Intervention de Cyril Pellevat

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 12 mai 2021 à 9h30
Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'union européenne dans le domaine des transports de l'environnement de l'économie et des finances — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Cyril PellevatCyril Pellevat, rapporteur :

Comme cela vient d'être rappelé, nous devons examiner le chapitre Ier, ainsi que les chapitres II et IV, soit 31 articles sur 42. Le projet de loi qui nous est soumis est hétéroclite, mais il s'inscrit, à mon sens, dans quatre logiques distinctes, qui lui confèrent une grande actualité.

Premièrement, il tend à préparer, dans les meilleures conditions possibles, la présidence de la France au Conseil de l'Union européenne qui débutera au premier semestre 2022. Il s'agira d'un moment exceptionnel pour notre pays qui, six mois durant, sera au tout premier plan de la scène européenne. La France bénéficiera d'une visibilité forte ; il est donc essentiel de lui permettre d'endosser cette responsabilité européenne avec exemplarité.

Ainsi, ce texte a vocation à réaménager des pans divers de notre droit, afin d'assurer une conformité parfaite de la France à ses engagements européens : il vise à parachever la transposition de 12 directives et à mettre le droit français en conformité avec 15 règlements européens. À ce titre, il concerne un large éventail de sujets : protection des cétacés, télépéage sur les autoroutes, sécurité aérienne, pollution liée au mercure, etc.

Il vise autant à tirer les conséquences de réglementations récentes, comme le paquet Mobilité, adopté en 2020, qu'à procéder à la transposition de textes anciens tels que la directive dite « habitats » de 1999.

Deuxièmement, ce texte cherche à nous prémunir contre toute procédure contentieuse engagée à l'encontre de la France. Deux articles ont précisément pour objet de répondre à une mise en demeure prononcée par la Commission européenne : l'article 31, qui introduit un système de suivi des captures et des morts accidentelles d'espèces protégées causées par certaines activités anthropiques, telles que la pêche ou le bâtiment et travaux publics (BTP) ; l'article 32, qui définit la notion d'« information environnementale ».

Troisièmement, le projet de loi comporte des mesures destinées à atténuer les effets de la crise sanitaire et du Brexit sur certains secteurs. Ainsi, l'article 19 vise à maintenir la possibilité pour les ferries qui naviguent entre la France et le Royaume-Uni d'exploiter des casinos. À terre, les casinos ne peuvent exploiter des machines à sous qu'en association avec des tables de jeu.

En 2016, lors de l'examen de la loi pour l'économie bleue par le Sénat, une dérogation avait été introduite pour les navires. Cette mesure visait à placer la flotte française dans des conditions de concurrence équitables avec la concurrence étrangère, notamment britannique.

Les machines à sous sont essentielles à l'équilibre financier des compagnies de ferries françaises, qui ont été fortement fragilisées par la crise. Je vous propose le maintien de cette mesure, car elle s'inscrit dans la continuité de la position manifestée par le Sénat lors de son introduction initiale en 2016.

L'article 21, quant à lui, prévoit d'atténuer l'impact de la crise sur la pension des marins : ils sont nombreux à avoir été placés en situation d'activité partielle du fait de l'épidémie de covid-19. Je me réjouis de cette avancée sociale, mais regrette que le Gouvernement n'ait pas souhaité aller plus loin en l'étendant à l'ensemble des marins placés en activité partielle depuis mars 2020.

Au cours des auditions, les gens de mer, qui affrontent avec un courage exceptionnel une situation générale très difficile, m'ont fait état de la situation de certains de leurs collègues, contraints de retarder leur départ en retraite de plusieurs mois afin de bénéficier du montant de pension auquel ils auraient eu droit si la crise sanitaire ne les avait pas frappés.

Enfin, quatrièmement, j'identifie un ultime axe : l'articulation de ce texte avec le projet de loi Climat et résilience - nous l'examinerons dans les prochaines semaines -, en tant qu'il comporte sept articles relatifs à la prévention des risques liés à la pollution et à la protection de l'environnement.

