Commission des affaires économiques

Réunion du 12 mai 2021 à 9h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Je me réjouis de participer à votre commission, pour vous présenter cette proposition de loi pour laquelle nous avons fait de nombreuses auditions avec votre rapporteure, ce dont je la remercie.

Ce texte conjugue le bien-être animal et celui de l'agriculteur, il promeut l'agriculture, une agriculture paysanne. Nous y avons beaucoup travaillé depuis dix-huit mois pour parvenir à cet équilibre, nous l'avons modifié pour lui donner ses chances d'aboutir, afin de faire cesser ce que l'on voit dans l'élevage industriel, chacun de nous sait ce qu'il en est de la condition animale.

L'article 1er vise à faire évoluer les modes d'élevage en rendant obligatoire d'ici 2026 un accès des animaux au plein air et en fixant un seuil de densité maximale par élevage, avec une date butoir fixée à 2040 pour laisser le temps aux éleveurs de s'organiser et passer au plein air. Nous savons que le bien-être animal et le bien-être de l'éleveur sont liés, il faut soutenir les agriculteurs dans la transition vers l'élevage en plein air.

L'article 2 limite le temps de transport des animaux à huit heures sur le territoire national.

L'article 3 interdit l'élimination, y compris par gazage, des poussins mâles et des canetons femelles vivants, à compter du 1er janvier 2022, une date que nous avons retenue après consultation du ministère pour laisser le temps de déployer des techniques alternatives qui sont déjà au point, en particulier le sexage des oeufs - nous avons auditionné des entreprises du secteur, ces techniques sont éprouvées.

L'article 4 prévoit la création d'un fonds de soutien à la transition pour accompagner les acteurs économiques, et d'abord les éleveurs. Ce fonds serait défini par décret avec l'objectif d'encourager l'abattage de proximité et la transformation des systèmes d'élevage.

Le groupe écologiste, parallèlement aux travaux de la rapporteure, a auditionné une dizaine d'associations qui nous ont dit l'importance de ce texte, comme premier pas pour changer la donne sur la condition animale, mais aussi sur la vie des agriculteurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Chauvin

Ce texte, sur lequel nous avons effectivement conduit des auditions de concert, vise à trouver un équilibre entre les impératifs des éleveurs et la recherche de meilleures conditions d'élevage. Je crois que nous en partageons par certains aspects la philosophie et les objectifs, c'est-à-dire la recherche de meilleures conditions d'élevage en prenant en compte les contraintes des éleveurs, sans les stigmatiser davantage. Je vois dans la proposition d'un fonds d'accompagnement une piste intéressante. Mais il faut dire les choses franchement, nous ne partageons pas les moyens choisis pour atteindre cet objectif.

Je commencerai mon propos en ayant une pensée pour les éleveurs, pour qui l'année 2020 a été très dure avec la baisse des cours du lait, des jeunes bovins, des broutards, de la carcasse de porc, avec la fermeture des restaurants, avec l'épidémie de l'influenza aviaire pour les canards, mais aussi avec la hausse des charges liée à la sécheresse estivale, qui n'a pas été, tant s'en faut, répercutée dans les prix de vente, notamment en grande distribution.

Se lever tous les matins pour perdre de l'argent, personne ne peut le supporter. Bien sûr, certaines filières s'en sortent sur quelques segments de marché, je pense bien entendu à la filière de lait à Comté du Jura par exemple. Mais, en majorité, la filière souffre. Nos auditions au sein du groupe d'études Élevage le démontrent à chaque fois. Et c'est ce qui explique que la décapitalisation du cheptel se poursuive dans certaines filières, notamment au sein du troupeau allaitant comme du troupeau laitier.

Si cette situation perdure, notre souveraineté alimentaire en élevage est menacée. J'en veux pour preuve les derniers chiffres sur nos importations : la France importe 45 % de sa consommation de poulet, 25 % de sa consommation de porc, notamment ses jambons, 55 % de sa consommation de moutons, un tiers de ses produits laitiers ! Le rapport de Laurent Duplomb a tiré la sonnette d'alarme en 2019. La tendance s'aggravera si rien n'est fait, car nous perdrons les externalités positives de notre élevage pour l'aménagement du territoire, le stockage de carbone, la réduction de la vulnérabilité aux aléas naturels, ou encore la biodiversité des races cultivées.

C'est pourquoi il faut être très vigilant aux négociations en cours sur la prochaine politique agricole commune (PAC). Si la réforme des aides couplées conduit à une réduction massive des aides à la filière bovine notamment, notre élevage pourrait ne pas s'en relever.

Ce contexte devait être rappelé pour garder à l'esprit qu'il faut être à l'écoute de nos éleveurs. Lors de nos auditions, tous nous ont affirmé ne pas comprendre pourquoi ils sont toujours cloués au pilori, sans que leurs efforts ne soient valorisés, en particulier ceux qu'ils font pour lutter contre la maltraitance animale, qui concerne une partie infinitésimale des éleveurs et qui relève de comportements délictueux.

On parle beaucoup de bien-être animal et à raison. Mais nous parlons insuffisamment du bien-être des éleveurs, M. Cabanel et Mme Férat nous l'ont très bien expliqué.

Le bien-être animal, c'est tous les jours en agriculture ! Il y a quelques anomalies, des exemples existent, mais comme dans toute profession. Mais, tous les jours, des progrès sont réalisés par nos éleveurs pour améliorer les conditions d'élevage de nos animaux. C'est en cela que nous partageons la préoccupation que vous exprimez dans ce texte. Cette préoccupation se traduit très concrètement dans le quotidien des éleveurs - et ils ne nous ont pas attendus pour améliorer les conditions d'élevage, heureusement !

Prenons l'exemple des poules pondeuses : les élevages alternatifs représentent désormais 53 % des poules pondeuses contre 19 % en 2008. La filière a même atteint ses objectifs en avance de deux ans sur son plan initial.

Les élevages au sol, que les consommateurs plébiscitent, se développent rapidement. Des élevages expérimentaux progressent, pour éviter l'élevage de lapins en cage, la filière s'étant dotée d'un objectif ambitieux, salué par tous, de passer de 1 % à 25 % de lapins issus d'élevages alternatifs d'ici 2022. Rappelons aussi que 94 % des vaches laitières et 67 % des vaches allaitantes ont accès à l'extérieur, tout comme 100 % des volailles de chair sous signe officiel de la qualité. En matière de volailles, la France a un taux de 20 % de volailles élevées en plein air, le second pays européen étant seulement à 5 %.

Toutes les filières interprofessionnelles se sont engagées dans un plan bien-être animal. Je citerai l'initiative « France, terre de lait » du Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (Cniel), la mise en place, par l'interprofession porcine Inaporc, du socle de base du porc français intégrant des critères de bien-être animal minimums - lumière, matériaux manipulables, abreuvement - leur non-respect entraînant le paiement de pénalités au sein de la filière, le pacte sociétal de la filière élevage et viande sous l'égide d'Interbev, l'Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes.

Toutes les filières développent des outils de diagnostic bien-être animal sur les exploitations afin de mieux mesurer les progrès à réaliser. Ces démarches très intéressantes vont aboutir à des mesures concrètes, au fur et à mesure. Elles ne seront pas médiatiques, j'en suis sûre, mais elles changeront, au jour le jour, la face de nos élevages.

La préoccupation d'améliorer les conditions d'élevage des animaux est donc au coeur des objectifs de nos filières d'élevage et de la vie de nos éleveurs.

Ce propos général doit être dans nos esprits à l'heure d'examiner des propositions pour interdire certaines pratiques d'élevage, de transport ou d'abattage.

En intitulant cette proposition de loi « pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal », vous sous-entendez qu'il n'existe pas d'élevage éthique et soucieux du bien-être animal aujourd'hui en France. Cela ne correspond pas à la réalité du terrain, j'espère l'avoir démontré.

Venons-en au contenu de la proposition de loi.

Il y a deux ans, Mme Benbassa avait déposé un premier texte avec le même titre, comportant 14 articles ; le périmètre en a été réduit et la proposition compte désormais quatre articles visant à interdire certaines pratiques d'élevage, de transport et d'abattage, tout en mettant en place un fonds d'accompagnement.

