Intervention de Anne-Catherine Loisier

Commission des affaires économiques — Réunion du 12 mai 2021 à 9h35
Objectif de « zéro artificialisation nette » à l'épreuve des territoires — Présentation du rapport d'information

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier :

Nous avons conçu ce rapport comme un outil d'aide à la réflexion qui permette à nos collègues de s'appuyer sur une analyse récente et factuelle de ce qui a été fait, ou pas, jusqu'à aujourd'hui pour lutter contre l'artificialisation. Notre rapport souligne que les propositions de la Convention citoyenne ne s'écrivent pas sur une page blanche, loin de là. L'effort de sobriété foncière est déjà enclenché depuis de nombreuses années dans nos territoires. Certains de nos collègues se souviendront sans doute des débats parlementaires passionnés lors des lois Grenelle II ou ALUR, textes qui avaient considérablement renforcé les volets environnementaux des documents d'urbanisme. Nous avons vécu, dans chacun de nos territoires, l'élaboration des premiers PLU, des premiers SCoT, et la longue liste d'exigences de diagnostics, d'études préalables à conduire pour chacun d'entre eux ; la fixation d'objectifs chiffrés ; les bilans périodiques... De fait, le cadre législatif a été considérablement renforcé au cours des vingt dernières années, et il est impossible aujourd'hui, pour une commune ou un EPCI, d'ignorer l'impératif de réduction de la consommation d'espaces agricoles, naturels et forestiers. Plus récemment, vous avez peut-être déjà ressenti au niveau local l'impact de la circulaire de 2019, qui a demandé aux préfets la plus grande fermeté sur le contrôle de l'urbanisation nouvelle. Ainsi, près de 60 % des SCoT se sont déjà fixé un objectif de réduction de la consommation d'espace de 50 % au moins. Dans les PLU, les ouvertures à l'urbanisation sont strictement encadrées : des études de densification doivent être conduites et les ouvertures dûment justifiées. Le rapport présente de nombreux exemples de communes et EPCI qui ont déjà « rétrozoné » en zones naturelles ou agricoles des centaines d'hectares auparavant classés « à urbaniser ».

Au niveau des projets individuels, les exigences d'évaluation environnementale et de compensation ont été significativement renforcées. Les règles de constructibilité liées au zonage sont aujourd'hui assez restrictives, ce que déplorent d'ailleurs nombre de nos élus ruraux. Les initiatives concrètes se multiplient en faveur de la densification, de la revitalisation des bourgs, de la rénovation de logements, de la maîtrise des surfaces commerciales, du recyclage de friches ou encore de la végétalisation des villes. Bien sûr, tous ces efforts ne produiront leur plein effet que dans le temps long de l'urbanisme : les documents ont mis du temps à se transformer, et les projets émergent. Mais une évolution favorable du rythme d'artificialisation se dessine depuis 2009. La consommation des terres agricoles a ralenti de 58 % depuis 1990. Nos territoires sont donc déjà fortement responsabilisés à la sobriété foncière, et construisent les villes de demain, pas celles d'hier. Il n'en reste pas moins que ces efforts doivent se poursuivre.

Notre travail révèle toutefois que la lutte contre l'artificialisation peut mettre les collectivités face à de vrais dilemmes. En effet, les sols sont le carrefour des politiques publiques. Dans notre pays, qui connaît toujours une importante crise du logement, le foncier est au centre de l'attention. C'est sa rareté et sa cherté qui contraint souvent l'offre de logement. Dans les communes de zones tendues ou soumises à la loi SRU, une forte restriction de la constructibilité nouvelle pourrait rentre très difficile l'atteinte des objectifs de mixité sociale. En outre, les maires nous alertent sur l'empilement de législations, dont les effets cumulés pourraient conduire à « geler » le développement de certains territoires : quelles seront les marges de manoeuvre dans les communes soumises à la fois à la loi Montagne, la loi Littoral, la loi SRU, et à des objectifs très ambitieux de lutte contre l'artificialisation ? Il y a là d'importants enjeux de cohésion territoriale et sociale. Nous savons que des pans de nos territoires sont trop souvent regardés comme « périphériques ». Il faut garantir à tous les territoires les mêmes opportunités de développement démographique et économique et répondre au besoin fort de proximité. Il est vital de permettre l'installation de jeunes ménages dans les communes rurales, qui trouvent aujourd'hui un regain d'attractivité qu'il faut encourager. Il faut permettre à l'activité économique, notamment industrielle, de se réimplanter dans les bassins locaux. À défaut, le risque serait de créer des « laissés pour compte », voire des gilets jaunes de la lutte contre l'artificialisation... Rappelons au passage que plus de la moitié des Français sont propriétaires fonciers et souhaitent construire. Or nous calculons que ce pourraient être jusqu'à 100 000 terrains, chaque année, qui deviendraient inconstructibles si l'on applique l'objectif de réduction proposé par le Gouvernement. Cela pourrait avoir un impact énorme sur le patrimoine de nos concitoyens et leurs projets de vie. Tout le monde ne souhaite pas vivre dans les métropoles, et le besoin de proximité à la nature est très fort.

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