Comme son intitulé l'indique, ce projet de loi a de nombreuses facettes. Dans son avis, le Conseil d'État a signalé le niveau de difficulté du texte, indiquant que ses dispositions sont à la fois « nombreuses, complexes et spécifiques ». Cela permet d'ailleurs d'atténuer un peu la réticence habituelle du Sénat à accepter des habilitations à légiférer par ordonnances, car il y a peu d'intérêt pour le législateur à explorer le labyrinthe des actualisations de références européennes ou des ajustements purement techniques de certains dispositifs. Parmi les 42 articles qui composent ce texte, 7 d'entre eux comportent des habilitations à légiférer par ordonnances et 5 d'entre elles relèvent du périmètre de notre commission. Toutefois, dans les interstices de la complexité de ce projet de loi, j'ai pu déceler des sujets de fond et des points potentiellement sensibles, sur lesquels je vous proposerai des solutions de sagesse sénatoriale.

J'en viens désormais au contenu des articles.

Afin d'éviter de dresser un inventaire à la Prévert, et compte tenu de la longueur du texte, je vous propose de procéder par chapitre, en m'arrêtant sur certains points saillants.

Le chapitre Ier concerne l'aviation civile. Nombre de ses dispositions sont destinées à renforcer la sécurité aérienne.

L'article 1er prévoit d'instaurer des tests d'alcoolémie et de substances psychoactives pour le personnel navigant, en réaction au drame du crash de la Germanwings, survenu dans les Alpes en 2015. Je vous soumettrai un amendement destiné à appeler l'attention du Gouvernement sur la nécessité de mettre en place un dispositif efficace et respectueux de la vie privée des personnels.

Comme l'a montré la pandémie, les tests ne sont pas infaillibles : la consigne que je préconise est d'appliquer le principe de précaution avec intelligence et pragmatisme à l'aérien, ce secteur de transports demeurant le moins accidentogène au monde.

Nous ne pouvons qu'être frappés par les statistiques qui enregistrent un décuplement du nombre d'incivilités et de violences imputable aux passagers indisciplinés (PAXI) durant les vols aériens. Le Gouvernement propose une réponse à ce qui peut s'apparenter à une forme d'insécurité, tant pour le personnel navigant que pour les passagers, par ricochet.

Les personnels navigants nous ont certifié que l'aggravation était bien réelle. Ils approuvent pleinement le renforcement des sanctions, y compris celle de l'interdiction de prendre l'avion, inspirée de l'interdiction de fréquentation des stades.

Enfin, l'article 10 vise à renforcer la sécurité des aéroports, en aggravant la sanction des intrusions illégales en zones sensibles, à savoir le « côté piste » des aéroports. Sur ce point, notre droit semble beaucoup moins dissuasif que celui de plusieurs de nos voisins européens. En outre, il s'agit d'aligner la sanction des intrusions aéroportuaires sur le régime applicable aux zones portuaires, ce qui ne paraît pas incohérent.

Le chapitre II, qui est relatif aux transports terrestres et maritimes, vise à transposer le paquet Mobilité européen, qui renforce l'encadrement des conditions de travail des conducteurs routiers et de leur détachement, ainsi que du cabotage, pratique par laquelle le transporteur d'un État membre de l'Union européenne opère un transport domestique sur le territoire français.

L'intégration de ces mesures en droit national constitue une avancée très positive : elle permettra de prendre le chemin d'une concurrence plus saine et équitable sur le marché du transport routier et de réduire de nombreuses dérives.

Par ailleurs, six articles concernent le monde maritime. L'article 16 a une forte dimension environnementale en ce qu'il permet de sanctionner les capitaines de navires ne respectant pas les seuils de teneur en soufre des combustibles marins, tels que fixés par la réglementation européenne. L'article 18 possède une dimension économique et sociale, car il vise à mettre les titres professionnels délivrés aux marins en parfaite conformité avec les exigences internationales - l'employabilité de nos marins à l'international sera ainsi garantie.

Le chapitre IV est consacré à la protection et à l'information environnementales. L'article 32 étend le champ des informations environnementales détenues par les autorités, auxquelles toute personne doit avoir accès. La France a été mise en demeure par la Commission européenne, à ce sujet, car elle ne garantissait pas l'accès à un périmètre assez large d'informations environnementales. C'est d'autant plus regrettable que l'accès à ces informations est garanti par la Charte de l'environnement et que ce sujet, qui relie démocratie participative et environnement, est des plus actuels.