Je crois pouvoir dire que nous partageons tous, parlementaires comme les filières elles-mêmes, l'objectif d'accompagner à de meilleures conditions d'élevage : toutes les filières ont souligné qu'elles avaient en tête ces préoccupations et que leurs plans d'action visaient à mieux les prendre en compte. Améliorer les conditions de transport des animaux est un sujet consensuel, ce que démontre d'ailleurs l'adoption très large et transpartisane de résolutions du Parlement européen sur le sujet. De même, favoriser l'essor d'élevages alternatifs aux cages quand c'est possible est une piste que toutes les filières développent et que nous soutenons tous. Enfin, il faut trouver une solution viable au broyage massif de poussins.

Sur l'élevage plein air, l'article 1er entend interdire toute construction de nouveau bâtiment d'élevage sans accès à l'extérieur des animaux à compter de 2026 et interdire tout élevage sans accès au plein air à horizon 2040. Les filières ont presque toutes émis des réserves inquiètes sur cette proposition qui leur paraît irréaliste. Le plein air impliquerait la mise en place d'un parcours pour les animaux qui est fortement consommateur de foncier, notamment quand les parcours doivent être très larges pour certaines espèces comme le porc.

Sur le transport des animaux, l'article 2 entend plafonner les durées de transports des animaux vivants sur le territoire français à huit heures pour tous les animaux de rente, à l'exception des volailles et des lapins dont la durée de transport serait plafonnée à quatre heures. Une dérogation pourrait être accordée, après avis d'un vétérinaire, pour une durée plafonnée dans tous les cas à douze heures.

La réglementation relative au transport des animaux vivants relève d'un règlement européen. Ce dernier, mis en oeuvre depuis 2005, pose ce principe simple à son article 3 : « Nul ne transporte ou ne fait transporter des animaux dans des conditions telles qu'ils risquent d'être blessés ou de subir des souffrances inutiles ». Il en découle de nombreuses prescriptions liées à la formation des chauffeurs, à l'équipement des transports de manière à permettre une ventilation, une luminosité, un abreuvement et une alimentation minimales adaptés aux besoins des espèces, à des règles pour le chargement et le déchargement des véhicules ainsi qu'à la durée des transports. Cette dernière est aujourd'hui limitée en principe à huit heures pour toutes les espèces domestiques sauf les volailles. Cette durée peut être portée à un niveau supérieur si certaines conditions supplémentaires sont respectées. L'objectif de la proposition de loi est double : descendre le plafond maximal à douze heures pour toutes les espèces ; mettre en place un plafond de principe pour les volailles à quatre heures, mais le tout au seul niveau national, et c'est tout le problème.

L'article 3 entend interdire toute élimination de poussins mâles et de canetons femelles vivants, sauf épizooties, au 1er janvier 2022.

À cet égard, les techniques de recherche de sexage dans l'oeuf ont considérablement évolué et permettent d'envisager, effectivement, de tourner la page du broyage à court terme.

Pour les poussins mâles, trois techniques ont été développées. La première, développée par l'entreprise allemande Seleggt, permet de percer la coquille de l'oeuf incubé, d'en prélever une partie du liquide lequel, par dosage hormonal et réaction chimique, révèle le sexe du poussin in ovo. Le coût serait d'environ 4 euros la poule. Cette technique, qui fonctionne sur toutes les poules, a commencé à être mise en oeuvre pour quelques oeufs coquille en France.

La seconde, développée par une autre entreprise allemande, AAT, permet par imagerie spectrale de repérer les différences de coloris de l'embryon des poules brunes, les poussins en résultant étant plus bruns pour les femelles et plus jaunes pour les mâles. De même, quelques oeufs coquilles français sont commercialisés avec cette technique qui n'est pas invasive contrairement à la précédente et qui est moins onéreuse puisqu'elle reviendrait à environ 1 euro la poule.

La troisième, en cours de développement en France par l'entreprise Tronico, permet, en récupérant la membrane de la coquille d'un oeuf, d'en effectuer une analyse ADN pour identifier les chromosomes mâles et femelles. Cette technique, sans doute relativement onéreuse, n'a pas encore franchi le cap industriel.

Pour les canetons femelles, les techniques consistent, par imagerie spectrale à repérer la couleur des yeux du caneton dans l'embryon, si ces derniers sont clairs, l'embryon serait de sexe féminin ; à l'inverse, si les yeux sont de couleur foncée, l'embryon serait de sexe masculin. Les deux principaux couvoirs français ont mis en place cette technique, les petits couvoirs espérant pouvoir la déployer prochainement, mais cela a un coût important.

Les filières n'ont donc pas attendu une interdiction pour agir, cet exemple démontre combien le progrès technique ne s'oppose pas à l'écologie et au bien-être animal.

J'en viens à notre position sur cette proposition de loi. Si nous partageons unanimement ses objectifs, je crois qu'il faut en contester les modalités de mise en oeuvre et ses potentiels effets de bord. Je vous proposerai par conséquent de rejeter le texte pour quatre raisons.

D'abord, ce texte comporte des effets de bord importants. Sur le plein air, par exemple : des éleveurs de poules pondeuses viennent d'investir près de 500 millions d'euros pour passer des cages aux élevages alternatifs ; doit-on remettre en cause leurs investissements avec cette interdiction en 2040 ? Le plein air n'est, de plus, pas forcément adapté à toutes les espèces. Les filières lapins et porcines s'inquiètent du tout plein air pour leurs espèces. Le tout plein air pose des difficultés en matière de biosécurité, on l'a vu avec l'influenza aviaire récemment, avec une exposition plus forte aux risques épidémiques - le Sud-Ouest a été très touché alors que l'Ouest de la France, où le plein air est moins développé, a plutôt été épargné. Notre résilience et notre souveraineté se jouent aussi dans la complémentarité de nos élevages. Je suis donc favorable à aller vers davantage de plein air progressivement ; mais pas à marche forcée avec l'objectif d'un plein air unique et sans adaptation pour certains territoires.

Même chose pour le transport : l'article 2 réglemente les durées de transport seulement sur le territoire national ; dès lors, il deviendrait plus rentable de s'approvisionner auprès d'abattoirs étrangers, en faisant faire plus de route aux animaux, à l'opposé de l'objectif poursuivi par ce texte... Les bassins de production sont parfois très éloignés des abattoirs, nous connaissons tous la difficulté d'installer des abattoirs de proximité aujourd'hui. En limitant la durée des transports à quatre heures pour la volaille ou le lapin, dont les couvoirs et les abattoirs sont presque exclusivement dans l'Ouest, on s'interdira tout élevage de ces espèces ailleurs que dans cette partie de la France : est-ce ainsi que nous favoriserons les circuits courts et la diversification de notre agriculture ?

Le deuxième motif de rejet, c'est que cette proposition de loi accroîtrait les importations de produits qui ne respectent pas les normes que nous aurons imposées à nos éleveurs, je viens d'en donner l'exemple pour les transports.

Pour le broyage des poussins, je crois qu'il faut faire confiance aux accouveurs qui vont faire évoluer leurs modèles pour s'adapter au marché. Imposer un surcoût fort sur l'ensemble de la filière, c'est renchérir le coût des ovoproduits issus d'élevage français qui représentent 40 % de la production totale. Or, pour ces produits, le prix est essentiel : à aller trop loin, nous renforcerions la compétitivité des ovoproduits polonais qui inonderaient notre marché, alors que les poussins continueraient d'être broyés là-bas.

Pour le plein air, le problème est le même : les normes supplémentaires représenteront un surcoût considérable pour les élevages, qu'il faudra répercuter sur les prix ou compenser aux éleveurs, ce que le droit européen nous interdit.

Le risque d'un tel système édicté par le haut serait d'avoir une société scindée entre les Français qui pourront se payer une alimentation de qualité, plein air et bio, et ceux qui ne le pourront pas et qui devront consommer une alimentation importée qui ne respecte aucune norme imposée aux éleveurs français. Ce modèle est aux antipodes de celui que la France propose aujourd'hui, permettant une alimentation saine, durable et accessible à tous, présente sur toutes les gammes. Je préfère consommer un poulet français dont je suis sûre des modes d'élevage plutôt qu'un poulet polonais pour lequel nous n'avons pas prise sur les modes d'élevage, l'affaire des steaks hachés traitée par Fabien Gay en 2019 nous l'a rappelé.

