en coûte », notamment pour ce qui concerne les dispositifs psychiatriques, dont les budgets sont totalement indigents, ainsi que l'ont souligné les experts que nous avons auditionnés.
Deuxièmement, il convient d'améliorer le droit des victimes. De nombreuses difficultés nous ont été signalées. Aussi, je propose à notre commission de travailler à l'amélioration des dispositifs d'aide aux victimes.
Troisièmement, enfin, je proposerai avant nos travaux en séance publique un dispositif concernant le contrôle de l'hospitalisation complète. Il y a là un problème auquel il faut trouver une solution.