Enfin, le texte comprend quelques articles relatifs à la prévention des risques. À titre d'illustration, l'article 26 vise à garantir le respect du système de quotas conçu par l'Union européenne, afin de réduire la circulation de fluides frigorigènes. Ces substances, que nous retrouvons quotidiennement dans nos réfrigérateurs et nos systèmes de climatisation, ont un pouvoir de réchauffement climatique 1 000 à 15 000 fois plus puissant que le CO2.

Permettez-moi de vous présenter brièvement les amendements que je souhaite vous soumettre. Ils s'inscrivent dans trois logiques.

Premièrement, une série d'amendements vise à assurer une plus stricte conformité de notre droit à la réglementation européenne, afin de garantir l'exemplarité de la France.

À l'article 16, qui prévoit de réduire la teneur en soufre des combustibles marins, un amendement tend à clarifier la rédaction proposée par le Gouvernement, de manière à préciser, conformément à la directive européenne, que les navires fonctionnant en système ouvert et rejetant du soufre dans la mer n'ont pas le droit de dépasser une teneur en soufre maximale de 3,5 %.

À l'article 20, je vous proposerai de définir un temps de pause obligatoire pour les jeunes travailleurs à bord des navires de pêche, en vertu de ce qu'impose la réglementation européenne. Ces dispositions existaient jusqu'en 2010, mais elles ont été abrogées par erreur, par voie d'ordonnance... Je souhaite donc les rétablir.

Deuxièmement, je vous proposerai plusieurs amendements ayant pour objet de garantir une meilleure protection des acteurs concernés par ce projet de loi, ainsi qu'une prise en compte approfondie de l'environnement.

À l'article 1er, je suggérerai de préciser que les tests d'alcoolémie auxquels les personnels aériens peuvent être soumis doivent être mis en oeuvre dans le respect du secret médical. Mon objectif est de garantir la confidentialité de ces tests, qui peuvent porter sur des substances faisant l'objet de prescriptions médicales.

À l'article 6, un amendement confortera les pouvoirs de l'Autorité de régulation des transports (ART), en prévoyant un pouvoir de collecte des informations dans le domaine aérien analogue à celui qui existe pour le transport ferroviaire. Cet amendement sera propice à garantir une meilleure transparence économique du secteur aéroportuaire et ira dans le sens d'une sécurisation des relations entre les compagnies aériennes et les grands aéroports, comme Aéroports de Paris (ADP).

À l'article 22, relatif aux transports routiers, je vous proposerai de préciser que l'obligation de conserver les documents permettant d'attester du respect du droit au retour des conducteurs étrangers dans leur pays d'établissement, par les entreprises de transport, ne s'applique que pendant une durée limitée, laquelle sera fixée par voie réglementaire.

S'agissant de la prise en compte de l'environnement, je soumettrai un amendement, à l'article 16, prévoyant que, lorsqu'un navire se dote d'équipements permettant de déroger aux plafonds de teneur en soufre, il ne peut avoir d'incidence négative sur l'environnement. Au travers de cette proposition, je souhaite lutter plus efficacement contre les scrubbers, ces épurateurs de fumée installés à bord de certains navires qui permettent de respecter les normes de pollution de l'air en rejetant le soufre à la mer, avec toutes les conséquences désastreuses que cela implique pour les écosystèmes marins.

Troisièmement, enfin, je présenterai plusieurs amendements destinés à mieux garantir l'effectivité du texte.

À l'article 17, relatif à la formation des marins, et à l'article 23 qui concerne le détachement des conducteurs routiers, je proposerai de corriger des erreurs de référence.

Dans la même logique, à l'article 24 qui prévoit de pérenniser l'autorisation des installations construites au niveau du tunnel sous la Manche, pour tirer les conséquences du Brexit, je propose d'apporter une clarification juridique en introduisant une référence au code de l'urbanisme.