Troisième motif de rejet, cette proposition de loi n'est pas réaliste. Le fonds prévu à l'article 4 est une bonne idée, parce qu'il vaut bien mieux accompagner le changement que d'y contraindre. Mais comme ce fonds est avant tout fléché sur les interdictions énoncées par les articles de ce texte, j'ai interrogé les filières sur les conséquences de celles-ci. Rien que pour le porc, le passage au tout plein air en 2040 représenterait un coût de 13 milliards d'euros et une consommation foncière équivalente à un département français ; pour les poules pondeuses, il faudrait trouver l'équivalent de la surface de la ville de Paris pour satisfaire à l'obligation. Quand on connaît les difficultés liées à l'artificialisation des sols, ces chiffres parlent d'eux-mêmes.

Le quatrième motif de rejet, enfin, qui est le plus important, est que cette proposition de loi n'est pas à la bonne échelle, qui est européenne. À défaut d'agir à cette échelle européenne, on alourdira encore les contraintes sur nos agriculteurs français, tout en exportant chez nos voisins les pratiques que la loi condamnera, en important davantage de denrées venues de chez eux. Cela ne fera aucun gagnant en matière de bien-être animal, et réduira notre souveraineté alimentaire ainsi que le bilan environnemental de notre alimentation. L'Union européenne doit nous faire collectivement évoluer, pour limiter les distorsions de concurrence.

Ce travail est d'ailleurs déjà en cours, le Parlement européen ayant adopté deux résolutions très fortes sur le transport des animaux, engageant la Commission à travailler sur le sujet. De même, l'idée d'un consortium franco-allemand pour mettre en commun les connaissances sur le sexage in ovo et faciliter ainsi la mutualisation de nos forces pour réussir le passage au stade industriel est une bonne solution, qui a été mise entre parenthèses durant la période de Covid-19, il faut la relancer.

Je ne crois pas, en revanche, que la surtransposition n'ait jamais été une solution dans le domaine agricole.

C'est pour toutes ces raisons que je vous propose de rejeter la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Merci pour ce rapport. Je suis optimiste, je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas de débat en séance plénière sur le sujet, ni pourquoi nous devrions nous contenter de renvoyer le sujet au cadre européen : notre rôle, c'est aussi de prendre des initiatives pour faire évoluer les règles européennes. Vous craignez qu'on scinde la société ? Mais vous avez entendu comme moi les industriels nous dire que le sexage des oeufs coûterait 1 centime par oeuf, un coût que le conditionnement pourrait absorber. En fait, la société est déjà scindée, le sexage des oeufs ne la scindera pas davantage, mais assurera qu'on mange mieux, que toute la société mange mieux : c'est bien là notre objectif, car pourquoi, alors que nous avons les moyens de changer les choses, faire perdurer cet état des choses où bien des gens n'ont pas accès à une alimentation de qualité ?

Ce texte est consensuel, nous l'avons conçu avec des agriculteurs que nous avons auditionnés, j'ai rencontré des agriculteurs, je pense à une ferme près de Saint-Etienne, qui m'ont démontré qu'un abattage de proximité et un élevage éthique étaient possibles et que c'est même grâce à une transition vers ce type d'élevage, qu'il était devenu possible à l'agriculteur de prendre des vacances et même de recruter. Le bien-être animal, ensuite, on ne peut le limiter à une partie seulement de l'élevage et aux seuls animaux domestiques. Nous avons besoin d'un objectif à atteindre, les dirigeants de filières ont convenu qu'ils devront y venir, vous les avez entendus comme moi - avec ce texte, nous voulons les aider à aller de l'avant, dans le dialogue.

Je vous remercie pour votre écoute, et je ne doute pas que l'avenir soit à l'élevage éthique.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Evrard

Merci pour cet excellent rapport. J'accueille cette proposition de loi avec bienveillance, elle répond à une attente des consommateurs, mais il ne faut pas brûler les étapes. Nous vous rejoignons sur le fond, mais pas sur la méthode. L'action est déjà engagée depuis la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi « Egalim », toutes les filières ont déjà des actions concrètes pour l'accès au plein air, l'enrichissement en lumière, l'alimentation animale. En janvier 2020 la filière a annoncé la fin du broyage des poussins, sans qu'il ait fallu légiférer. Le plan de relance est l'occasion d'accélérer le mouvement, le plan de modernisation des abattoirs également. J'ai visité l'abattoir de la coopérative Sicarev à Migennes, dans l'Yonne, l'un des huit abattoirs de la région Bourgogne-Franche-Comté retenus dans le cadre du plan France relance, et j'y ai constaté les engagements très concrets comme la mise en place d'équipements de confort et de surveillance.

Les agriculteurs ont pris la mesure de cette nouvelle exigence du bien-être animal, il faut les soutenir et les encourager à aller plus loin dans ce sens plutôt que de leur imposer de nouvelles obligations, c'est pourquoi ce texte ne nous paraît pas aller dans le bon sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Menonville

Je félicite notre rapporteure pour son travail, nous suivrons son avis, contre cette proposition de loi. Ce texte fait abstraction des progrès accomplis depuis des années, des nombreux investissements dans les équipements, les abattoirs, notamment dans le cadre du plan de relance. Son intitulé me déplaît également, l'élevage éthique est complexe à définir, et, en réalité, les éleveurs ont tous une éthique de leur métier. Enfin, comme vous le soulignez, l'enjeu est européen, il faut avancer avec progressivité et de manière concertée pour ne pas aggraver les distorsions de concurrence.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Le sujet est important et je remercie Mme Benbassa d'avoir parlé aussi du bien-être des éleveurs, c'est d'autant plus crucial que la période est très difficile pour les agriculteurs en général. Le contexte est difficile, on compte deux départs à retraite pour une arrivée, il y a un problème de rentabilité évidente, et finalement de souveraineté alimentaire. Les agriculteurs s'adaptent à la volonté de la société, ils s'acheminent vers une agriculture vertueuse, plus respectueuse de l'environnement, et durable. Les contraintes économiques sont très dures, et l'échelle des solutions est européenne, d'autant que les enjeux économiques sont inextricablement liés aux enjeux sociaux, environnementaux et de santé.

Je ne m'opposerai donc pas de manière catégorique à ce texte, mais je crois que le moment n'est pas le bon pour l'adopter.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Je trouve désolant de savoir à l'avance qu'un texte auquel on croit ne passera pas... même si nous aurons pour l'occasion un débat de société. En politique, je suis un homme pressé - il y a quelques années j'étais énervé, je le suis moins. Nous savons bien que les éleveurs font des efforts et que la situation évolue, mais nous voulons aller plus loin. Vous évoquez les poules pondeuses, effectivement il y a eu des progrès, mais vous oubliez de dire que ces progrès, on les doit beaucoup à l'action d'associations qui ont fait connaître les réalités au public et qui se sont battues pour le changement. Je travaille sur la sortie des cages de mise bas pour les truies, pour des maternités liberté, car la cage de maternité pour les truies, c'est abominable, les professionnels le reconnaissent. Le plein air est devenu le mode courant pour les poules sous labels, c'est donc qu'on peut y arriver.

Il faut un certain temps pour le changement, certes, mais il y a urgence. Je suis ulcéré par les dimensions prises par l'élevage industriel : dans le Morbihan, un élevage compte 172 800 poulets, une représentante de la profession nous dit qu'à 80 000 poulets, on ne rémunère qu'un mi-temps : mais où va-t-on ? Il faut s'en sortir par le haut, nous n'y parviendrons qu'en travaillant aussi sur le bien-être animal.

Les abattoirs étaient autrefois assimilés à un service public, avec un maillage territorial suffisant pour une proximité, désormais il faut déplacer les animaux. Nous devons revenir à un abattage de proximité, il y a des expérimentations d'abattage à la ferme qui fonctionnent bien. J'ai suivi notre groupe de travail « Agriculteurs en situation de détresse », il y a un lien entre les pratiques agricoles et le suicide des agriculteurs, un modèle d'agriculture plus proche pose bien moins de problèmes aux agriculteurs, il fait plus sens.

