Alors, partageant une ambition forte de sobriété foncière, mais ayant à l'esprit les nombreux enjeux que nous venons de décrire, quelle est notre « feuille de route » pour un effort supplémentaire de lutte contre l'artificialisation ? Nous la résumons en trois principes : territorialiser, articuler, accompagner.
Territorialiser d'abord, car il nous semble que c'est l'échelon de proximité qui est le plus pertinent pour mener cette bataille. Les élus connaissent leur territoire et la multiplicité d'enjeux. Les taux d'artificialisation varient de 4 à 20 % selon les régions, et les rythmes aussi. Les différences sont encore plus marquées entre intercommunalités. Or, le Gouvernement entend fixer, au niveau régional, un objectif uniforme de 50 % de réduction sur dix ans, inscrit dans les SRADDET et prescriptif pour les SCoT, PLU et cartes communales. Cette approche comptable et centralisée n'est pas acceptable. Respectons les compétences décentralisées des collectivités, qui fixent, en responsabilité, les objectifs les plus adaptés à leur réalité. Les discussions à l'Assemblée se sont empêtrées sur une liste de critères de répartition de ces « quotas » d'artificialisation : on se trompe de débat. Plutôt que d'instaurer des dérogations sans fin, appuyons-nous sur la connaissance du territoire et les dynamiques locales déjà enclenchées. En outre, le Gouvernement n'a pas pris la mesure de ce que cela impliquerait : réviser une grande partie des documents d'urbanisme de France dans des délais intenables et des coûts toujours plus importants... Nous savons le temps et le coût que ces évolutions représentent. Si l'on veut que les efforts de sobriété foncière payent, il faut s'assurer de l'adhésion tant des élus que des citoyens, sur la méthode et sur le fond.
Articuler ensuite, car nous avons vu que l'artificialisation est le symptôme de tendances de fond. Il est impensable de chercher à la réduire sans traiter le vrai sujet de la rareté du foncier, sans prendre en compte les objectifs en matière de logement. Nous estimons que la construction de logement pourrait être réduite d'un quart si l'on applique la cible fixée par le Gouvernement. A l'heure où l'on parle de relocalisation, de revitalisation des territoires, il ne faut pas traiter les sujets en silo. L'approche décentralisée que nous défendons permet de réaliser cette articulation des politiques publiques à un niveau de proximité. Les documents d'urbanisme existants doivent déjà opérer cette conciliation entre protection des espaces, développement économique, logement, mobilités... Nous recommandons d'ailleurs de faire une revue des « injonctions contradictoires » de politique publique. La fiscalité par exemple, en matière de logement et d'aménagement, a souvent des effets incitatifs à l'artificialisation. A l'inverse, il ne faudrait pas réduire à néant les efforts en faveur des zones de revitalisation rurale par un gel de la construction.
Accompagner enfin, car il nous semble que les propositions du Gouvernement doivent entrer dans le concret : il ne suffit pas de fixer un objectif surplombant aux collectivités, il faut s'assurer que les moyens sont là. Nous relevons par exemple que personne ne s'accorde sur la définition même des terres artificialisées. Celle proposée dans le projet de loi nous semble inopérante et incompréhensible pour les maires. Il faut fournir une définition opérationnelle du point de vue de l'urbanisme, pour intégrer cet enjeu à la planification locale. Accompagner, c'est évoquer les outils réglementaires qui doivent être complétés, voire inventés, pour répondre aux besoins des maires. L'ensemble des documents d'urbanisme doit s'inscrire dans une logique d'évaluation périodique au regard des objectifs fixés. Le ciblage du zonage pourrait être affiné, pour mieux identifier par exemple les zones à « désartificialiser » ou à réhabiliter. Le traitement des friches doit être facilité, et les opérations vertueuses encouragées tant par la fiscalité que par des « bonus » réglementaires. Le recours aux établissements publics fonciers locaux (EPFL) doit être facilité et leur couverture territoriale améliorée. Ensuite, le modèle économique de la lutte contre l'artificialisation doit être repensé. Trop souvent, la charge en incombe aux seules collectivités, déjà impactées par la réforme de la fiscalité locale et l'extension de leurs champs d'action. Certains programmes partenariaux pourraient être étendus, comme Petites villes de demain, pour aider à concrétiser les projets de territoires. Nous demandons aussi la pérennisation du « Fonds friches » créé dans le cadre de la relance, qui ne pourra financer que 150 hectares de réhabilitation. Il nous semble par ailleurs que l'impact des objectifs de lutte contre l'artificialisation sur les budgets locaux devra être précisément évalué et suivi. Enfin, la sensibilisation, tant des élus que des citoyens, sera clef pour assurer l'adhésion de tous et l'acceptabilité des nouveaux efforts.
Voici donc, chers collègues, les trois principes que nous défendons pour un effort supplémentaire de lutte contre l'artificialisation. La prise de conscience est là et l'ambition est partagée. Mais l'approche centralisée et uniforme défendue dans le projet de loi Climat et résilience n'est pas, selon nous, la bonne, elle ne sera pas opérationnelle. Nous proposons donc une alternative : une politique de lutte contre l'artificialisation co-construite avec les collectivités, qui la porteront, en responsabilité, dans les territoires. Alors que le projet de loi « 4D » devrait être soumis au Sénat en juillet prochain, nous souhaitons mettre en application dès maintenant ses objectifs : différencier, décentraliser, déconcentrer et décomplexifier.