S'agissant de la partie sur la prévention des risques, je vous proposerai de regrouper les articles 25 à 27 au sein d'un chapitre spécifique, afin de clarifier l'architecture du texte. Je vous soumettrai, par ailleurs, un amendement opérant des améliorations rédactionnelles à l'article 25 relatif aux sanctions en matière de pollution au mercure : cela permettra de consolider les dispositions proposées dans le code de l'environnement.

Enfin, dans un souci de garantir un bon ordonnancement juridique, je soumettrai un amendement portant article additionnel après l'article 24, prévoyant la ratification de diverses ordonnances dans le domaine du transport maritime, publiées en 2020 et en 2021.

J'indique qu'un amendement déposé par M. Lahellec à l'article 21, portant sur la soumission des périodes d'activité partielle au versement de cotisations vieillesse pour les marins, a été déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution.

Concernant le périmètre pour l'établissement du texte, en application de l'article 45 de la Constitution et de l'article 44 bis du Règlement du Sénat, je vous propose de retenir l'adaptation de notre droit au droit de l'Union européenne, en particulier concernant le contrôle d'alcoolémie ou d'autres substances psychoactives sur les équipages dans le transport aérien ; la limite d'âge des pilotes dans le transport aérien commercial ; la déclaration de certaines activités aériennes ; l'usage de drones civils et la surveillance du marché des drones ; le transport de marchandises dangereuses ; les redevances aéroportuaires ; l'organisation de liaisons aériennes soumises à des obligations de service public ; la vérification des antécédents des personnels du secteur aérien ; le régime de responsabilité des transporteurs aériens ; les sanctions édictées en cas d'intrusion sur le « côté piste » d'un aéroport ou à l'encontre des passagers indisciplinés.

Par ailleurs, je vous propose de prendre aussi en compte le télépéage, le contrôle de la teneur en soufre des combustibles marins, les exigences de qualification et d'expérience pour la formation des gens de mer, la surveillance du marché des équipements marins, le travail des jeunes à bord des navires, le temps de conduite et de repos des conducteurs routiers et les modalités d'accès au marché du transport routier, ainsi que le détachement des conducteurs routiers.

Nous retiendrons également la mise en oeuvre de sanctions au règlement européen relatif au mercure et de sanctions au règlement européen relatif aux fluides frigorigènes ; les polluants organiques persistants, les échéances d'atteinte du bon état des eaux ; la procédure d'agrément des installations d'assainissement non collectif ; les captures et les mises à mort accidentelles d'espèces protégées ; l'accès du public à l'information environnementale ; les transports et l'environnement ; le contrôle des obligations liées au devoir de diligence des importateurs à l'égard de la chaîne d'approvisionnement de l'étain, du tantale et du tungstène, de leurs minerais et de l'or provenant de zones de conflit ou à haut risque et la fixation des règles applicables aux infractions ; la lutte contre les abus de marché ; les règles applicables en matière de prestations de services de lettres recommandées électroniques ; les compétences des autorités européennes de surveillance et les obligations des autorités nationales de contrôle envers celles-ci ; la promotion de l'accès aux marchés de capitaux.

Je vous propose enfin d'inclure les sujets suivants : le champ de compétences de l'Autorité de régulation des transports en matière de régulation du secteur aéroportuaire et la mise en oeuvre de ces compétences ; les pouvoirs des organismes ou des personnes habilités par le ministre des transports en matière de constatation des infractions aux règles de sécurité aérienne ; le champ de compétences de l'ART en matière de télépéage ; les adaptations de notre droit aux conséquences du Brexit en matière d'exploitation de casinos en mer, ainsi qu'en matière d'activité partielle et de droits à pension des marins pour atténuer les effets de la crise sanitaire ; la facilitation des échanges avec le Royaume-Uni au niveau de la liaison fixe transmanche ; l'identification des actionnaires ; les règles applicables aux systèmes de règlement et de livraison d'instruments financiers ; le contrôle du respect des dispositions des actes législatifs de l'Union européenne en matière de marché européen des paiements unifié ; l'adaptation de notre droit aux actes législatifs de l'Union européenne modifiant les compétences des autorités européennes de surveillance et les obligations des autorités nationales de contrôle envers celles-ci ; les règles applicables aux dépositaires centraux de titres ; les règles relatives au financement participatif ; la ratification d'ordonnances prises en matière de transports ou d'environnement.

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