Nous devons relocaliser l'élevage et l'alimentation, c'est dans cette perspective qu'il faut comprendre - et soutenir - cette proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Duplomb

Je crois, pour commencer, qu'il y a sur le sujet un problème de langage, parce qu'on confond bien-être et maltraitance animale : la société s'émeut sur des images et des témoignages qui montrent de la maltraitance, et on ne parle pas de tous les progrès accomplis pour le bien-être animal. La maltraitance est condamnée, elle relève d'ailleurs non pas d'un seul type d'exploitation, mais se rencontre à toutes les échelles - j'ai vu en Haute-Loire des élevages de 20 vaches où les animaux étaient maltraités, la maltraitance peut être partout.

Ensuite, ce qui me révolte, comme agriculteur, c'est de voir combien les progrès massifs accomplis ces dernières années ne sont absolument pas reconnus, et qu'on en demande toujours plus aux éleveurs. Ceux qui demandent toujours plus, d'ailleurs, ne veulent subir aucun inconvénient : on demande des animaux en plein air, des abattoirs à proximité... mais loin de chez soi, bien entendu.

S'interroge-t-on au moins sur l'acceptabilité de ce « toujours plus » pour l'éleveur ? Dans une société qui travaille de moins en moins, où l'effort est toujours moins reconnu, on en demande toujours plus aux éleveurs : il y a un moment où ce n'est plus acceptable, au nom même de la fraternité. Avant d'accuser les éleveurs, commençons donc par regarder si ce qu'on leur demande est acceptable. Or certaines demandes sont absurdes, même sur le plan matériel : s'il faut un territoire grand comme un département pour mettre tous les cochons en plein air, on voit bien que ce n'est pas possible ! Et à travers de telles demandes, ne vise-t-on pas, en réalité, l'interdiction de l'élevage dans son ensemble ? Nous sommes en démocratie, chacun peut penser ce qu'il veut, mais il faut alors le dire clairement, pour que chacun puisse se prononcer dans le débat en connaissance de cause.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Salmon

Cette proposition de loi, nous l'avons travaillée pour aider à recoudre notre société fracturée. Nous en avons soupesé les mots, nous avons consulté largement, avec le sens de l'équilibre. C'est pourquoi je trouve notre rapporteure bien sévère, je maintiens que nos propositions aideront aussi à ce que les agriculteurs vivent mieux. Car s'il y a des problèmes de recrutement dans l'agriculture, ce n'est pas d'abord parce que le travail y est dur, intense, mais parce qu'il n'y est pas suffisamment rémunérateur, on ne surmontera ce problème qu'en changeant les mécanismes. Nous savons bien, aussi, que les agriculteurs n'aiment pas voir les animaux souffrir et qu'ils sont, en réalité, pour les mesures de bien-être animal.

Laurent Duplomb va trop loin dans son interprétation, je suis pour l'élevage, même si on peut penser qu'on a beaucoup de nourriture carnée, mais je suis pour le respect du bien-être animal, qui forme un ensemble, de la naissance à l'abattoir - il faut tout prendre en considération. La maltraitance suppose l'intention, alors que le bien-être, c'est un ensemble dont toutes les parties sont à considérer.

Cette loi est perfectible, il est dommage que vous la rejetiez en bloc car nous devons avancer ensemble. La France a su être un précurseur, elle a une place très importante dans l'Union européenne, à nous d'aller plus loin. Voilà nos ambitions.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Le débat est riche, le sujet est majeur. Nous avions été unanimes pour rejeter les importations venues d'autres pays de l'Union qui ne respectent pas les exigences que nous imposons à nos agriculteurs.

Il faut sortir des chocs d'images. La maltraitance existe partout, mais pas plus dans la production agricole qu'ailleurs. On ne montre jamais les images d'un agriculteur en pleurs devant l'animal qu'il vient de perdre, on ne raconte pas la vie de tous ceux qui font tout ce qu'ils peuvent pour soigner leurs bêtes - alors que ce quotidien existe, il est dur à entendre, mais c'est la réalité des fermes. On veut faire mieux, ça se comprend, mais regardons où nous en sommes par rapport à nos voisins : je suis convaincu que nous sommes loin devant pour le bien-être animal, il faut le voir pour prendre les mesures adéquates.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

Ce texte a le mérite de poser une question de société qui prend toujours plus d'ampleur pour nos concitoyens. Je suis convaincu que l'éthique ne fait jamais de mal, qu'elle aide à bien poser les questions qui nous concernent - elle participe aux transformations agro-écologiques dont nous avons besoin. Cependant, il faut prendre en compte les enjeux de l'élevage en France, en particulier les conséquences de la réforme de l'unité gros bétail (UGB) sur le cheptel bovin, j'espère que le Gouvernement saura défendre les éleveurs.

Il faut reconnaître les progrès accomplis et le chemin qui reste à parcourir. Je suis opposé à la disparition de l'élevage et je suis convaincu que les éleveurs ont intérêt à valoriser la prise en compte du bien-être animal ; il faut les y aider, par des mécanismes adaptés. Enfin, je souscris au parallèle entre le bien-être animal et le bien-être humain des éleveurs.

Nous prendrons position sur ce texte en séance plénière.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Catherine Loisier

L'intitulé de cette proposition de loi sous-entend que la majorité des éleveurs ne se soucieraient pas du bien-être animal et que l'élevage n'aurait aucune éthique, il culpabilise les éleveurs en faisant comme s'ils entretenaient des pratiques de maltraitance alors qu'en réalité, les choses évoluent rapidement, comme dans tous les secteurs d'activité. Ensuite, en ajoutant des contraintes, des obligations, on prend toujours le risque qu'elles soient contournées, et que le marché préfère importer des produits qui ne les respectent pas.

Je signale que nous avons installé une section d'études sur le bien-être animal, qui va travailler en relation étroite avec le groupe d'études sénatorial sur l'élevage, pour bien identifier les progrès possibles.

Sur ce texte, le groupe UC suivra notre rapporteure.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Louault

Je suis choqué par l'efficacité de certains lobbies qui accusent toujours plus les paysans et qui font croire à l'opinion que si tout va mal, c'est toujours la faute des paysans. Il faudrait comparer la condition animale et la condition humaine sur plusieurs décennies. Depuis soixante ans que j'ai vu la situation dans des fermes, je peux dire que les choses se sont beaucoup améliorées : j'en ai vu alors, des brutes avec les animaux, des conditions qui passaient pour normales et qui choqueraient de nos jours ! Aujourd'hui, un éleveur est heureux si ses animaux sont dans le bien-être. On se focalise sur des paysans acculés à la faillite, à la dépression et qui se mettent à maltraiter leurs animaux. Mais regardez les humains, qui, il y a cent ans, étaient proches des animaux, qui élevaient des lapins, des poules, parfois un cochon et qui, aujourd'hui, ne cultivent quasiment plus rien par eux-mêmes. Et à imposer toujours plus de normes, on avantage toujours plus l'industrialisation, en tapant au passage sur les paysans...

En réalité, les choses avancent. Quand la technique permettra d'éviter le broyage des poussins, elle sera utilisée, et pareil pour les oeufs. Mais imaginer qu'avec une agriculture baba-cool on va nourrir la France, ce n'est qu'une illusion. Sur le marché, on voit bien qui peut acheter quoi - aidons les agriculteurs à faire plus de qualité, arrêtons de caricaturer ce que font les paysans.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Rietmann

Je ne voterai pas cette proposition de loi, qui rend trop facilement le monde agricole responsable du mal-être animal. En réalité, les éleveurs prennent plus soin de leurs animaux que d'eux-mêmes. Cette proposition est empreinte de contre-vérités. Je suis vice-président d'une coopérative de transport et je peux vous assurer que la durée du transport n'est pas en elle-même un problème pour les animaux, toutes les études montrent que le stress se produit au chargement et au déchargement et que la durée n'est pas un facteur important dès lors que le camion est équipé ; pour améliorer le bien-être animal dans le transport, il vaut donc mieux agir pour la formation des bouviers, des chauffeurs, plutôt que d'obliger à réduire la durée du transport, ce qui a bien d'autres conséquences.

