La mission qui nous était confiée était de mettre l'objectif de « zéro artificialisation nette », porté par le Gouvernement, à l'épreuve de nos territoires. Nous avons mené pendant près de deux mois une trentaine d'auditions. Sur ce sujet si vaste, nous avons reçu les associations d'élus, les représentants du Gouvernement et de la Convention citoyenne bien sûr ; mais aussi des urbanistes, des aménageurs publics et privés, les principaux syndicats agricoles, l'Office de la biodiversité, les représentants de la grande distribution et les logisticiens, les architectes, des professeurs de droit, des organismes de logement social, des bureaux d'études... Nous avons souhaité entendre toutes ces voix, car elles permettent de prendre la mesure de l'ampleur des enjeux soulevés. Elles reflètent aussi le dynamisme et la diversité des écosystèmes locaux. Ce sont tous ces acteurs qui font vivre les projets de territoire au quotidien, avec comme fers de lance, les collectivités locales qui sont chargées de la planification en matière d'urbanisme et d'aménagement et de sa mise en oeuvre concrète. Un dernier mot sur la méthode : notre commission examinera dans quelques semaines le projet de loi Climat et Résilience, qui comporte désormais près d'une trentaine d'articles relatifs à la lutte contre l'artificialisation. Notre rapport d'information n'a pas pour objet de se substituer au travail législatif que la commission mènera sur le texte. Il ambitionne de préparer ce travail en tirant les constats, en nuançant parfois les chiffres mis en avant par le Gouvernement, et à offrir une grille d'analyse. Il entend surtout proposer un « fil conducteur », c'est-à-dire des orientations sur lesquelles nous pourrions tous nous accorder pour entamer l'examen du projet de loi et y imprimer la marque de notre assemblée sénatoriale.
Venons-en tout d'abord aux constats. Sans vouloir citer trop de chiffres, voici les principaux : la France artificialise en moyenne 28 000 hectares par an. Selon les données, entre 5 % et 9,5 % du territoire français seraient aujourd'hui considérés comme artificialisés. Comment expliquer cette dynamique d'artificialisation ? Un temps tirée par la croissance des villes et de l'activité économique, la consommation d'espace agricoles, naturels et forestiers est aujourd'hui très majoritairement liée à la construction de logements dans les zones périurbaines. L'artificialisation est en effet le reflet des évolutions de la société : le développement des périphéries des métropoles, des zones littorales, la forte demande de logement individuel, la relative déprise agricole, mais aussi la cherté des prix du foncier qui éloigne de plus en plus les ménages.
Le rythme d'artificialisation soulève des inquiétudes légitimes. Du point de vue environnemental, elle affaiblit les continuités écologiques et détruit des réserves de biodiversité. Elle augmente le ruissellement de l'eau et appauvrit les sols du point de vue organique. Le revêtement des sols entraîne la création « d'îlots de chaleur ». D'un point de vue économique, elle pourrait interroger, à terme, la capacité de la France à assurer sa souveraineté alimentaire, alors que la surface agricole utile ne cesse de décroître. L'artificialisation peut aussi générer des « inefficacités », car l'espace n'est pas optimisé et les distances s'allongent. Or, ce sont souvent les collectivités qui portent, ensuite, l'extension des réseaux, des transports ou de certains équipements. Nous partageons bien entendu ces inquiétudes. Les modèles de développement urbain hérités des années 1970 ne sont pas durables : on ne peut pas uniquement compter sur les lotissements en zone agricole pour faire la ville. Il faut réduire non seulement le rythme de consommation d'espaces, mais aussi les actes d'artificialisation au sein même des espaces. Les Français demandent aujourd'hui davantage de responsabilité lorsque l'on fait la ville à la compagne, et ils souhaitent intégrer davantage de nature en ville.
La Convention citoyenne s'est fait l'écho de ces préoccupations légitimes. Elle a formulé treize propositions en matière de lutte contre l'artificialisation des sols, allant d'un objectif chiffré de réduction de l'artificialisation nouvelle, au gel de l'implantation de nouvelles zones commerciales et artisanales, en passant par une obligation d'étudier la réversibilité des bâtiments avant leur démolition. Certaines de ces mesures sont traduites dans le projet de loi Climat et Résilience. Sans rentrer dans les détails, nous souhaitons toutefois souligner qu'il existe d'importantes divergences entre les propositions de la Convention et celles du Gouvernement, à la fois sur la méthode, les outils et les cibles. Deux exemples : si la Convention propose de réduire de 25 % l'artificialisation par rapport aux vingt ans passés, le Gouvernement propose 50 % par rapport aux dix ans passés. De plus, le Gouvernement a inscrit dans le projet de loi l'objectif de « zéro artificialisation nette » en 2050, qu'il défend depuis 2018 ; alors que cet objectif n'est pas explicitement porté par la Convention citoyenne.