Intervention de Patrick Gérard

Délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 6 mai 2021 à 9h30
Audition de Mm. Patrick Gérard directeur de l'école nationale d'administration ena et franck périnet directeur de l'institut national des études territoriales inet

Patrick Gérard, directeur de l'École nationale d'Administration (ENA) :

Pour répondre à Mme la sénatrice de La Provôté, en 1945, le général de Gaulle a voulu que tous les corps de la haute fonction publique soient recrutés de la même façon. Avant 1945, chaque corps et chaque ministère recrutait différemment. Organisés par chacun des corps ou des ministères, ces recrutements donnaient lieu à de la cooptation. Seuls les hommes pouvaient être candidats. Il suffisait d'être le fils, le frère ou le cousin de quelqu'un en place et on avait toutes les chances de réussir. C'était le sujet des réflexions de Jean Zay ou de l'historien Marc Bloch : si le système s'est effondré en 1940, c'est parce que l'administration n'était pas capable de tenir.

Depuis 1945, l'entrée à l'ENA passe par le même concours, la formation est commune à tous les élèves et la sortie est décidée en fonction du classement de sortie et non par des relations personnelles. Ce système prévaudra jusqu'à la promotion qui terminera sa scolarité en 2022. Avec la mise en place de l'ISP, tous les élèves seront administrateurs de l'État. Ils ne pourront aller dans les grands corps que plus tard, au minimum deux ans après leur sortie, en ayant eu l'expérience de terrain.

Mme de La Provôté disait qu'un bruit courait selon lequel les élèves les moins bien classés iraient au ministère de la santé. C'est complètement inexact.

Un élève entré à l'ENA, quel que soit son classement, n'est pas un mauvais élève parce qu'il est classé dans les derniers à sa sortie. Il garde tout le mérite d'une scolarité réussie. En réalité, peu de postes sont proposés au ministère de la santé. L'administration du secteur de la santé est divisée en trois secteurs (fonction publique d'État, fonction publique locale et fonction publique hospitalière) et voit ses postes principalement détenus par des administrateurs formés par l'École des hautes études de la santé publique de Rennes. Peu d'énarques travaillent donc au ministère de la santé. Cependant, le Gouvernement a demandé que plus de postes y soient attribués à la promotion sortante cette année.

Sur la question du besoin de loi, la fabrication des lois et le problème de la différenciation territoriale : évidemment, il faut permettre la différenciation territoriale. Un problème demeure toutefois dans notre pays. J'ai été maire de Vincennes pendant six ans et je peux en témoigner. Nous avons en France une obsession d'égalité. À chaque demande de différenciation, les interrogations et la méfiance sont de mises. Le principe d'égalité est absolu. C'est un problème que seuls les politiques, et non l'administration, peuvent résoudre.

Je réponds maintenant à la Sénatrice Estrosi Sassone concernant l'absence de diversité dans les élites françaises. Il est vrai qu'il y a cinquante ou soixante ans, davantage de diversité existait dans les élites françaises. Mais nous pouvons relever un paradoxe : plus le niveau éducatif a été élevé et a permis à un plus grand nombre d'élèves d'arriver au bac et aux études supérieures, plus la ségrégation sociale s'est renforcée. Aujourd'hui, à l'ENA, comme à l'INET, la majorité des élèves sont issus de milieux favorisés. Dans la promotion actuelle, 38% des élèves étaient boursiers de l'éducation supérieure. Très peu de grandes écoles affichent de tels chiffres. En général, les proportions sont quatre à huit fois moindres. Nous arrivons à accueillir autant de boursiers grâce au concours interne ou au troisième concours, qui permet aux personnes issues du secteur privé ou associatif d'entrer à l'ENA.

Pouvons-nous encore progresser ? Le Gouvernement a décidé, à la demande du président de la République, de lancer un concours supplémentaire dans certaines écoles, dont l'INET et l'ENA : il s'agit du « concours talents », réservé à des étudiants boursiers de l'enseignement supérieur, qui ont suivi des préparations en institut ou en école. Nous espérons qu'il apportera une plus grande diversité sociale.

En plus de la diversité sociale, deux autres diversités, parfois oubliées, sont très importantes. Il s'agit d'une part de la diversité culturelle. Pour que nous ne pensions pas tous la même chose, nous ne devons pas tous suivre les mêmes études. C'est pourquoi, il y a deux ans, j'ai demandé au Gouvernement de créer un concours pour les docteurs. L'année dernière, pour la première fois, nous avons accueilli des docteurs en sciences dures (informatique, mathématiques, physiques). Cette année, des docteurs en sciences humaines et sociales nous ont rejoints et l'année prochaine nous accueillerons des docteurs en science de la vie. Ainsi, pourrons-nous regrouper des cultures différentes.

D'autre part, la diversité territoriale est à prendre en considération. Plus de la moitié de nos élèves ont suivi des études supérieures à Paris. Très peu d'élèves viennent d'outre-mer ou du reste du territoire. J'ai passé un accord avec le Gouvernement de Nouvelle-Calédonie pour que des élèves rejoignent nos classes préparatoires et bénéficient d'une égalité des chances, pour préparer les concours de l'ENA ou d'autres fonctions publiques. Nous essayons de procéder de la même façon avec la Guyane. Nous porterons donc tous nos efforts sur ces trois types de diversité : sociale, culturelle et territoriale.

À Madame la Sénatrice Gréaume, lorsque des sous-préfets sont en vacances ou en période de remplacement, nos élèves stagiaires sont souvent envoyés en sous-préfecture pour assurer l'intérim. Nous leur demandons d'être attentifs aux maires des petites communes. Beaucoup le font avec plaisir.

Entre le droit civil, qui proclame le droit de propriété, et le droit de l'urbanisme, qui défend l'intérêt de la collectivité locale, des contradictions ont toujours existé. Il appartient aux autorités politiques de décider, ce n'est pas le rôle de l'administration. Cette dernière travaille dans le cadre fixé par les autorités politiques, afin de lui présenter des propositions intelligentes, si possible sans risque juridique.

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