Ensuite, les abattoirs sont soumis à des contraintes sanitaires si poussées que les petits établissements n'ont pas les moyens de suivre et qu'on assiste alors à une concentration du secteur, qu'on déplore aussitôt, sans voir que les normes sanitaires ont un rôle direct dans le mouvement.

Enfin, le plein air ne peut pas être un objectif en soi, car des animaux ne se trouvent pas bien en plein air, selon les saisons de l'année. Et quand un éleveur laisse les chevaux dehors en hiver, on explique que c'est de la maltraitance, alors que les chevaux préfèrent l'extérieur dès lors qu'ils mangent bien... Le raisonnement vaut aussi pour les cages de maternité pour les truies : il y a quarante ans, les truies vivaient attachées et si l'on a fait des cages à maternité, c'est pour éviter qu'elles n'écrasent leurs petits dans les premiers jours, l'objectif est donc bien, ici encore, le bien-être animal, quoiqu'on en dise...

Debut de section - PermalienPhoto de Fabien Gay

Je remercie les auteurs de ce texte et notre rapporteure. Nous sommes à la croisée d'un débat citoyen, d'un débat sur la consommation, d'un débat sur l'environnement, et d'un débat sur la condition sociale des agriculteurs. À l'Assemblée nationale, le groupe Les Républicains propose de créer un code du bien-être animal, c'est bien le signe que tous les groupes politiques sont concernés.

Au passage, Madame la présidente, j'ai lu dans la presse que le Sénat bloquerait la proposition de loi contre la maltraitance animale, adoptée fin janvier à l'Assemblée nationale à l'initiative du groupe majoritaire de La République en Marche. Je signale que, s'agissant d'une proposition de loi, n'importe quel groupe peut l'inscrire à l'ordre du jour du Sénat, en particulier le groupe RDPI. On nous a dit aussi qu'il fallait voter conforme la proposition de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, ou bien que si nous la modifiions, nous empêcherions le référendum ; c'est faux, on peut tout à fait modifier le texte qui sera alors en navette. Je le dis sans détour : attention à ne pas tirer sur les institutions, ou bien on encourage la défiance et, finalement, le vote extrême.

Ensuite, je trouve ce rapport injuste envers cette proposition de loi. Il lui reproche une écologie punitive, mais la proposition est équilibrée, en particulier son article 4, qui donne toute leur place aux agriculteurs, c'est suffisamment rare dans les lois pour qu'on le souligne. Même chose pour l'interdiction sur le plein air d'ici 2040 : ce délai ouvre une période de transition, l'investissement est possible d'ici là. Ce qu'il faut parvenir à dépasser, c'est un certain type d'élevage où les animaux ne voient jamais le jour.

Nous accompagnerons ce texte en séance plénière.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Somon

En tant que vétérinaire, je me réjouis de voir que nous savons dépassionner ce débat nécessaire. Les progrès pour le bien-être animal sont considérables depuis quarante ans, les éleveurs ont fait les améliorations dont ils avaient les moyens, ils font un métier de passionnés où l'amour de l'animal a toute sa place. Le métier n'est pas attractif faute de revenus suffisants, y compris dans bien des élevages de grande taille. Les éleveurs connaissent et aiment leurs bêtes, je le vois dans mon métier, ils apprennent à détecter quand un animal est bien, ou mal, ils améliorent leurs conditions de confort quand cela leur est possible. Pensez-vous qu'ils préfèrent avoir des animaux malades ou malheureux ? Le bien-être est une condition de leur succès économique même. Deux éleveurs laitiers ont arrêté leur activité dans mon village, c'est dommage pour tout le monde -alors prenons garde à ne pas décourager la profession.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Buis

Merci à tous pour ce débat de qualité. Une remarque : il n'est pas exact de dire que les contraintes sanitaires imposent une concentration des abattoirs ; dans le Diois, nous avons monté un abattoir de proximité, qui est aux normes et qui fonctionne bien, c'est possible lorsque l'on s'en donne les moyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne Chain-Larché

Cette proposition de loi concerne un sujet de société qui nous concerne tous. Je déplore que le Sénat fasse l'objet de fake news qui visent à discréditer le travail de fond, la prise en compte du temps long, la réflexion, tout ce qui nous fait échapper à la course de l'actualité. Je suis rapporteure de la proposition de loi sur la maltraitance animale, adoptée par l'Assemblée nationale et il faut rétablir la vérité : ce texte peut tout à fait être inscrit à l'ordre du jour du Sénat par un groupe, mais ce sera alors pour quatre heures seulement de débat, ce qui paraît court pour examiner 40 articles ; en revanche, si le Gouvernement y tient, il peut l'inscrire lui-même à l'ordre du jour, et le débat pourra se prolonger en tant que de besoin.

Je signale également que le groupe d'études Élevage a créé une section d'étude « Animal et société », qui entend travailler sur tous les sujets dont nous parlons aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Le député Loïc Dombreval, rapporteur de la proposition de loi sur la maltraitance animale que l'Assemblée nationale a adoptée en janvier dernier, a dit que le Sénat se refusait à inscrire ce texte à son ordre du jour : j'ai téléphoné à notre collègue député pour dénoncer cette fake new et lui rappeler que chaque groupe pouvait inscrire le texte de son choix et que nous n'avions pas la main sur l'agenda du Gouvernement. Nous avons nommé une rapporteure sur ce texte, j'ai demandé trois fois à Marc Fesneau et à Julien Denormandie s'ils comptaient l'inscrire à l'ordre du jour, sans obtenir de réponse, j'ai signalé le problème lors de la dernière conférence des présidents, on m'a répondu qu'il y a de l'encombrement. Merci donc de m'avoir donné l'occasion de remettre les pendules à l'heure...

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Chauvin

Merci pour ce débat riche. Dans toute profession, dans tout mandat, on médiatise les difficultés, pas les succès quotidiens. Le combat doit être européen, il ne faut pas surtransposer ou bien les effets de la loi seront minimes voire feront du mal à nos agriculteurs. La volonté au niveau européen fait d'ailleurs avancer les choses, le Parlement européen a voté deux résolutions sur les transports d'animaux et la Commission travaille sur le sujet.

L'article 4 accompagne l'interdiction, et nous voulons tous des fonds pour accompagner les bonnes volontés : nous sommes pour l'incitation plutôt que la punition.

Avant de proposer ces interdictions, n'ignorons pas la réalité : la proximité, tout le monde est pour, mais on connaît les difficultés d'installer des élevages et des abattoirs ; l'ovo-sexage a des surcoûts, qui peuvent être trop importants pour l'ovoproduit, au point de menacer la filière.

Merci à Daniel Gremillet d'avoir rappelé combien les chocs d'images négatives sont terribles, et qu'il faut voir aussi l'amour pour les bêtes, la communion de l'éleveur et du bovin : soyons fiers de nos agriculteurs, soutenons-les ! Toutes les professions cherchent à faire mieux, dommage de ne pas le médiatiser davantage.

Je vous propose d'arrêter, conformément au vade-mecum sur l'application des irrecevabilités en application de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, le périmètre indicatif du projet de loi. Selon moi, sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé les dispositions relatives aux modalités d'élevage, d'abattage et de transport des animaux de rente.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Le périmètre est ainsi arrêté. Aucun amendement n'a été déposé sur cette proposition de loi. Je vous propose donc de suivre la proposition de notre rapporteure de ne pas adopter de texte. En conséquence de quoi la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Je vous propose d'entendre à présent nos collègues Jean-Baptiste Blanc, Anne-Catherine Loisier et Christian Redon-Sarrazy pour la présentation de leur rapport à trois voix sur l'objectif de « zéro artificialisation nette » à l'épreuve des territoires. C'est bien sûr un sujet que nous aurons l'occasion de discuter lors de l'examen du projet de loi Climat et Résilience.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Baptiste Blanc

Nous avons travaillé tous les trois sur l'objectif de zéro artificialisation nette à l'épreuve des territoires, et vous constaterez que nous proposons de développer le titre de ce rapport en reprenant trois propositions : territorialiser, articuler et accompagner. Au cours des auditions, nous avons rencontré des acteurs d'un bout à l'autre de la chaîne. Ce rapport vous est proposé comme une feuille de route, un outil préalable au travail législatif que nous allons mener sur le projet de loi Climat et Résilience.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Redon-Sarrazy

La mission qui nous était confiée était de mettre l'objectif de « zéro artificialisation nette », porté par le Gouvernement, à l'épreuve de nos territoires. Nous avons mené pendant près de deux mois une trentaine d'auditions. Sur ce sujet si vaste, nous avons reçu les associations d'élus, les représentants du Gouvernement et de la Convention citoyenne bien sûr ; mais aussi des urbanistes, des aménageurs publics et privés, les principaux syndicats agricoles, l'Office de la biodiversité, les représentants de la grande distribution et les logisticiens, les architectes, des professeurs de droit, des organismes de logement social, des bureaux d'études... Nous avons souhaité entendre toutes ces voix, car elles permettent de prendre la mesure de l'ampleur des enjeux soulevés. Elles reflètent aussi le dynamisme et la diversité des écosystèmes locaux. Ce sont tous ces acteurs qui font vivre les projets de territoire au quotidien, avec comme fers de lance, les collectivités locales qui sont chargées de la planification en matière d'urbanisme et d'aménagement et de sa mise en oeuvre concrète. Un dernier mot sur la méthode : notre commission examinera dans quelques semaines le projet de loi Climat et Résilience, qui comporte désormais près d'une trentaine d'articles relatifs à la lutte contre l'artificialisation. Notre rapport d'information n'a pas pour objet de se substituer au travail législatif que la commission mènera sur le texte. Il ambitionne de préparer ce travail en tirant les constats, en nuançant parfois les chiffres mis en avant par le Gouvernement, et à offrir une grille d'analyse. Il entend surtout proposer un « fil conducteur », c'est-à-dire des orientations sur lesquelles nous pourrions tous nous accorder pour entamer l'examen du projet de loi et y imprimer la marque de notre assemblée sénatoriale.

Venons-en tout d'abord aux constats. Sans vouloir citer trop de chiffres, voici les principaux : la France artificialise en moyenne 28 000 hectares par an. Selon les données, entre 5 % et 9,5 % du territoire français seraient aujourd'hui considérés comme artificialisés. Comment expliquer cette dynamique d'artificialisation ? Un temps tirée par la croissance des villes et de l'activité économique, la consommation d'espace agricoles, naturels et forestiers est aujourd'hui très majoritairement liée à la construction de logements dans les zones périurbaines. L'artificialisation est en effet le reflet des évolutions de la société : le développement des périphéries des métropoles, des zones littorales, la forte demande de logement individuel, la relative déprise agricole, mais aussi la cherté des prix du foncier qui éloigne de plus en plus les ménages.

Le rythme d'artificialisation soulève des inquiétudes légitimes. Du point de vue environnemental, elle affaiblit les continuités écologiques et détruit des réserves de biodiversité. Elle augmente le ruissellement de l'eau et appauvrit les sols du point de vue organique. Le revêtement des sols entraîne la création « d'îlots de chaleur ». D'un point de vue économique, elle pourrait interroger, à terme, la capacité de la France à assurer sa souveraineté alimentaire, alors que la surface agricole utile ne cesse de décroître. L'artificialisation peut aussi générer des « inefficacités », car l'espace n'est pas optimisé et les distances s'allongent. Or, ce sont souvent les collectivités qui portent, ensuite, l'extension des réseaux, des transports ou de certains équipements. Nous partageons bien entendu ces inquiétudes. Les modèles de développement urbain hérités des années 1970 ne sont pas durables : on ne peut pas uniquement compter sur les lotissements en zone agricole pour faire la ville. Il faut réduire non seulement le rythme de consommation d'espaces, mais aussi les actes d'artificialisation au sein même des espaces. Les Français demandent aujourd'hui davantage de responsabilité lorsque l'on fait la ville à la compagne, et ils souhaitent intégrer davantage de nature en ville.

La Convention citoyenne s'est fait l'écho de ces préoccupations légitimes. Elle a formulé treize propositions en matière de lutte contre l'artificialisation des sols, allant d'un objectif chiffré de réduction de l'artificialisation nouvelle, au gel de l'implantation de nouvelles zones commerciales et artisanales, en passant par une obligation d'étudier la réversibilité des bâtiments avant leur démolition. Certaines de ces mesures sont traduites dans le projet de loi Climat et Résilience. Sans rentrer dans les détails, nous souhaitons toutefois souligner qu'il existe d'importantes divergences entre les propositions de la Convention et celles du Gouvernement, à la fois sur la méthode, les outils et les cibles. Deux exemples : si la Convention propose de réduire de 25 % l'artificialisation par rapport aux vingt ans passés, le Gouvernement propose 50 % par rapport aux dix ans passés. De plus, le Gouvernement a inscrit dans le projet de loi l'objectif de « zéro artificialisation nette » en 2050, qu'il défend depuis 2018 ; alors que cet objectif n'est pas explicitement porté par la Convention citoyenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Catherine Loisier

Nous avons conçu ce rapport comme un outil d'aide à la réflexion qui permette à nos collègues de s'appuyer sur une analyse récente et factuelle de ce qui a été fait, ou pas, jusqu'à aujourd'hui pour lutter contre l'artificialisation. Notre rapport souligne que les propositions de la Convention citoyenne ne s'écrivent pas sur une page blanche, loin de là. L'effort de sobriété foncière est déjà enclenché depuis de nombreuses années dans nos territoires. Certains de nos collègues se souviendront sans doute des débats parlementaires passionnés lors des lois Grenelle II ou ALUR, textes qui avaient considérablement renforcé les volets environnementaux des documents d'urbanisme. Nous avons vécu, dans chacun de nos territoires, l'élaboration des premiers PLU, des premiers SCoT, et la longue liste d'exigences de diagnostics, d'études préalables à conduire pour chacun d'entre eux ; la fixation d'objectifs chiffrés ; les bilans périodiques... De fait, le cadre législatif a été considérablement renforcé au cours des vingt dernières années, et il est impossible aujourd'hui, pour une commune ou un EPCI, d'ignorer l'impératif de réduction de la consommation d'espaces agricoles, naturels et forestiers. Plus récemment, vous avez peut-être déjà ressenti au niveau local l'impact de la circulaire de 2019, qui a demandé aux préfets la plus grande fermeté sur le contrôle de l'urbanisation nouvelle. Ainsi, près de 60 % des SCoT se sont déjà fixé un objectif de réduction de la consommation d'espace de 50 % au moins. Dans les PLU, les ouvertures à l'urbanisation sont strictement encadrées : des études de densification doivent être conduites et les ouvertures dûment justifiées. Le rapport présente de nombreux exemples de communes et EPCI qui ont déjà « rétrozoné » en zones naturelles ou agricoles des centaines d'hectares auparavant classés « à urbaniser ».

Au niveau des projets individuels, les exigences d'évaluation environnementale et de compensation ont été significativement renforcées. Les règles de constructibilité liées au zonage sont aujourd'hui assez restrictives, ce que déplorent d'ailleurs nombre de nos élus ruraux. Les initiatives concrètes se multiplient en faveur de la densification, de la revitalisation des bourgs, de la rénovation de logements, de la maîtrise des surfaces commerciales, du recyclage de friches ou encore de la végétalisation des villes. Bien sûr, tous ces efforts ne produiront leur plein effet que dans le temps long de l'urbanisme : les documents ont mis du temps à se transformer, et les projets émergent. Mais une évolution favorable du rythme d'artificialisation se dessine depuis 2009. La consommation des terres agricoles a ralenti de 58 % depuis 1990. Nos territoires sont donc déjà fortement responsabilisés à la sobriété foncière, et construisent les villes de demain, pas celles d'hier. Il n'en reste pas moins que ces efforts doivent se poursuivre.

Notre travail révèle toutefois que la lutte contre l'artificialisation peut mettre les collectivités face à de vrais dilemmes. En effet, les sols sont le carrefour des politiques publiques. Dans notre pays, qui connaît toujours une importante crise du logement, le foncier est au centre de l'attention. C'est sa rareté et sa cherté qui contraint souvent l'offre de logement. Dans les communes de zones tendues ou soumises à la loi SRU, une forte restriction de la constructibilité nouvelle pourrait rentre très difficile l'atteinte des objectifs de mixité sociale. En outre, les maires nous alertent sur l'empilement de législations, dont les effets cumulés pourraient conduire à « geler » le développement de certains territoires : quelles seront les marges de manoeuvre dans les communes soumises à la fois à la loi Montagne, la loi Littoral, la loi SRU, et à des objectifs très ambitieux de lutte contre l'artificialisation ? Il y a là d'importants enjeux de cohésion territoriale et sociale. Nous savons que des pans de nos territoires sont trop souvent regardés comme « périphériques ». Il faut garantir à tous les territoires les mêmes opportunités de développement démographique et économique et répondre au besoin fort de proximité. Il est vital de permettre l'installation de jeunes ménages dans les communes rurales, qui trouvent aujourd'hui un regain d'attractivité qu'il faut encourager. Il faut permettre à l'activité économique, notamment industrielle, de se réimplanter dans les bassins locaux. À défaut, le risque serait de créer des « laissés pour compte », voire des gilets jaunes de la lutte contre l'artificialisation... Rappelons au passage que plus de la moitié des Français sont propriétaires fonciers et souhaitent construire. Or nous calculons que ce pourraient être jusqu'à 100 000 terrains, chaque année, qui deviendraient inconstructibles si l'on applique l'objectif de réduction proposé par le Gouvernement. Cela pourrait avoir un impact énorme sur le patrimoine de nos concitoyens et leurs projets de vie. Tout le monde ne souhaite pas vivre dans les métropoles, et le besoin de proximité à la nature est très fort.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Baptiste Blanc

Alors, partageant une ambition forte de sobriété foncière, mais ayant à l'esprit les nombreux enjeux que nous venons de décrire, quelle est notre « feuille de route » pour un effort supplémentaire de lutte contre l'artificialisation ? Nous la résumons en trois principes : territorialiser, articuler, accompagner.

Territorialiser d'abord, car il nous semble que c'est l'échelon de proximité qui est le plus pertinent pour mener cette bataille. Les élus connaissent leur territoire et la multiplicité d'enjeux. Les taux d'artificialisation varient de 4 à 20 % selon les régions, et les rythmes aussi. Les différences sont encore plus marquées entre intercommunalités. Or, le Gouvernement entend fixer, au niveau régional, un objectif uniforme de 50 % de réduction sur dix ans, inscrit dans les SRADDET et prescriptif pour les SCoT, PLU et cartes communales. Cette approche comptable et centralisée n'est pas acceptable. Respectons les compétences décentralisées des collectivités, qui fixent, en responsabilité, les objectifs les plus adaptés à leur réalité. Les discussions à l'Assemblée se sont empêtrées sur une liste de critères de répartition de ces « quotas » d'artificialisation : on se trompe de débat. Plutôt que d'instaurer des dérogations sans fin, appuyons-nous sur la connaissance du territoire et les dynamiques locales déjà enclenchées. En outre, le Gouvernement n'a pas pris la mesure de ce que cela impliquerait : réviser une grande partie des documents d'urbanisme de France dans des délais intenables et des coûts toujours plus importants... Nous savons le temps et le coût que ces évolutions représentent. Si l'on veut que les efforts de sobriété foncière payent, il faut s'assurer de l'adhésion tant des élus que des citoyens, sur la méthode et sur le fond.

Articuler ensuite, car nous avons vu que l'artificialisation est le symptôme de tendances de fond. Il est impensable de chercher à la réduire sans traiter le vrai sujet de la rareté du foncier, sans prendre en compte les objectifs en matière de logement. Nous estimons que la construction de logement pourrait être réduite d'un quart si l'on applique la cible fixée par le Gouvernement. A l'heure où l'on parle de relocalisation, de revitalisation des territoires, il ne faut pas traiter les sujets en silo. L'approche décentralisée que nous défendons permet de réaliser cette articulation des politiques publiques à un niveau de proximité. Les documents d'urbanisme existants doivent déjà opérer cette conciliation entre protection des espaces, développement économique, logement, mobilités... Nous recommandons d'ailleurs de faire une revue des « injonctions contradictoires » de politique publique. La fiscalité par exemple, en matière de logement et d'aménagement, a souvent des effets incitatifs à l'artificialisation. A l'inverse, il ne faudrait pas réduire à néant les efforts en faveur des zones de revitalisation rurale par un gel de la construction.

Accompagner enfin, car il nous semble que les propositions du Gouvernement doivent entrer dans le concret : il ne suffit pas de fixer un objectif surplombant aux collectivités, il faut s'assurer que les moyens sont là. Nous relevons par exemple que personne ne s'accorde sur la définition même des terres artificialisées. Celle proposée dans le projet de loi nous semble inopérante et incompréhensible pour les maires. Il faut fournir une définition opérationnelle du point de vue de l'urbanisme, pour intégrer cet enjeu à la planification locale. Accompagner, c'est évoquer les outils réglementaires qui doivent être complétés, voire inventés, pour répondre aux besoins des maires. L'ensemble des documents d'urbanisme doit s'inscrire dans une logique d'évaluation périodique au regard des objectifs fixés. Le ciblage du zonage pourrait être affiné, pour mieux identifier par exemple les zones à « désartificialiser » ou à réhabiliter. Le traitement des friches doit être facilité, et les opérations vertueuses encouragées tant par la fiscalité que par des « bonus » réglementaires. Le recours aux établissements publics fonciers locaux (EPFL) doit être facilité et leur couverture territoriale améliorée. Ensuite, le modèle économique de la lutte contre l'artificialisation doit être repensé. Trop souvent, la charge en incombe aux seules collectivités, déjà impactées par la réforme de la fiscalité locale et l'extension de leurs champs d'action. Certains programmes partenariaux pourraient être étendus, comme Petites villes de demain, pour aider à concrétiser les projets de territoires. Nous demandons aussi la pérennisation du « Fonds friches » créé dans le cadre de la relance, qui ne pourra financer que 150 hectares de réhabilitation. Il nous semble par ailleurs que l'impact des objectifs de lutte contre l'artificialisation sur les budgets locaux devra être précisément évalué et suivi. Enfin, la sensibilisation, tant des élus que des citoyens, sera clef pour assurer l'adhésion de tous et l'acceptabilité des nouveaux efforts.

Voici donc, chers collègues, les trois principes que nous défendons pour un effort supplémentaire de lutte contre l'artificialisation. La prise de conscience est là et l'ambition est partagée. Mais l'approche centralisée et uniforme défendue dans le projet de loi Climat et résilience n'est pas, selon nous, la bonne, elle ne sera pas opérationnelle. Nous proposons donc une alternative : une politique de lutte contre l'artificialisation co-construite avec les collectivités, qui la porteront, en responsabilité, dans les territoires. Alors que le projet de loi « 4D » devrait être soumis au Sénat en juillet prochain, nous souhaitons mettre en application dès maintenant ses objectifs : différencier, décentraliser, déconcentrer et décomplexifier.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Merci pour la qualité de votre travail. J'abonde dans votre sens : nous aurons effectivement ces discussions sur l'objectif de « zéro artificialisation nette » en séance publique dans le cadre du projet de loi Climat tandis que le projet de loi 4D sera simultanément examiné en commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Létard

Ce travail synthétise tous les enjeux, interrogations, préoccupations des élus et acteurs économiques et institutionnels dans nos territoires. Si cet objectif de zéro artificialisation nette est louable et partagé, sa mise en oeuvre suscite de vraies inquiétudes du fait d'une approche très normative et descendante.

Dans mon territoire, nous avons appliqué dans les années 2008-2010 un SCoT « grenellisé » qui prévoyait une réduction de la consommation d'espace par un facteur 4. Demain, qui sait quelle période sera prise en compte pour comptabiliser ce qui a déjà été fait ? Nous avons mené un vrai travail de requalification et Toyota est aujourd'hui le poumon économique de notre territoire, avec 4000 emplois et le double d'emplois induits. L'implantation a nécessité 250 hectares de terres agricoles qui ont été intégralement compensés. S'il avait fallu aujourd'hui appliquer des règles prescriptives et descendantes avant de pouvoir mobiliser ces terres, Toyota se serait installé ailleurs et la mutation industrielle de notre territoire sur des véhicules propres n'aurait pas eu lieu. J'irai même plus loin : aujourd'hui, nous avons prévu dans notre SCoT une réserve qui n'est pas urbanisée mais identifiée pour la relocalisation potentielle d'une entreprise industrielle. C'est capital car nous sommes dans un territoire où il existe une culture industrielle, une main d'oeuvre et des capacités. Pour trouver un équilibre entre les enjeux sociaux et environnementaux, économiques et écologiques, les territoires doivent conserver des marges de manoeuvre. Ce qui a été dit sur les zones de redynamisation rurale est également vrai pour la production de logements sociaux : dans certaines zones tendues avec peu de surface disponible, pour atteindre les objectifs de la loi SRU, les communes doivent racheter des logements individuels pavillonnaires et les raser pour reconstruire des logements collectifs : c'est une politique d'urbanisme qui interroge.

Nous devons être vigilants : le texte qui nous vient de l'Assemblée est prescriptif. Dans les SRADDET, l'objectif est dans le fascicule du schéma, il s'impose strictement à tous les territoires. Comment va-t-il être mis en oeuvre et décliné sur le plan territorial ? Certains territoires vertueux, mais très denses, ne pourront pas satisfaire leurs besoins de surfaces.

L'objectif est vertueux et fait consensus, mais n'excluons pas les territoires de la règle du jeu. Ne laissons pas l'État arriver avec sa feuille de route et ses exigences sans prendre en compte la réalité du terrain. Il faut conjuguer vertu et adaptation territoriale.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Cela posera évidemment la question de la déconcentration et du soutien local de l'État dans chaque territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Pour avoir assisté à quelques auditions, je souhaite remercier les rapporteurs pour la qualité de leur travail, mené avec beaucoup de raison. Effectivement, il faudra traduire ce travail dans le texte qui arrive, et prendre en compte ce qui a déjà été fait dans les territoires par les élus locaux. Ce sujet de l'artificialisation des sols doit tous nous rassembler, car il concerne tant le milieu rural que le milieu urbain, la production agricole tant alimentaire que forestière. Si ce sujet est mal traité, le développement économique et la présence humaine seront menacés. Quand les enfants du village ne peuvent pas y construire, on s'achemine vers la mort du village ! Il nous faut une capacité d'intervention sur le droit de propriété et cela nécessite des moyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylviane Noël

Avec Jean-Baptiste Blanc, nous avons eu l'occasion de mener avec les élus de mon département une réunion très constructive sur le sujet. Ils sont extrêmement inquiets des conséquences de ce dispositif, ne serait-ce que pour répondre aux injonctions nombreuses de l'État en matière d'objectifs de construction de logements sociaux, de réalisation d'aires d'accueil des gens du voyage, d'application de la loi Montagne et de la loi Littoral. Il y a une véritable schizophrénie qu'il faut dénoncer. Cela pose également la question du mode de financement futur de nos collectivités locales, puisque les ressources propres de nos communes sont encore dépendantes du foncier. Qu'en sera-t-il demain si ce n'est plus le cas ? Enfin, je crains vraiment que nos territoires ruraux paient un lourd tribut à ce dispositif et ne deviennent que les cautions environnementales du développement des grandes métropoles.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Létard

Je souhaite compléter mon propos par la question des moyens. Reconquérir la ville sur la ville, requalifier des friches industrielles polluées pour les réaffecter à une seconde vie coûte très cher. Dans ma région, le « Fonds friches » s'élève à 8 millions d'euros par an, soit la moitié de la somme nécessaire pour requalifier une seule des huit friches du site de Vallourec à Valenciennes. Ce fonds est donc notoirement insuffisant : l'État ne peut instruire que les petits dossiers de reconquête de friches car l'enveloppe n'est pas dimensionnée pour des projets de grande envergure, alors même qu'il serait plus utile de se concentrer sur ces derniers. Il faudra dégager des moyens à la hauteur des ambitions, pour sortir de ces injonctions contradictoires et aller plus loin dans la reconquête des friches.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Salmon

Nous sommes face à la quadrature du cercle, avec cette nécessité d'arrêter l'hémorragie des terres agricoles et l'expansion infinie des villes qui les grignotent. Toutefois on ne peut pas partir d'une page blanche pour des territoires historiquement très différents. Certains d'entre eux possèdent des centaines, voire des milliers d'hectares de friches industrielles, d'autres très peu voire aucune. « Le Fonds friches » de 300 millions d'euros permet la réhabilitation de 600 hectares ce qui est très peu. Développer ce fonds sera une obligation, car nous ne pouvons pas continuer à voir des zones d'activités s'étendre tout en étant à moitié vides. Il faudra également différencier l'affectation des sols entre le logement, l'utilisation commerciale ou industrielle. Nous nous abstiendrons sur ce rapport.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Nous devons être conscients des abus en matière d'artificialisation. En 40 ans dans l'Hérault, 25 % de la surface agricole utile a été perdue. Toutefois, il est incompréhensible que la même méthode soit imposée à tous. Les études d'impact ne sont pas les mêmes dans la métropole montpelliéraine qu'à La Salvetat-sur-Agout ! De plus, il est impératif de différencier les communes vertueuses de celles qui ont abusé de l'artificialisation. Un changement de méthode s'impose, d'autant que l'inquiétude des élus est vive.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Salmon

Je souhaite revenir sur la question du logement. Nous devrons nous saisir du sujet des trois millions de logements vacants en France, lié au sujet de la nécessaire rénovation thermique. Enfin, une autre situation interroge : celle des territoires comme certaines zones littorales de Bretagne qui comprennent 80 % de résidences secondaires occupées un mois dans l'année. Ceux qui travaillent sur le littoral et dont les revenus sont souvent peu élevés, doivent résider à l'intérieur des terres à 40 km de là, cela pose un problème d'égalité.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Notre groupe va s'abstenir pour le vote de ce rapport, mais il s'agit d'une abstention positive. Je reconnais le travail de fond mené par les trois rapporteurs, avec une recherche d'objectivité et d'efficience. Les compléments apportés par Valérie Létard étaient également pertinents. La question de la territorialisation se pose de façon majeure : certes, il y a les grandes lignes de l'État, mais la déclinaison dans les territoires doit s'opérer dans un cadre bien défini. Sur ce type de débat, nous pourrions arriver à une expression du Sénat, avec peut-être certaines adaptations. La consommation d'espace ces vingt dernières années a été terrible ; sans passer d'un excès à un autre, il faut en tirer les leçons.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Catherine Loisier

Je souhaiterais insister sur le triptyque développé par Jean-Baptiste Blanc, car il s'agit d'une inversion de la méthode aujourd'hui proposée dans le projet de loi Climat et Résilience, avec une logique ascendante qui part des territoires et non l'inverse. Ce mouvement a du sens, nous le retrouverons également dans la loi « 4D ».

Je voudrais également évoquer la sensibilisation des territoires. Il est souvent question de la réalité des élus, mais l'approche des populations me semble sous-estimée, car derrière la lutte contre l'artificialisation se cache la problématique d'un nouvel habitat et d'une autre façon de vivre en ville et à la campagne. Un travail en lien avec nos concitoyens permettra une meilleure acceptation sur les territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Nous n'avons pas épuisé le sujet, car nous auditionnerons cet après-midi Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée chargée du Logement. Je vais mettre au vote ce rapport, dont l'intitulé est le suivant : « La lutte contre l'artificialisation à l'épreuve des territoires : territorialiser, articuler, accompagner ».

Le rapport est adopté et je remercie les rapporteurs pour leur travail.

La commission des affaires économiques autorise la publication du rapport d'information.